Déclaration de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, sur la remise aux parlementaires du livret dédié aux anciens combattants africains de la Deuxième Guerre mondiale, à Paris le 1er juillet 2020.

Prononcé le 1er juillet 2020

Intervenant(s) : 

Circonstance : Remise aux parlementaires du livret "Aux combattants d'Afrique"

Texte intégral

Madame la présidente de la commission de défense nationale et des forces armées,
Mesdames, messieurs, les parlementaires,
Monsieur le directeur du patrimoine, de la mémoire et des archives,
Madame la directrice générale de l'ONAC-VG,
Mesdames, Messieurs,


Je vous remercie d'avoir répondu aussi nombreux à mon invitation. C'est un plaisir de vous retrouver ici, dans ces prestigieux salons de l'Hôtel de Brienne.

J'ai souhaité cette cérémonie solennelle car la présentation et la remise du livret dédié aux combattants africains marquent l'aboutissement de plusieurs mois de travail. Cette matinée est aussi un début, celui du partage sur nos territoires.

Et pour cela, mesdames et messieurs les Parlementaires, nous avons besoin de vous. J'ai besoin de vous. Je connais votre souci de la transmission vers les jeunes générations, votre assiduité aux cérémonies de vos départements, votre écoute du monde combattant. Votre attachement mémoriel dépasse très largement les opinions et les bords partisans.

Je compte sur les députés et sur les sénateurs pour être les ambassadeurs d'une part de notre mémoire collective, parfois oubliée. Je compte sur les représentants de la nation et des territoires pour porter auprès des maires et des conseils municipaux le souvenir de noms, de visages, de morts pour la France, oubliés des lieux publics.

Ces identités, ces vies sont celles des combattants africains de la Seconde Guerre mondiale. Comme lors de la Grande Guerre, ils ont – avec leurs frères d'arme d'Indochine, du Pacifique et de tous les territoires où la France exerçait son influence – combattu pour notre pays. Les armées françaises ont cette nature cosmopolite qui participe de leur force.

Cette mémoire est celle que le Président de la République, dans les pas de ses prédécesseurs, a mise en avant à l'occasion des cérémonies de commémoration du 75ème anniversaire du débarquement de Provence. Il lançait, alors, un appel aux maires de France pour qu'ils baptisent des rues, des places, des squares, des écoles en l'honneur de soldats venus de l'autre côté de la Méditerranée pour combattre au nom de la France et pour la France. « Les noms, les visages, les vies de ces héros d'Afrique doivent faire partie de nos vies de citoyens libres parce que sans eux nous ne le serions pas. » Ce message a un écho puissant et reste plus que jamais d'actualité.

J'ai, au sein de notre ministère, oeuvré pour le relayer dans nos territoires. Dès l'automne, j'ai signé une convention de soutien avec l'Association des Maires de France. Nous nous engagions à apporter notre aide et à accompagner les collectivités désireuses de s'inscrire dans cette démarche. En décembre dernier, j'ai participé à l'inauguration d'une place des libérateurs africains à Bandol.

Mais, nous devons aller plus loin. C'est l'objet de ces « 100 fiches biographiques à l'usage des maires de France ». Chaque édile pourra y trouver des exemples, des modèles et des inspirations.

Des mobilisés de septembre 1939 aux Compagnons de la Libération, des soldats du rang comme des officiers, le corpus que nous vous proposons est riche et divers.

Vous y trouverez « ceux de 40 ». Nous nous rappelons souvent des valeureux tankistes de Moncornet et de Stonne, mais souvenons-nous aussi des intrépides Spahis de La Horgne et des tirailleurs du Quesnoy.

Vous y rencontrerez des héros de la France libre et combattante. De la même manière que nous célébrons le patriotisme des marins de l'Ile de Sein, nous devons nous souvenir de l'engagement des soldats tchadiens ; du soutien de l'Afrique équatoriale à l'action du général DE GAULLE ; des régiments de Kouffra et du Fezzan ; des tirailleurs, goumiers et tabors, marocains et sénégalais, lors de la libération de la Corse et des combats d'Italie.

Vous y croiserez « ceux de 44 et 45 ». L'armée française qui débarque en Provence sous les ordres du général DE LATTRE est très majoritairement composée de soldats originaires d'Afrique et de Français d'Afrique du Nord. C'est cette colonne vertébrale africaine qui, avec l'aide de nos alliés, a libéré le Sud et une partie de l'Est du pays, a combattu en Allemagne. Ces soldats ont, eux aussi, permis à la France de s'asseoir à la table des vainqueurs. Nous ne l'oublions pas.

