Texte intégral
Q - Monsieur Franck Riester, ministre français du commerce extérieur et de l'attractivité économique, bienvenue sur Skynews Arabia.
Une question sur la nouvelle position de la France, ces dernières semaines, dans son combat contre l'extrémisme. Comment expliquez-vous les déclarations du Président de la République, Emmanuel Macron, et de son ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian ? Pensez-vous que M. Macron ait été mal compris ?
R - Bonjour et merci de partager ce moment avec vous pour évoquer un certain nombre de sujets qui tiennent particulièrement à coeur à notre pays. Il y a eu effectivement un certain nombre de malentendus. C'est important, et c'est une des raisons de mon déplacement, de repréciser quelle est la réalité des choses. Quelle est la réalité des choses ?
C'est, d'abord, que la France a été une nouvelle fois victime d'attentats terroristes islamistes. Cela a fait de nouvelles victimes dans notre pays et cela a suscité une très grande émotion. Je tiens d'ailleurs à saluer les témoignages de soutien et d'amitié qu'il y a eu dans les pays du Golfe pour notre pays, et tout particulièrement Son Altesse le Prince héritier Mohammed ben Zayed. Ces témoignages d'amitié et de soutien, dans un moment aussi difficile et terrible pour notre pays, sont des marques d'amitié formidables et exceptionnelles que nous saluons à leur juste valeur.
Par la suite, la France a été victime d'une campagne de dénigrement, de calomnie, voire de haine. Non, le président Emmanuel Macron n'est pas à l'origine des caricatures. Non, il ne soutient pas ces caricatures. Il n'a fait que rappeler ce qu'est la loi en France, ce que sont les principes fondateurs de notre République, qui passent notamment par la liberté d'expression. Et un des éléments de la liberté d'expression est la liberté de caricaturer.
Nous comprenons parfaitement que les caricatures peuvent choquer. Nous comprenons spécifiquement que les caricatures du Prophète peuvent choquer les musulmans, et nous le respectons. Mais, en aucun cas, cela ne doit conduire ni à la violence, ni à la haine. C'est ce qu'ont rappelé le Président de la République Emmanuel Macron et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, lors de ses déplacements dans un certain nombre de pays musulmans.
Ce combat contre le terrorisme est un combat que nous menons avec d'autres pays, puisque le terrorisme attaque non seulement la France mais aussi l'Europe et un grand nombre de pays musulmans. Les principales victimes du terrorisme sont bien souvent les musulmans eux-mêmes.
Ce combat est un combat important. Nous menons aussi un combat contre l'extrémisme islamiste qui essaie de diviser notre peuple, de casser la cohésion sociale, de séparer les musulmans des autres citoyens français. Ce combat, c'est un combat très important que nous menons avec force et détermination parce qu'il en va de la cohésion sociale de notre pays et il en va bien évidemment aussi de la relation entre les Français et le reste du monde musulman.
Q - Une question sur le nouveau plan en France, le plan Emmanuel Macron, contre le séparatisme islamiste. Le projet de loi a été transmis il y a quelques jours, le 17 novembre, au Parlement. Pouvez-vous préciser sur ce plan ?
R - Comme je vous le disais, nous sommes déterminés à lutter contre l'extrémisme islamiste qui tente de diviser nos compatriotes. Pour cela, nous devons d'abord réaffirmer que les musulmans ont leur place totale et entière dans notre pays. L'islam est respecté dans notre pays. La France respecte toutes les religions. L'islam fait partie intégrante de notre histoire et de notre identité. L'islam est la deuxième religion de notre pays. Il y avait une centaine de mosquées en 1970 en France, il y en a 2600 en 2016. La France protège les musulmans et, d'ailleurs, les musulmans, les intellectuels musulmans, les représentants du culte musulman en France disent haut et fort que la France protège l'islam et protège les musulmans. C'est le premier point de cette réponse contre le séparatisme.
Le deuxième point, c'est de renforcer un certain nombre de législations pour mieux lutter contre cet islam radical. D'abord, en donnant la possibilité de pouvoir dissoudre un certain nombre d'associations qui portent un discours de haine contre la dignité humaine, contre la cohésion nationale. C'est aussi en organisant mieux le culte musulman dans notre pays. En faisant en sorte, par exemple, de créer un Conseil national des imams, porté par le Conseil français du Culte musulman, qui aura pour vocation de former et de référencer les imams en France. C'est un point très important et qui est au coeur de cette future loi contre le séparatisme. Une loi qui va d'ailleurs beaucoup plus loin que la lutte contre l'extrémisme islamiste, qui réaffirme les valeurs de la République française et notamment la valeur de la laïcité parce que, comme je vous le disais tout à l'heure, la France respecte toutes les religions. C'est au coeur de ses principes philosophiques et juridiques que de respecter la liberté de conscience et la liberté de culte.
