Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à CNews le 17 septembre 2020, sur la politique économique du gouvernement.

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Média : CNews

Texte intégral

LAURENCE FERRARI
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Laurence FERRARI.

LAURENCE FERRARI
Il est de quelle hauteur le tsunami des licenciements qui nous arrive ? De 800 000 suppressions d'emplois, c'est votre estimation basse a priori, car 715 000 emplois ont déjà été détruits et nous ne sommes qu'à la mi-septembre. Lorsque le dispositif de chômage partiel va s'arrêter, on va monter à combien ? Vous allez revoir cette estimation à la hausse ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord le tsunami, vous l'avez parfaitement dit, il a déjà eu lieu. Le tsunami sur l'emploi, sur les plus précaires, sur les CDD, sur les intérimaires, très souvent sur les femmes, les femmes seules, sur les personnes non qualifiées. Il a déjà eu lieu et c'est pour ça que notre première responsabilité, c'est d'apporter ces réponses à toutes ces personnes qui ont perdu leur emploi, c'est d'inciter les entreprises à embaucher. Je rappelle que tous nos dispositifs de soutien à l'emploi sont déjà en place. Les primes de 4 000 euros pour les jeunes, le soutien à l'apprentissage, le soutien aux contrats courts, tout cela est déjà en place et doit être employé par les entreprises. C'est comme ça qu'on arrivera à se redresser et moi j'ai bon espoir…

LAURENCE FERRARI
Et vous pensez qu'il n'y aura pas de problème avec les CDI ? Vous pensez vraiment que les entreprises ne vont pas licencier par la suite ? On vient d'avoir un exemple que…

BRUNO LE MAIRE
On sait tous que nous sommes dans le coeur de la crise mais je pense que nous avons pris tous les dispositifs nécessaires pour l'amortir sur l'emploi. Vous avez cité l'activité partielle de longue durée : nous avons mis en place cette activité partielle de longue durée justement pour éviter des licenciements et nous avons maintenu l'activité partielle classique pour tous les secteurs qui sont les plus touchés : l'hôtellerie, les cafés, les restaurants, l'événementiel. Et d'ailleurs je veux rassurer tous les restaurateurs qui peuvent s'inquiéter, qui se disent : si jamais la crise se développe et qu'on nous oblige à fermer tel ou tel établissement, dans ce cas-là ils auront droit à des mesures de chômage partiel classique pour passer cette période difficile. Nous avons été là depuis le début de la crise pour soutenir l'emploi. Nous resterons présents.

LAURENCE FERRARI
Des entreprises ne sont pas convaincues par votre plan de relance. BRIDGESTONE, firme japonaise, ferme son usine de Béthune, Huit cent soixante-trois emplois au tapis, au motif qu'elle n'est pas compétitive, que la concurrence asiatique à bas coûts est terrible. Cinq mille familles impactées. Monsieur le ministre, ça fait trente ans qu'on entend les politiques nous dire : c'est honteux, c'est une trahison, on va se battre pour empêcher ça. La réalité, c'est que vous êtes impuissants à empêcher la casse de notre industrie.

BRUNO LE MAIRE
Non, je ne crois pas du tout, Laurence FERRARI.

