Interview de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, à LCI le 12 février 2020, sur la réforme des retraites, le rôle des députés et les questions européennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

ELISABETH MARTICHOUX
Bonjour Amélie de MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous êtes donc au gouvernement depuis pratiquement 1 an, vous avez pendant 2 ans parmi cette masse de parlementaires élus La République en marche, comme beaucoup vous êtes une primo-élue, c'était la première fois. Le président face aux députés, qu'il a reçus hier à l'Elysée, a été ferme, Amélie de MONTCHALIN, "il faut que la réforme des retraites passe avant l'été." Ça laisse penser qu'il envisage le recours au 49.3, vous confirmez ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi je ne crois pas que ce soit le débat qu'il ait eu hier. Ce qu'il a dit aux députés c'est que nous vivons un moment important du quinquennat, nous avons cette réforme des retraites, qui était un engagement de campagne fort, et nous avons encore beaucoup de choses à faire pour que la vie quotidienne des Français change, et donc nous ne pouvons pas passer, vous voyez bien, les 2,5 ans à être sur une même réforme, il faut qu'on puisse passer à autre chose, il l'a dit, sur le régalien, sur la sécurité, sur la dépendance. Le moment qu'on vit c'est un moment où on a la fois des résultats, et on voit qu'on n'en n'a pas assez.

ELIZABETH MARTICHOUX
On va en parler de cette perception, sur le 49.3, est-ce que vous avez entendu… ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi je ne crois pas que ce soit ce sur quoi on se dirige, on est en train d'avoir un débat parlementaire qui est totalement obstrué par, notamment les Insoumis, qui ont décidé de ne pas parler du fond, mais de bloquer les débats, et on va voit bien qu'on a, à droite, des non-alternatives, on nous dit "tout va bien, il faudrait augmenter l'âge, mais en fait les inégalités d'aujourd'hui on ne veut pas les traiter", donc on ne comprend pas bien ce que font les oppositions, et elles ont trouvé un moyen d'exister sans avoir rien à dire, c'est-à-dire de bloquer le débat.

ELIZABETH MARTICHOUX
Exister sans avoir rien à dire ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je vois c'est que, quand on est à gauche aujourd'hui, et qu'on nous explique qu'il faudrait retirer le projet de réforme, ça veut donc dire qu'on n'a rien à proposer sur les inégalités qu'on cherche à corriger, sur le fait que ce système, d'aujourd'hui, il faut le corriger, il faut le faire évoluer.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ils vous diront qu'ils ne sont plus pour le statu quo, qu'effectivement ils ont une réforme alternative.

AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien dans ce cas-là les amendements qu'ils proposent ne nous permet pas de dessiner le projet qu'ils proposent. Et puis j'entends à droite, et d'ailleurs ailleurs, d'autres qui nous disent "il faudrait faire une pause, une grande pause, parce que, vous savez, nous on a des solutions magiques, évidentes, et qui permettraient de tout résoudre très vite, mettre l'âge de la retraite à 65 ans, on garde les inégalités, on les aggrave." Donc, cette réforme, on va la faire, mais ce que dit le président, aussi, c'est que notre pays, et ce pour quoi nous avons été élus – j'ai effectivement été une députée pendant 2 ans, et pendant 2 ans - quand on est député, on sent bien que ce que les Français attendent de nous, et qu'ils attendent de nous quand on est aussi au gouvernement, c'est qu'on change la vie quotidienne, et donc il faut qu'on puisse avoir, après l'été, c'est ce que dit le président, l'opportunité de changer d'autres sujets.

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord. Donc, pour vous, Emmanuel MACRON face aux députés hier n'a pas dit, de façon implicite, "le 49.3 est une option" ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je n'étais pas dans la pièce, mais je ne crois pas que ce soit du tout le chemin que nous cherchons à suivre au gouvernement.