Vous y trouverez des victimes de massacres raciaux et des crimes de guerre commis par les troupes hitlériennes, notamment en 1940 : Aubigny, Airanes, Dromesnil dans la Somme, Cressonsacq dans l'Oise, Sillé-le-Guillaume dans la Sarthe et bien sûr Chasselay dans le Rhône.

C'est d'ailleurs avec ce Tata sénégalais que nous avons choisi d'illustrer le livret. Cette photographie de 1944 montre des tirailleurs de la première armée française défilant devant la nécropole. Il y a là tout un symbole de l'engagement des combattants africains dans la défense de la France, une terre pour beaucoup lointaine, une terre à laquelle ils ont à jamais mêlé leur sang et leur gloire. La France leur est reconnaissante.

Je veux remercier le travail de recherche et de synthèse mené par l'ONAC-VG et par les services de la Direction des Patrimoines de la Mémoire et des Archives et par le Service Historique de la Défense. Je salue également la remarquable mise en valeur réalisée par la DICOD.

Ce livret a désormais besoin de vous. Il va également permettre de porter un regard plus juste sur tous les hommes et toutes les femmes qui ont combattu sous nous couleurs, pour notre drapeau et pour notre liberté. Il va permettre de transmettre avec vérité une page de notre histoire.

Ce livret est aussi un acte de foi républicaine, un acte de foi en la République. Dans cette République qui honore dans l'unité et qui regarde son histoire en face, sans faiblesse, sans oubli, sans exclusion. Pour poser un regard lucide sur un passé souvent complexe, nous devons nous appuyer sur les faits historiques et sur les apports des historiens. Je crois profondément dans le dialogue entre les mémoires, il possède une vertu pédagogique et permet de limiter la confrontation mémorielle.

En France, pays d'histoire et d'historiens ; pays de passions et de passionnés ; la mémoire est un pilier de notre cohésion nationale.

Détruire un monument, un buste, une statue revient fatalement à effacer de la mémoire collective ceux qui ont, à leur manière, marqué l'époque dans laquelle ils vivaient. L'histoire ne se refait pas et elle comporte une part de tragique, d'injustice et d'ombre. La juger en fonction de nos principes actuels est une erreur. C'est le fameux anachronisme, le « péché mortel de l'historien » (Lucien Fèbvre).

En clair, ce n'est pas moins de noms de rues qu'il nous faut ; mais il nous faut les compléter et les enrichir. Il ne nous faut pas moins de statues, il en faut davantage. Sûrement, nous faut-il mieux contextualiser nos statues : en les enrichissant d'une plaque explicative, d'une mise en contexte, en créant une véritable pédagogie urbaine qui, aujourd'hui, lorsqu'elle existe est inadaptée.

Plutôt que de « déboulonner », je vous propose de construire. Plutôt que de dénommer, je vous propose de nommer. Plutôt que d'effacer, je vous propose de réfléchir à « la mise en explication » de notre espace public.

Je crois profondément à la valeur éducative de notre histoire. Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, il y a toujours des enseignements à tirer des évolutions des sociétés passées, des leçons à prendre des erreurs passées. C'est ce que disait Marc BLOCH : « l'incompréhension du présent naît fatalement de l'ignorance du passé ».

Regarder en face notre histoire, c'est progresser vers plus d'ouverture, c'est y trouver les inspirations pour bâtir une société où les discriminations tendent à s'effacer au profit d'une plus grande tolérance. C'est parce que la République connaît son histoire, qu'elle sait d'où elle vient, qu'elle sera intraitable face au racisme, à l'antisémitisme et aux discriminations.

C'est parce que nous savons où mène la haine et l'ignorance, que notre combat doit être sans cesse celui de la transmission et de l'éducation.

Ensemble, nous le menons et ce travail autour des combattants africains en est un pan important.

Dans un de ces grands textes, Léopold SÉDAR SENGHOR écrivait ces vers : « On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu. Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme. » Aujourd'hui, mesdames et messieurs les parlementaires, nous contribuons à réparer ce manque et à faire que bientôt dans nos communes ces noms soient enfin prononcés et honorés.


Vive la République.
Vive la France.


Source https://www.defense.gouv.fr, le 15 juillet 2020