Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes, à RTL le 14 mai 2020, sur le dispositif mis en place pour prévenir les violences conjugales grâce au numéro national destiné aux hommes violents.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Marlène Schiappa - Secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ALBA VENTURA 
Bonjour Marlène SCHIAPPA. 

MARLENE SCHIAPPA 
Bonjour. 

ALBA VENTURA 
Alors, on se dit qu'avec le déconfinement progressif, qui a débuté lundi, donc moins d'enfermement, moins de huis clos, on pourrait espérer moins de cas de violences conjugales. Est-ce que ça va être le cas, selon vous ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Alors, je pense qu'il faut prendre les faits avec beaucoup de prudence. Ce qu'on observe quand on regarde ce qui conduit au féminicide, donc à la forme la plus dramatique des violences conjugales, c'est que parfois, il y a un élément déclencheur, et que cet élément déclencheur, ça peut être par exemple l'annonce d'une séparation ou le moment où la femme vient récupérer ses affaires pour partir. Donc cela s'est peu produit bien évidemment pendant le confinement, mais nous sommes très vigilants avec les associations et les services de l'Etat sur tout ce qui pourrait se produire au moment du déconfinement, c'est-à-dire, en ce moment même. 

ALBA VENTURA 
Et la violence de rue du coup, est-ce qu'on peut craindre qu'il y ait des harceleurs ou des agresseurs qui pullulent dans les rues, si j'ose dire ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Oui, c'est une crainte aussi, parce qu'il peut y avoir un phénomène dit de décompensation, et puis, par ailleurs, une fois qu'on a eu des personnes qui ont été enfermées pendant deux mois, en confinement, on peut craindre les réactions qui risquent de survenir avec une forme de sentiment d'impunité, ce qu'on appelle la culture du viol, qui est toujours existant. Il y a par exemple une ONG indienne… 

ALBA VENTURA 
Pourquoi sentiment d'impunité ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Pardon ? 

ALBA VENTURA 
Pourquoi sentiment d'impunité ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Très souvent, dans les violences sexistes et sexuelles, on voit que du côté des agresseurs, il y a un fort sentiment d'impunité, tout simplement parce que les agresseurs sexuels, qu'il s'agisse d'agresseurs sexuels ou d'hommes qui profèrent des violences conjugales, savent très bien que souvent la victime éprouve un sentiment de honte, et qu'il est difficile pour la victime d'en parler et de faire la démarche d'aller porter plainte, c'est tout le sens de tous les dispositifs que nous avons mis en place pendant le confinement, les alertes dans les centres commerciaux et dans les hypermarchés, l'appel des forces de l'ordre via les pharmacies, le signalement aux forces de l'ordre par SMS au 114, la plateforme qu'avec Christophe CASTANER, nous avons développée: « arrêtonslesviolences.gouv.fr », qui permet 24h sur 24, 7 jours sur 7 de signaler cela aux forces de l'ordre. Nous voulons faire libérer la parole de ces femmes, qu'elles soient écoutées, et justement, mettre fin à cette impunité. 

ALBA VENTURA 
On va regarder tous ces dispositifs, les signalements et les interventions des forces de l'ordre, on dit que c'est une explosion de 30 %, plus de 30 % même, c'est ça ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Oui, c'est ça, c'est plus 36 % de signalements au niveau des forces de l'ordre sur la plateforme que j'évoquais tout à l'heure, qui permet de saisir les forces de l'ordre, eh bien, le nombre de chats a doublé depuis le début du confinement, on est à 3.140 signalements depuis le début du confinement, ce qui est énorme. Et au niveau du 39 19, il y a eu autant d'appels en une semaine qu'en un seul mois l'année dernière, en 2019, si on compare 2019 et 2020, donc, oui, il y a eu une explosion des appels et des signalements. 