LAURENCE FERRARI
Qu'est-ce que vous allez faire pour les ouvriers ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense au contraire qu'on peut réussir la relocalisation industrielle et que, d'ailleurs, nous avons réussi à le faire puisqu'avant la crise pour la première fois depuis dix ans, nous arrivions à recréer des emplois industriels. Parce que nous allons ouvrir à Douvrin, dans le Nord pas très loin de Béthune, une usine qui va faire des batteries électriques et qui va montrer que la France peut se réindustrialiser et peut réussir sa relocalisation industrielle. Je ne vais pas multiplier les exemples mais je ne suis pas défaitiste. Je crois profondément que nous pouvons réussir les relocalisations industrielles. Alors BRIDGESTONE, c'est un cas particulier. Vous avez dit vous-même, c'est une entreprise japonaise qui a pris une décision révoltante avec une méthode révoltante et des conséquences révoltantes. Et nous allons nous battre avec ma ministre déléguée Agnès PANNIER-RUNACHER, à qui j'ai demandé de suivre le dossier de très près tous les jours, avec le président de la région Xavier BERTRAND, avec le maire de Béthune, avec les salariés, d'abord pour voir si on peut développer une autre activité avec des pneus plus larges que ceux qui sont produits actuellement sur le site de Béthune, et si jamais nous n'arrivons pas à cette solution-là, trouver des solutions de réindustrialisation du site pour qu'il y ait pour chaque ouvrier de BRIDGESTONE une solution qui soit une solution cohérente et acceptable pour eux.

LAURENCE FERRARI
Quand je vous dis que ça fait des années que les Français entendent ces paroles, on va juste regarder trente secondes d'extraits et vous allez comprendre pourquoi ils sont un peu sceptiques.

Images d'archives :

NICOLAS SARKOZY
"L'objectif, c'est de garder des usines ouvertes en France parce qu'un pays où il n'y a plus d'usines c'est un pays où il n'y a plus d'économie."

FRANÇOIS HOLLANDE
"Quand une grande firme ne veut plus d'une unité de production mais ne veut pas non plus la céder, nous en ferions obligation pour que des repreneurs viennent et puissent donner une activité supplémentaire à cette entreprise."

EMMANUEL MACRON
"Je vous le promets et je vous ai entendu, mais on va continuer de se battre, donc il y aura des rendez-vous, une plus grande réactivité. J'ai pris des engagements pour les personnes et pour le site et on va tout faire pour les tenir."

LAURENCE FERRARI
Gandrange, Florange, WHIRLPOOL, aujourd'hui ce sont des usines fantômes. Qu'est-ce qui nous garantit que vous allez réussir sur celle-là ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne vous parle pas du cas de BRIDGESTONE spécifiquement. Sur BRIDGESTONE, je vous dis, on va se battre d'abord pour qu'il y ait une production qui soit plus attractive, des pneus qui correspondent mieux aux besoins du marché, et ensuite on va étudier d'autres options. Mais je voudrais peut-être qu'on élargisse un tout petit peu le sujet, parce que quand j'entends monsieur HOLLANDE vendre des illusions aux ouvriers, oui moi aussi ça me révolte. La réalité c'est que si on veut réussir la relocalisation industrielle, Laurence FERRARI, il faut avoir le courage de prendre les décisions que nous sommes en train de prendre. Des décisions d'abord fiscales : baisser les impôts de production sur les entreprises industrielles. C'est ce que nous faisons et personne n'a eu le courage de baisser comme nous le faisons de dix milliards d'euros par an les impôts de production qui pèsent sur l'activité industrielle. Il faut avoir le courage de dire qu'effectivement, il y a des activités qu'on ne relocalisera pas. Les activités à faible valeur ajoutée ne vont pas revenir en France. Ce qui reviendra en France, c'est les activités à forte valeur ajoutée avec de la technologie, comme les batteries électriques que j'ai mentionnées. Et on pourrait citer l'hydrogène, on pourrait citer l'intelligence artificielle, d'autres activités industrielles.

LAURENCE FERRARI
Nouvelle économie.

