Texte intégral
Q - Nous sommes en direct avec Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Merci d'être avec nous, Monsieur le Ministre. Il y a encore quelques jours, vous étiez au Liban. Votre première réaction à ce drame qui touche Beyrouth, aujourd'hui ?
R - C'est un désastre absolu et ma première réaction, c'est une réaction de soutien, de solidarité à l'égard du peuple libanais, de la population de Beyrouth. Je les connais, une partie d'entre eux au moins, et j'étais il y a quelques jours encore à Beyrouth. La France, c'est la famille du Liban, le Liban, c'est la famille de la France. Nous avons une telle histoire commune, de telles passions communes, de tels combats communs, de telles amitiés communes, que nous sommes en deuil comme les Libanais, aujourd'hui.
Et nous allons tout faire pour que nous puissions les aider à surmonter leurs souffrances. Il y avait déjà des souffrances, il y avait déjà des difficultés. Et ce drame supplémentaire est une vraie catastrophe. Et je souhaite vraiment que les Libanais ressentent notre émotion, notre partage, notre amitié, dans cette épreuve très douloureuse.
Q - La coopération internationale se met en place, la France envoie, d'ailleurs, trois avions militaires, c'est dire les liens qui existent entre la France et le Liban.
R - Nous avons des liens historiques, je viens de le dire, mais il fallait aussi être réactifs et c'est ce que nous essayons de faire le mieux possible, puisque trois avions partent à l'instant au Liban avec, à la fois, des médecins, des sapeurs-pompiers de Marseille, de la sécurité civile du ministère de l'intérieur, 25 tonnes de matériel pour aider aussi, non seulement à l'aide médicale, mais aussi à l'accompagnement pour rechercher des survivants. Tout cela est normal dans un pays frère comme l'est le Liban pour la France. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi mobiliser la communauté internationale et nous allons être amenés, dans les heures qui viennent, à faire des propositions de mobilisation pour que l'ensemble des acteurs internationaux vienne au secours de ce pays, parce qu'il y a des morts, il y a des blessés. Et puis il y a aussi une population dans le désarroi, sans logement, hébétée devant ce qui vient de se passer. Et il faudra donc penser aussi à cela, de l'aide humanitaire, de l'aide alimentaire, et la France va être à ce rendez-vous là parce que c'est de sa responsabilité de prendre le leadership pour tout ce soutien international qui est indispensable.
Q - Jean-Yves Le Drian, est-ce que vous nous confirmez qu'Emmanuel Macron se rendra demain au Liban, et surtout que va-t-il y faire ?
R - Le président de la République annoncera lui-même ses intentions et son projet et son programme. En tout cas, il y a une volonté ferme de marquer notre solidarité avec la population libanaise, et c'est ce que veut faire le président de la République.
Q - On sait qu'il y a de très nombreux Français qui vivent au Liban. Est-ce que vous avez des nouvelles de ces ressortissants ?
R - L'ambassade a établi une cellule de crise, depuis hier soir. Il y a aussi une cellule de crise ici, au Quai d'Orsay. Notre ambassadeur va rentrer tout à l'heure, à Beyrouth, pour assurer le lien avec les autorités libanaises mais aussi l'ensemble des services de secours et les Français qui sont présents au Liban. Il y a à peu près vingt-cinq mille de nos compatriotes qui sont présents au Liban. Jusqu'à preuve du contraire, nous n'avons pas d'éléments majeurs pour indiquer des drames particuliers. Mais je suis très prudent sur ces chiffres, parce qu'aujourd'hui on n'a pas encore des éléments tout à fait consolidés à l'heure où je parle.
Q - Une question aussi, Monsieur le Ministre, sur ce nitrate d'ammonium qui avait touché, on s'en souvient, l'usine AZF, est-ce que vous en savez plus sur l'enquête qui est en cours au Liban, et surtout est-ce que les Français vont participer à l'enquête ?
R - Les autorités libanaises ont décidé de mener une enquête très rapide. Et donc, nous sommes à leur disposition si, d'aventure, ils avaient besoin d'un apport technique à cette enquête. Mais cette enquête très rapide va donner des résultats, je pense, dans les jours qui viennent, pour identifier les raisons pour lesquelles ces 2700 tonnes de nitrate d'ammonium étaient là, sur le port, à proximité de risques majeurs, avec en plus la chaleur, on peut imaginer les raisons qui ont abouti à cette explosion dramatique.