ALBA VENTURA 
Et donc aller en pharmacie pour dire qu'on est sous l'emprise d'un mari violent, ça marche, ce dispositif, il marche ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Oui, tout à fait, grâce à un engagement de l'Ordre des pharmaciens, et encore une fois, du ministère de l'Intérieur, il y a eu de nombreux signalements auprès des pharmacies qui ont donné lieu parfois à des gardes à vue, voire à une éviction du conjoint violent qui a été relogé, ça a été le cas dans de nombreux endroits en France, et je voudrais saluer les pharmaciens, parce que ce n'est pas leur travail à la base, et beaucoup d'entre eux ont accepté volontiers de s'engager pour protéger les femmes et faire le lien avec les forces de l'ordre. 

ALBA VENTURA 
Et donc vous avez aussi mis des antennes dans les centres commerciaux, ce sont des associations, c'est ça, qui accueillent les femmes battues ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Absolument, il y a trois parties là-dedans, il y a les services de l'Etat qui coordonnent, il y a les centres commerciaux ou les hypermarchés, et je voudrais là aussi saluer leur engagement et leur générosité, parce qu'ils ont décidé de mettre à disposition gratuitement des espaces, il y a le groupe UNIBAIL RODAMCO WESTFIELD, mais aussi AUCHAN, CEETRUS, LECLERC, CARREFOUR et beaucoup d'autres, et puis, ce sont des associations de terrain, parce qu'en France, on a cette chance d'avoir, par rapport à d'autres pays, un tissu associatif très dense en matière de droits des femmes, les associations se sont engagées, et on a ouvert ensemble 90 permanences partout en France, métropole et Outre-mer pour accueillir les femmes et les orienter discrètement au moment où elles vont faire les courses, y compris en période de confinement. 

ALBA VENTURA 
Alors, vous avez aussi lancé un numéro destiné aux hommes violents, Marlène SCHIAPPA, pour empêcher le passage à l'acte, enfin, comme ça, on se dit : je ne suis pas sûre qu'ils vont aller se dénoncer tout seuls. 

MARLENE SCHIAPPA 
Excusez-moi je n'ai pas entendu le début de votre question… 

ALBA VENTURA 
Vous avez lancé un numéro destiné aux hommes violents pour empêcher le passage à l'acte, et on se dit, mais enfin, ils ne vont pas aller se dénoncer tout seuls. 

MARLENE SCHIAPPA 
Alors, il y a deux modus operandi, et pour travailler depuis bientôt 20 ans sur le sujet, on arrive avec plusieurs expertes à définir quelle est la psychologie justement des hommes qui sont violents, vous avez des hommes violents qui prennent du plaisir à être violents et à dominer, qui sont des pervers, et ça leur fait plaisir de terroriser les gens qui vivent avec eux, leur femme, leurs enfants, etc, mais vous avez aussi des gens qui avec le confinement, qui est venu percuter leur histoire personnelle, ont senti monter en eux des accès de colère, des accès de violence, et se sont dit : je ne veux pas devenir cette personne violente, et je vais me prendre en main, et donc j'ai demandé à la FNACAV de créer effectivement un numéro d'écoute le 08.019.019.11… 

ALBA VENTURA 
La FNACAV, attendez, la FNACAV… 

MARLENE SCHIAPPA 
La Fédération Nationale d'Accompagnement des Auteurs de Violences Conjugales, et cette fédération nationale… 

ALBA VENTURA
 Et répétez le numéro s'il vous plaît…

 MARLENE SCHIAPPA 
08.019.019.11. Cette fédération, elle a pris en charge plus de 200 appels depuis le début du confinement, ça veut dire, imaginez qu'à 200 reprises, il y a un homme qui s'est dit : là, je n'arrive pas à gérer ma colère, mon accès de violence, etc, mais je ne veux pas passer à l'acte, je vais appeler et je vais avoir un accompagnement psychologique ou on va me proposer de m'héberger ailleurs, financé par l'Etat pendant la période de confinement, et je ne vais pas faire rentrer la violence dans mon foyer, c'est une nouvelle manière d'envisager les choses et de travailler sur la prévention des violences pour que le premier coup n'arrive jamais. 