BRUNO LE MAIRE
Mais une nouvelle économie ! Mais en ayant le courage, une fois encore, d'assumer des décisions fiscales qui sont compliquées à expliquer aux Français. Quand on baisse la fiscalité sur le capital, tout le monde dit : vous faites une politique pour les riches. Mais non, on fait une politique pour l'industrie. Quand on baisse les impôts de production, on nous tombe dessus en disant : vous faites des cadeaux aux entreprises. Non, on fait des cadeaux aux ouvriers, à l'industrie, à la relocalisation industrielle dans notre pays. Puis la troisième chose sur laquelle il faut mettre beaucoup plus d'énergie et beaucoup plus de moyens financiers, c'est la qualification, c'est la formation, c'est avoir des chaudronniers, c'est avoir des soudeurs, c'est avoir des ingénieurs, c'est avoir des agents de maintenance dans le secteur industriel. C'est exactement ce que nous faisons. La différence entre les discours que j'ai entendus et nous, c'est que nous, nous prenons avec le président de la République et avec le Premier ministre depuis quatre ans des décisions qui sont courageuses, difficiles. Sur la fiscalité, sur l'innovation et également sur la formation. J'ajoute un tout petit mot, Laurence FERRARI : moi je veux bien qu'on nous dise qu'on va relocaliser l'industrie mais qu'on ne veut pas de la 5G. Mais vous allez expliquer comment à un industriel qu'il va pouvoir gérer ses données, gérer ses flux, gérer ses stocks aussi rapidement que ses concurrents allemands s'il n'a pas la 5G alors que son concurrent allemand a la 5G. Je demande juste de la cohérence et de la volonté, et croyez-moi je n'en manque pas.

LAURENCE FERRARI
Les impôts, vous en avez parlé. Vous jurez : pas d'augmentations d'impôts. Pourtant vous avez reçu un rapport pour le financement de la dépendance qui comporte nombre de hausses : CSG pour les retraités, droits de succession. Vous allez le déchirer ce rapport ?

BRUNO LE MAIRE
On ne va pas le déchirer mais enfin, très franchement, tous ces rapports où à chaque fois on nous dit : voilà, il faut une dépense sociale en plus et on va la financer par un impôt supplémentaire, ça fait trente ans qu'on fait ça va, il faut peut-être passer à autre chose. Qu'il faille prendre des mesures fortes pour la dépendance, pour les personnes les plus âgées, pour les accompagner, pour les soigner mieux, pour les entourer mieux, moi j'y suis plus que favorable. Nous avons tous dans notre famille des proches qui sont en situation de dépendance.

LAURENCE FERRARI
Oui.

BRUNO LE MAIRE
Mais on doit trouver d'autres solutions.

LAURENCE FERRARI
Mais on n'augmentera pas les impôts.

BRUNO LE MAIRE
Tant que je serai ministre des Finances, Laurence FERRARI, nous n'augmenterons pas les impôts en France. Et surtout, nous continuerons à les baisser. Nous les avons baissés depuis le début du quinquennat de 22 milliards pour les ménages et de 22 milliards pour les entreprises. 44 milliards au total, c'est la plus forte baisse d'impôts depuis 20 ans en France. Et nous allons continuer puisque nous supprimerons la taxe d'habitation d'ici 2023 pour tous les ménages et nous baisserons l'impôt sur les sociétés pour toutes les entreprises à 25 % d'ici 2022. Ça rejoint votre question. En baissant l'IS, l'impôt sur les sociétés, à 25 % on rend notre territoire attractif pour les industriels.

LAURENCE FERRARI
Pas de nouvelles taxes sur les transports ? On craint une pluie de taxes à cause de la convention climat. Taxe sur l'aérien, taxe même sur le poids des voitures. Est-ce que vous êtes favorable à cette taxe sur le poids des voitures ?

BRUNO LE MAIRE
J'ai dans mon bureau un parapluie anti-taxe parce qu'il en pleut tellement tous les jours dans mon bureau qu'à un moment donné il faut dire stop. Alors vous pouvez inventer ce que vous voulez, faire plein de propositions, mais le ministre des Finances, si vous arrivez avec une proposition d'augmentation d'impôt ou de nouvelle taxe, vous dira non. Parce que c'est la ligne politique fixée par le président de la République, que je suis chargé de la mettre en oeuvre et que je la défendrai. Et que je rappelle que dans notre pays, même en ayant baissé les impôts de deux points quasiment, c'est-à-dire la plus forte baisse - je le rappelle - depuis vingt ans dans notre pays, nous restons le pays de l'OCDE qui a dix points d'imposition de plus que la moyenne des autres.

