Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à France 2 le 14 septembre 2020, sur la politique économique du gouvernement

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Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
La Banque de France va donner ce matin les chiffres de la croissance : est-ce que l'économie française tient mieux que vous l'aviez prévu ?

BRUNO LE MAIRE
L'économie française se redresse progressivement. Alors, elle vient de loin, parce que le choc économique a été d'une brutalité qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire contemporaine, mais je pense que nous sommes dans la bonne direction, et nous pourrons dans les prochains jours, réviser le chiffre de récession que j'avais annoncé à - 11%, ça restera un chiffre élevé, mais ce sera mieux que - 11%.

CAROLINE ROUX
On l'a vu à l'instant, Israël reconfine pour 3 semaines. Ce scénario en France est exclu pour des raisons économiques ?

BRUNO LE MAIRE
C'est un scénario que je ne veux pas envisager comme ministre de l'Economie, parce qu'on voit bien le coût que ça a pour nos entreprises, pour les commerçants et puis pour nous tous, donc tout cela dépend de nous…

CAROLINE ROUX
C'est le choix qu'a fait Israël.

BRUNO LE MAIRE
Mais tout cela dépend de nous, Caroline ROUX, du respect des gestes barrières, du port du masque, de notre comportement responsable. Et ce qui est en jeu, c'est notre santé évidemment, celle de nos proches, et puis c'est aussi la santé de notre économie.

CAROLINE ROUX
Tout ça dépend aussi un peu de vous, c'est-à-dire du gouvernement, ou est-ce que la stratégie a totalement changé, et on dit aux Français : "vous êtes responsables", après avoir infantilisé – comme l'ont reproché certains – les Français ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je pense que c'est toujours bien de parier sur la responsabilité des Français. Le gouvernement prend lui aussi ses responsabilités, donne des instructions, il donne des indications, il fixe des recommandations, mais ça dépend de nous, nous sommes un peuple libre, nous sommes un peuple adulte, il faut donc compter sur la responsabilité des Français.

CAROLINE ROUX
Je le disais, ce matin vous serez aux côtés du Premier ministre pour le Conseil national de l'industrie. Vous avez annoncé la baisse des impôts de production, est-ce que vous accorderez ces baisses d'impôts aux entreprises qui profitent de la crise du Covid pour supprimer des emplois, certaines entreprises que vous avez par ailleurs dénoncées, je pense GE, et vous avez parlé d'effets d'aubaine.

BRUNO LE MAIRE
Donc, on baisse les impôts de production, tout simplement parce qu'ils pénalisent notre industrie. Il faut que nous sachions ce que nous voulons. Nous, nous savons ce que nous voulons avec le Premier ministre et le président de la République, nous voulons des relocalisations industrielles en France, nous voulons de nouvelles lignes de production, nous voulons que des nouvelles technologies à forte valeur ajoutée, comme les batteries électriques soient produites en France, et pas en Chine. Pour ça, il ne faut pas se mettre des boulets aux pieds, et les impôts de production, c'est des boulets aux pieds de l'industrie française depuis des années.

CAROLINE ROUX
C'est un boulet au pied de poser des conditions ?

BRUNO LE MAIRE
C'est possible de poser, de demander des contreparties, pas des conditions. Les conditions c'est quoi ? C'est dire : tant que vous ne faites pas ça, je ne vous donne pas ça. Mais, sur les impôts de production, pardon, nous sommes avec des impôts beaucoup plus élevés que nos partenaires, donc on se contente de retirer des boulets aux pieds de l'industrie française. En revanche, il y a toutes sortes d'autres mesures de soutien qui sont apportées aux entreprises, et nous avons demandé des contreparties. Quand j'apporte 7 milliards d'euros de soutien à AIR FRANCE, la contrepartie c'est qu'AIR FRANCE soit une compagnie verte, qui supprime des lignes intérieures quand il y a une alternative par le train. Toutes les entreprises qui ont bénéficié des prêts garantis par l'Etat, n'ont pas pu verser de dividendes, c'était une contrepartie. Et sur le plan de relance dans son ensemble, oui je suis favorable à ce que nous travaillions ensemble, avec les entreprises, avec les partenaires sociaux, avec les parlementaires, à des contreparties, contreparties par exemple sur la rémunération des salariés, intéressement et participation, contreparties sur la gouvernance des entreprises, pour qu'il y ait davantage d'égalité femmes/hommes, et contreparties sur le respect de l'environnement, parce que c'est la direction que nous avons fixée…

