Texte intégral
CARINE BECARD
"Le Grand entretien" de la matinale consacré au Liban et à sa situation extrêmement chaotique après la double explosion qui a littéralement soufflé la ville de Beyrouth. Emmanuel MACRON est attendu sur place aujourd'hui, quant au dernier bilan il fait état de 113 morts, une centaine de disparus et de 4000 blessés. Pour en parler deux invités, l'écrivain libanais Charif MAJDALANI, rendez-vous avec lui dans une dizaine de minutes, mais accueillons d'abord le secrétaire d'Etat en charge des Français de l'étranger auprès du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves LE DRIAN, bonjour Jean-Baptiste LEMOYNE.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour Carine BECARD.
CARINE BECARD
Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions ce matin. Jean-Baptiste LEMOYNE, quelles sont les urgences et quelles sont les aides que la France a d'ores et déjà fait parvenir au Liban ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, les urgences elles sont naturellement le sauvetage, le déblaiement, ce sont également la santé, l'alimentation, bref, et sur tous ces sujets-là, eh bien l'ensemble de l'appareil d'Etat s'est mobilisé, sous la houlette du président de la République, Jean CASTEX a réuni hier une réunion interministérielle, et donc dès hier ont été acheminés 70 personnels, unités de la Sécurité civile, 20 tonnes de fret, et donc nous allons… ils sont déjà à l'oeuvre, pour une partie d'entre eux, et les autres vont naturellement enclencher aujourd'hui. Plus également un certain nombre de ressources pour être auprès de notre communauté française, parce que vous le savez, 25.000 Français résidents au Liban, 8 sur 10 sont des binationaux, mais donc besoin aussi d'aide psychologique et d'aides très concrètes, très matérielles, parce que je crois qu'on a tous vu ces images, ces images qui sont glaçantes, équivalentes à un séisme, et donc nous sommes là, comme la France a toujours été aux côtés du Liban, et moi je dois dire, je partageais aussi cette émotion en voyant la résilience de ce peuple libanais qui a enduré moult épreuves et qui se tient toujours debout. Vous avez vu, je crois, cette image d'une dame qui, dans son appartement soufflé, continuait à jouer du piano, eh bien voilà. Je crois que nous serons aux côtés des Libanais, c'est le message de solidarité que vient porter le président de la République, et surtout nous agissons très concrètement avec ces différents modules, de sauvetage, de santé, de secours d'urgence. Et puis je veux saluer aussi le grand élan de solidarité des collectivités locales, des Françaises et des Français, à travers également les ONG, et notre centre de crise et de soutien a pu préparer aussi un certain nombre d'actions avec les ONG dès hier, moi j'avoue que j'ai reçu beaucoup aussi de messages d'associations qui disaient « on est prêt, on est là, on part, comment on peut faire », et donc on est là pour les aider et faire en sorte que des aides très concrètes parviennent aux Libanais pour se relever.
CARINE BECARD
Alors la France veut être aux côtés, tout ça va être très long, qu'est-ce qui a été décidé hier, vous en avez parlé de ce Conseil des ministres exceptionnel, qu'est-ce qu'a été décidé très concrètement, quelles vont être les différentes étapes maintenant dans le soutien que devrait apporter la France au Liban ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Le président de la République annoncera, après avoir justement été sur place, l'ensemble des mesures que nous préparons, ce que je peux vous dire c'est que nous avons… les ministres ont pu plancher sur les mesures de génies, de génie civil, militaire, etc., pour essayer d'aider justement à…
CARINE BECARD
A la reconstruction.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
A la reconstruction, au déblaiement, et puis aussi énormément d'autres mesures, la mobilisation de notre délégation à l'aide aux victimes, parce qu'un certain nombre de nos compatriotes, eh bien nous allons devoir les accompagner effectivement dans la durée, parce que cette communauté française elle a déjà payé un lourd tribut, nous avons un des nôtres, l'architecte Jean-Marc BONFILS, qui est décédé, donc son visage c'est aussi, eh bien voilà, le visage de cette France qui est touchée, comme le Liban l'est, et également 24 blessés, dont 3 graves, dont nous allons prendre le plus grand soin. Le consulat, l'ambassade, ont mis en place une cellule de crise, une cellule également téléphonique, parce que, vous savez, alors que les conditions justement de déplacement, alors que les hôpitaux sont très saturés, il est important de pouvoir essayer d'apporter des réponses aux proches, aux familles, je crois que de ce point de vue-là on peut saluer l'action aussi de cette diplomatie française qui est aux côtés et au chevet des Français de l'étranger, ou qu'ils soient dans le monde.