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord, parce que ce serait quoi, ce serait une forme de passage en force, ce serait un échec pour vous ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, on est en train d'avoir un débat parlementaire, on est en train d'avoir une conférence de financement, on est en train d'avoir un dialogue social renforcé, à la demande de Laurent BERGER, et c'est aussi une main tendue pour qu'on puisse trouver le chemin d'équilibre, pour que nous recréons un système où il y a une caisse de retraites pour les Français, de la vraie solidarité, moins d'inégalités entre les hommes et les femmes, et surtout une retraite digne pour ceux qui, aujourd'hui dans le système, sont objectivement les grands perdants parce qu'ils sont à la marge. Donc, on va faire ça, on est en train de le faire, la conférence de financement se tient, vous imaginez bien que tout ça, eh bien il faut qu'on aille progressivement, qu'on passe les étapes…

ELIZABETH MARTICHOUX
Sans passage en force…

AMELIE DE MONTCHALIN
Je crois que ce n'est pas ce que nous cherchons à faire, si nous avions voulu passer en force ça fait longtemps qu'on aurait fait différemment, et donc ce n'est pas ce qu'on fait.

ELIZABETH MARTICHOUX
Avec un calendrier qui est quand même extrêmement resserré, au point que maintenant on envisage de supprimer les vacances parlementaires. Mais déjà, d'après l'opposition, d'après la France Insoumise, vous endossez un échec du fait que la commission spéciale sur la réforme des retraites n'a pas pu examiner tous les amendements. On écoute Jean-Luc MELENCHON, ça dure quelques secondes.

JEAN-LUC MELENCHON, PRESIDENT DU GROUPE LA FRANCE INSOUMISE
Je voudrais remercier les collaborateurs de la commission et tous ceux qui ont concouru à la qualité de notre débat, je voudrais vous dire aussi, sans détour, que pour nous la bataille ne fait que commencer, et nous avons la certitude qu'à la fin c'est nous qu'on va gagner.

ELIZABETH MARTICHOUX
"Qu'on va gagner" dit Jean-Luc MELENCHON, après avoir réussi à obstruer, de fait, la commission spéciale.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ce que je vois c'est que ceux qui nous expliquent, ils sont des progressistes, qu'ils défendent la société, qu'ils défendent les plus modestes de notre société, c'est ce que portait initialement Jean-Luc MELENCHON comme projet politique, il n'a rien trouvé de mieux que de trouver, je vais dire les interstices du règlement intérieur de l'Assemblée pour déposer 22.000 amendements, qui ont bloqué…

ELIZABETH MARTICHOUX
Dix-neuf mille.

AMELIE DE MONTCHALIN
Vint deux mille, donc 19.000, pour bloquer les débats. Moi je pense que ce n'est pas digne d'une démocratie de bloquer les débats. Ce que je vois aussi c'est que ça génère de la violence, dans tout le pays, parce que ça alimente l'idée que notre système démocratique ne fonctionnerait pas, et que nous serions en train de passer en force. Nous sommes en train de respecter pleinement le règlement de l'Assemblée nationale.

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous pouvez assimiler, pardon, un outil, qui est à la disposition des parlementaires, à une incitation à la violence ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, ce que je dis c'est que, quand on bloque le débat démocratique, quand ensuite on explique que le gouvernement serait en train de passer en force, que nous ne respecterions pas les codes de la démocratie, je pense qu'on attise l'idée que le régime ne serait plus de démocratique, ne serait plus républicain. Tout ce qui se passe se fait selon notre démocratie, et je pense que c'est très important. Voyez le climat de violence qui existe dans notre pays, le climat de défiance, il faut que nous puissions montrer aux Français que nous travaillons, et que nous travaillons pour eux, et je pense que quand ils voient les débats, infinis…

ELIZABETH MARTICHOUX
Quelle est votre part de responsabilité dans ce climat ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Notre part de responsabilité c'est que, oui, en 2017 on s'est engagé pour que la France change, on s'est engagé…