Q - Une question sur les tensions avec la Turquie relatives à cette affaire. Comment expliquez-vous votre déclaration selon laquelle la Turquie joue un rôle honteux en exploitant le discours du président français ?
R - Nous avons pu constater très clairement que ce sont un certain nombre de réseaux turcs qui ont relayé ces calomnies et cette déformation de la réalité telle que je l'ai décrite tout à l'heure, sur les réseaux sociaux notamment. Cette tentative de déstabiliser notre pays fait suite à un certain nombre d'éléments qui contribuent à tendre les relations avec la Turquie. La Turquie est un grand pays, un grand peuple, et nous souhaitons entretenir des relations diplomatiques et économiques apaisées. Mais nous sommes déterminés à faire en sorte que ce type de pratiques cesse. Nous sommes déterminés à ce que l'expansionnisme turc, notamment en Méditerranée orientale, cesse et que soit respectée la souveraineté européenne. Ce n'est pas une question de tensions entre la France et la Turquie. C'est une question de respect de la souveraineté européenne, et de respect de la vérité sur un certain nombre de principes, comme je l'évoquais tout à l'heure. Nous sommes ainsi déterminés avec nos amis européens, notamment lors du prochain Conseil européen, à discuter des voies et moyens pour réaffirmer notre volonté de défendre notre souveraineté et de faire cesser un certain nombre de pratiques turques, que ce soit en Méditerranée orientale, sur les réseaux sociaux, ou que ce soit cette politique du fait accompli, notamment en Libye ou en Syrie.
Q - Vous avez appelé la Turquie à changer son comportement expansionniste en méditerranée, dans le cadre des opérations d'exploitation qui portent atteinte à la souveraineté de Chypre et de la Grèce. Quelles décisions pourraient être prises lors du prochain Conseil européen qui se tiendra en décembre ?
R - Encore une fois, que la Turquie souhaite développer ses activités économiques, c'est tout à fait légitime. Mais elle doit le faire en respectant les autres, en respectant le droit international, et en respectant la souveraineté européenne. C'est ce que nous avons dit très clairement avec nos amis européens, unis face à ces tentatives expansionnistes et de non-respect du droit international. Nous allons évoquer avec eux les voies et moyens pour faire comprendre à la Turquie que nous sommes déterminés à faire respecter nos droits, à faire respecter notre souveraineté. Il y a eu des paroles d'apaisement du président Erdogan mais nous ne nous satisferons pas de paroles. Nous voulons des actes, des actes clairs. C'est ce que nous allons dire très clairement avec nos amis européens et nous verrons jusqu'où nous irons dans la réaction pour affirmer notre position.
Q - Face au comportement de la Turquie en Afrique du Nord et son combat contre les Européens, par la pression migratoire, quelle décision pourrait être prise ?
R - Vous avez vu que nous avons dénoncé avec force le fait que la Turquie ne respectait pas l'embargo des armes vis-à-vis de la Libye. Nous avons aussi très clairement dit que nous ne pouvons pas accepter le chantage à l'immigration telle qu'il est opéré par la Turquie. Et tous ces éléments, qui sont des éléments très précis, très clairs, sont mis dans les discussions que nous avons avec nos partenaires européens pour faire en sorte de demander à la Turquie des clarifications, et des actes pour que ces pratiques cessent. Et nous allons être fermes, et nous allons prendre les décisions qui s'imposent, qui peuvent aller jusqu'à des sanctions.
Q - En temps de Covid-19, et en tant que ministre délégué au commerce extérieur et à l'attractivité économique, quel diagnostic faites-vous pour la France et pour l'économie mondiale ?
R - La France est touchée par cette crise Covid-19 dans son économie. Les échanges internationaux ont été très perturbés par cette crise, parce qu'il y a eu moins de production, parce qu'il y a moins de consommation, parce que les flux logistiques sont perturbés, et que les échanges commerciaux sont en baisse, parfois forte.
Pour autant, nous sommes convaincus qu'une fois cette crise passée, une fois que les vaccins auront été généralisés, - on voit que les choses avancent et avancent bien -, nous sommes convaincus que l'économie mondiale va reprendre, va reprendre fort, et reprendra d'autant plus fortement qu'il y aura de nombreux nouveaux des échanges commerciaux.
