Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-italiennes, la construction européenne et la situation en Libye, à Rome le 3 juin 2020.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec M. Luigi Di Maio, ministre italien des affaires étrangères et de la coopération internationale

Texte intégral

Merci Luigi. Mesdames et Messieurs, je voulais vous dire que je suis très heureux d'être là. Je participais le 27 février dernier à Naples au sommet franco-italien, à côté du président Macron. Je crois que c'était la dernière rencontre internationale officielle qui s'est tenue en Italie. C'était déjà le début de la pandémie et le président de la République avait souhaité néanmoins venir marquer sa solidarité avec l'Italie. La pandémie avait commencé ici le 20 février. Et puis, l'Italie me manquait, même si j'ai pu rencontrer Luigi par vidéoconférence à de nombreuses reprises, mais l'Italie me manquait et je suis venu dès que c'était ouvert. C'est un plaisir d'être là pour échanger avec Luigi Di Maio sur un certain nombre de grands sujets, qu'il a déjà évoqués et sur lesquels je ne reviendrai pas. Je voulais surtout venir pour manifester ici à Rome notre respect et notre solidarité pour le tribut que l'Italie paie à l'épidémie, pour les efforts qui ont été mis en oeuvre et pour les leçons et l'enseignement que nous avons pu retirer de la résilience de l'Italie et de son inventivité pour préserver son unité et le lien social, malgré les restrictions du confinement. Nous avons beaucoup appris de vous parce que vous aviez un calendrier, un agenda où la pandémie était dix jours ou quinze jours en avance par rapport au nôtre. Et vous avez montré la voie. Je suis allé le dire, avec Luigi Di Maio, tout à l'heure, au siège de la Protection civile. Et nous avons repris notre conversation qui s'était interrompue à Naples le 27 février dernier, puisqu'à Naples nous nous étions donné une feuille de route, avec le président de la République - les présidents de la République ! -, le président du Conseil et plusieurs ministres italiens et français. Nous devons maintenant travailler ensemble, d'abord à la sortie de crise, notamment à la nécessaire coordination de nos efforts de réouverture des frontières. Pas seulement les frontières intérieures, pour lesquelles il nous faut indiquer et préciser le calendrier d'ouverture. Nous sommes dans les mêmes délais d'agenda qu'au début de la crise : c'est-à-dire que nous arrivons dix jours après vous. Nous devons aussi préciser le calendrier relatif aux frontières extérieures. Et je pense que sur ces deux points, il faut aboutir à une bonne coordination de l'Union européenne. C'est sans doute le 15 juin qui sera la date clé, avant laquelle nous devrons indiquer ce que l'on veut faire collectivement pour nos frontières extérieures. Nous devons aussi continuer à travailler ensemble pour la relance économique, sur la base de l'initiative franco-allemande et de la proposition de la Commission présentée le 27 mai. Cette proposition représente un niveau de solidarité qui est tout-à-fait exceptionnel et qui doit être mis en oeuvre de manière rapide sinon il n'a pas de sens. Sans cette mise en oeuvre rapide, ce sera un effet d'annonce sans suite et c'est la raison pour laquelle nous travaillons ensemble avec d'autres partenaires pour faire en sorte que ces propositions de la Commission soient validées rapidement. Nous avons aussi agi ensemble pour faire en sorte que la coopération sanitaire, qui s'était mise en place concrètement pendant la crise entre nos deux pays, puisse se poursuivre par des accords sur une logique industrielle partagée dans le domaine de la biologie et du biomédical et puis globalement dans le domaine sanitaire. Enfin, nous avons à agir ensemble au niveau du tourisme pour que le secteur du tourisme soit considéré comme partie intégrante du plan de relance européen et pour faire en sorte que la destination Europe soit une destination attractive et qu'il soit dit par les uns et par les autres, que le tourisme, surtout en ce moment de relance, doit avoir une place particulière. Le tourisme et la culture. Nous n'aurons pas eu le temps d'aller visiter l'exposition Raphaël, malheureusement, mais le tourisme et la culture sont deux éléments d'attractivité de nos deux pays et il faut qu'ils soient mis en avant dans cette période de relance. Nous avons par ailleurs évoqué beaucoup de sujets internationaux. Nos vues sont très proches sur l'essentiel, mais elles nécessitent régulièrement des échanges pour que nous puissions agir de concert, que ce soit dans la crise libyenne, que ce soit dans la situation globalement en Méditerranée, que ce soit dans la mobilisation nécessaire pour garantir la poursuite des activités de la coalition internationale contre Daech. A ce propos, je remercie Luigi d'avoir organisé demain, même si c'est en visioconférence, la réunion ministérielle de la coalition contre Daech parce que pendant la pandémie le terrorisme continue et il faut s'en garder. En somme, nous avons une relation, non seulement de travail, utile mais une relation amicale et une complicité d'action. Je tenais à le souligner. Et j'ai toujours un grand plaisir de venir à Rome en attendant que Luigi puisse venir à Paris après le 15 juin.


