Texte intégral
JOURNALISTE
L'interview politique d'Europe 1. François GEFFRIER, vous recevez le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.
FRANÇOIS GEFFRIER
Bonjour Julien DENORMANDIE.
JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.
FRANÇOIS GEFFRIER
La France est, entrée en récession c'est officiel depuis 3/4 d'heure, ce n'est pas une surprise, mais la mauvaise nouvelle est là. Il y a eu le chômage partiel massif, les plans de soutien à plusieurs grandes filières, tout ça, ça a servi d'airbag, mais finalement est-ce que le plus dur commence maintenant ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien très clairement aujourd'hui l'objectif c'est de faire la relance de cette économie. Et cette relance de l'économie elle est nécessaire pour éviter la crise sociale, elle est nécessaire pour construire une France plus forte dans le monde de demain, et elle est nécessaire aussi parce qu'elle doit nous permettre de tirer les conséquences de la crise qu'on a vécue. Et donc, quel est le travail du gouvernement en ce moment ? C'est de préparer ce plan de relance, de 100 milliards d'euros, je dis bien 100 milliards d'euros, qui seront injectés pour relancer l'économie française. On était encore hier autour du Premier ministre avec beaucoup de membres du gouvernement, pour établir ce que seront les composantes de cette relance. Dans le domaine de l'agriculture, par exemple, on mettra de l'argent pour consolider notre modèle agricole et préparer l'agriculture des 20, 30, 40 prochaines.
FRANÇOIS GEFFRIER
Alors, puisque vous y êtes, combien de milliards pour l'agriculture dans ces 100 milliards de plan de relance ? Est-ce qu'on va aller vers ce fameux plan pour les protéines qu'on attend depuis des années ?
JULIEN DENORMANDIE
Alors, le montant global, je ne vais pas vous l'annoncer ce matin, tout simplement parce que les arbitrages par le Premier ministre sont toujours en cours. Mais ce qui est sûr, c'est que le plan protéines, il sera dedans, ça je vous le confirme et…
FRANÇOIS GEFFRIER
On rappelle juste, la France importe beaucoup de protéines, et il y a le problème de la déforestation notamment au Brésil et en Amazonie.
JULIEN DENORMANDIE
Exactement. Et en fait on ne le sait pas, mais aujourd'hui notre pays, et l'Europe singulièrement, est dépendant des protéines qui viennent par exemple du Brésil. C'est un non-sens écologique, c'est un non-sens surtout en termes de souveraineté. Moi je veux redonner cette souveraineté agricole et alimentaire, et donc on va mettre le paquet pour faire ce plan protéines et retrouver notre souveraineté, c'était d'ailleurs un axe fort du président de la République dans son programme agricole.
FRANÇOIS GEFFRIER
Quel discours faut-il tenir aux Français, là dans ce contexte ? Il faut leur dire que le plan de relance, les 100 milliards qui arrivent fin août, ça va tout sauver ou leur promettre du sang et des larmes, les faillites et la casse sociale à la rentrée ?
JULIEN DENORMANDIE
Non mais je crois que tout le monde est conscient, et vraiment les Français qui nous écoutent le savent très bien, que dans les moments difficiles, évidemment il y a le travail qui est nécessaire. Evidemment. Et donc il y a cet effort collectif tourné vers le travail, pour relancer notre pays, et au moment des crises évidemment, qu'on s'en sort toujours, grâce au travail et grâce à l'implication de nous toutes et tous. Mais parallèlement à ça, il y a une responsabilité du gouvernement, qui est de définir et de supporter cette relance. Et comment on définit, et comment on supporte cette relance ? ? Eh bien c'est en se disant : qu'est-ce que la France a de plus fort dans ses atouts et comment la France peut devenir un fleuron industriel ? On parlait de l'agriculture, je pourrais vous parler de l'industrie. Il y a un sujet très important, qui est l'hydrogène, c'est un exemple, la France elle va se positionner comme un leader sur ce sujet.
FRANÇOIS GEFFRIER
On va rester sur l'agriculture si vous le permettez. On entendait la détresse dans le journal de 08h00 des producteurs de betteraves. La France, 39 millions de tonnes de betteraves, 5 millions de tonnes de sucre, premier producteur européen, 45 000 emplois directs et indirects. Il y a ces ravages faits par des pucerons et la maladie qu'ils transportent, la jaunisse virale. « Jamais je n'abandonnerai la filière », avez-vous promis à l'Assemblée. Il faut faire un geste, lequel ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien soit on trouve une solution technique, et je vais y revenir, soit on met un plan de soutien financier pour compenser les pertes des agriculteurs.