CAROLINE ROUX
Et pourquoi pas, comme le propose Arnaud MONTEBOURG, qui refait son plan de relance, il le fait dans Marianne cette semaine, il dit de conditionner les baisses d'impôts de production à la relocalisation. Vous en parliez, c'est un des objectifs des activités directes ou des activités de sous-traitants…

BRUNO LE MAIRE
C'est la garantie, Caroline ROUX, que ça ne marchera jamais.

CAROLINE ROUX
Et pourquoi ça ?

BRUNO LE MAIRE
Mais parce que si vous attendez que la relocalisation vienne pour baisser les impôts de production, c'est vraiment la politique du chien qui se mord la queue. Il faut d'abord baisser les impôts de production, redonner de la liberté à nos entreprises, leur redonner le même niveau de concurrence que l'Allemagne où nos autres grands voisins européens, et c'est à cette condition-là qu'ils relocaliseront leur activité et qu'ils créeront des emplois. Vous savez, cette politique.

CAROLINE ROUX
Vous comprenez que ça puisse être choquant pour les gens qui vous regardent ce matin, à qui on dit : " On va baisser les impôts de production pour des entreprises qui par exemple vont supprimer des emplois "?

BRUNO LE MAIRE
Je vais vous dire, Caroline ROUX, ce qui choque les Français, c'est les délocalisations massives de notre industrie depuis 30.

CAROLINE ROUX
Et ça continue.

BRUNO LE MAIRE
C'est la saignée industrielle depuis 30 ans.

CAROLINE ROUX
Et ça continue.

BRUNO LE MAIRE
Mais, ça continuera, tant qu'on n'aura pas pris les bonnes décisions. Je note que depuis 10 ans, le seul gouvernement qui a réussi à recréer des emplois industriels dans notre pays, c'est le nôtre, parce que nous avons eu le courage de prendre des décisions fiscales, que monsieur MONTEBOURG n'avait pas eu le courage de prendre. Parce que c'est facile de monter sur son tonneau, et de dire : vive les relocalisations industrielles ! C'est plus difficile de prendre des décisions courageuses que nous prenons, avec la baisse des impôts de production, mais c'est ça qui marchera.

CAROLINE ROUX
Trois sujets assez rapidement, si vous le voulez bien, et pourtant ce sont des sujets de fond. La survie d'AIR FRANCE-KLM n'est pas acquise, selon le ministre néerlandais des Finances. Vous êtes d'accord avec cela ?

BRUNO LE MAIRE
Nous, nous ferons ce qui est nécessaire pour garantir la survie d'AIR FRANCE. Nous avons déjà fait beaucoup, nous continuerons à le faire, nous demandons aussi des efforts à AIR FRANCE en termes de compétitivité, en termes de lutte contre le réchauffement climatique, mais nous avons soutenu AIR FRANCE et nous continuerons à le faire.

CAROLINE ROUX
VEOLIA veut racheter à ENGIE ses parts dans le capital de SUEZ, une première étape avant de se lancer dans une OPA, déjà, on entend beaucoup parler d'OPA hostile. C'est une OPA hostile ?

BRUNO LE MAIRE
Justement, ne donnons pas le spectacle au reste du monde, de deux très belles entreprises industrielles françaises qui s'affrontent.

CAROLINE ROUX
C'est le cas.

BRUNO LE MAIRE
Pas le conflit.

CAROLINE ROUX
C'est le cas.

BRUNO LE MAIRE
Je pense que ce conflit est inutile et il faut que nous trouvions une voie qui permette aux deux parties de trouver leur intérêt dans cette opération. J'ai reçu monsieur FREROT il y a quelques jours, je recevrai les dirigeants de SUEZ prochainement, je rappellerai les conditions que nous avons fixées, pour le coup c'est des conditions, Caroline ROUX…

CAROLINE ROUX
En termes de maintien d'emploi ?