ELIZABETH MARTICHOUX
Dans ce climat de violence.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais, on s'est engagé pour que la France change, pour qu'on ait des résultats, pour que les gens voient que leur quotidien s'améliore. Les résultats sont là, ils ne sont pas suffisants, et donc il y a dans le pays, des gens qui sont déçus, maintenant je vois qu'il y a des gens qui sont déçus et qui expriment des oppositions politiques, je vois que les oppositions ont du mal à formuler des…, mais je vois aussi que certains continuent d'attiser l'idée selon laquelle nous ne serions pas légitimes. Quand on met la tête du président au bout d'une pique, quand on détruit des permanences parlementaires, quand on met le feu à des domiciles et à des biens personnels d'hommes et de femmes politiques engagés, on voit bien qu'on attise l'idée que nous ne serions plus en République, c'est très grave. et donc, d'un côté il y a le débat politique, je vais dire normal, qu'on peut avoir dans les instances, normales, et il y a de l'opposition, et c'est normal, mais il y a aussi tout un champ d'action, on le voit aujourd'hui, qui va beaucoup trop loin, et qui est né, on le sait, de ce que depuis 2 ans, 2,5 ans, certains nous ont dit "cette élection n'est pas légitime", et ça c'est très grave.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et ça, vous pensez que c'est le ferment de ce qui se passe aujourd'hui. La déception elle existe aussi dans votre camp, vous le savez, Perrine GOULET par exemple, qui est parlementaire, hier a dit au président « les cabinets ministériels ne nous croient pas quand on fait remonter des trucs de terrain », c'est son expression, on voit très bien ce qu'elle veut dire, "les cabinets ne nous croient pas." Est-ce qu'il y a effectivement un problème de communication, de transmission d'infos, entre eux les ministères où vous êtes et puis les parlementaires ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je peux vous dire, et je le dis très très fermement, un ministre qui travaille sans députés c'est un ministre qui ne peut pas bien faire son travail, il nous faut absolument le retour des députés.

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que ministres ne le savent pas assez ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi je vais vous parler de ce que je fais et de ce que j'ai vécu…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous savez ce qu'ils ont dit, des députés, "il faut les mettre au boulot, ce sont des…", tout ça entre guillemets. Vous avez dit ça vous ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, je vous dis ce que j'ai à vous dire maintenant, mon expérience c'est qu'un député c'est un ascenseur, c'est quelqu'un qui en permanence fait le lien entre une réalité très particulière de sa circonscription, et la loi nationale, et le débat national.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ce sont des têtes d'ascenseur…

AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc on fait l'ascenseur en permanence, j'ai vécu cette réalité pendant 2 ans, c'est un métier très… c'est une fonction très exigeante, parce que vous devez partir d'une situation très particulière, et ensuite en tirer des conclusions, ou des conséquences nationales. Un ministre qui travaille loin des députés, c'est un ministre qui prend un risque, un risque de se déconnecter de la réalité. Ces 300 députés de la majorité, ils nous apportent une chose absolument…

ELIZABETH MARTICHOUX
L'affaire du deuil parentale, c'est ça, cette bourde que le gouvernement, que le président lui-même a été obligé d'arrêter ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui ce que je vois, on a un débat parlementaire, vous avez un gouvernement, vous avez des députés, on corrige le tir, on fait des choses qui objectivement vont être extrêmement intéressantes, je crois, importantes. Un ministre, s'il n'a pas des capteurs sur le terrain, s'il n'est pas clair sur ce qu'il doit résoudre comme problèmes, si les problèmes qu'on lui amène à résoudre sont ceux que son administration pense qu'il faut qu'il résolve et qu'il n'est pas assez sur le terrain, il y a deux choses qui se passent, d'abord il est déconnecté dans ce qu'il propose, et ensuite, ce que nous faisons, nous avons besoin maintenant de le faire infuser, il faut que les Français en voient la couleur, et donc on a besoin des députés. Les députés c'est eux qui vont aller dans les élus locaux, c'est eux qui vont voir…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc il ne faut pas les insulter, il ne faut pas les sous-traiter…

