Interview de M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, à CNews le 10 juin 2020, sur les manifestations contre le racisme, le déconfinement et la politique de la ville.

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Média : CNews

Texte intégral

ROMAIN DESARBRES
Il est au coeur de la réponse du gouvernement dans les affaires de racisme, dans les relations entre la police et la population. Julien DENORMANDIE, Ministre de la Cohésion des Territoires et ministre en charge de la Ville et du Logement a choisi CNews pour parler ce matin. Il est interrogé par Gérard LECLERC.

GERARD LECLERC
Bonjour Julien DENORMANDIE.

JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.

GERARD LECLERC
Nouveaux rassemblements hier pour saluer la mémoire de George FLOYD et pour dénoncer le racisme. Comment interprétez-vous cette vague de manifestations venue des Etats-Unis ? Il y a en France un vrai problème de racisme, de discrimination ?

JULIEN DENORMANDIE
Je crois qu'il y a une émotion légitime d'abord, une grande émotion légitime suite à ce drame atroce qui s'est passé aux Etats-Unis. Et puis ce drame, c'est aujourd'hui devenu un symbole, un symbole planétaire d'un fléau, d'une maladie de l'âme qui s'appelle le racisme. Moi je fais partie de ceux qui considèrent, qui a toujours considéré que la France n'est pas raciste, que les institutions ne sont pas racistes mais qu'en revanche il y a des actes racistes qui peuvent apparaître ici ou là. Il y a des personnes racistes qui sont partout dans notre société. Et c'est cette société qui s'organise pour lutter contre faiblesse de l'âme ; c'est cette société qui s'organise pour lutter contre les discriminations ; c'est cette société qui s'organise pour lorsque quelqu'un a un acte raciste il soit identifié et sanctionné. Donc il y a eu ce drame, il y a ce symbole et je crois qu'il y a cette émotion légitime dans laquelle moi je m'inscris qui est de dire : si ce drame permet une nouvelle fois de faire avancer cette lutte contre les discriminations et le racisme, il faut l'accompagner.

GERARD LECLERC
Alors il y a quand même cette situation assez baroque de Christophe CASTANER qui dit : les rassemblements sont interdits, c'est l'état d'urgence sanitaire mais là on tolère ce rassemblement parce qu'il y a une émotion mondiale sur le sujet. L'émotion prime la loi comme le dit Christian JACOB ? C'est incompréhensible.

JULIEN DENORMANDIE
Non mais je crois que ça fait partie de ces faux procès qui sont cherchés ici ou là.

GERARD LECLERC
Non, c'est une réalité : c'est interdit ou c'est autorisé.

JULIEN DENORMANDIE
Objectivement, qui parmi tous ceux qui nous écoutent peut imaginer que hier une personne qui est allée mettre un genou à terre pour respecter huit minutes quarante-six de silence qui est la durée de l'étouffement de monsieur FLOYD aux Etats-Unis, qui peut imaginer qu'une personne ayant participé à ce rassemblement de recueillement puisse avoir une sanction ? Mais qui l'imagine ? Donc moi j'en appelle à l'apaisement, au calme, à l'arrêt des petites phrases d'opposants politiques, mais simplement à une considération. Je crois que tout le monde a bien en tête que lorsque vous alliez vous recueillir en mémoire de George FLOYD, il était assez clair que vous n'auriez pas une sanction administrative.

GERARD LECLERC
Oui, mais des manifestations il y en a eu d'autres qui ont réuni plus de vingt mille personnes à Paris, dans plusieurs grandes villes. Est-ce que le moment n'est pas venu de dire : oui, on a le droit de manifester en France, c'est une liberté fondamentale de la République. Le déconfinement, les gens vont dans des parcs de loisirs, les gens sont dans la rue et ils n'ont pas le droit de protester.

JULIEN DENORMANDIE
Le droit à manifester est un droit absolument essentiel, constitutionnel…

GERARD LECLERC
Pour l'instant, on ne peut pas.

JULIEN DENORMANDIE
Et que nous respectons évidemment. Maintenant la question que vous posez, elle est plus large. C'est faut-il aller plus rapidement vers le déconfinement ? Que ce soit dans les regroupements ou que ce soit dans l'activité d'ailleurs économique. Et là, moi je crois qu'il faut trouver le juste milieu. Je pense et je suis d'ailleurs assez étonné, pour tout vous dire, lorsque j'entends des procès faits contre ce gouvernement consistant à dire : en fait ce gouvernement, il ne veut pas aller vite dans le déconfinement. Mais enfin…

GERARD LECLERC
Tout le monde vous le demande aujourd'hui. Ce matin, le MEDEF…

JULIEN DENORMANDIE
Ce qui est extraordinaire c'est qu'il y a un mois, on poussait très fort pour dire : il faut déconfiner de manière progressive mais il faut déconfiner. Et vous aviez les mêmes qui criaient au scandale, qui parfois avaient des injures ou des menaces en disant que ce que faisait ce gouvernement était complètement fou. Et aujourd'hui, les mêmes nous disent : ils ne vont pas assez vite, il faudrait qu'ils aillent encore plus vite.

