Interview de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France 2 le 3 novembre 2020, sur les relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

Q- Clément Beaune, peut-être un mot de commentaire, et puis une question simple, est-ce que la France ce soir à un candidat privilégié ? Plutôt Trump ou plutôt Biden ?

R - Non. Evidemment il y a une règle d'or qui je crois est très saine, entre pays démocratiques, alliés et amis, c'est que l'on ne choisit pas les dirigeants, lorsqu'on est encore parfois en train de voter, de ce pays partenaire ou ami. Donc, nous travaillerons avec le président américain élu ou réélu.

Q - Et que l'un ou l'autre gagne, cela pourrait modifier notre relation commerciale avec les Etats-Unis ? Thierry Breton évoquait la guerre commerciale avec le Chine, il y a aussi une guerre commerciale avec l'Europe, avec la hausse des taxes sur l'acier décidée par Donald Trump, sur des produits français, le vin, le fromage, les produits de luxe, l'aéronautique, avec Airbus. Est-ce que cela, avec une victoire de Joe Biden, cela peut changer ?

R - Joe Biden, dans sa campagne, dans son programme, il a évoqué la volonté de rétablir des liens transatlantiques, notamment sur le plan commercial, plus forts, mais je souscris à ce que disait Thierry Breton, c'était très intéressant aussi dans ce que disait votre correspondant à Shanghai, c'est-à-dire que la Chine dit que ce n'est pas à Washington que l'on décide notre avenir, c'est à Pékin. Je crois que les Européens doivent avoir la même mentalité, les Français, mais les Européens, on a très tendance, d'ailleurs le fait que l'on soit réunis ce soir l'atteste d'une certaine façon, à beaucoup se tourner vers Washington pour savoir ce qui va se passer et si cela va changer notre futur. On doit s'habituer, en tant qu'Européens, à décider pour nous-mêmes, sur le plan commercial, sur le plan technologique, dans la relation avec la Chine aussi, où c'est vrai, cela a été très important dans la victoire de Trump en 2016. Mais je crois que les Européens, depuis, ont compris que la naïveté ne devait pas non plus être leur lot. Il faut donc que l'on s'habitue aussi, en tant qu'Européens, à Bruxelles, à Paris, à Berlin, à décider notre avenir nous-mêmes.

(...)

R - Je crois que c'est très intéressant parce qu'il y a une tentation européenne qui pourrait être de croire que, si c'était M. Biden qui gagnait cette élection, ce serait la fin d'une forme de parenthèse. Je crois qu'il y a des éléments qui, dans la politique américaine qu'a conduite M. Trump, on ne l'a pas assez souligné, sont des éléments durables. La relation avec la Chine, sans doute, qui a été dure, durcie, restera certainement agressive, peut-être avec un ton différent, peut-être avec une méthode différente avec un président Biden si c'est le cas, mais ça, cela restera, je crois, très fort dans la politique américaine.

Sur le plan commercial, la volonté aussi de changer les règles du commerce international, l'Organisation Mondiale du Commerce, je pense, restera aussi une grande priorité américaine. Et parfois, pour nous, Européens, il faut comprendre que nous ne vivrons jamais plus dans le monde d'avant, celui de la guerre froide, où nous étions sous une forme de protection américaine, avec une bienveillance systématique américaine en matière de sécurité et de commerce. Cela n'arrivera pas, quoiqu'il arrive, quel que soit le président américain.

(...)

Q - ... Est-ce que c'est un échec ?

R - Je laisse à John Bolton ses propos. Mais non, je crois que la méthode a toujours été claire. Quel que soit le président américain, au-delà du style, des affinités personnelles, on doit travailler avec. Et cela restera, quel que soit le résultat de cette nuit ou de ces prochains jours, parce que le lien franco-américain, le lien transatlantique est plus important que les personnes qui occupent, à un moment donné, la fonction. Le président a d'ailleurs voulu célébrer à chaque fois avec Donald Trump des moments qui nous ont reliés dans l'Histoire, que cela soit le centenaire de la Première guerre mondiale, que cela soit des engagements militaires communs. Par exemple, sur la lutte contre le terrorisme ou notre engagement militaire, en général, nous sommes alliés, évidemment, et probablement le pays européen le plus proche des Etats-Unis.

Q - Mais sur l'Iran, ça n'a pas fonctionné... Trump n'en a fait qu'à sa tête.

R - Il y a des dossiers sur lesquels il y a des désaccords. Mais cela a toujours été le cas dès le premier jour, de se dire ses désaccords de manière très claire et parfois très dure. Je rappelle que dès juin 2017, le Président de la République élu depuis quelques semaines, Donald Trump décide de quitter l'accord de Paris. C'est à ce moment-là que le président Macron est très dur sur cette position. Il dit : là, il y a un désaccord profond. Et il ligue les Européens et tout le G20 d'ailleurs pour dire " il faut préserver l'accord de Paris, malgré le retrait américain ". Mais ça, c'est un désaccord de la substance, de fond, qui a eu lieu dès le premier jour. Donc l'un n'empêche pas l'autre. Il ne faut pas croire que la présence au 14 juillet ou un dîner personnel, et cela compte dans les relations, c'est l'absence de désaccords sur le fond. Donc, il y a toujours eu ces deux aspects.

(...)

Q - Vous avez passé d'ailleurs un petit coup de fil à Donald Trump quand il a dit le Premier ministre en parlant d'Emmanuel Macron ? Il a dit cela lors d'un meeting. Je ne sais pas s'il a fait exprès ou pas. Clément Beaune ?

R - Je peux vous dire que c'est même arrivé dans un article de la presse allemande aujourd'hui. Ce sont des petites coquilles qui arrivent. Non, je veux dire d'abord, je ne souscris pas à tout cela, on ne va pas refaire tout le film, mais sur un certain nombre d'éléments de sécurité, de coopération anti-terroriste, aussi sur des aspects commerciaux, nous avons, Thierry Breton le rappelait, été très clairs sur le fait que nous taxerions les géants du numérique, pas seulement américains, mais aussi américains. Mais nous avons passé un accord - le Président de la République a passé un accord avec Donald Trump - pour limiter, éviter des taxes supplémentaires sur des produits français, et essayer de trouver un accord international sur la taxation du numérique.

Mais je rebondis juste sur un point qu'évoquait Thierry Breton : c'est très important, parce que, là aussi, il y a des constantes. Quoiqu'il arrive, sur un sujet aussi important que la taxation du numérique, nous le ferons. Nous le ferons avec les Etats-Unis si c'est possible, et si ce n'est pas possible, nous le ferons sans les Etats-Unis, parce que les Européens ne doivent pas non plus attendre de la Maison blanche une forme de bénédiction ou d'instruction.

Q - Et on a vu que ça ne fonctionnait pas.

R - Oui, mais cela dépasse, je crois, les questions personnelles. Et c'est cela que l'on doit s'habituer à penser en Europe.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2020