Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 22 juin 2020, sur la politique économique face à l'urgence écologique et à l'épidémie de Covid-19.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Est-ce que l'urgence économique est compatible avec la convention citoyenne pour le climat qui veut multiplier taxe, norme et interdiction ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je n'en ai pas tout à fait la même lecture, c'est-à-dire que la convention citoyenne pour le climat, c'est 150 citoyens qui font des propositions et lorsqu'on regarde dans le détail ces propositions, on y reconnaît des axes assez majeurs de politique publique sur lesquelles le gouvernement cherche à mettre l'accélérateur. Je pense à la rénovation thermique. Sur la rénovation thermique, on peut quasiment dire que le gouvernement a anticipé ces démarches et les recommandations. Je pense aussi à tout ce qui est autour de la conversion des véhicules polluants en véhicules moins polluants. Il est intéressant d'ailleurs de voir que la convention ne fait pas le départ entre véhicule diesel etc, il dit juste il faut changer, il faut une prime à la conversion qui soit plus forte et qui incite plus à…

SONIA MABROUK
Alors peut-être que vous n'avez pas vu la suite, Agnès PANNIER-RUNACHER, taxer les dividendes des sociétés, interdire les publicités pour les SUV, limiter la vitesse sur les autoroutes, est-ce que ce ne sont pas des taxes, des normes et des interdictions ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si bien sûr.

SONIA MABROUK
Donc il y en a.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y a des interdictions comportementales qui peuvent être peut-être aussi un appel à la responsabilité des Français lorsqu'on dit qu'il faut effectivement limiter la vitesse sur l'autoroute, ça renvoie à un débat que l'on a eu.

SONIA MABROUK
Oui et qu'on a eu de manière assez passionnée, vous êtes favorable d'ailleurs à cette limitation sur autoroute, est-ce que pour vous c'est pertinent sur le plan écologique ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'un point de vue personnel, ça ne me pose pas de problème.

SONIA MABROUK
Donc vous êtes favorable.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais je suis et là je me place en tant que citoyen individuel. En revanche, moi j'ai entendu ce qu'on dit les Français sur les 80 kms/heure et je crois qu'on ne peut pas le balayer du revers de la main, même si cette convention, encore une fois, c'est le président de la République qui l'a voulu, c'est une démarche qui est inédite en terme d'exercice démocratique et ça a été fait extrêmement sérieusement.

SONIA MABROUK
C'est intéressant, vous dites exercice démocratique, mais dites-moi Agnès PANNIER-RUNACHER, qu'elle est la légitimité démocratique de 150 personnes tirées au sort pour voter la limitation sur autoroute de 110 kms et toucher à notre vie quotidienne ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Deux choses, ils renvoient justement aux responsables politiques, ils font des propositions, ils ne définissent pas la norme. La deuxième chose, rappelez-vous la démocratie athénienne, je rappelle que c'était par l'élection qu'on choisissait les représentants des personnes.

SONIA MABROUK
C'est ça le monde d'après alors.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc, non mais je pense qu'il ne faut pas balayer du revers de la main ce travail qui est profond.

SONIA MABROUK
On ne balaie pas, on l'interroge, ce qui nous interpelle ce matin, Madame la Ministre, c'est que c'est l'écologie punitive, c'est que c'est le retour de la machine à taxer. Franchement tant de taxes pour l'écologie de demain, c'est ça votre nouveau chemin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce sont des propositions et nous devons nous en emparer et voir ce qu'on en fait. Moi je retrouve toutes les têtes de chapitre sur lequel nous devons travailler. Je vous parlais de la prime à la conversion, aujourd'hui j'observe qu'on a mis en place un programme dans le plan auto de prime à la conversion, on est presque au bout, c'est-à-dire que d'ici septembre d'après les informations qui nous remontent les concessionnaires, que nous remontent les producteurs de voitures, on aura consommé cette enveloppe de 200 000 primes à la conversion.

SONIA MABROUK
L'objectif qui sera donc atteint, si je vous entends bien.

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'ici septembre si la tendance que nous voyons se poursuit. Ça veut dire que c'est un énorme succès, ça veut dire que là, on est dans l'incitation et que ça fonctionne et donc c'est un bon signal.