FRANÇOIS GEFFRIER
Donc, soit les pesticides, soit de l'argent.
JULIEN DENORMANDIE
Soit des solutions techniques, ce n'est pas forcément des pesticides. Vous savez, la France est l'un des pays les plus avancés dans la recherche agronomique. Soit c'est un soutien financier. Mais j'ai entendu l'agriculteur qui parlait juste avant le journal. C'est plein de bon sens, et ce bon sens je le partage, mais les agriculteurs qui nous écoutent savent très bien que si une solution simple existait, évidemment qu'on l'aurait mise en place. C'est quoi la situation ?
FRANÇOIS GEFFRIER
Juste une solution simple, ça ne pourrait pas être, pragmatiquement, d'autoriser temporairement le recours à des pesticides néonicotinoïdes ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien la difficulté c'est que pour faire ça, il faut une loi, et vous savez, une loi dans notre pays ça prend un an, or la décision elle doit être prise maintenant.
FRANÇOIS GEFFRIER
Mais vous…
JULIEN DENORMANDIE
La difficulté elle doit être faite maintenant. Moi, mon sujet, c'est d'accompagner les betteraviers, en ce moment, pour qu'ils soient suffisamment assurés et replantent des betteraves.
FRANÇOIS GEFFRIER
Donc vous allez leur donner de l'argent.
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien on est en pleine discussion avec eux, mais vraiment en pleine discussion eux. Soit on trouve des solutions techniques, qu'elles soient juridiques ou agronomiques, si je puis dire, soit on met un plan de soutien financier. Mais je le redis très clairement, je ne laisserai jamais tomber cette filière. Pourquoi ? Parce que la betterave c'est un des fleurons de notre agronomie et surtout c'est grâce à cette betterave qu'on produit du sucre. Et au même moment, au même moment où la France, elle, a pris des lois nationales, c'était en 2016, ça remonte, nos partenaires y compris européens ils n'ont pas forcément les mêmes contraintes, et donc moi je veux une France souveraine en termes agricoles, y compris dans la production de sucre, et que demain on n'ait pas à manger du sucre qui vienne de la Belgique ou d'autres pays européens.
FRANÇOIS GEFFRIER
Bien sûr. Vous parlez d'agronomie, vous êtes un ingénieur agronome, bac + 5, et ce qui fait que votre accueil est plutôt bon, en tout cas positif, par les syndicats agricoles au départ. L'urgence, c'est aussi la sécheresse. En ce moment, 65 départements en restriction d'eau. La solution souhaitée par le monde agricole ce sont des retenues d'eau, récupérer l'autre l'eau de pluie notamment, mais les écologistes n'en veulent pas, car ça fait autant d'eau en moins pour les nappes phréatiques. Le gouvernement avait timidement ouvert la porte à cette pratique, pour l'instant on n'a pas réglé le problème, clairement.
JULIEN DENORMANDIE
Non, on n'a pas encore réglé le problème, et moi je compte bien passer beaucoup de temps sur ce sujet. Il y a un non-sens là aussi, et tout le monde peut le comprendre. L'hiver on reçoit beaucoup d'eau, et l'été on en manque. Eh bien comment on arrive à capter l'eau de l'hiver pendant l'hiver, pour l'utiliser pendant l'été ? Voilà, c'est aussi simple que ça.
FRANÇOIS GEFFRIER
Mais là-dessus, est-ce que vous allez à nouveau déverrouiller ?
JULIEN DENORMANDIE
Oui, alors il y a 2 choses qu'il nous faut faire, il y a des soutiens financiers, il y a des soutiens financiers parfois, vous savez, de petits montants pour, je pense aux éleveurs par exemple, qui peuvent faire de la captation d'eau l'hiver pour aller faire boire leurs vaches, leurs moutons ou que sais-je, pendant l'été. Ça c'est des choses qu'on peut faire, et dans le plan de relance justement on va faire ces modernisations quand elles sont nécessaires. Premier point. Et deuxième point…
FRANÇOIS GEFFRIER
Donc dans le plan de relance, il y aura des chèques, pour que les éleveurs puissent stocker l'eau l'hiver.
