Texte intégral
Q - On part tout de suite au ministère des affaires étrangères retrouver Jean-Yves Le Drian, Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, d'avoir accepté notre invitation. On apprend à l'instant que trois cents mille personnes sont privées de domicile, il y a trois milliards de dégâts, au moins. La France envoie des avions. Quelle sera l'ampleur de l'aide de la France ?
R - D'abord, c'est une catastrophe absolue, c'est un drame épouvantable qui touche un pays qui était déjà en souffrance. Et puis, c'est une catastrophe qui a lieu dans un pays plus qu'ami, un pays frère, le Liban c'est un peu la famille de la France. Et donc, la France partage profondément ce deuil, ces souffrances, que les Libanais sont en train de vivre en ce moment.
Le président de la République s'est entretenu avec le président Aoun, hier soir. Il s'entretient en ce moment avec le Premier ministre Diab, j'ai eu moi-même mon collègue des affaires étrangères M. Wehbé tout à l'heure, pour d'abord leur faire part du soutien de la France, de la solidarité, de l'émotion, et du fait que c'est dans les épreuves que les amis sont là. Et nous sommes là.
Nous sommes là dès, aujourd'hui, puisque trois avions partent aujourd'hui pour Beyrouth, un de Marseille avec des équipes d'intervenants médicaux immédiatement opérationnelles, deux de Roissy avec du matériel, 25 tonnes, avec les équipes de sécurité du ministère de l'intérieur, avec aussi, de Marseille, des pompiers de Marseille, pour une aide immédiate. Mais l'ampleur de la catastrophe est telle qu'il faudra prendre d'autres initiatives, ne serait-ce que des initiatives humanitaires dans les jours qui viennent. Et la France va prendre des initiatives très vite à cet égard.
Q - Justement, au sujet des initiatives, on a compris que la France envoyait de l'aide d'urgence, comme d'ailleurs beaucoup de pays, la communauté internationale a réagi assez vite. Mais, dans le temps - vous l'avez dit, c'est un pays qui était déjà avant totalement délabré - quel peut être le soutien de la France ? On sait que la France et le Liban sont des pays qui sont extrêmement proches l'un de l'autre, il y a une relation particulière entre nos deux pays. Quel sera le soutien de la France, même au-delà peut-être du soutien financier ?
R - D'abord, c'est un soutien de reconstruction, un soutien de proximité, un soutien d'empathie, un soutien humanitaire immédiat dont on a besoin. L'heure est d'abord à panser les plaies, l'heure est d'abord à faire en sorte que la population retrouve un minimum de stabilité.
Et puis, ensuite, il faudra se poser les questions. Elles sont nombreuses, elles existent. J'étais, il y a peu de temps, à Beyrouth et nous avons abordé avec les autorités libanaises l'ampleur des sujets qui sont devant ce pays. Mais, aujourd'hui, l'immédiateté, c'est la solidarité.
Q - Vous aviez dit d'ailleurs, la semaine dernière, lorsque vous étiez sur place, vous aviez dénoncé la passivité des autorités. Comment ce pays s'est-il retrouvé dans cette situation, Jean-Yves Le Drian ?
R - Je pense qu'il y a eu successivement des renoncements et je pense qu'il y a, néanmoins, dans ce pays les forces nécessaires pour que ce pays se redresse. Il y a la volonté affichée par la population de faire en sorte que ce pays retrouve de la force. Et il suffit de mettre en oeuvre un certain nombre de réformes, les autorités le savent bien, et c'est la volonté de la France de faire en sorte qu'elles aboutissent. Parce que ce pays doit tenir toute sa place dans la région, être à l'abri des conséquences des crises qui existent autour de lui, pour marquer ce qu'il est dans son histoire, ce qu'il est dans sa volonté de vivre, et la population libanaise l'a marqué à plusieurs reprises.
Mais, pour l'instant, je vous le redis, l'heure est à faire en sorte que la solidarité internationale soit au rendez-vous. La France est au rendez-vous, elle prendra des initiatives qu'il faut prendre dans les jours qui viennent pour que l'aide humanitaire intervienne. Et puis, ensuite, viendra le temps de la reconstruction et le temps, sans doute, des explications.
Q - Quand vous dites "elle prendra d'autres initiatives", cela veut dire éventuellement envoyer d'autres secours et puis, voire même, faire plus ?
R - Les autres secours, oui. Bien sûr, il y a des nécessités urgentes qu'il faut mobiliser, pas uniquement en France, aussi au niveau de l'Europe, au niveau de la communauté internationale. Et c'est en ce sens que nous allons prendre, dans les heures qui viennent, les initiatives nécessaires.
Et puis, il faudra aussi se projeter dans l'avenir. Aujourd'hui, il y aura un problème d'accostage au port par exemple puisque le port a été entièrement détruit par l'explosion. Il y aura aussi une nécessité alimentaire indispensable puisque les silos de blé ont été, eux-mêmes, explosés. Tout cela, c'est dans les heures prochaines qu'il nous faut essayer d'agir.
Dans l'immédiateté, ce sont les secours immédiats parce que l'on n'a pas encore retrouvé toutes les personnes qui sont ensevelies. C'est la raison pour laquelle il y a des équipes spécialisées qui viennent de France pour aider les intervenants libanais à faire ce travail difficile.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez peut-être entendu des habitants, des intellectuels, même, dire "la communauté internationale, on l'appelle à l'aide depuis des mois et elle ne nous voit pas. Il faut cette horreur pour que notre pays soit à nouveau visible". On peut espérer un déclic de la communauté internationale pour aider le Liban ?
R - Mais la communauté internationale a été au rendez-vous du Liban, à de nombreuses reprises, la France aussi. Nous avons réuni à Paris, en décembre dernier, l'ensemble des acteurs qui voulaient bien aider le Liban.
Il importe que le Liban prenne les réformes qu'il convient de prendre. Et les autorités le savent bien. C'est la condition de l'aide internationale. J'ai demandé à plusieurs reprises aux Libanais de nous aider à les aider, et c'était bien le sujet.
Maintenant, nous sommes dans le drame et je préfère que la solidarité s'exerce immédiatement pour que l'on puisse, ensuite, aborder les grandes questions qui se posent sur l'avenir de ce pays.
Q - Dernière question, Jean-Yves Le Drian. Est-ce que vous êtes inquiet pour la stabilité, très précaire déjà, dans la région, des conséquences géopolitiques, pour la région, mais aussi pour le monde entier ?
R - Le Liban est au milieu d'une zone de crises majeures. Il a toujours tenu à être dissocié, à la fois de la crise syrienne, à la fois des difficultés que l'on peut avoir dans la région, des affrontements entre les uns et les autres. Pour l'instant, ils ont réussi à faire en sorte que cette identité libanaise soit maintenue. Il importe, pour qu'elle se maintienne, que ce pays fasse les réformes nécessaires.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 août 2020