SONIA MABROUK
L'incitation et donc pas la taxation.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

SONIA MABROUK
Donc c'est différent, mais je vous pose la question Agnès PANNIER-RUNACHER, vous êtes et ce matin, vous êtes la secrétaire d'Etat en charge de l'Economie, la France traverse malheureusement sa pire crise économique sociale et sociétale, est-ce que l'urgence aujourd'hui est un référendum sur le crime d'Ecosite, bien sûr que c'est grave un crime contre la planète mais est-ce que c'est l'urgence ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'il ne faut pas confondre enfin différents sujets en disant que l'un empêche de traiter l'autre. Il y a eu ce débat sur la PMA, on disait est-ce que l'urgence de voter la PMA alors qu'on doit faire face à une crise économique, on peut très bien faire face à une crise économique et par ailleurs avec l'autre partie de son cerveau traiter des sujets importants et des sujets structurels et pour moi la PMA, c'était pas une option. Donc pour revenir sur le sujet, on est effectivement face à une crise majeure, il va falloir se battre pour chaque emploi, il ne faut pas céder au fatalisme. Mais le fait de dire que l'économie de demain est une économie décarbonée, c'est une économie de transition c'est important aussi.

SONIA MABROUK
Mais se battre pour chaque emploi, ce n'est pas taxer les entreprises, de nombreux entrepreneurs vous écoutent ce matin et se demandent est-ce que c'est l'alpha et l'oméga aujourd'hui de vouloir taxer les dividendes encore, on a l'impression que c'est une obsession française.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors là où je vous rejoins c'est qu'effectivement le gouvernement a été très clair sur le fait que l'augmentation des impôts dans un pays qui a le niveau d'impôt le plus élevé d'Europe est probablement pas la meilleure chose à faire dans un moment de crise et on a été très clair sur ce sujet. Je préfère effectivement à titre personnel les incitations, je préfère la responsabilisation collective, lorsqu'on dit, il faut peut-être ne pas utiliser la climatisation à tort et à travers, je fais confiance aussi aux Français pour se mettre dans cette posture de savoir utiliser à bon escient l'électricité et on l'a montré dans d'autres circonstances.

SONIA MABROUK
Responsabiliser, pas infantiliser parce qu'on est sorti d'une période où on en a beaucoup parlé.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Responsabiliser, pas infantiliser, pas ce discours où on doit faire la pédagogie de gens qui ne comprendraient pas, les Français sont des adultes, ils savent aussi faire la part des choses importantes de ce qui l'est moins et ils sauront s'adapter, mais d'un autre côté il y a des politiques publiques que nous devons mener et ça c'est un gros morceau de la convention collective. Je parlais de la prime à la conversion, la rénovation thermique c'est un enjeu absolument majeur sur lequel nous sommes en train de travailler et nous allons prendre des mesures fortes, ça va être au coeur de notre plan de relance.

SONIA MABROUK
Bien sûr ? Vous parlez du plan de relance, j'imagine que vous avez dû tomber de votre chaise, Agnès PANNIER-RUNACHER quand vous avez entendu cette proposition débattue par la convention, mais pas retenue d'une semaine de travail de combien ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
J'ai entendu 28 heures.

SONIA MABROUK
28 heures. Qu'est-ce que vous vous êtes dit, c'est Nuit debout repeint en vert ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
J'avoue que j'ai été plutôt rassurée lorsque la Convention n'a pas retenu cette mesure, parce que je pense que pour le coup…

SONIA MABROUK
C'est un euphémisme cette réponse.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour le coup, en termes d'emploi, l'impact était assez immédiat, c'était des milliers de salariés qui n'étaient pas en situation de poursuivre leur travail, et je crois qu'il faut qu'on en ait collectivement… qu'on l'ait en tête. Et par ailleurs il y a quelque chose qui me gêne parfois dans les propos qu'on entend, c'est l'idée que la croissance c'est nécessairement de la production, la croissance c'est, dans une économie de services, plus de services et mieux de services.

SONIA MABROUK
Oui, mais ce n'est pas la décroissance, c'est mieux.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Lorsque vous soignez, vous ne créez pas, vous n'utilisez pas des matières premières, et pourtant c'est la croissance, lorsque vous informez, Sonia MABROUK, vous créez de la richesse, et pourtant vous ne produisez pas et vous ne diminuez pas l'empreinte environnementale de la planète, donc ne nous trompons pas de combat. Et lorsqu'on dit qu'il faut réindustrialiser la France, c'est pour remettre, relocaliser des productions France, parce que, à l'extérieur, elles sont probablement faites…

SONIA MABROUK
Vaste défi.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Avec des exigences environnementales et sociales qui sont moins-disantes.

