Texte intégral
Q - Bonsoir Jean-Baptiste Lemoyne,
R – Bonsoir.
Q - Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre, des affaires étrangères. Vous êtes en duplex, d'ailleurs, depuis votre ministère à Paris. Ces Français coincés sur les îles Fidji, aux Philippines, en Nouvelle-Zélande, ou encore en pleine mer des Caraïbes, eh bien, pour beaucoup, ils se sentent abandonnés. Certains se disent même coupés du monde. Alors, est-ce que c'est le cas, Jean-Baptiste Lemoyne, est-ce que ces Français sont abandonnés à leur sort ?
R - Abandonnés, jamais. On est sur le pont, matin, midi et soir, les équipes du Quai d'Orsay, ici, avec le centre de crise et de soutien, mais également partout dans le monde avec nos ambassades, nos consulats.
Alors, depuis dix jours, ce sont 120 000 Français qui étaient touristes ou voyageurs d'affaires qui, déjà, sont revenus sur le sol français. Il en reste 12 000 dans 46 pays pour être précis. Et chaque jour, chaque jour, avec Jean-Yves Le Drian, avec le ministre des transports, avec Air France, nous nous coordonnons pour recenser tous ces Français, ensuite mettre en place des plans de vol, et cela relève d'une logistique qui est particulièrement complexe, notamment dans des zones par exemple comme les Philippines, où il faut d'abord regrouper les Français qui sont sur des petites îles. Ensuite, venir les chercher, soit à Cebu, soit à Manille... Mais c'est le cas aussi au Pérou, je le sais, où des Français sont disséminés entre Cuzco, Arequipa, et donc là aussi on travaille au fait de les rassembler avant de procéder à des vols de retour depuis Lima.
Q - Eh oui, il y a des situations très complexes, vous venez de le dire. Il y a un cas, particulièrement préoccupant, c'est celui du bateau de croisière le Zaandam, 1 800 personnes, dont plus de cent Français à bord, actuellement coupés du monde. Ils sont en pleine mer des Caraïbes, au large de Panama. Aucune possibilité visiblement d'accoster pour le moment puisque tous les ports sont fermés ou refusent l'arrivée du bateau. Il y a quelques jours, les passagers ont appris la mort de quatre des leurs à bord. Je vous propose qu'on écoute la détresse de Françoise Mathieu, c'est une des personnes qui est à bord. Elle est enfermée avec son mari dans leur cabine d'à peine quinze mètres carrés. Son mari a plus de 70 ans, écoutez-la, elle n'a pas de nouvelle, pas d'information. (...) Vous entendez, Jean-Baptiste Lemoyne, le désarroi de cette Française, de 67 ans, qui se sent complètement seule et abandonnée à bord.
R - La situation sur le Zaandam, nous la suivons, avec Jean-Yves Le Drian, depuis plus d'une semaine, d'une part, alertés par Sophie Baillot qui justement, représente le croisiériste, et d'autre part par un certain nombre de nos compatriotes. Et notre centre de secours, de crise, est en lien avec justement des passagers pour pouvoir évaluer la situation.
Par exemple, il y a quelques jours, Panama refusait que le bateau puisse emprunter le canal pour basculer sur les Caraïbes. Jean-Yves Le Drian a pu s'entretenir hier soir avec le ministre des affaires étrangères du Panama. L'accord a été donné. C'est pour vous montrer que l'on a aussi besoin, nous, de déployer, comment dire, beaucoup de conviction aussi politique auprès de nos propres homologues pour débloquer les situations.
Q - Oui, cela demande de la diplomatie.
R - Et aujourd'hui…
Q - Mais alors là, le bateau a pu repartir. Vers quelle destination ? Quels sont les scénarios qui sont possibles ?
R - Alors aujourd'hui, une partie des passagers, des passagers qui sont sains, ont été transbordés sur un autre paquebot, le Rotterdam, qui va suivre le Zaandam, ils se suivent tous les deux. Et pour l'instant, ils vont mettre le cap sur la Floride, puisque c'est là qu'il y a les capacités d'accueil et médicales qui paraissent les plus adaptées. Donc, à ce stade, c'est l'option privilégiée.
Q - Mais il pourrait rester en Floride ? Parce que visiblement le maire a refusé que le bateau accoste jusqu'à maintenant ? Est-ce qu'il y a d'autres options, si le maire refuse qu'ils accostent à Fort Lauderdale, par exemple ?