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais on a absolument besoin d'eux, absolument. Moi je viens de là, mon engagement politique il vient de là.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça c'est un message que vous passez à tous vos collègues, ayant été, comme d'ailleurs Laurent PIETRASZEWSKI ou DJEBBARI, des parlementaires qui avaient du mal à communiquer avec les cabinets.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, on a plus que jamais besoin d'eux, puisqu'on est à un moment, vous voyez, de notre quinquennat, où on doit avoir des résultats, les résultats, ce n'est pas des choses qu'on… c'est des choses qui doivent exister par le terrain.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et qui ne sont pas perçus pourquoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais parce que, je vous parle de l'apprentissage, 460.000 apprentis c'est formidable, on n'en n'a jamais eu autant, on en veut 700.000. La baisse du chômage, on est à un peu plus de 8%, il faut qu'on arrive à 7%, il faut qu'on continue. Et puis c'est normal que les Français nous disent pas merci, sur certains points on a juste refait fonctionner des systèmes qui étaient totalement dégradés. Je prends un exemple. Quand on verse des pensions alimentaires à des femmes dont, parfois après des divorces, elles ne reçoivent plus de pension alimentaire, c'est normal, c'est un dû, et donc c'est normal que les gens nous disent « on ne va pas non plus vous applaudir tous les matins, on vous dit juste que c'est normal. » Quand on va faire refonctionner…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ce n'est pas là-dessus que vous pourrez faire valoir votre bilan, parce que les Français considéreront que vous avez fait votre boulot dans le fond.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais ce que je veux vous dire c'est que, du coup, il faut qu'on fasse notre boulot, il faut qu'on fasse que le système fonctionne, il faut qu'on aille beaucoup plus loin, les résultats ils sont ce qu'ils sont, ils sont bons, il faut qu'on aille plus loin, et donc on a une forme d'impatience collective, et dans ce travail où justement, sur le terrain les choses doivent changer pour les Français, c'est l'engagement, honnête, sincère, qu'on a pris devant eux en 2017, on a plus que jamais besoin de travailler avec ceux qui sont sur le terrain. Un ministre, je ne peux pas aller dans 300 circonscriptions par semaine, un député, ils y sont tous, c'est eux qui vont faire… je parle des fonds européens par exemple, la politique européenne, c'est une politique qui se déploie sur les territoires…

ELIZABETH MARTICHOUX
On va voir ça.

AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien ils sont des relais, plus que jamais essentiels, pour que ce qu'on fait, au niveau national, au niveau européen, ça se déploie là où ils sont.

ELIZABETH MARTICHOUX
Eloge du député par Amélie de MONTCHALIN. "C'est un moment difficile du quinquennat" a dit le président, "il n'y a plus la force de propulsion du départ, les oppositions sont plus fortes", voilà, je cite le président tel que ça nous a été rapporté. Désenchanté le président ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il est lucide, il est impatient…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et désenchanté ? Impatient ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr qu'il est impatient, et certains pensent que c'est un défaut, je pense que c'est une qualité. Il est impatient de voir que tout le travail que nous menons, de manière acharnée depuis 2,5 ans, se voit dans la réalité, se voit dans la réalité quotidienne, et apporte les changements sur lesquels on s'est engagé. Il y a deux façons de faire, vous regardez les quinquennats précédents, à ce moment-là du quinquennat vous avez deux façons de faire, vous avez la façon qui est de dire "on fait des promesses, on fait de la câlinothérapie, on endort un peu tout le monde et comme ça, ça va bien se passer", c'est comme ça qu'on a emmené notre pays dans le mur, l'autre façon de faire, c'est-ce qu'on va essayer de faire, et ce qu'on est en train d'essayer de faire, avec notamment les députés, c'est de tenir un cap, d'être persévérants, de ne pas nous renier, et de dire que notre objectif c'est que les engagements qu'on a pris on puisse les tenir. Et donc, oui, on est impatient, et je pense que ce n'est pas un défaut, je pense qu'il faut qu'on ait des résultats, tangibles, et ça, ça ne se décrète pas, ça se fait touche par touche, par petits pas, tous les jours, partout en France.

ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a l'action, il y a le style. Bernard CAZENEUVE, à l'instant, déclare que "un président ne peut pas être transgressif tous les jours." Ancien ministre socialiste, ancien Premier ministre de François HOLLANDE, ancien ministre de l'Intérieur.

AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne sais pas si le mot "transgressif", je ne veux pas disserter sur le mot, ce que je sais c'est que notre président, quand il avait fait campagne en 2017, il nous avait dit…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais vous comprenez ce que veut dire Bernard CAZENEUVE, pardon, parce qu'il faut un peu d'autocritique…

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, je le comprends.

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que, voilà, un président peut être transgressif, comme il l'est en montrant le tee-shirt, par exemple, de Jul, où on voit un dessin de citoyen effectivement blessé par les tirs LBD par exemple, ce genre de choses, ça n'abîme pas la présidence ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le président… ne pas devenir des assis, de ne pas devenir des bourgeois, des installés du système, on s'est fait élire sur cette promesse que nous ne deviendrions pas des installés du système, ça veut dire que, on ne se fonderait pas dans un système qui a objectivement empêché la France de se moderniser, de se transformer, d'aider les Français…

ELIZABETH MARTICHOUX
Il n'y a pas une forme d'arrogance à dire on est plus fort même que les institutions, on est plus fort même qu'un costume présidentiel par exemple, qu'on doit absolument endosser ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est tout l'inverse. Certains disent qu'on est naïf, moi je pense qu'on est déterminé, qu'on est sincère.

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, on dit aussi que vous êtes arrogants.

AMELIE DE MONTCHALIN
L'arrogance, si ça veut dire qu'on veut faire changer les choses, qu'on veut parfois aller vite, et que parfois, effectivement, on va passer un peu outre les habitudes, un peu outre ce qui a fait que pendant des années… vous savez dans les administrations on a eu beaucoup d'arguments pendant des années pour expliquer pourquoi on ne pouvait pas faire les choses, aujourd'hui, avec ces administrations-là on fait changer les choses, et ça bouscule, parfois ça peut surprendre, mais je pense qu'il est nécessaire pour notre pays, quand on le regarde avec un peu de lucidité, que nous puissions continuer à être des gens déterminés à transformer les choses, dans l'intérêt des Français, et je ne pense pas que ce soit ni de l'arrogance, mais c'est notre sincérité initiale, et je pense qu'il faut qu'on puisse apporter cette promesse-là, concrète, aux Français.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous n'êtes pas du tout, dans le fond, déstabilisés par la défiance à votre égard, le fait que, effectivement, les municipales risquent d'être, pour vous, non pas désastre, n'exagérons rien, mais une désillusion forte électorale, le fait que dans les sondages vous soyez quand même très malmenés ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous venez de me dire qu'on était parfois arrogant, l'arrogance ultime, sur les municipales, ça aurait été de dire écoutez, tout le monde est nul, on met notre drapeau partout, on envoie des candidats partout, alors que 75% des Français considèrent que leur maire fait du bon travail. Donc le choix qu'on a fait c'est de dire voilà, pour que la France aille bien on va…

ELIZABETH MARTICHOUX
Le choix qu'on a fait c'est de ne pas avoir de maires élus, c'est ce que vous allez nous dire ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, c'est de pouvoir, là où les maires vont du travail collectif, positif pour les territoires, soutenir leur majorité, renouveler les cadres, mettre des gens au travail qui sont proches de nous, mais qui pourront travailler avec ce qui existe déjà, et je pense que c'est l'anti-arrogance, parce que, on serait arrivé, on aurait dit "voilà, le dégagisme, on continue, on met tout le monde dehors parce que, en vrai, nous on sait mieux que tout le monde", eh bien on aurait été exactement là où les gens nous auraient dit "eh bien la France, en fait vous la voulez pour vous, vous ne la voulez pas pour les Français", et donc c'est ça qu'on est en train de faire. Il y a des endroits, on veut l'alternance on s'organise, il y a des endroits où on pense que les maires font du bon travail, eh bien on les soutient.