ALBA VENTURA 
D'accord, Marlène SCHIAPPA, il y a un autre aspect qui vous préoccupe, ce sont les inégalités entre les hommes et les femmes, j'ai lu quelque part que vous disiez que c'était un peu le retour de la femme au foyer pendant le confinement, c'est ça ? 

MARLENE SCHIAPPA
 Oui, absolument, il y a plusieurs… alors, j'ai travaillé sur un rapport qui a été publié par la Fondation Jean-Jaurès qui est un rapport d'une trentaine de pages, où j'ai analysé les remontées des ONG, des sociologues dans de nombreux pays, partout dans le monde, et beaucoup de spécialistes alertent, il y a une sociologue d'une université anglaise qui dit qu'à la faveur de la crise, elle craint de voir le modèle de la ménagère, de la femme au foyer des années 50 ressurgir, et c'est corroboré, dans plusieurs pays, on a fait des études, en Allemagne, par exemple, une étude montre que quand les femmes sont en télétravail, elles utilisent le temps disponible chez elles à s'occuper des enfants ou du ménage, c'est moins le cas des hommes, et en France, on voit que dans la majorité des familles, c'est la femme seule qui s'est occupée de préparer la totalité des repas ; ce qui me fait craindre une forme d'épuisement des femmes à la sortie du confinement, mais qui a aussi un impact sur les inégalités professionnelles, parce que quand vous êtes en train de vous charger de l'école à la maison, de la garde des enfants, etc, vous êtes par définition moins disponible, et il y a une vraie inégalité, puisque, ce sont majoritairement, majoritairement, je sais qu'il y a des auditeurs de RTL qui vont appeler pour dire : chez moi, c'est mon mari qui fait tout, etc, oui, ça arrive aussi, mais majoritairement, ce sont les femmes qui s'occupent principalement de la garde des enfants. 

ALBA VENTURA 
Et alors, il y a toutes ces femmes dont vous dites qu'elles sont au front, toutes ces infirmières, ces enseignantes, ces caissières, vous avez fait plusieurs propositions notamment au gouvernement pour une revalorisation de leur carrière. Ça va se traduire comment, par une augmentation de salaire ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Oui, alors j'ai formulé des propositions au président de la République et au Premier ministre, et donc, maintenant, il y aura un arbitrage interministériel et du chef du gouvernement, Edouard PHILIPPE, mais c'est un sujet de travail, en ce moment, nous sommes en train de travailler au niveau du gouvernement parce que, effectivement, on observe qu'en première ligne, il y a eu beaucoup de femmes, beaucoup de métiers féminisés qui avec le temps ont été dévalorisés, chez les aides-soignantes, chez les caissières, chez les infirmières, chez les enseignantes du premier degré, ce sont majoritairement des femmes, et je crois que, pour reprendre une formule célèbre, le temps est venu de revaloriser, y compris financièrement, ces métiers féminisés. 

ALBA VENTURA 
Vous savez bien que justement que ce qu'elles réclament, c'est un meilleur salaire plutôt qu'un hommage le 14 juillet ou une Légion d'honneur, ce n'est pas ça que ces femmes-là attendent, puisque c'est ce qui a été proposé par votre gouvernement. 

MARLENE SCHIAPPA 
Alors, je pense que là, il y a plusieurs choses, l'un n'est pas exclusif de l'autre, je pense que quand on parle de revalorisation, ça parle de revalorisation dans la reconnaissance sociale, dans l'image de ces métiers, qui sont très souvent invisibilisés, et ça peut passer par une reconnaissance symbolique de l'Etat, qui me semble importante, comme une médaille, mais bien évidemment, l'un n'est pas exclusif de l'autre, et nous travaillons aussi avec l'ensemble de mes collègues du gouvernement pour qu'il y ait une revalorisation matérielle qui puisse permettre d'améliorer très concrètement leurs conditions de vie. 