R- La Floride comprend de nombreux ports. Donc, naturellement, la situation, nous la suivons heure par heure, comme les passagers. Et nous allons continuer les interventions politiques s'il le faut pour, en tous les cas, trouver une solution. Cent Français sont à bord, il y a en tout 1 800 passagers. Mais nous sommes naturellement très attentifs à leur situation, même s'il y a beaucoup de, parfois, d'allers-retours de la part des autorités. Je vous le disais, il y a quelques jours, Panama refusait le passage, ensuite il l'a accepté. Donc, c'est pour cela que cela nécessite, je le comprends, beaucoup de précautions dans ce que l'on peut dire. Et je veux dire aux passagers qu'il y a naturellement une angoisse, on la comprend, mais que l'on fait tout pour que le bateau puisse accoster, surtout dans un environnement qui permette le transbordement des passagers, dans un environnement.…
Q - De tous les passagers ? De tous les passagers ? Parce que beaucoup, vous comprenez j'imagine la détresse et la grande inquiétude des familles également et des passagers à bord, qui disent qu'ils n'ont pas de contact, hein, avec les autorités françaises…
R - Je peux vous dire que nous avons un contact avec des passagers, nous avons des contacts aussi avec des familles de passagers. J'ai reçu tout à l'heure encore un email de l'un d'entre eux, et nous sommes en contact avec la croisiériste qui opère. Donc, je peux vous dire que le contact, il est permanent. Maintenant, il est vrai que, il y a cent personnes. Ces cent personnes sont isolées puisqu'elles sont confinées dans leurs propres cabines, ce qui ne facilite peut-être pas la circulation de l'information. Mais je veux leur dire, s'ils nous entendent, que l'on a bien la situation du bateau en tête et que, naturellement, on continue à suivre, on n'abandonne pas des Français.
Q - Jean-Yves Le Drian a parlé d'un retour de tous les Français à l'étranger dans les quatre à cinq jours, c'était vendredi dernier. Cela voudrait dire après-demain. C'est toujours une piste crédible, plausible ?
R - Tout à fait. Nous travaillons aujourd'hui sur un rythme environ de 5 000 passagers de retour chaque jour. Il nous en reste à peu près 12 000. Les vols se poursuivent, avec Air France, la compagnie nationale qui a fait beaucoup d'efforts pour pouvoir continuer à desservir un certain nombre de pays. Nous affrétons aussi parfois des avions notamment avec Qatar Airways, et je leur tire aussi mon chapeau. Donc, nous allons continuer tant que…
Q - Vous parlez des vols ? Oui, excusez-moi, je vous coupe, Monsieur le Ministre, mais vous parlez des vols... Demain, Orly doit carrément fermer. Est-ce que ça veut dire moins de chances de rapatriement puisque moins de vols ?
R - Alors, il y a de toute façon moins de vols. Mais, vous voyez que là, on est dans des situations d'urgence, d'où le besoin de coordination étroite avec Air France, avec le ministère des transports, avec ADP... Et nous allons, nous, continuer à mettre en place des vols, malgré les contraintes de ressources humaines d'Air France - c'est pour cela que je leur tire mon chapeau - pour pouvoir continuer à desservir tous les continents et offrir des solutions aux Français qui sont bloqués. Il n'y en a plus que 12 000, j'ai envie de dire. Ils étaient 130 000 il y a une semaine ; on en a ramené 90 % et aujourd'hui, on déploie tous les efforts pour ramener les dix derniers pour cent à la maison. Je veux leur dire que, eh bien, nous mettons tout en oeuvre, y compris, je vous dis, l'affrètement, avec parfois avec des tarifs d'ailleurs de retour que nous avons voulu très modérés, 300 euros pour les Philippines...450 euros pour l'Asie...
Q - Oui, c'est bien de le souligner, parce que vous savez qu'il y a eu des billets d'avion quand même à des prix exorbitants, avec des dérives de certaines compagnies aériennes... Est-ce que ça, aujourd'hui, c'est encadré, contrôlé ?
R - En tous les cas, nous sommes intervenus auprès d'Air France pour débrancher les systèmes d'intelligence artificielle et faire en sorte que les prix soient élaborés, voilà, par les humains, si je puis dire. Et la compagnie Air France veille à pratiquer des tarifs modérés. Et quand la France affrète elle-même des vols, je vous le dis, pour un retour de la zone Asie, nous demandons de l'ordre de 450 euros : c'est la moitié du prix du billet, en tous les cas de ce que cela coûte.
Q - Certains Français bloqués à l'étranger sont parfois sans logement, sans argent, quand ils ne peuvent même plus travailler, victimes aussi parfois de stigmatisation, on le sait. Vous avez lancé un service d'urgence, www.sosuntoit.fr . Est-ce que vous avez les premiers retours, est-ce que, effectivement, les Français ouvrent leur " chez eux ", leur domicile pour accueillir d'autres Français qui en auraient besoin ?
R - Je vous le confirme, ce site www.sosuntoit.fr proposait aux Français qui résident durablement à l'étranger d'ouvrir leur porte à des touristes français qui étaient bloqués, temporairement, le temps d'attendre un vol. Et la solidarité, l'entraide s'est manifestée avec pas loin de 6 000 propositions d'hébergement, pour, à peu près, une demande équivalente. Et j'avoue que quand on voit des messages qui nous sont envoyés, en disant : " eh bien, écoutez, merci, grâce à vous, on a trouvé une solution ", cela fait chaud au coeur parce que la solidarité et l'entraide se sont manifestées.
Q - Merci, Jean-Baptiste Lemoyne. Je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires étrangères.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2020