LAURENCE FERRARI
Donc pas de taxe sur l'aérien, vous dites non aux citoyens de la convention climat qui ont phosphoré pendant des semaines.

BRUNO LE MAIRE
Laurence FERRARI, un tout petit peu de cohérence. Je le dis à nos amis et aux Verts…

LAURENCE FERRARI
Non mais c'est eux qui… Ce n'est pas cohérent alors.

BRUNO LE MAIRE
Qui proposent une taxe sur l'aérien. Le secteur s'effondre. C'est des dizaines de milliers d'emplois. C'est des PME dans ma région de Normandie, c'est des PME du côté de Toulouse, chez AIRBUS qui est menacé, c'est l'industrie aéronautique qui aujourd'hui est fragilisée. On vient à son secours. On met 18 milliards d'euros pour soutenir l'industrie aéronautique avec des prêts garantis, avec un fonds d'investissement, avec un soutien aux PME, avec la possibilité de déstockage des pièces des PME pour qu'elles ne soient pas embarrassées par leurs stocks de pièces détachées. 18 milliards. Et de l'autre côté, on va leur imposer des taxes ? Enfin, c'est complètement ubuesque !

LAURENCE FERRARI
Les écolos, ça va bien ? Pour reprendre une formule.

BRUNO LE MAIRE
Mais les écolos, moi je suis écologiste, Laurence FERRARI. Mais je ne suis pas un écologiste dogmatique et je pense que nous pouvons parfaitement concilier la croissance, la prospérité et l'écologie. Mais je ne veux pas d'obscurantisme, je ne veux pas de dogmatisme, je ne veux pas d'idéologie parce que je pense que ce n'est pas ce que veulent les Français.

LAURENCE FERRARI
Obscurantisme…

BRUNO LE MAIRE
Oui, de l'obscurantisme. Quand on nous explique qu'il faut renoncer par exemple aux vaccins, c'est quoi sinon de l'obscurantisme ? Et c'est quoi sinon mettre en danger la santé de nos proches ? C'est quoi lorsqu'on nous dit : la 5G, elle peut attendre, il faut faire un moratoire ? Mais enfin le moratoire, on l'a déjà fait. Puisque quand vous voyez par rapport à nos grands concurrents européens, nous sommes en retard par rapport à nos grands concurrents européens. Et nous aurons besoin la 5G pour la chirurgie à distance, nous aurons besoin de la 5G pour la télémédecine notamment dans les territoires ruraux. Alors oui, c'est de l'obscurantisme et ça conduit à la paupérisation de notre pays et à moins de bien-être pour nos concitoyens. Moi je veux exactement l'inverse.

LAURENCE FERRARI
Le président a parlé du modèle Amish, le retour à la lampe à huile. Vous auriez pris les mêmes comparaisons ? A propos de la 5G.

BRUNO LE MAIRE
Je trouve que sa comparaison a le mérite d'être frappante.

LAURENCE FERRARI
Oui. En tout cas, elle a frappé les esprits. Autre dossier très important sur votre bureau, le dossier VEOLIA-SUEZ. Vous êtes favorable à la proposition de rachat de SUEZ par VEOLIA. Vous avez rencontré les dirigeants de SUEZ hier.

BRUNO LE MAIRE
Oui, je les ai rencontrés hier tout simplement pour leur rappeler une chose simple mais importante et à laquelle je suis très attachée : l'Etat est impartial. L'Etat dans cette affaire n'a fait aucun choix.

LAURENCE FERRARI
Vous n'avez pas soutenu le projet comme le Premier ministre ?