ALBA VENTURA 
Marlène SCHIAPPA, vous vous en êtes prise aux médias, accusés de ne pas faire assez de place aux femmes, vous comptez obliger les médias en mettant des quotas par exemple ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Alors, d'abord, je ne m'en prends pas aux médias, je suis très respectueuse de la liberté de la presse… 

ALBA VENTURA 
Un peu quand même… 

MARLENE SCHIAPPA 
Non, non, vraiment, j'ai été journaliste dans le passé, je suis respectueuse de la liberté de la presse, et les médias ont eu un rôle extrêmement important pendant la période de confinement, on voit à quel point les Français se sont tournés vers la télévision, vers la radio, vers la presse. Néanmoins, ce qu'on observe, c'est qu'il y a une majorité de femmes en première ligne, nous venons d'en parler, mais très peu de femmes intervenantes comme expertes dans les médias, on a vu beaucoup de plateaux de télévision, beaucoup de dossiers de presse écrite avec des hommes et très peu de femmes. J'ai confié une mission à la députée Céline CALVEZ sur la place des femmes dans les médias, et je l'ai chargée de me faire des propositions avant l'été pour que, très concrètement, on puisse arriver à ce qu'il y ait davantage de femmes qui prennent la parole dans les médias, ce n'est pas juste d'exclure 52 % de la population qui a aussi son avis à donner sur la situation sur la crise et sur le monde d'après. 

ALBA VENTURA 
Vous avez raison, Marlène SCHIAPPA, mais qui occupe les postes régaliens, enfin, regardez l'entourage du président, prenez le conseil scientifique autour d'Emmanuel MACRON, je crois qu'il y a 2 femmes sur 11 experts. Ce n'est pas votre président qui est misogyne, mais c'est la société tout entière qui ne fait pas assez la promotion des femmes, est-ce que ce n'est pas un peu facile de jeter uniquement l'opprobre sur les médias ?

 MARLENE SCHIAPPA 
Alors c'est la société tout entière effectivement, à qui le dites-vous, et je ne jette pas du tout l'opprobre… 

ALBA VENTURA 
Et les politiques… 

MARLENE SCHIAPPA 
Bien sûr mais la société tout entière sans aucune exception, nous sommes toutes et tous porteurs de stéréotypes de ce genre, de stéréotypes sexistes, moi, inclus, personne n'est exempt de cela, puisque c'est le fruit d'une éducation et le fruit d'un conditionnement dans notre société, donc l'idée, c'est de travailler secteur par secteur, le travail que nous faisons pour que les femmes aient une place dans les médias, il n'est pas du tout exclusif du reste de la société, avec Bruno LE MAIRE, depuis des mois, nous travaillons pour qu'il y ait davantage de femmes à la tête des entreprises, mais aussi que les femmes qui créent des entreprises aient plus facilement accès aux financements. Et vous avez tout à fait raison de pointer le secteur politique, le président de la République a féminisé considérablement l'Assemblée nationale en arrivant à une quasi-parité, mais le travail n'est pas fini, et on voit bien que dès qu'on relâche la vigilance, naturellement, on va proposer à des gens dont on considère qu'ils ont une légitimité de faire partie de tel ou tel groupe, et très souvent, ce sont vers les hommes que ces propositions se tournent, et je le déplore… 

ALBA VENTURA 
Merci beaucoup Marlène SCHIAPPA, bonne journée à vous. 

MARLENE SCHIAPPA 
Merci à vous surtout. Bonne journée. 

YVES CALVI 
Un numéro de téléphone pour les hommes violents, le : 08.019.019.11, pour appuyer la prévention ; d'ores et déjà, 200 hommes auraient utilisé ce numéro vert, nous a appris notamment ce matin la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes. Merci à l'une à l'autre. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 mai 2020