ELIZABETH MARTICHOUX
Amélie de MONTCHALIN, vous êtes chargé des Affaires européennes, il y a un marathon budgétaire très important qui va commencer la semaine prochaine à Bruxelles, puisqu'il s'agit de fixer le budget, pour plusieurs années, de cette nouvelle Commission européenne, de cette nouvelle Europe post-élections européennes. Alors, première conséquence concrète du Brexit, Londres, qui était un contributeur net, comme on dit, ne mettra plus au pot. Ça fait une perte de combien, 12 milliards, au budget global, par an ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Effectivement, aujourd'hui la clé c'est que, après le Brexit, et après les engagements qui ont été pris lors des élections européennes, et qui ont été pris par la nouvelle présidente de la Commission, nous avons besoin d'un budget en face de nos ambitions, là aussi c'est la cohérence et c'est du réalisme.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous répondez à ma question, quel est le manque consécutif au départ de Londres ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, je ne vais pas vous faire des débats de chiffres ce matin…

ELIZABETH MARTICHOUX
Douze milliards, c'est ça, vous confirmez ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On cherche effectivement à que ceux qui payaient pour l'Europe payent un petit peu plus, on cherche aussi à mettre…

ELIZABETH MARTICHOUX
La France paiera davantage ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr qu'on paiera davantage, mais, ce que j'ai à vous dire c'est, on ne paye pas juste davantage parce qu'il y a le Brexit, on va mettre des moyens sur la table pour assurer aussi des nouvelles ambitions, parce que sur la défense européenne on a besoin d'investir, parce que sur la politique spatiale on a besoin d'investir…

ELIZABETH MARTICHOUX
On s'interroge sur la PAC, parce que, effectivement, comme vous le dites très bien, au départ des Britanniques s'ajoute d'autres priorités, l'immigration, meilleure gestion, investissement dans la recherche, l'innovation, renforcement défense, et bien sûr l'environnement, et donc il va falloir rogner sur la PAC.

AMELIE DE MONTCHALIN
Pas du tout, c'est exactement tout l'inverse.

ELIZABETH MARTICHOUX
Comment ça ? Est-ce que le budget de la PAC ne va pas diminuer pour les Français ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le budget de la PAC, toute la défense… ce que nous faisons avec le président de la République, depuis maintenant 2 ans, depuis 2 ans notre combat c'est de dire la PAC, l'agriculture, ce n'est pas une politique has-been sous prétexte qu'elle existe depuis longtemps, c'est une politique absolue de souveraineté. Un continent qui importe sa nourriture ce n'est pas un continent puissant, parce que ça veut dire qu'il dépend d'autres personnes. Et donc la souveraineté, oui c'est la défense, mais c'est aussi l'agriculture et l'alimentation, et donc…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais, globalement le budget de la PAC, on parle d'une baisse de 5 à 20%, Amélie de MONTCHALIN…

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, non, ce n'est pas du tout ce sur quoi je travaille.

ELIZABETH MARTICHOUX
De combien la PAC va-t-elle baisser ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Nous cherchons à stabiliser l'enveloppe de la PAC pour que, entre 2021 et 2027, nous ayons le même argent qu'entre 2014 et 2020, et qu'avec cet argent…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous cherchez à, est-ce que…

AMELIE DE MONTCHALIN
On est en train de négocier.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous pouvez nous dire que vous allez l'obtenir, de vos partenaires ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On est en bonne voie de le faire, il y a déjà eu, par rapport à ce qu'avait proposé la Commission européenne, plus d'argent qui a été proposé par les Finlandais qui s'occupaient de la négociation, et donc je vais lundi à Bruxelles, et nous serons jeudi à Bruxelles avec le président de la République, pour nous assurer, en effet, que nous puissions donner aux agriculteurs français les mêmes moyens qu'entre 2014 et 2020, pas pour faire la même chose, parce que sinon ils seront dans le même état, et je pense qu'on voit bien qu'on a besoin d'investir, on a besoin de les soutenir beaucoup plus, on a besoin de rendre cette transition écologique et environnementale possible…

ELIZABETH MARTICHOUX
Elle sera verdie…

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, elle sera verdie.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire que les aides seront plus conditionnelles ?