BRUNO LE MAIRE
Le respect de l'emploi, l'actionnaire majoritaire qui doit être français et la bonne valorisation pour l'Etat, de cette opération. Ces trois conditions elles ne sont pas négociables. Mais j'appelle chacun au calme, au sang-froid, que chacun puisse voir l'intérêt de cette opération pour les deux parties. Et le rôle de l'Etat c'est justement de veiller à ce qu'il n'y ait pas de guerre inutile dans le capitalisme français, mais la capacité à dégager de la valeur et des emplois pour nous tous.

CAROLINE ROUX
Alors, on va parler d'une guerre, une guerre commerciale. Le ministre des Affaires étrangères a écrit à LVMH pour demander, ça c'est assez inhabituel quand même, le report du rachat de TIFFANY en raison des taxes appliquées par les Etats-Unis, en riposte à la taxe GAFA que vous avez défendue, voulue par la France. Est-ce que c'est le rôle de l'Etat de s'immiscer dans une affaire 100 % privée ?

BRUNO LE MAIRE
Moi, je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur ce sujet…

CAROLINE ROUX
Quand même.

BRUNO LE MAIRE
Jean-Yves LE DRIAN a pris la décision qui lui paraissait la bonne, il a écrit cette lettre. Moi ce que je fais, et ce que je continuerai à faire et ce coup d'ailleurs j'ai fait la semaine dernière, c'est de pousser pour qu'il y ait une taxation effectivement des activités digitales, parce que les seuls grands vainqueurs de cette crise économique, ce sont les gens du digital, et qu'il est grand temps qu'ils paient leur juste part d'impôts.

CAROLINE ROUX
Quand vous dites « je laisse à Jean-Yves LE DRIAN la responsabilité », ça veut dire que vous ne l'auriez pas fait, vous, en tant que ministre de l'Economie ? C'est inhabituel ?

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est son rôle de ministre des Affaires étrangères. C'est son rôle de ministre des Affaires étrangères, de prendre toutes les mesures qu'il estime nécessaires pour protéger des intérêts français. C'est le rôle du ministre des Affaires étrangères.

CAROLINE ROUX
Mediapart explique que ce courrier a été fait à la demande de Bernard ARNAULT.

BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas faire tous les commentaires de Mediapart, sinon on pourrait y passer du temps inutile, et je n'ai pas d'autre commentaire, une fois encore, à faire là-dessus.

CAROLINE ROUX
Un mot sur la 5G. 70 élus de gauche demandent un moratoire sur l'application de la 5G, ainsi qu'un débat démocratique et décentralisé. On n'est pas prêt sur la 5G, si ?

BRUNO LE MAIRE
Il faut qu'on soit prêts, Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
Il faut qu'on soit prêts.

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est indispensable que nous déployons la 5G. On ne va pas faire ce cadeau à nos adversaires ou à nos rivaux économiques, de prendre du retard sur le déploiement de la 5G. Enfin, ce serait une erreur économique dramatique pour le pays, ça nous priverait d'avancées en matière médicale, en matière de gestion des flux d'énergie, de gestion des transports, ce serait un retour en arrière pour la France, et moi je préfère la France en avant, conquérante, qui réussit économiquement, à la France fossilisée qui ne bouge pas. C'est ce qu'on nous propose…

CAROLINE ROUX
C'est celle des écologistes ?

BRUNO LE MAIRE
C'est cette France qui vous dit qu'il ne faut plus de sapin de Noël parce que ça fait un sapin mort dans la mairie, et qui vous dit « Ne bougeons, fossilisons-nous, attendons ». La France n'a pas le luxe d'attendre que ses voisins réussissent, déploient la 5G, parce que ce retard, Caroline ROUX, on ne le rattrapera jamais, et on le paiera dans notre vie quotidienne, c'est la qualité de nos soins, la qualité des transports, la qualité de la gestion des flux d'énergie, qui sera affectée.

CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous


source : Service d'information du Gouvernement, le 30 septembre 2020