Rien ne serait pire avec cette crise que de se replier derrière nos frontières, dans un protectionnisme et un repli sur soi qui serait catastrophique pour l'économie mondiale. C'est la raison pour laquelle, en tant que ministre du commerce extérieur, je me déploie à l'étranger pour renforcer les partenariats entre la France et un certain nombre de pays partenaires et amis, à l'instar des Emirats arabes unis, afin de faire en sorte d'être plus forts au moment de la reprise. Pour réussir à retrouver de l'emploi, retrouver de la création de richesse et retrouver la prospérité qui est pénalisée par cette crise Covid-19.
En France, nous avons pris un certain nombre de mesures de protection de notre outil économique, de protection des salariés français, pour être à même de pouvoir redémarrer très rapidement. Dans notre plan de relance, qui fait partie d'un plan de relance plus large de l'Union européenne, nous allons miser sur l'avenir - les technologies d'avenir, l'intelligence artificielle, le quantique - tout ce qui sera demain les succès entrepreneuriaux de nos entreprises, en partenariat avec les entreprises de nos pays amis.
Q - Vous êtes dans le Golfe, à Abou Dabi, quelle est la situation actuelle et l'avenir des entreprises françaises dans les pays du Golfe et aux Emirats arabes unis ?
R - Dans ce contexte, nous souhaitons développer les relations économiques avec les pays du Golfe. Il y a [1000] entreprises françaises qui y sont installées, 600 aux Emirats arabes unis, et nous voulons vraiment continuer d'investir dans les pays du Golfe, d'investir aux Emirats arabes unis, pour créer des relations gagnantes-gagnantes sur le long-terme. Augmenter nos échanges - des importations, des exportations - mais aussi les partenariats. Des partenariats pour bâtir des réussites économiques dans les pays du Golfe, et pour aller ensemble à la conquête d'un certain nombre de marchés.
Nous avons également envie, par exemple avec les Emirats arabes unis, de bâtir des partenariats pour répondre aux besoins énormes qu'il y a, notamment en Afrique. L'Afrique est un continent qui se développe très vite et qui a envie d'avoir sa part du développement économique mondial. Nous pouvons, Français et Emiriens, par exemple, développer des partenariats en Afrique. Quand on sait que les villes africaines doublent de population tous les dix ans, vous vous rendez compte du potentiel qu'il y a en matière d'eau, d'assainissement, d'énergies, de construction, d'infrastructures, de produits manufacturés, de produits de grande consommation, de produits agro-alimentaires ?
Nous pouvons bâtir des beaux partenariats et c'est ce que je viens dire très clairement aujourd'hui et pendant ces quelques jours ici, dans le Golfe et aux Emirats arabes unis. Nous avons des exemples de partenariats : je vais aller visiter un incubateur qui est le fruit d'un partenariat entre Bpi France - une banque française - et un fond souverain émirien pour le développement de start-ups autour des nouvelles technologies, des technologies d'avenir comme je le disais tout à l'heure. Nous pourrions parler également de toutes les technologies autour du verdissement de l'économie. Nous devons ressortir de cette crise avec une économie verdie, et nous pouvons le faire notamment grâce au développement des start-ups.
Q - En tant qu'ancien ministre de la culture, et actuel ministre du commerce extérieur et de l'attractivité économique, et après le Louvre Abu Dhabi, quel est selon vous l'avenir du partenariat entre la France et les Emirats arabes unis, à la fois en termes commercial et de grands projets ?
R. : Vous savez, mon premier déplacement hors de l'Union européenne quand j'ai été nommé ministre de la culture, c'était à Abou Dabi, pour le premier anniversaire de l'ouverture du Louvre Abu Dhabi. Ce joyau du partenariat entre les Emirats arabes unis et la France, ce symbole de la tolérance et de l'universalité des arts, ce formidable succès en termes de visiteurs, malgré le contexte actuel de Covid-19 évidemment, doit nous permettre d'imaginer d'autres partenariats en matière culturelle avec les Emirats arabes unis, notamment avec les industries culturelles et créatives. Les industries culturelles et créatives sont un potentiel commercial et économique extraordinaire dans le cinéma, dans le jeu vidéo, dans le design, dans l'architecture. Nous pouvons faire en sorte, au-delà du Louvre Abu Dhabi, et au-delà du partenariat avec l'Université Sorbonne, de bâtir avec les Emirats arabes unis, et peut-être avec d'autres pays du Golfe également, des partenariats autour des industries culturelles et créatives. En tant qu'ancien ministre de la culture et actuel ministre du Commerce extérieur, je m'en réjouis d'avance.
Q - Monsieur le Ministre, Franck Riester, merci du fond du coeur. Vous êtes le ministre français du commerce extérieur et de l'attractivité économique. Bienvenue sur Skynews Arabia.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2020