CARINE BECARD
Alors, on va en reparler de cela, j'aimerais quand même qu'on parle aussi d'Emmanuel MACRON qui est en route pour Beyrouth, pour rencontrer l'ensemble des acteurs politiques. Pourquoi est-ce qu'il était si urgent d'aller si vite pour le président français de se rendre au Liban comme ça, quelle urgence il y avait ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, je crois que la France, le Liban, c'est une sorte d'évidence, c'est une histoire partagée, c'est finalement des nations soeurs, et c'est donc, du coup, une évidence que le président de la République, je crois, se rende si vite, et vous savez…
CARINE BECARD
Mais pour adresser quel message, pour dire quoi ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Là, aujourd'hui, on est dans le temps du deuil et dans le temps de la mobilisation de toutes les énergies, donc c'est un message de solidarité, c'est un message aussi d'une solidarité qui s'incarne, parce que, très concrètement, ça prend la forme de femmes et d'hommes, de Français qui, sur le terrain, aujourd'hui, avec leurs chiens, avec leurs techniques NRBC, etc., eh bien apportent des premières réponses d'urgence. Et puis c'est aussi tout simplement le fait que la France elle a toujours été aux côtés du Liban. Regardez, il y a 2 ans, il y avait une grande conférence, la conférence CEDRE, justement pour mobiliser des financements pour relever le pays, eh bien ça s'est passé à Paris, 11 milliards d'euros ont été mobilisés, lorsqu'un groupe international de soutien au Liban se réunit en décembre dernier, c'est à Paris qu'il se réunit, en présence de Jean-Yves LE DRIAN, et donc, eh bien je crois qu'il y a une responsabilité particulière, en tous les cas la France prend à coeur bien le destin de cette nation soeur.
CARINE BECARD
Mais, Jean-Baptiste LEMOYNE, moi je vous parle d'un message. Est-ce que la France, par exemple, est venue dire, aujourd'hui aux responsables libanais, qu'elle était prête à donner de l'argent, à aider, à subventionner, mais à certaines conditions, dans un pays qui, vous le savez comme moi, est réputé pour être gangréné par la corruption, c'est ça le message qui doit passer aujourd'hui ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, vous savez, le message d'exigence et de responsabilité, nous n'avons pas attendu…
CARINE BECARD
Il est déjà passé ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il y a encore 10 jours Jean-Yves LE DRIAN était au Liban, et c'est ce message qu'il a porté en disant « aidez-nous à vous aider », et donc je crois que les choses ont été dites clairement, fortement. Aujourd'hui on est, encore une fois, dans le temps du deuil, dans le temps de la mobilisation de toutes les énergies, et c'est ça qui compte. Il va falloir dans les prochains jours, les prochaines semaines, s'assurer que l'élan, y compris de la communauté internationale, de l'Union européenne, eh bien se traduise très concrètement, c'est ça aussi, je crois, notre devoir, faire en sorte que…
CARINE BECARD
Mais là, est-ce qu'il y a une opportunité en fait, j'ai envie dire, est-ce qu'il y a une opportunité de dire aux Libanais cette fois-ci vraiment, réformez-vous, économiquement, politiquement, pour qu'on puisse avancer ensemble ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, ce message, nous n'avons cessé de le porter, et il continuera à être porté, ce qui est sûr c'est qu'il y a en tous les cas, aujourd'hui, une croisée des chemins, et nous espérons naturellement que c'est le chemin du relèvement qui sera pris par l'ensemble du Liban, parce que nous sommes dans un Moyen-Orient qui est complexe, vous le savez, et il y a ce modèle libanais, qui longtemps a fait des miracles, ensuite a été très éprouvé, eh bien aujourd'hui nous savons que le peuple libanais il a en lui la force, l'énergie, pour pouvoir reprendre un chemin d'espérance pour chacun de ses enfants.
