Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à BFM Business le 31 août 2020, sur la politique industrielle et le plan de relance.

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Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est la ministre déléguée chargée de l'Industrie qui est mon invitée. Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour. Une ministre cas contact, et donc une ministre confinée. Expliquez-moi ce qui vous arrive.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien j'ai déjeuné il y a une petite dizaine de jours avec quelqu'un qui s'est révélé être Covid positif, donc depuis qu'il m'a informée de cette situation, je suis cas contact. Cas contact, ça veut dire que vous êtes isolé pendant 14 jours. J'ai fait un test au bout de 7 jours, puisqu'il faut pouvoir informer d'éventuels cas contact qui seraient, si j'étais positive. Il est négatif, mon test, je n'ai pas de symptômes, donc dans 4 jours environ je pourrai revenir à des activités sociales plus classiques.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça veut dire que…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout va bien, mais ça veut dire que pour empêcher la diffusion du virus, il faut continuer effectivement à être très vigilant et casser la chaine de transmission, et je m'y emploie à mon niveau.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça veut dire que vous serez privée de présentation du plan de relance, qu'on va appeler « France relance », jeudi ? Il faudra attendre vendredi pour vous voir en public ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, mais je ne suis pas inquiète, puisqu'avec tous les moyens modernes de diffusion de téléphonie, vous voyez, on peut se parler, je peux continuer à être complètement investie dans la préparation du plan de relance, aux côtés de Bruno LE MAIRE et du Premier ministre. Donc je peux vous assurer que l'activité de mon cabinet et de mon ministère est très active.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais on va en parler largement du plan de relance, avec vous. D'abord une question, puisqu'on est à J-1 d'une rentrée masquée pour les entreprises en France, on n'est pas complètement au clair encore sur le protocole sanitaire, est-ce que le gouvernement va le publier aujourd'hui pour connaître tous les cas dérogatoires, toutes les exceptions, pour que certaines entreprises puissent travailler le plus efficacement possible ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, sur le protocole pour les entreprises, vous avez une ligne qui est très claire, c'est le port du masque, dès lors qu'on est à l'intérieur, et plusieurs par bureaux, et ensuite c'est au niveau de chaque entreprise et en fonction des spécificités de l'entreprise, par exemple de combien de personnes sont dans le même bureau, de la nature de la ventilation ou de l'extraction de l'air, de la nature des activités, qu'il y aura des dérogations. Mais c'est des dérogations qui sont au cas par cas, il n'y a pas d'ambiguïté sur la règle du jeu qui est applicable, c'est que dès lors qu'on est plusieurs et que la pièce est fermée, il faut porter le masque et respecter les gestes barrières, c'est la meilleure protection pour ne pas diffuser le virus.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous êtes une ministre de l'Industrie, j'imagine comblée, parce que ce plan de relance c'est un plan qui va être à destination de l'offre, de l'investissement, peut-être on l'espère du made in France. Beaucoup de moyens, les 10 milliards d'euros de baisse des impôts de production, mais vous savez on est toujours un peu frustré, on n'est jamais content, est-ce que ça suffira ? Qu'est-ce qu'il faut faire d'autres pour qu'effectivement il y ait un vrai mouvement de relocalisation en Europe et en France. On sait qu'on est à 10 % du PIB pour le secteur industriel aujourd'hui, on a reçu l'UIMM la semaine dernière, qui nous disait le risque de détruire 500 000 emplois dans l'industrie. Comment on fait pour éviter ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Avec Bruno LE MAIRE, ce que nous avons voulu construire pour le plan de relance, c'est un plan qui permette de transformer notre économie, c'est-à-dire il ne s'agit pas seulement de venir au secours des entreprises, il s'agit de passer un cap et de permettre à notre économie d'être plus compétitive. Comment on fait ça ? On fait ça d'abord en baissant les impôts de production, pour retrouver des conditions de compétition qui se rapprochent de celles de nos pays voisins, l'Allemagne pour ne pas la citer, qui a sept cette fois moins d'impôts de production pour les entreprises. La deuxième chose c'est d'accompagner la transformation des entreprises, on les modernise, on va subventionner la modernisation des investissements dans les entreprises. On va subventionner la décarbonation, parce que c'est une façon à la fois