BRUNO LE MAIRE
L'Etat va examiner chacune des offres avec le même souci d'équité et d'impartialité. L'Etat refusera la précipitation, parce que quand il y a des dizaines de milliers d'emplois qui sont en jeu, on ne se précipite pas. Et l'Etat enfin ne laissera pas se déclencher une guerre entre deux grands industriels français aussi prestigieux que VEOLIA et SUEZ, alors même que nous sommes en pleine crise économique. C'est ce que j'ai rappelé hier aux dirigeants de SUEZ. Je leur ai dit : mais si vous avez une proposition alternative, travaillez sur votre proposition ; elle devra répondre comme celle de VEOLIA aux conditions que nous avons fixées avec le Premier ministre. La préservation de l'emploi, une majorité française et le développement industriel en France. Et ensuite ENGIE…

LAURENCE FERRARI
C'est possible, la préservation de l'emploi ? Alors qu'il y a évidemment dans la fusion l'impossibilité d'avoir les emplois au même niveau.

BRUNO LE MAIRE
C'est ce que nous regardons. C'est aux entreprises qui présentent des offres de remplir ces conditions et de nous apporter des garanties. Ensuite de conseil d'administration d'ENGIE se prononcera sur ces offres et je le redis : l'Etat fera preuve d'équité et d'impartialité dans cette affaire.

LAURENCE FERRARI
Pourtant vous avez toujours voulu des champions français. Vous vous êtes battu même pour ça. Et aujourd'hui, vous êtes en position d'arbitre.

BRUNO LE MAIRE
Mais parce que ce qui est en jeu, c'est la cohérence du projet. C'est une fois encore les certitudes que nous devons avoir sur l'emploi et puis c'est surtout traiter chaque entreprise de manière équitable et de la même façon. L'Etat n'a pas à prendre parti ni pour VEOLIA, ni pour SUEZ. Moi je ne suis pas, pour vous parler clairement Laurence FERRARI, dans le camp de VEOLIA ou dans le camp de SUEZ, je suis dans le camp de la France. Donc je ne regarde que l'intérêt industriel français, l'intérêt pour l'emploi et, une fois encore, dans ce genre d'affaire l'Etat a une responsabilité importante qui est de garantir que chaque partie y trouve son intérêt et qu'il n'y ait pas de conflit inutile entre grands industriels, au moment où nous avons déjà affronté une crise économique suffisamment dure.

LAURENCE FERRARI
La récession, elle sera moins sévère que prévu en 2020. Vous la prévoyez pour combien dans notre pays ?

BRUNO LE MAIRE
Alors je prévois une récession à moins 10% au lieu de moins 11. C'est une estimation qui reste prudente parce que l'économie a bien redémarré au mois de juin-juillet-août. Je pense que nous sommes clairement dans la bonne direction. Je pense que les mesures que l'Etat a pris, à la fois pour amortir le choc et pour relancer l'activité économique, sont efficaces. Je souhaite que nous ayons dépensé d'ici la fin de l'année 2020 - je dis bien 2020 – 10% des 100 milliards du plan de relance. Je dis dépenser, c'est-à-dire qu'on ait vraiment engagé des crédits et que les Français commencent à voir dans leur vie quotidienne que la relance fonctionne, crée des emplois et donne des résultats. Mais je ne vais pas plus loin que ce moins 10 % parce qu'il y a beaucoup d'incertitudes : la crise sanitaire, l'élection américaine, le Brexit, donc je pense qu'il faut rester prudent.

LAURENCE FERRARI
Le rebond de la croissance chez nous, pareil c'est un pari ? Vous le faites à combien ?

BRUNO LE MAIRE
On estime le rebond à plus 8%, ce qui est un rebond très important, très fort. D'autant plus fort que nous partons d'une situation qui est plus favorable en 2020, mais tout simplement parce que moi je crois profondément dans la capacité de la France à se redresser. Nous avons, Laurence FERRARI, un pays qui a des qualités et des atouts considérables. Et selon moi, la France est le pays qui a le plus d'atouts, le plus de qualités économiques, de savoir-faire, d'innovation, d'intelligence économique en Europe. Et nous allons le montrer.

LAURENCE FERRARI
Les Français épargnent pour l'instant.