CARINE BECARD
Jean-Baptiste LEMOYNE, vous l'esquissiez tout à l'heure, comment vont les 25.000 Français qui vivent expatriés au Liban, on parle de 21 blessés, c'est le bilan que vous avez également ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Dans le dernier de point de situation qui est fait nous avons 24 blessés, 3 graves. C'est une communauté qui est choquée, à travers tous les messages qui affluent, les boucles WhatsApp des Français de l'étranger qui me sont rapportées, mais, en même temps, une communauté où il y a énormément d'entraide, et cette entraide c'est vrai qu'elle a pu être mise en oeuvre déjà dans les années passées avec des événements souvent, comment dire, qui ont pu être difficiles pour cette communauté, et je veux dire que nous sommes à leurs côtés, à travers naturellement un certain nombre d'actions sociales, mais également aux côtés de cette francophonie et de cet enseignement français au Liban, parce que, il faut le savoir, la francophonie elle s'incarne pleinement, c'est 600.000 élèves sur 900.000 là-bas qui justement étudient en français, nous avons plus d'une cinquantaine d'établissements, 60.000 élèves scolarisés dans l'enseignement français à l'étranger, avec donc un plan d'action qui a été mise en place, de 15 millions d'euros, pour être aux côtés des familles, être aux côtés des établissements et pouvoir repartir de l'avant, dans un contexte qui est très compliqué, mais…
CARINE BECARD
Est-ce que certains Français expatriés au Liban demandent à rentrer, vous ont sollicité pour cela ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
A ce stade, vous savez, je crois que tout le monde est sous le choc, et les Français ils sont avant tout, comme tous les autres résidents au Liban, en train d'évaluer la situation, de regarder comment se trouve leur appartement. Près de 6000 Français étaient dans le rayon de 5 kilomètres de la zone d'impact de cette catastrophe, et donc je crois que tout le monde est à parer à l'urgence, on est là, vraiment, dans ce temps-là, et puis naturellement on aura un accompagnement dans la durée. Le message il est très clair : chaque Français, ou qu'il soit dans le monde, eh bien il a l'attention du gouvernement, il a l'attention de l'Etat français, nous accompagnerons dans la durée.
CARINE BECARD
Un mot encore Jean-Baptiste LEMOYNE sur la justice française qui a ouvert une enquête sur ce qui s'est passé au Liban, c'est ce qui explique notamment que Eric DUPOND-MORETTI, le ministre de la Justice, était hier au Conseil des ministres extraordinaire. Pourquoi est-ce qu'il fallait que la France ouvre une enquête sur ce qui s'est passé au Liban mardi soir ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Dès lors que des blessés Français ont été pris dans cette catastrophe…
CARINE BECARD
Donc c'est une procédure classique.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est une procédure qui se justifie tout à fait.
CARINE BECARD
D'accord. Dernière question Jean-Baptiste LEMOYNE. S'il n'y avait pas eu, sincèrement, cette double explosion, s'il n'y avait pas eu cette catastrophe, combien de temps aurait mis la France pour venir en aide économiquement au Liban ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, la France, encore une fois, depuis plusieurs années, elle vient en aide…
CARINE BECARD
Elle est à ses côtés, mais…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais attendez, mais c'est très concret…
CARINE BECARD
Du sonnant et du trébuchant c'était pour quand ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Du sonnant et du trébuchant, en 2018, eh bien nous avons mis 550 millions d'euros sur la table, de subventions et de prêts, dans le cadre de la conférence CEDRE. En 2020 c'est 50 millions d'euros qui ont été dédiés justement à l'action humanitaire au Liban. Donc, tout cela c'est du concret et c'est mis en oeuvre justement par tous nos services diplomatiques sur le terrain, avec les ONG. Je peux vous dire que les Libanais savent combien nous les aidons. Et puis au-delà de l'action de l'Etat il y a le monde associatif, il y a les collectivités locales, compte tenu de ces liens très forts, l'élan il est là, et à travers finalement vos antennes, eh bien j'appelle à ce qu'on puisse l'amplifier et que chacune et chacun se sente concerné par ce qui se passe aujourd'hui là-bas.
CARINE BECARD
Merci Jean-Baptiste LEMOYNE d'avoir été l'invité de la matinale de la France Inter, merci infiniment.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 août 2020