Q - Monsieur le Ministre, outre l'aide de la France, vous en appelez aussi à l'aide de la communauté internationale. Qu'est-ce qui est le plus urgent selon vous, vous qui connaissez très bien ce genre de situation ? Cela passe par la voie diplomatique ? Ce sont des médicaments ? On sait que la France envoie aussi des appareils de réanimation. Ce sont des finances ? La voie économique ?
R - C'est d'abord l'aide médicale, l'aide au déblaiement, la recherche de survivants, l'accompagnement hospitalier, qui s'imposent. Mais, ensuite, très vite, viendra la nécessité de l'aide alimentaire, et puis aussi des débuts de reconstruction provisoire, même, parce que le port de Beyrouth est aujourd'hui inutilisable après l'explosion. Donc, il faut faire en sorte que des bateaux puissent accoster, ne serait-ce que parce qu'une partie de l'activité et de la vie sociale libanaise dépend de l'apport extérieur.
Tout cela nécessitera des interventions très rapides et nous allons prendre les initiatives nécessaires pour regrouper tous les acteurs qui le souhaitent pour se mobiliser autour de cet enjeu majeur, qui est de permettre au Liban de surmonter ses souffrances et les difficultés dramatiques qu'il traverse maintenant.
Q - Il y a quelques mois, le président de la République a rencontré Saad Hariri, il lui avait promis notamment une aide de 250 millions d'euros pour aider le Liban. Est-ce que cette aide doit être réévaluée, selon vous, au vu de la catastrophe qui vient de frapper Beyrouth ?
R - L'aide internationale, elle est sur la table depuis maintenant plusieurs mois. Et, en décembre dernier, à la demande du président Macron, j'avais réuni ici à Paris tous les pays qui sont en soutien du Liban et ces pays avaient dit : nous sommes prêts à aider, nous avons des chiffres de mobilisation financière très importants, mais il faut que les réformes se fassent parallèlement. Et nous étions toujours en attente de ces réformes, pendant que le pays s'enfonçait dans la crise, une crise sociale, une crise économique, une crise politique, maintenant une crise humanitaire avec le drame que vous connaissez. Peut-être que c'est aussi l'occasion du sursaut, mais il est encore un peu tôt pour en parler. L'urgence, aujourd'hui, c'est la solidarité.
Q - Normalement, avant la fin de la matinée, aujourd'hui, selon nos informations, vous avez eu votre homologue libanais. Sans nous dire, évidemment, ce qui est confidentiel, est-ce que vous pouvez nous dire quel message vous lui avez adressé ?
R - J'ai eu mon collègue Wehbé qui vient juste d'être nommé, c'était ma première conversation avec lui puisqu'il n'est ministre des affaires étrangères que depuis trois jours. Je lui ai fait part du soutien de la France - mais le président de la République avait déjà eu l'occasion de le dire au président Aoun, hier soir - et notre disponibilité pour accompagner les Libanais dans ce nécessaire sursaut collectif qu'ils doivent mettre en oeuvre dans la souffrance.
L'échange a été ému, l'échange a été très franc, mais en même temps très pénible parce qu'il est au milieu de difficultés énormes. Et j'ai tenu à lui faire part à la fois de l'affection de la France et puis de notre volonté d'agir avec lui pour surmonter cette épreuve.
Q - Jean-Yves Le Drian, une dernière question. Le Liban est plongé dans une crise économique, politique, sanitaire, vous l'avez dit. Est-ce que vous restez optimiste pour ce pays, dans les prochains jours, les prochains mois, voire les prochaines années ?
R - Oui, parce que le Liban a toujours su se redresser. Et il y a une force dans ce peuple, dans sa diversité, aussi dans son unité, pour que ce pays se redresse et reste à l'abri des difficultés géopolitiques qui l'entourent, que ce soit en Syrie, que ce soit les difficultés de frontières avec Israël, que ce soit avec les forces contradictoires qui se déploient dans cette région. Le Liban doit se relever. Il en a la force, je pense qu'il en a la volonté, je pense que le peuple libanais est fier de son pays et il importe maintenant de le montrer, dans la douleur, certes, mais aussi avec la satisfaction, le soutien de la communauté internationale qui souhaite que le Liban se redresse à l'initiative de la France mais d'abord à l'initiative de sa propre population.
Q - Merci beaucoup, Jean-Yves Le Drian, d'avoir été en direct avec nous, sur BFM TV.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 août 2020