AMELIE DE MONTCHALIN
En tout cas elles seront là pour permettre l'investissement nécessaire pour que nos agriculteurs…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ce sera plus conditionnel.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce sera plus conditionnel, ce sera aussi plus cohérent avec la transition qu'on demande aux électeurs de faire. Ce que je peux vous dire, c'est que la Politique Agricole Commune, certains vous disent c'est une politique traditionnelle et nous on aimerait des politiques modernes, moi je leur dis c'est tout l'inverse, c'est une politique de souveraineté absolue, c'est plus que jamais nécessaire. Vous savez, la Chine et les Etats-Unis, plus que jamais, ils soutiennent leur agriculture, eh bien nous on a le devoir de faire la même chose, il y a d'autres politiques sur lesquelles…

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous nous dites ce matin, Amélie de MONTCHALIN, la PAC ne baissera pas dans les années qui viennent ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est ce que je vous dis, c'est que c'est notre objectif premier, c'est de pouvoir assurer à la fois aux agriculteurs les moyens d'investir, d'avoir des revenus et de pouvoir s'engager pleinement dans cette transition, avec les moyens de la réussir, et c'est de vous dire aussi que nous pouvons pas, alors que nous voulons créer une puissance européenne, considérer que, la souveraineté alimentaire, la souveraineté de défense, la souveraineté technologique, sont des choses qui sont différentes, ça nous permet d'être autonome et indépendant.

ELIZABETH MARTICHOUX
Encore une question. Les europhiles, tous les Européens après le départ de Londres de l'Union européenne se sont dit voilà, c'est une formidable occasion de faire l'Europe autrement, pour qu'elle soit plus proche des citoyens, puisqu'on a vu que quand ce n'était pas le cas ça pouvait donner le Brexit. Est-ce que, dans le fond, on ne va pas voir dès la semaine prochaine, à l'occasion de ce marathon budgétaire, que tout repart comme avant, avec les égoïsmes nationaux, les petites mesquineries, rien n'aura changé ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, ce que je vois, c'est qu'on travaille beaucoup pour éviter ça, c'est que je pense que, pour les Européens, à moment donné il faut qu'on arrête les discours et qu'on puisse avoir des résultats, je pense qu'en 2024, voyez, lors des prochaines élections européennes, si on revient avec des promesses et qu'on n'a pas un bilan, si les Européens n'ont pas vu comment l'Europe les a vraiment protégés, alors on aura un problème. Donc moi, tout le combat que je mène, tout le combat du président de la République, c'est que, après 2 ans où on a donné des idées à l'Europe, après une année où on a créé une nouvelle équipe d'Europe, il faut maintenant qu'on ait des résultats. Et en 2022, c'est une date importante pour les Français, c'est aussi une date importante pour la France en Europe, pendant 6 mois la France présidera les travaux de l'Union européenne, eh bien d'ici là on doit pouvoir mettre des moyens en face de nos ambitions, mettre des outils en face de ce qu'on cherche à faire, dans le domaine migratoire, dans le domaine bien sûr alimentaire, dans le domaine environnemental, dans le domaine industriel, dans le numérique, ce que fait Thierry BRETON, c'est de nous dire on ne peut pas être entre la Chine et les Etats-Unis, uniquement ceux qui acceptent que tout se passe autour de nous sans jamais définir comment on veut que ça se passe pour nous.

ELIZABETH MARTICHOUX
Des paroles et des actes.

AMELIE DE MONTCHALIN
Exactement, des résultats.

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Amélie de MONTCHALIN d'avoir été ce matin sur LCI.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2020