de faire du bien au climat, mais également de faire du bien à la compétitivité des entreprises, de leur permettre d'avoir des offres attractives sur le marché mondial. Et puis on va avoir une démarche spécifique pour les relocalisations. J'ai aujourd'hui une enveloppe de plus d'un milliard pour l'année 2020, pour accompagner ces différentes transitions, et spécifiquement pour les relocalisations, je peux vous annoncer aujourd'hui que BPI accueille sur son portail tous les projets de relocalisations que peuvent proposer les entreprises, et elle les instruira dans les prochains jours, dans cinq secteurs : l'agroalimentaire, la santé, l'électronique, les intrants critiques pour l'industrie, c'est-à-dire par exemple des matières chimiques, des principes actifs, et tout ce qui dépend des techniques industrielles autour du mobile, de la 5G, des objets connectés. Donc vous voyez, on est très actif.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça veut dire concrètement, Agnès PANNIER-RUNACHER, ça veut dire concrètement que si on est une entreprise, on a un projet dans un de ces cinq domaines, on va sur le site de BPI, on répond à un appel d'offres en quelque sorte, et on peut du coup décrocher une subvention à la relocalisation, il faut appeler un chat, un chat.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est exactement ça, c'est : si vous avez un projet de localisation, de relocalisation, par exemple vous êtes capable de réinternaliser une partie de l'activité de vos sous-traitants étrangers dans votre usine, eh bien il faut investir pour cela, il faut ajouter une ligne de production, alors vous pouvez déposer un projet, dès lors qu'il est dans un de ces cinq secteurs. Nous avons diffusé le cahier des charges au mois d'août, pour permettre aux entreprises de se préparer, et moi jeudi aux entrepreneurs d'aller effectivement sur le site du ministère de l'Economie, sur le site de la BPI, pour prendre connaissance de ces dispositifs, parce que l'urgence aujourd'hui c'est la rapidité d'exécution, c'est l'agilité. Nous nous sommes dotés de tous les moyens, et pour répondre à votre question : comment faire en sorte que l'industrie recrée ou ne soit pas trop fortement impactée par la crise, eh bien c'est justement d'être dans le mouvement, d'être dans l'investissement, dans le futur. Nous avons les moyens, nous avons les outils, aux entreprises de s'en saisir, nous devons marcher main dans la main dans les prochaines semaines pour inverser la tendance.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est évidemment clé d'investir dans justement les secteurs d'avenir. Tout à l'heure j'avais comme invité Laurent BIGORGNE, le directeur Institut Montaigne, qui vous le savez, en général à l'oreille du président de la République, il me disait : on ne va peut-être pas assez vite sur certains secteurs stratégiques, par exemple l'hybride, il nous rappelait que les Allemands avaient mis... le gouvernement allemand avait mis 9 milliards d'euros sur la table pour aider les industriels. Est-ce qu'on en fait autant ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense que vous parlez de l'hydrogène.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
L'hydrogène, pardon. L'hydrogène, l'hydrogène.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui. Sur l'hydrogène, nous allons effectivement annoncer dans les prochains jours, un plan sur l'hydrogène, et de ce plan il va viser à développer des capacités de production industrielle. Aujourd'hui en France nous avons beaucoup de composants dans la production de l'hydrogène, mais ce sont souvent des entreprises de taille modeste, et la chaîne de production n'est pas complètement structuré…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est ça.

AGNES PANNIER-RUNACHER
A la différence de l'Allemagne. L'enjeu n'est pas d'équiper en infrastructures, d'hydrogène, parce que si on allait dans cette direction, on achèterait des solutions étrangères, et finalement certes on répondrait au défi climatique, mais pas au défi industriel. Nous, notre enjeu c'est de renforcer et d'accélérer nos défis, la structuration de l'industrie hydrogène en France. On a démarré, on a déjà deux projets hydrogène qui sont financés en recherche et développement dans le cadre du plan automobile, donc vous voyez, nous ne restons pas non plus inactifs sur ce sujet-là.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on parle de l'hydrogène, on va parler aussi de l'électrique pour l'automobile, avec une autre interpellation, un autre invité, c'était Jean-Philippe IMPARATO, le directeur général de PEUGEOT, qui était notre invité tout à l'heure, il m'a dit : "Dites à la ministre : on ne veut plus de prime, mais on veut des prises, on veut des prises électriques, parce qu'on voit un basculement complet des consommateurs vers le véhicule électrique, mais les infrastructures ne sont pas encore là".