GERARD LECLERC
Mais parce que le déconfinement se passe bien, le virus a quasiment disparu donc allons plus vite.

JULIEN DENORMANDIE
Non. Le point c'est que le déconfinement se passe bien parce que ce gouvernement fait bien le boulot avec toutes les autorités de santé pour que ça se passe bien. Premier point. Et deuxièmement, c'est que ce gouvernement il va agir avec le même professionnalise, c'est-à-dire avec progressivité, avec cette envie. Mais cette envie, elle est partagée par tout membre de l'exécutif de pouvoir déconfiner, de pouvoir reprendre une vie économique la plus forte possible, une vie sociale la plus forte possible tout en ayant toujours cette même boussole…

GERARD LECLERC
Donc vous ne voulez pas accélérer pour l'instant le déconfinement.

JULIEN DENORMANDIE
Mais tout en ayant toujours cette même boussole qui est la protection des Français. Et aujourd'hui il faut le redire aux Français : le virus, il est bien moins présent mais il continue à circuler. Donc on va avoir toujours cette…

GERARD LECLERC
Donc on n'accélère pas, on n'accélère pas.

JULIEN DENORMANDIE
On accélère autant que possible avec toujours cette boussole qui est in fine est de protéger les Français.

GERARD LECLERC
Alors vous étiez hier à Evry avec Edouard PHILIPPE parce que le président MACRON vous a demandé, comme à d'autres ministres, de vous emparer du sujet du racisme, en particulier pour vous des discriminations puisque c'est l'un des secteurs de votre ministère. Alors concrètement, comment on fait pour lutter contre la discrimination ? Qu'est-ce que vous allez faire pour essayer de calmer le jeu notamment dans les quartiers ?

JULIEN DENORMANDIE
D'abord il faut qu'aucun acte de discrimination reste impuni. Je crois que c'est extrêmement important. La tolérance zéro vis-à-vis des discriminations, elle doit exister dans notre pays. Le deuxième élément, c'est qu'il faut aussi faire prendre cette conscience, cet éveil des consciences. C'est exactement ce qu'on disait en début d'interview sur tout ce qui s'est passé aux Etats-Unis qui aujourd'hui donne lieu à ces mouvements en France. Et puis ça se complète avec des actes très précis ; je vais vous prendre un exemple. On sait aujourd'hui que l'embauche dans les entreprises reste pour beaucoup un acte discriminant. C'est malheureux, c'est un fait. Et comment on fait pour lutter contre ça ? Il y a d'abord une envie des entreprises qu'on accompagne pour lutter contre tout comportement discriminant. On a fait quelque chose inédit, on a fait le plus grand test jamais réalisé dans notre pays. On a envoyé des milliers de CV avec à chaque fois un prénom à consonance arabe et un prénom à consonance catholique et on s'est rendu compte que la discrimination, elle perdurait dans notre pays de façon très forte.

GERARD LECLERC
Alors qu'est-ce qu'on fait ? Ça, c'est le constat.

JULIEN DENORMANDIE
Typiquement face à ça, qu'est-ce qu'on a fait ? On a d'abord publié les résultats et je peux vous dire que ça a fait beaucoup de secousses. On a tout publié, on a tout rendu public. C'était juste avant le confinement. Et parallèlement à ça, on a accompagné les entreprises qui elles aussi sont désireuses de lutter contre ces discriminations. On a accompagné ces entreprises pour faire en sorte que ces entreprises puissent changer un certain nombre de pratiques. Ça, c'est dans l'entreprise. Dans le logement dont j'ai la responsabilité, on a beaucoup travaillé avec SOS Racisme - SOS Racisme qui a elle aussi fait un tel testing - et les agences immobilières et les propriétaires pour pouvoir mettre en place des bonnes pratiques, pour pouvoir former les agents. C'est extrêmement important. Donc vous voyez, la lutte contre les discriminations c'est une lutte de tous les instants. On fait des actes concrets comme ceux que je viens de vous dire et on ira encore plus loin à la demande du président.

GERARD LECLERC
Vous êtes en charge de la politique de la ville, la politique de la ville c'est les quartiers. On a l'impression que c'est un peu en panne tout ça, et puis il y a l'été qui arrive après le confinement. Est-ce que vous allez prendre des initiatives pour relancer un peu cette politique de la ville ?