SONIA MABROUK
Bien sûr, et pour cela, Agnès PANNIER-RUNACHER, il faut revenir au travail. Rentrée obligatoire dès ce lundi à l'école, ça veut dire aussi que tous les parents, de retour physiquement au travail ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tous les parents ont, soit la possibilité de rester en télétravail, ça, ça dépend des accords qu'ils ont avec leur entreprise…

SONIA MABROUK
Mais vous les encouragez à revenir ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je les encourage à avoir un rythme de travail où ils reviennent régulièrement physiquement sur leur poste de travail.

SONIA MABROUK
Est-ce que ça va suffire ? ici-même le patron du MEDEF lançait un appel à revenir physiquement au travail, il dit « avec cette crise si profonde on n'a plus le choix, vous ne devez plus rester en télétravail, ça ne doit pas devenir la norme », est-ce que vous le rejoignez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je n'ai pas la même appréciation parce que j'ai vu que le télétravail induisait aussi de la productivité, et une très bonne productivité, donc il ne faut pas tomber de l'autre côté du cheval. On a montré que le télétravail pouvait être efficace, on a aussi montré que du télétravail imposé pendant des semaines de suite, pouvait conduire à des risques psychosociaux, puisque vous avez des gens qui ont mal vécu le télétravail, et ça il faut également le dire, donc il y a un juste équilibre. On voit bien que, on a besoin… on est un animal social, l'homme est un animal social, il a besoin de revoir ses collègues, il a besoin de renouer le lien avec l'entreprise, est-ce que néanmoins il faut revenir à un système où on avait maximum 1 jour de télétravail par semaine dans la plupart des entreprises, peut-être pas, parce que justement…

SONIA MABROUK
C'est intéressant, vous êtes beaucoup plus nuancée à vous entendre, que certains acteurs économiques.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, et je regardais l'impact aussi sur les embouteillages, sur le temps perdu dans les transports, je pense que le télétravail c'est un des moyens de travailler qui est finalement utile, mais qui ne doit pas être ni à 100 %, ni à 0 %.

SONIA MABROUK
Et vous Agnès PANNIER-RUNACHER, vous n'êtes pas au télétravail, vous êtes au travail, vous allez me dire que vous ne faites que ça, que vous ne pensez pas au remaniement, bien sûr, vous me voyez venir.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, et je peux vous rassurer…

SONIA MABROUK
Je ne suis pas inquiète, mais allez-y.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Au ministère de l'Economie et des Finances, avec les enjeux sociaux que nous avons devant nous, on ne manque pas de travail…

SONIA MABROUK
Seulement chaque ministre en ce moment défend, et c'est tout à fait normal son portefeuille, voire milite pour un élargissement, est-ce que vous aussi ? Ça serait légitime que vous ayez de plus larges ambitions.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Comme tout ministre qui…

SONIA MABROUK
Pas de langue de bois, allez-y.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, mais comme tout ministre qui est passionné par son travail, bien sûr que j'ai envie d'aller plus loin, d'aller plus fort…

SONIA MABROUK
Vous pourriez faire plus, demander plus.

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'avoir en plus une équipe qui soit renforcée compte tenu des enjeux qu'on doit traiter, et tout ce qui est autour de l'économie, de l'accompagnement des entreprises, de l'accompagnement des salariés, m'intéresse, et il y a énormément de challenges devant nous, il va falloir les relever.

SONIA MABROUK
Que vous voulez porter. Pour conclure justement, pour les porter, est-ce qu'on peut se passer d'un Premier ministre avec une telle popularité, aussi insolente ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que ce n'est pas aux enfants de commenter comment les parents doivent se retrouver et…

SONIA MABROUK
Drôle de réponse !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et moi je suis très à l'aise avec la décision que prendra le président de la République et les décisions que prendra le Premier ministre dans les prochains jours.

SONIA MABROUK
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir répondu à nos questions ce matin sur Europe 1 et puis bonne journée à vous.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juin 2020