JULIEN DENORMANDIE
Moi je veux des soutiens financiers pour faire la pérennité de nos élevages. Et aujourd'hui, notre agriculture elle fait face à quoi ? Elle fait face au changement climatique. Ce changement climatique on le voit encore cette nuit avec ce terrible incendie à Anglet. Elle est là, la sécheresse elle est là. Donc il faut soutenir et trouver des solutions pour permettre d'avoir l'eau l'été, en captant l'eau de l'hiver. C'est aussi simple, c'est ce bon sens qui nous anime. Mais il y a un deuxième élément, c'est qu'il faut parfois, sur des territoires, faire des retenues en eaux beaucoup plus massives, et ça, dans notre pays, ça prend 8 à 10 ans. Pourquoi ? Parce qu'on a une palanquée de recours, toujours plus forts les uns que les autres…
FRANÇOIS GEFFRIER
S'il y a des recours, c'est qu'il y a des raisons, et qu'il y a en tout cas des écologistes qui s'opposent.
JULIEN DENORMANDIE
Voilà, et alors, comment on fait pour faire face à ça ? Eh bien il y a deux points : on simplifie un peu les procédures et surtout on le fait dans le. Dialogue, parce que c'est le dialogue qui permet de balayer les inquiétudes des uns et des autres.
FRANÇOIS GEFFRIER
Julien DENORMANDIE, ministre de l'Agriculture, votre collègue la ministre du Travail a prévenu : pas question que le plan de relance se fasse avec les travailleurs détachés. C'est une intention louable pour lutter contre le chômage français, mais Christiane LAMBERT, présidente du premier syndicat agricole, la FNSEA, à votre place ici avant-hier, disait : ça coûtera plus cher, donc les fruits et les légumes seront plus chers.
JULIEN DENORMANDIE
Ah oui, ça c'est un énorme sujet. On sait très bien qu'aujourd'hui il y a la question de la main-d'oeuvre dans le monde agricole. On l'a vu pendant le confinement, les Français l'ont vu. Quand il faut aller cueillir les fruits de saison ou bientôt d'ailleurs les vendanges, eh bien c'est vrai qu'on a…
FRANÇOIS GEFFRIER
Qui ont déjà commencé dans certains départements.
JULIEN DENORMANDIE
Et plus tôt que d'habitude, effets du changement climatique là aussi. Et qu'est-ce qu'on remarque ? Eh bien il faut effectivement des personnes qui aillent faire ces récoltes. Parfois on trouve dans le bassin d'emploi, et parfois on ne trouve pas dans le bassin d'emploi. Et quand on ne trouve pas dans le bassin d'emploi, qu'est-ce que vous faites ? On ne va pas laisser pourrir les fruits et les légumes ou ne pas faire les vendanges, donc on se tourne vers d'autres pays qui eux, où eux, les hommes, les femmes, acceptent de venir faire les récoltes.
FRANÇOIS GEFFRIER
Mais là on va arrêter.
JULIEN DENORMANDIE
Elle est là la situation, elle est là la difficulté. On ne peut pas l'arrêter quand il n'y a pas d'alternative, soyons très clairs, soyons très clairs, mais évidemment que notre sujet…
FRANÇOIS GEFFRIER
Mais Elisabeth BORNE dit : pas question que le plan de relance soit pour les travailleurs détachés.
JULIEN DENORMANDIE
Non mais, il y a plein d'autres secteurs où il y a une alternative…
FRANÇOIS GEFFRIER
L'agriculture en fait partie très clairement, il n'y avait pas que les transports.
JULIEN DENORMANDIE
Non, mais il y a plein d'autres secteurs où il y a des alternatives qui sont possibles. Moi, mettez-vous à la place du viticulteur qui doit faire ses vendanges. Il va sur le bassin d'emploi, et il dit : eh bien toutes celles et ceux qui veulent venir travailler, venez. Premièrement. S'il n'y a pas de réponse à son appel, qu'est-ce que vous faites ? Vous devez bien aller faire votre vendange.
FRANÇOIS GEFFRIER
C'est ce que disait aussi Christiane LAMBERT.
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien vous vous tournez vers les pays qui ont une population qui accepte de venir faire la vendange. C'est là aussi ce bon sens. Donc il n'y a pas de position de dogmatisme, de personnes sur ce sujet, il faut accompagner, mais à la fin des fins on sait bien qu'il y a d'autres secteurs où là pour le coup il y a une compétition malsaine entre les travailleurs français et les travailleurs détachés, et c'est ça que pointait du doigt la ministre du Travail, et c'est ça sur quoi lutte la ministre du Travail.
FRANÇOIS GEFFRIER
Le bon sens et pas de dogmatisme. Julien DENORMANDIE, ministre de l'Agriculture et l'Alimentation, merci d'être venu ce matin au micro d'Europe 1.
JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.
FRANÇOIS GEFFRIER
Bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 août 2020