JULIEN DENORMANDIE
Oui. Alors la politique de la ville, je ne crois pas qu'elle soit en panne, en revanche le défi il est immense, et souvent d'autres sujets que ces sujets d'accompagnement, de réussite républicaine qui symbolisent la politique de la ville prennent le dessus. Cet été, vous avez raison, je vous remercie de poser la question parce que cet été est un élément essentiel pour nos quartiers. La question, c'est que beaucoup d'enfants dans ces quartiers, ils sont 1,3 million, ils ont vécu un printemps absolument difficile. Le confinement y a été plus dur. La question, c'est est-ce qu'on veut leur offrir un été aussi difficile ou au contraire un été heureux ? Et là, on a pris une décision très concrète avec Jean-Michel BLANQUER : c'est de lancer des colonies de vacances apprenantes. On voit qu'il y a eu un défi pendant le confinement qui était parfois des enfants qui étaient décrochés scolairement. Et donc on va proposer à plus de deux cent mille gamins des quartiers de partir dans des colonies de vacances apprenantes financées par l'Etat et les collectivités. Et dans ces colonies, le matin on fera du sport, des événements de loisirs, l'après-midi de la culture et entre les deux du soutien scolaire. Et ça ce sera très concret parce que dès cet après-midi, dans le projet de loi de finances rectificative, nous inscrirons quatre-vingts millions d'euros pour financer ce départ en vacances de deux cent mille gamins des quartiers.

GERARD LECLERC
Je vous demande des réponses courtes parce que le temps avance malheureusement. Rapidement la maire de Montbéliard qui impose un couvre-feu pour mettre fin au fléau des rodéos sauvages ?

JULIEN DENORMANDIE
Alors je ne sais pas si le couvre-feu est la meilleure des options mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a eu d'abord des textes de loi portés il y a deux ans et tout ce qui peut concourir à lutter contre ce fléau des rodéos doit être analysé avec beaucoup de force. Parce que ce fléau des rodéos est quelque chose qui pourrit la vie des habitants des quartiers donc il faut y mettre fin.

GERARD LECLERC
Les Français les plus modestes ont perdu de l'argent avec le confinement, avec le chômage partiel. Aujourd'hui certains sont menacés dans l'emploi. On dit que les impayés de loyers augmentent. Est-ce que vous avez des chiffres et qu'est-ce que vous faites ?

JULIEN DENORMANDIE
On n'a pas de chiffres statistiques mais, en revanche, on a des retours de terrain, beaucoup de retours de terrain.

GERARD LECLERC
Et donc c'est vrai ?

JULIEN DENORMANDIE
Et l'observation, c'est que les impayés de loyers augmentent mais je pense qu'ils n'augmentent pas à la hauteur de la difficulté des familles. Dit autrement, beaucoup de familles se serrent la ceinture pour à la fin payer le loyer et font d'autres sacrifices. Donc face à ça, qu'est-ce qu'on fait parce que c'est donc une réalité ? On a créé un accompagnement et toutes celles et ceux qui nous regardent et qui ont des difficultés peuvent appeler le 0805 16 00 75. Derrière il y a des professionnels qui accompagnent ces familles en difficulté pour leur donner les bons outils, les bons soutiens. Il en existe beaucoup gérés par mon ministère ou les collectivités pour les accompagner et jamais les abandonner.

GERARD LECLERC
On l'a vu dans la presse, les professionnels du bâtiment s'adressent directement au président de la République pour dire qu'il y a urgence, qu'il faut aider le BTP pour sauver deux millions d'emplois. Quelle est la situation ? Où en sont les mises en chantier par exemple ?

JULIEN DENORMANDIE
Aujourd'hui on est à près de 85 % des chantiers qui ont repris. Et dans certaines zones, l'Ile-de-France par exemple…

GERARD LECLERC
Ils ont repris mais il y a eu beaucoup de retard qui a été pris.

JULIEN DENORMANDIE
La Fédération des promoteurs immobiliers disait que près de 95 % avait repris. On a une difficulté moi qui m'inquiète beaucoup, et j'en appelle à tous les Français qui nous écoutent, ce sont nos artisans. Il faut faire bosser nos artisans. Aujourd'hui on a fait un très bon boulot avec les fédérations du bâtiment ou des artisans. On a mis en place des guides sanitaires, on a mis en place des cadres juridiques, on est en train de travailler pour apporter des solutions sur les surcoûts. Il faut que les Français refassent confiance aux artisans et les fassent revenir chez eux. Faites confiance à vos artisans, faites-les bosser.

GERARD LECLERC
Oui, mais il n'y a pas d'aide à leur apporter…

JULIEN DENORMANDIE
On va en plus, et notamment dans le projet de loi de finances rectificative qu'on présente en Conseil des ministres ce matin, apporter des soutiens financiers à ce secteur. Je prends un exemple : on sait qu'aujourd'hui l'un des enjeux est de relancer la commande du bâtiment, des travaux publics, et dans le projet de loi de finances il y aura un financement important d'appui aux collectivités locales qui sont des grands donneurs d'ordres pour relancer l'activité. Moi mon objectif, il est clair : c'est faire reprendre les chantiers aujourd'hui mais éviter surtout le trou d'air de l'automne. Et comment vous évitez un trou d'air de l'automne ? C'est en relançant les commandes maintenant. Voilà, c'est ça l'objectif et c'est ça les mesures de soutien qu'on apportera.

GERARD LECLERC
Merci Julien DENORMANDIE, bonne journée.

JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 juin 2020