Interview de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre chargée de la mémoire et des anciens combattants, à Europe 1 le 17 août 2020, sur les anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale originaires d'Afrique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SEBASTIEN KREBS
Bonjour Geneviève DARRIEUSSECQ.

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Bonjour.

SEBASTIEN KREBS
Merci d'être en direct sur Europe 1 ce matin. Emmanuel MACRON va participer aujourd'hui aux commémorations du débarquement en Provence, à Bormes-les-Mimosas, tout près de Brégançon, 76e anniversaire de ce débarquement, qui libéra le Sud de la France en 44 et auquel ont participé de nombreux bataillons venus d'Afrique. C'est l'occasion, peut-être cette année encore plus, après tous ces débats mémoriels, de mettre la lumière sur ces tirailleurs venus des colonies ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Je crois que oui. L'an dernier déjà, lors des commémorations du 75e anniversaire à Boulouris, où nous avions organisé une cérémonie nationale, le président de la République a eu l'occasion de parler de façon forte de cette armée dite "armée d'Afrique", qui a permis la libération de la France par ce débarquement de Provence, et il avait appelé les maires de France à dénommer des rues, des places, des lieux publics, aux noms de ces combattants africains, et je crois que tout cela est de plus en plus d'actualité. Nous devons connaître notre Histoire, nous devons savoir que les armées françaises ont été diverses, que beaucoup de combattants venus d'Afrique subsaharienne et d'Afrique du Nord ont participé aux combats pour la libération de la France, et je crois que nous devons les honorer, de façon claire, en nommant des lieux publics, afin de rappeler à tous les Français l'origine, un petit peu, de la liberté que nous avons actuellement et du fait que notre République et notre démocratie sont des biens précieux.

SEBASTIEN KREBS
Et à l'occasion de ce discours, que vous citez, discours d'Emmanuel MACRON l'année dernière, le président de la République appelait à se réconcilier autour de la mémoire en France, ce n'est pas vraiment ce qui s'est passé cette année puisqu'on a vu tous ces appels à déboulonner des statues, ces actes aussi de vandalisme, y compris jusque devant l'Assemblée nationale sur la statue de Colbert, tout cela dans le sillage du mouvement aux Etats-Unis bien sûr. Pour vous, déboulonner une statue, ça veut dire quoi, ce serait une façon de réécrire l'Histoire ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
L'Histoire il faut la regarder comme elle est, l'Histoire on ne la refait pas, on ne la réécrit pas, il faut la connaître, et il faut connaître son évolution. Et l'Histoire de France elle a eu une évolution tout à fait intéressante à connaître et à suivre, et on peut voir là que, oui, il y a eu, certes, le certes, le colonialisme, puisque c'était ça un petit peu l'affaire, à cette époque… enfin, de déboulonnage, c'était le fond un petit peu de cette envie de déboulonner, mais je crois aussi, bien qu'il y a eu tout simplement le décolonianisme, qu'il y a eu également l'intervention de ces combattants africains qui a été tout à fait importante pour que notre pays retrouve sa liberté, tout cela doit être connu des Français, et au lieu de déboulonner, nommons des rues, faisons de nos espaces publics de véritables parcours mémoriels afin que les Français appréhendent mieux leur Histoire.

SEBASTIEN KREBS
Mais par exemple, certains politiques, je cite par exemple Jean-Marc AYRAULT, qui préside aujourd'hui la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, lui demande à débaptiser une salle de l'Assemblée nationale, qui s'appelle « la salle Colbert », parce que Colbert fut un acteur de l'esclavage.

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Oui, mais pour moi c'est une erreur tout cela. Colbert, effectivement, il y a ce pan de ce personnage, il y en a eu d'autres, bien d'autres pans qui étaient importants pour notre pays également, je crois qu'il faut présenter Colbert avec toutes ses facettes, et il faut présenter également les combattants venus d'Afrique, subsaharienne par exemple, avec tout leur courage et toute la passion qu'ils ont mise à défendre la France. Donc, tout cela doit participer à la cohésion nationale, tout cela doit participer à faire en sorte que nous fassions nation, notre pays, notre République elle est une et indivisible, et notre Histoire le prouve, et notre Histoire doit être un support pour notre société afin d'éviter justement, et le communautarisme, et le séparatisme, qui n'ont rien à faire en France.

SEBASTIEN KREBS
Alors, vous appelez à nommer des rues à l'image et aux noms de certains soldats venus d'Afrique, et vous avez remis aux maires une liste de 100 anciens combattants, que vous avez sélectionnés, et qui pourront éventuellement être affectés à des rues. Est-ce que cela a déjà produit des effets, est-ce que des rues vont déjà être baptisées ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Alors, j'ai moi-même participé à l'inauguration, à Bandol, en janvier dernier, à l'inauguration d'une place, parce que le maire avait souhaité nommer une place aux noms de libérateurs africains, il y a eu entre temps, bien entendu, les élections municipales qui ont un peu ralenti tout ce processus, mais afin que les maires puissent être aidés dans leur réflexion j'ai souhaité effectivement que nous puissions leur remettre un petit livret où 100 noms, avec des biographies très complètes, ont été mis à leur disposition, sachant que s'ils souhaitent dénommer un lieu public avec un autre nom, s'ils avaient identifié un autre combattant, nous ferions bien sûr toutes les recherches biographiques, et nous sommes à leur service, avec l'Office national des anciens combattants et le Service historique de la Défense, pour étayer leur réflexion.

