Interview de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à France Bleu Occitanie le 14 août 2020, sur l'agriculture confrontée à la sécheresse.

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Média : France Bleu

Texte intégral

SANDRINE MORIN
Bonjour Julien DENORMANDIE.

JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.

SANDRINE MORIN
Alors, 40 % de pertes en moyenne dans les exploitations agricoles du département, 70 % par endroits, est-ce que vous venez avec des solutions pour les agriculteurs, parce que les mois qui viennent vont être durs et je peux dire qu'ils vous attendent de pied ferme ?

JULIEN DENORMANDIE
Très clairement la sécheresse aujourd'hui c'est une réalité qui se répète année après année, avec des étés encore plus difficiles pour nos agriculteurs, et donc il faut des solutions de court terme, de très court terme, ce sont d'abord des solutions agronomiques, je ne rentre pas dans le détail, mais c'est pouvoir utiliser des jachères qu'on n'a pas le droit d'utiliser sinon, décaler un certain nombre de semis qui nous sont imposés. Et puis ce sont des décisions également financières, très clairement, pour aider à la trésorerie des agriculteurs, c'est ça qui est important. Alors, il y a différents mécanismes, là aussi, je vous en donne un. Dans quelques semaines on va procéder à l'avance des paiements de la Politique Agricole Commune, eh ben cette année on va maximiser ces avances de paiements pour aider à la trésorerie de nos agriculteurs. Et puis il y aura aussi certains territoires qui seront déclarés en calamité agricole, avec, là encore, d'autres solutions financières qui seront mises en place. Mais c'est très important d'avoir ces mesures de court terme, et au-delà de ces mesures de court terme il faut aussi préparer l'avenir et avoir des mesures de long terme.

SANDRINE MORIN
Justement, vous le disiez, les sécheresses vont se multiplier, est-ce que ça vaut vraiment le coup de continuer, par exemple, à faire des aides de trésorerie comme ça, est-ce qu'il ne faut pas aller un peu plus loin, qu'est-ce que vous faites pour qu'on aille plus loin justement, le long terme, pour que, pour une fois, les rendements ne soient pas touchés dans quelques années ?

JULIEN DENORMANDIE
C'est tout l'objectif. Vous savez, quand vous êtes ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, et quand, comme vous, vous êtes ingénieur agronome, quand vous vivez de ce beau métier de l'agriculture, il y a quelque chose qui est fondamental, c'est le temps. D'abord parce que l'agriculture elle dépend du temps, évidemment, le temps qu'il fait, mais parce qu'il faut s'inscrire dans le long terme.

SANDRINE MORIN
Mais on le sait depuis des années que les sécheresses… on a compris ça, ce temps-là… il est temps d'aller vite peut-être.

JULIEN DENORMANDIE
Oui, et là on a une opportunité très importante qui est le plan de relance, qu'on va annoncer dans les tous prochains jours avec le Premier ministre, et dans ce plan de relance, je vous l'annonce, je vous le dis clairement, il y aura une part significative pour adapter nos exploitations agricoles, que ce soit les cultures ou que ce soit l'élevage, aux effets du changement climatique, et c'est des choses très concrètes. Par exemple, lutter contre la grêle des orages, on a des techniques aujourd'hui qui existent, par exemple améliorer les bâtiments des élevages pour plus de ventilation, pour une meilleure utilisation de ces bâtiments, on a les techniques et on va pouvoir accompagner à leur financement dans le cadre du plan de relance. Egalement la gestion des ressources, et notamment la gestion de l'eau, qui est très importante, et là aussi on va accompagner dans le plan de relance.

SANDRINE MORIN
Pour beaucoup d'agriculteurs, ici en Haute-Garonne, la solution contre la sécheresse ce sont les retenues d'eau, les lacs. Alors, clairement, vous, vous êtes pour ou vous êtes contre ces retenues d'eau ?

