Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à France Bleu Sud Lorraine le 15 mai 2020, sur l'industrie textile et la production de masques.

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Média : France Bleu

Texte intégral

MATHIEU BARBIER
Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

MATHIEU BARBIER
Merci d'avoir accepté notre invitation en direct ce matin sur France Bleu Lorraine. Une douzaine d'entreprises vosgiennes sortent chaque semaine 300 000 masques de leurs lignes de production ; c'est un débouché viable sur le long terme qui peut relancer toute une filière ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est un débouché qui montre en tout cas qu'on sait mobiliser une filière textile que l'on pensait exsangue et c'est un très bel exemple d'industrialisation, puisque ces masques textiles ont des propriétés de filtration extrêmement importantes et qui assurent la protection des porteurs de ces masques. Donc effectivement, nous espérons pouvoir installer cette habitude du masque textile lavable réutilisable. C'est plus écologique, c'est moins coûteux à l'utilisation pour ceux qui les utilisent et, en plus, c'est essentiellement du fabriqué en France.

MATHIEU BARBIER
Prenons un exemple concret, Madame la Ministre. BB DISTRIBE à Laval-sur-Vologne fabrique des couches en temps normal. Vous venez de signer un contrat avec cette société pour qu'elle fabrique donc des masques. C'est vous qui sollicitez l'entreprise pour qu'elle se transforme dans ces cas-là ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors au cas d'espèce, vous parlez d'une entreprise qui là se lance dans la fabrication de masques sanitaires de type chirurgicaux et de protection respiratoire de type FFP2, ceux que l'on a vus beaucoup employés dans les hôpitaux et les EHPAD. Dans ces cas-là ce que nous faisons, c'est que nous soutenons les entreprises, nous les sollicitons pour augmenter ou essayer de considérer de mettre en place des lignes de production de ce type de masques, mais c'est elles qui font le choix. Et une fois qu'elles ont fait le choix de cet investissement, de cette transformation d'activité, nous les sécurisons avec des commandes d'Etat.

MATHIEU BARBIER
Sur le long terme ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce que vous savez que la commande publique est strictement encadrée. Aujourd'hui, nous passons des commandes jusqu'à la fin de l'année. Nous venons de conclure quatre accords en ce sens avec quatre nouveaux entrants sur le secteur mais actuellement, compte tenu de la demande pour les masques, ce sont des commandes qui sécurisent vraiment fortement les d'investissements qui sont faits et qui donnent de la visibilité aux entreprises qui investissent dans ces nouvelles filières.

MATHIEU BARBIER
Donc vous les aidez en assurant des commandes mais il n'y a pas d'aide financière directe pour transformer ces lignes de production ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non.

MATHIEU BARBIER
D'accord.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Parce qu'en fait, c'est plutôt rentable pour elles. C'est une décision qui est à la fois utile au pays et utile à l'entreprise.

MATHIEU BARBIER
Agnès PANNIER-RUNACHER, cette pandémie meurtrière frappe durement les échanges commerciaux dans le monde, ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre. Du coup, les Lorrains mais les Français en général se tournent de plus en plus vers le made in France. D'après vous, est-ce que ça va survivre à la crise ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien je l'espère, mais il faudra aussi dans ces nouvelles pratiques de consommation accepter que lorsqu'on reviendra au monde normal, il y aura peutêtre un prix un petit peu supérieur pour le made in France mais que ça correspondra aussi à une empreinte environnementale meilleure et des conditions de travail sociales qui sont garanties à un haut niveau d'exigence, ce n'est pas nécessairement le cas de toutes les marchandises importées du bout du monde.

MATHIEU BARBIER
Vous avez raison de parler du prix d'achat, Agnès PANNIER-RUNACHER. On va prendre un exemple : si vous rapatriez la production d'une Clio de chez RENAULT en France, alors qu'elle est produite en Espagne ou en Inde, c'est direct sur le prix d'achat entre 1 000 et 2 000 euros de plus pour la voiture. Est-ce que vous pensez que le consommateur est prêt à payer plus cher ce produit sous prétexte qu'il serait fabriqué chez nous avec donc des emplois à la clef ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense que pour une partie des consommateurs, leur budget ne leur permet pas de pouvoir faire ce choix et c'est pour ça qu'il faut regarder, comme vous prenez l'exemple d'une Clio, quelles sont les parties de cette Clio que l'on peut fabriquer en France, relocaliser en France avec des gains de productivité notamment grâce à l'usine du futur, de manière à ne pas trop affecter le prix global. En fait, il faut savoir jouer sur l'ensemble des tableaux. Produire une partie en France, peut-être ce que l'on sait le mieux produire avec le meilleur rapport qualité-prix et savoir aussi s'appuyer sur des géographies ou des coûts de production sont inférieurs mais pas trop lointaines. Ça peut être effectivement, vous l'avez mentionné, l'Espagne, le Portugal, l'Europe de l'Est. C'est aussi être gagnant-gagnant au niveau de l'Europe.

MATHIEU BARBIER
Nous parlions de l'industrie automobile mais revenons sur une industrie que nous connaissons bien, ici en Lorraine, puisqu'elle nous a porté, notamment dans les Vosges, dans les années 60, 70 et 80 : c'est celle du textile. Nous en parlions à l'instant. Le président de Label Vosges terre textile qui est également de PDG de GARNIER THIEBAUT, une entreprise que vous connaissez, Madame la Ministre, Paul DE MONTCLOS…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

MATHIEU BARBIER
Demandait à l'Etat justement d'accompagner ce mouvement de consommateurs pour qu'ils consomment du made in France, une consommation au sens large du terme. Alors quels sont vos leviers d'action à part le coût du travail ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors moi, je réunis la filière textile, mode et luxe cet après-midi justement pour parler de comment relocaliser de la production en France. Du côté du luxe, il y a eu un champ qui est assez ouverte parce que le made in France a une valeur et on peut le faire payer à des clients au plan mondial. Et par ailleurs pour les entreprises du luxe, elles peuvent avoir un intérêt à fabriquer en France parce qu'elles ont des meilleures garanties de qualité, de suivi de la qualité, des circuits plus courts entre le concepteur du modèle et la confection. Et par ailleurs, elle peut mieux maîtriser sa propriété intellectuelle.

MATHIEU BARBIER
Effectivement.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le travail que nous devons faire, c'est comment ouvrir ça à des productions on va dire accessibles au plus grand public. Nous y travaillons avec certains distributeurs : comment valoriser le fabriquer en France, comment faire en sorte d'attirer une clientèle sur ce fabriqué en France. Ça ne sera pas forcément l'essentiel du marché mais ce qu'il faut arriver à vendre, en fait, c'est un surplus de qualité et peut-être aussi un supplément d'âme que seront prêts à payer certains consommateurs ou même tous les consommateurs pour certaines pièces qu'ils voudraient conserver longtemps dans leur garde-robe.

MATHIEU BARBIER
Et je précise pour celles et ceux qui viennent de nous rejoindre que quand vous parlez d'industrie du luxe, vous parlez de l'industrie haut de gamme. Parce que comme nous sommes proches de la frontière, je précise que ce n'est pas un diminutif de Luxembourg.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.

MATHIEU BARBIER
C'est bien l'industrie de luxe, l-u-x-e. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, d'avoir été l'invitée de France Bleu Lorraine en direct ce matin ce vendredi. Bonne journée.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci beaucoup, bonne journée à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 mai 2020