BRUNO LE MAIRE
Oui.

LAURENCE FERRARI
Ils ont un niveau d'épargne record, ils ne sont pas encore convaincus.

BRUNO LE MAIRE
C'est normal. Ils sont prudents, ils mettent de l'argent de côté, ils voient bien que le chômage a augmenté, donc je comprends parfaitement leur réaction. Je leur dis simplement : vous pouvez être acteur de la relance. Acteur en investissant dans l'économie française, en employant votre épargne pour faire redémarrer l'économie française. Les Français sont des acteurs de la. Relance.

LAURENCE FERRARI
Et quand ils voient le niveau de la dette abyssale, ils se disent : mon Dieu, mais comment faire confiance à un Etat qui gère aussi mal ses finances ?

BRUNO LE MAIRE
La dette, ce n'est pas de la mauvaise gestion, c'est de l'investissement.

LAURENCE FERRARI
C'est de l'investissement ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien oui. Qu'est-ce qu'on n'aurait pas dit si on avait laissé… Enfin, ils viennent d'où ces 17 points de dette supplémentaire, Laurence FERRARI ? Eh ben ils viennent du chômage partiel, ça a sauvé des dizaines de milliers d'emplois. Ils viennent des faillites que nous avons évitées. Ils viennent de l'investissement que nous avons fait dans l'innovation, les nouvelles technologies, l'hydrogène et tout ce qui figure dans le plan de relance. Qu'est-ce qu'on aurait préféré ? Qu'on garde un niveau de dette à 98-99 % et qu'on ait des centaines de milliers d'emplois supprimés, des dizaines de milliers d'entreprises qui ferment. Mais ça aurait été un chaos social, un chaos économique et sans doute un chaos politique. Nous avons su éviter cela. Si on fait un tout petit peu d'histoire, en 1929 une récession comparable dans son ampleur, les Etats n'ont pas réagi : on a eu ensuite une catastrophe politique. Eh bien moi, je suis fier d'appartenir à un gouvernement et de travailler avec un président de la République qui ont évité à la France ce chaos social et ce chaos politique.

LAURENCE FERRARI
Vous parlez de ces crises. Crise économique, crise sanitaire, vous en avez parlé. Il y a aussi une crise d'autorité. Il y a une multiplication des actes de violence, des agressions, des rodéos, des récidivistes qui tuent des jeunes filles. Il y a même des Français, 55% des Français, qui demandent le rétablissement de la peine de mort. 82% d'entre eux qui demandent un véritable chef pour remettre de l'ordre. Comment se fait-il… On a encore un sondage ce matin qui parmi les personnalités qui pourraient incarner l'autorité placent le président MACRON assez bas, derrière Edouard PHILIPPE, Nicolas SARKOZY ou Jean CASTEX. Comment se fait-il que le président MACRON incarne aussi peu l'autorité dans ce pays ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord je ne vais pas commenter les sondages. Je suis toujours assez sceptique quand on compare des personnalités qui sont en fonction et d'autres qui ne sont pas en fonction. C'est toujours plus difficile d'être en fonction. Mais je vais vous dire, pour moi l'autorité, nous en sommes chacun les dépositaires. Je ne crois pas à la théorie du grand chef. Je pense que nous devons chacun être les chefs de nous-mêmes. C'est comme ça que vous rétablissez de l'autorité en France. Qu'est-ce que ça veut dire ? Le problème de l'autorité en France, je le dis depuis des années et des années, est d'abord un problème d'éducation et de culture. Quand vous perdez le fil de votre culture, quand l'éducation n'apprend pas suffisamment les règles, la vie en commun, qui que vous ayez à la tête de l'Etat vous n'avez plus d'autorité dans le pays. Donc je plaide pour qu'en matière éducative, on aille encore beaucoup plus loin que ce qui a déjà été remarquablement fait par Jean-Michel BLANQUER, parce que c'est comme ça qu'on rétablira l'autorité dans notre pays.