Q - Ma question va au-delà du sujet du Covid et je voudrais demander au ministre de parler de manière plus précise de ce qui est actuellement en étude au sujet de la Libye, car sur cela il n'y a pas nécessairement eu la même sensibilité au sujet du rôle de la Turquie et de la Russie sur le terrain et je voudrais savoir jusqu'à quel point l'Italie et la France sont sur la même ligne.

R - Nous avons parlé de la Libye comme chaque fois que nous nous voyons. Sur la Libye, je constate nos convergences. Il y en a une qui est majeure pour moi. C'est que l'avenir de la Libye ne doit pas être instrumentalisé par des puissances venant de l'extérieur. L'avenir de la Libye appartient d'abord aux Libyens. Et la sécurité de nos pays européens est directement concernée par la sécurité en Libye. Il y a un processus qui a été mis en place à Berlin au mois de janvier et auquel nous avons l'un et l'autre participé, contribué et qui prévoit une feuille de route pour permettre aux Libyens de retrouver une sérénité, l'intégrité de leur pays et la capacité de s'inscrire dans un processus démocratique. Nous sommes déterminés, l'un et l'autre, à faire en sorte que les engagements pris à Berlin, par les uns et les autres, devant tout le monde, que ce soit les acteurs libyens, mais aussi les puissances directement concernées, soient pleinement respectés. Et nous faisons pression, l'un et l'autre, sur les acteurs concernés pour qu'ils soient au rendez-vous. Le fait que, dans les engagements de Berlin, ait été affichée la nécessité d'un cessez-le-feu, qui serait mis en place après une trêve, par un comité militaire dit 5+5 - on entre un peu dans la technique - est essentiel. Le fait que ce comité militaire soit en train de se réunir pour définir les modalités du cessez-le-feu, c'est une avancée ; une avancée que nous constatons avec intérêt. Mais ce n'est qu'un point de départ, il faut continuer à la fois dans la voie du déblocage des circuits pétroliers, sur la mise en oeuvre d'un processus inter-libyen pour définir les modalités de la transition politique et il faut aussi que cessent les incursions étrangères, que cessent les fournitures et les livraisons d'armes par les partenaires des différentes factions sur le terrain. Et c'est pour cette raison que l'Union européenne a pris l'initiative, en application de ce qui a été décidé à Berlin, d'une mission militaire de sécurisation pour éviter que l'embargo sur les armes ne soit violé par l'une ou par l'autre des parties. Nous convenons aussi qu'un remplaçant à l'ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Salamé, doit être nommé très rapidement afin d'assurer le suivi et la mise en oeuvre des initiatives politiques indispensables. Nous sommes tous les deux sur la même ligne. C'est une question de respect des Libyens. C'est aussi une nécessité pour la sécurité en Méditerranée, que le processus avance, et nous sommes déterminés à le faire avancer ensemble.

Q - Bonsoir, Monsieur le Ministre. Vous n'avez pas parlé du Traité du Quirinal. Je voulais savoir si vous en aviez parlé cet après-midi et si vous aviez une perspective en commun sur les modalités d'aller de l'avant. Faites-vous une relation qui aborde toutes les questions ou bien choisissez-vous un argument sur lequel travailler de manière plus rapprochée ? Quelle différence y a-t-il entre la position française et celle italienne ?

R - Je vous remercie pour cette question. Nous nous étions arrêtés à Naples le 27 février et nous continuons dans le même esprit et avec le même objectif après une parenthèse liée au Covid. Le 27 février les deux présidents, le président du Conseil, G. Conte et le président Macron, s'étaient mis d'accord sur la nécessité de mettre en oeuvre le Traité du Quirinal, de faire en sorte que ce traité soit le plus large possible, qu'il puisse constituer une nouvelle phase de nos relations et qu'il puisse inventorier l'ensemble des sujets sur lesquels nous décidons de "contractualiser" et de coopérer étroitement. Donc, c'est une vision large de son champ que nous défendons. Et c'est aussi une nouvelle donne dans la relation franco-italienne. Entre le 27 février et aujourd'hui il y a eu le coronavirus, donc, si je peux me permettre de résumer votre question et ma pensée, et je crois aussi celle de Luigi, "le Quirinal c'est maintenant" !


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2020