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, déjà je crois qu'il faut souligner que c'est les primes qui ont permis de faire basculer le marché et de le faire basculer dans un sens et dans un mode d'accélération qui est du jamais vu en France. Donc nous sommes en train de réussir le pari que nous avions formulé, de transformer notre flotte automobile et de faire préférer l'électrique aux Français, et c'est une très bonne nouvelle, et ces primes elles sont essentielles pour que beaucoup de Français aient accès à des véhicules qui sont plus chers que les véhicules thermiques. Ça c'est le premier point.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous allez continuer les primes ? Parce qu'on va arriver à l'épuisement des 200 000, vous allez les proroger ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous allons probablement les proroger, mais en étant encore plus exigeants sur le contenu environnemental. C'est une dimension qui est importante, c'est-à-dire il faut amorcer le marché et il faut ensuite essayer de resserrer de plus en plus vers un contenu environnemental renforcé.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et les prises ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur les prises, c'est un sujet très important, on en a aujourd'hui 24 000 et Jean-Baptiste DJEBBARI avait été très clair dès le mois de mai, en disant que notre objectif était d'en avoir 100 000, 100 000 à l'horizon 2022, objectif qu'il souhaitait encore accélérer de façon à pouvoir développer l'industrie électrique, enfin du véhicule électrique, avec l'appui des infrastructures électriques. Donc vous voyez, c'est aussi un sujet sur lequel nous avons des financements, et l'enjeu est aujourd'hui d'exécution, c'est-à-dire d'aller suffisamment vite avec les équipes sur le terrain, pour mettre en place ces bornes de recharge, en particulier sur les autoroutes.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
J'ai une dernière question : est-ce que quand on est au gouvernement, on n'est pas tenté de freiner les restructurations, d'empêcher ce qu'on appelle les destructions créatrices, par exemple regardez, Smartville, l'usine de la SMART, à Hambach, vous avez plaidé pour que le repreneur s'engage à davantage de reprise d'emploi et pour que MERCEDES reporte de 2 ans la fermeture de son site, est-ce que c'est le rôle de l'Etat de freiner un peu des restructurations qui parfois sont nécessaires ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne suis pas sûre que sur Hambach les restructurations soient nécessaires. En réalité c'est une usine qui est extrêmement moderne, avec 1 600 salariés, salariés de DAIMLER ou salariés de leurs sous-traitants, de ses sous-traitants, et dont les qualités de compétitivité sont reconnues. Donc là on ne peut pas être dans l'évitement…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça vous le savez mieux, ça que l'actionnaire allemand.

AGNES PANNIER-RUNACHER
On doit se battre pour ce site qui a toutes les compétences et qui a toutes les qualités pour rester dans la course mondiale. Et pour le faire, effectivement nous sommes à la manoeuvre, je suis à la manoeuvre, j'ai reçu à plusieurs reprises le patron du d'INEOS, le patron de DAIMLER…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Le repreneur, oui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous essayons de leur faire construire un plan qui permette de maintenir l'empreinte industrielle, parce que lorsque vous avez une fermeture, il est beaucoup plus difficile de revenir et de recréer de l'emploi industriel, que lorsque vous accompagnez une reprise. Et on l'a vu, des reprises réussies, c'est des rebonds. Il y a 2 ans, lorsqu'on est intervenus avec Bruno LE MAIRE sur ASCOVAL, tout le monde nous prenait pour des fous en disant qu'on ne serait pas capable de le faire. Aujourd'hui l'entreprise poursuit son activité, elle s'est diversifiée, elle est en train de fabriquer les rails de la SNCF, elle est une des rares aciéries électriques européennes, c'est-à-dire qu'elle a une empreinte carbone qui est beaucoup moins polluante que ses concurrentes, et tout le monde se félicite de cette situation. Eh bien c'est ça la politique industrielle, c'est être déterminé, c'est de faire preuve d'un volontarisme politique qui ne soit pas dans le déni de l'économie de marché, mais au contraire, qui tienne compte de l'économie de marché et qui cherche à renforcer notre compétitivité, de manière intelligente.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous n'avez donc pas renoncé à l'Etat stratège, Agnès PANNIER-RUNACHER. Merci beaucoup d'avoir été notre invitée dans Good Morning Business.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 septembre 2020