SEBASTIEN KREBS
Vous sentez encore des réticences, ça peut être difficile à assumer politiquement de faire ce geste de nommer une rue avec le nom d'un combattant d'Afrique ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Ecoutez, moi je souhaite que non en tout cas. Je pense que, des réticences politiques, je ne vois pas pourquoi puisque nous pouvons honorer ces combattants qui ont été quand même des ardents défenseurs de notre mode républicain, je rappelle que certains d'entre eux sont Compagnons de la Libération, ce n'est pas rien quand même, ce sont donc des héros, des héros de la France, ce sont des héros nationaux, et je crois que nous pouvons les honorer, comme nous honorons tous nos héros.

SEBASTIEN KREBS
Apaiser le climat autour de la mémoire en France, ça passe aussi par l'éducation, enseigner l'Histoire ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
C'est évident. Alors, l'éducation…

SEBASTIEN KREBS
Qu'est-ce qu'il faut revoir aujourd'hui pour apaiser les consciences ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Je travaille beaucoup avec l'Education nationale, bien sûr, et nous travaillons beaucoup avec l'Education nationale et les enseignants, les enseignants sont des pivots importants, pour nous, de transmission, afin de nous aider à développer des actions mémorielles dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées. La mémoire et l'Histoire, l'Histoire ce sont souvent des faits très précis, des dates, et la mémoire vient travailler un peu plus en profondeur autour d'un fait ou de personnages spécifiques qui apportent un petit peu, peut-être, d'humanité, si vous voulez, à ces faits historiques, et quand je vois des jeunes travaillant sur des sujets mémoriels, ils approfondissent la vie d'un soldat ou ils approfondissent une situation particulière, eh bien, immédiatement leur intérêt est très fort. Donc je crois qu'il faut amplifier ce travail mémoriel, avec l'Education nationale, dans nos établissements scolaires, et je sais que le ministre de l'Education nationale est très intéressé par tous ces sujets, et donc nous travaillerons à multiplier ces actions. Autre action que j'ai souhaité mettre en oeuvre, afin de diversifier un petit peu les supports, c'est bien sûr se servir, très simplement, de l'outil Internet, et par exemple pour cette année où nous commémorons l'année 40, j'ai souhaité mettre en oeuvre des petites vidéos afin de… des espèces d'épisodes, en 10 épisodes, de l'année 40, afin de pouvoir…

SEBASTIEN KREBS
L'éducation est évidemment centrale Geneviève DARRIEUSSECQ. Pourquoi l'apaisement n'est jamais venu sur ces questions autour de la colonisation, le débat est encore extrêmement sensible, on n'arrive pas, en France, à regarder les choses de façon équilibrée, à regarder les choses en face ?

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Je pense quand même que, progressivement, plus nous nous éloignons des sujets et plus les générations, les jeunes générations, s'éloignent un petit peu du sujet, dans le temps j'entends, plus il me semble que nous pourrons avoir un débat apaisé. En tous les cas mon but, dans cette politique mémorielle, est de faire en sorte de montrer, voilà, que l'on parle de l'Histoire telle qu'elle s'est passée, avec humilité, mais également avec vérité, et…

SEBASTIEN KREBS
Sans occulter les aspects négatifs.

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Sans occulter les aspects négatifs, qu'il faut reconnaître, et en montrant aussi…

SEBASTIEN KREBS
Et sans tomber dans une forme de repentance non plus, qui est très souvent critiquée.

GENEVIEVE DARRIEUSSECQ
Non plus. Nous ne pouvons pas, nos générations ne se sentent pas directement responsables de la colonisation par exemple, les plus jeunes générations actuellement, donc je crois qu'il faut en parler, avec distance, mais vérité, en prenant un petit peu de hauteur, sans repentance excessive, en regardant toutes les facettes, les facettes positives, les facettes négatives, et en respectant surtout chacun actuellement, puisque notre société française elle est aussi issue de cette Histoire et chacun doit connaître cette Histoire, la respecter et faire en sorte que nos valeurs républicaines soient au centre de ces débats, c'est ce qui me paraît le plus important.

SEBASTIEN KREBS
Merci beaucoup Geneviève DARRIEUSSECQ, regarder notre Histoire avec distance et vérité dites-vous, merci, ministre déléguée en charge de la mémoire et des anciens combattants, merci d'avoir été avec nous en direct ce matin sur Europe 1.


source : Service d'information du Gouvernement, le 18 août 2020