LAURENCE FERRARI
La crise d'autorité, elle est là et néanmoins, et encore une fois les Français la ressentent tous les jours, on a l'impression d'une déconnexion avec la réalité. Est-ce que vous êtes complètement déconnectés de ce que vivent les Français ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne crois pas du tout. Enfin, nous sommes beaucoup au gouvernement à être élus locaux, nous sommes présents sur le terrain en permanence. Nous sommes aussi choqués les uns que les autres comme les Français par tous les actes que nous avons vu se multiplier cet été. L'agression du chauffeur de bus à Bayonne, moi ça m'a touché parce qu'une partie de moi-même vient du Pays basque, donc tout ça m'a bouleversé comme tous les Français. L'autorité, elle passe au niveau gouvernemental par les actions qui sont prises par Gérald DARMANIN et Eric DUPOND-MORETTI avec une chaîne police-justice…

LAURENCE FERRARI
La même vision pour les deux ?

BRUNO LE MAIRE
Il ne peut y avoir qu'une seule vision : le respect de la règle, l'application des sanctions quand elles sont nécessaires et donc une autorité avec une main qui ne tremble pas. Je ne connais pas d'autres formes d'autorité. Mais je le redis, si on va un peu plus en profondeur parce que je pense que le problème est beaucoup plus profond, rétablir l'autorité en France c'est faire de chacun le responsable de cette autorité grâce à une éducation qui apprend les règles et le respect des autres.

LAURENCE FERRARI
Un mot du discours de la présidente de la Commission européenne Ursula VON DER LEYEN hier. Elle a souhaité un certain nombre de choses notamment créer une Europe de la santé et de la recherche. C'est vital. Aujourd'hui on est encore en plein dans la crise sanitaire. Les laboratoires sont quasiment au bord de la rupture. Pénurie de réactifs, on est encore très, très loin de l'autonomie et de la souveraineté que l'on souhaitait pour les médicaments et ces produits-là. Evidemment il faut la créer cette Europe de la santé, mais est-ce que les Allemands ont besoin de nous ? Non. On voit bien la façon dont ils ont géré cette crise.

BRUNO LE MAIRE
Moi je pense que tout le monde a besoin des autres en Europe, et que sur les grands sujets dont dépend l'indépendance de l'Union européenne et de chacun des Etats membres, nous devons être collectivement solidaires. Il n'y aura pas d'Europe avec une puissance pharmaceutique médicale si nous ne sommes pas capables de rassembler nos forces. Il n'y aura pas d'Europe du spatial si nous ne sommes pas capables de rassembler nos forces. Sur les batteries électriques, nous y sommes arrivés parce que nous travaillons avec les Allemands et que nous rassemblons nos forces. Sur l'hydrogène, nous avons engagé des travaux avec l'Allemagne. J'ai rencontré mon homologue allemand la semaine dernière pour qu'on ait au bout du compte un projet commun. C'est ce qui nous permettra d'exister entre la Chine et les Etats-Unis. J'en profite pour saluer le discours d'Ursula VON DER LEYEN parce que c'était un discours juste et fort. Et je me félicite qu'elle ait fait droit à la demande que j'ai faite depuis maintenant plusieurs mois qui est d'avoir au début de l'année prochaine une proposition européenne sur la taxation des géants du digital. Ça fait des mois que je la réclame en expliquant que les seuls gagnants de cette crise économique, c'est les géants du numérique et donc il est légitime qu'enfin on accepte de les taxer au même niveau que nos PME et nos entreprises. Eh bien pour la première fois, la présidente de la Commission européenne s'est prononcée clairement. Elle a dit qu'il fallait une proposition européenne de taxation du numérique au début de l'année 2021. C'est une excellente nouvelle.

LAURENCE FERRARI
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE d'être venu ce matin dans la matinale de Cnews.

BRUNO LE MAIRE
Merci Laurence FERRARI.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er octobre 2020