JULIEN DENORMANDIE
Moi je suis pour, je le dis clairement, je suis pour ces retenues d'eau, et je pense qu'en revanche ces sujets autour des retenues d'eau ils impliquent d'avoir beaucoup de consultations. Pourquoi ? Parce qu'il y a toujours des conflits d'usage autour de l'eau, c'est vieux comme le monde, c'est quelque chose qu'on observe, et parfois il y a des tensions très fortes autour de cet usage de l'eau. Donc moi je le dis très clairement, je suis pour ces retenues d'eau, avec la ministre de la transition écologique on travaille d'ailleurs pour voir comment on peut rendre plus rapide la construction de ces retenues, parce qu'aujourd'hui ça met jusqu'à 8 à 10 ans, c'est anormal, et donc on va prendre des mesures pour simplifier cela, mais il faut faire tout cela dans la consultation, la concertation…

SANDRINE MORIN
La consultation, la concertation, on est ici en Haute-Garonne, à quelques kilomètres du Tarn, à quelques kilomètres de Sivens, ça fait 15 ans, 20 ans, 30 ans, qu'on consulte autour de Sivens…

JULIEN DENORMANDIE
Non, vous savez, il y a des sujets sur la consultation, là où je ne suis pas d'accord avec vous, il y a des sujets sur la consultation, on sait qu'il y a des points de blocage très clairs. Si on rentre dans le détail, c'est par exemple sur l'utilisation des débits d'eau en fonction des usages, eh bien là on a créé des cadres, ça fait 1,5 an qu'on a créé un certain nombre de cadres, pour pouvoir justement mettre tout le monde autour de la table et dire concrètement comment on construit un projet en commun, parce que c'est dans l'intérêt de tous de pouvoir à la fois préserver l'environnement, mais enfin aussi de produire de l'alimentation et de se nourrir, c'est quand même du bon sens. C'est aussi une part de bon sens de se dire on va collecter de l'eau de l'hiver pour pouvoir l'utiliser l'été, à condition, évidemment, que cela ne vienne pas grever les nappes phréatiques et toute autre utilisation de l'eau, mais c'est aussi, là, des mesures de bon sens. Eh bien face à ce constat, qu'est-ce qu'on fait ? on fait de la concertation et on fait de la simplification, parce que quand vous mettez 10 ans à faire un projet, eh bien là la concertation elle a encore plus de mal à se faire en réalité, parce que tout le monde se crispe et puis parce qu'on laisse partir sur des temporalités beaucoup trop longues. Donc c'est ça, moi, je suis pour, mais concertation et simplification.

SANDRINE MORIN
En quelques mots, pour finir. Le maïs, est-ce qu'on continue ou est-ce qu'on jour on se dit que c'est une culture qui n'est plus adaptée à notre territoire et aux sécheresses qu'elle rencontre ? Est-ce qu'un jour on peut dire stop au maïs en France ?

JULIEN DENORMANDIE
Mais aujourd'hui on a besoin du maïs ! Vous savez, il y a une sorte de cohabitation des contraires dans tout ce qu'on fait. Aujourd'hui on a besoin du maïs pour notre alimentation, l'alimentation du bétail, et le bilan écologique, quand vous allez aller importer d'autres cultures, type du maïs, de pays qui viennent de très très loin, qui n'ont d'ailleurs pas du tout les mêmes protections environnementales que nous, eh bien il est comment dans ce cas-là le bilan écologique ? Donc là aussi il faut avoir de la rationalité dans tout ce qu'on fait. L'agronomie c'est quelque chose de rationnel, ça a une finalité qui est extrêmement noble, c'est nourrir les êtres vivants, les hommes et les animaux. Il faut le faire dans la protection de l'environnement, mais les agriculteurs, les éleveurs, les agronomes, depuis toujours ils vivent avec ce souci de l'environnement, puisque c'est ce grâce à quoi ils vivent, c'est grâce à ça. Et donc, il faut accompagner, accompagner les transitions, mais il faut le faire avec aucun dogmatisme. On n'arrête pas une culture du jour au lendemain, ce n'est pas vrai, on ne construit pas un barrage du jour au lendemain, ce n'est pas vrai, on fait tout ça avec de la concertation, mais aussi de la simplification, pour laisser vivre nos agriculteurs et nos éleveurs.

SANDRINE MORIN
Merci beaucoup Julien DENORMANDIE. Je rappelle donc que vous venez constater les dégâts de la sécheresse ce matin en Haute-Garonne, et je rappelle que vous êtes ministre de l'Agriculture.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 août 2020