Texte intégral
Chers amis,
Je tiens tout d'abord à exprimer mes vifs remerciements au Franco-British Council pour l'organisation de cet événement virtuel. Malgré la crise sanitaire que nous traversons, il est important que les échanges et les débats d'idées ne soient pas interrompus. D'autant plus lorsque les relations de deux alliés historiques se nourrissent de tels échanges.
Je suis donc très heureuse d'ouvrir, avec mon collègue et ami Ben Wallace, cette conférence qui porte l'ambition de faire émerger des idées nouvelles au profit de notre relation de défense. Cette année 2020, si particulière à bien des égards, marque le dixième anniversaire des traités de Lancaster House : l'occasion de mesurer le chemin parcouru, le moment aussi de s'engager à nouveau le regard tourné vers l'avenir.
C'est ainsi que je voudrais embrasser aujourd'hui avec vous la relation franco-britannique de défense.
Notre relation n'est évidemment pas apparue subitement en 2010. Elle est fondée sur une histoire commune marquée, durant le siècle écoulé, par tant de guerres et tant de batailles menées ensemble pour défendre des valeurs partagées.
Aujourd'hui encore, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et puissances nucléaires, nous partageons des responsabilités globales et nous sommes attachés, l'un comme l'autre, à préserver une vision du monde et des relations internationales fondée sur le multilatéralisme et le respect du droit.
Au-delà de cette vocation globale, nos deux nations partagent surtout des intérêts de sécurité fondamentaux. Mieux, comme nous l'avons formellement reconnu dans la Déclaration de Chequers en 1995, et réaffirmé depuis à de multiples reprises, nous ne pouvons envisager de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'une des parties pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi.
C'est notamment pourquoi en 2010, nous avons choisi, avec les traités de Lancaster House, de bâtir un partenariat bilatéral encore plus ambitieux, dans les domaines du nucléaire, de la défense et de la sécurité.
Je voudrais rappeler ici nos progrès et nos succès les plus marquants. Au niveau opérationnel, notre nouvelle force conjointe, la CJEF, a atteint cette année sa pleine capacité opérationnelle. C'est l'aboutissement d'un programme d’entraînement et de montée en puissance initié il y dix ans, qui nous offre aujourd'hui la possibilité d'intervenir ensemble s'il le faut sur terre, sur les mers ou dans les airs.
De fait, nos forces travaillent déjà largement ensemble sur le terrain. C'est le cas au Sahel, et je salue la poursuite du déploiement de 3 Chinook britanniques en soutien de l'opération Barkhane et de la MINUSMA. Je pense aussi à l'Estonie où la France contribuera de nouveau au dispositif "eFP" de l'OTAN, à partir de mars 2021, avec le Royaume-Uni. Nos forces sont également déployées côte à côte au Levant, dans le cadre la coalition internationale contre Daech. Enfin, nous coordonnons de plus en plus étroitement nos déploiements maritimes. Ce sera le cas en 2021.
Dans le domaine capacitaire et industriel, il y a eu des avancées notables et nouvelles. Nous sommes donc fiers, avec le ministre Wallace, d'annoncer aujourd'hui, devant la communauté du Franco-British Council, la notification, qui a eu lieu le 16 novembre dernier, du contrat de production du programme franco-britannique de lutte contre les mines maritimes (le MMCM). Ce programme, que nous avons conduit ensemble, c'est une révolution de la guerre des mines : il rendra le travail des opérateurs plus facile et plus efficace, il éloignera les plongeurs de la menace. Le MMCM appuiera directement la mise en oeuvre de notre dissuasion et participera donc à garantir notre souveraineté. La preuve s'il en fallait que joindre nos forces ne signifie pas forcément menacer notre indépendance.
Nous avons également bien progressé dans l'intégration de MBDA entre les deux rives de la Manche. Lorsqu'en 2015, la France et le Royaume-Uni ont signé l'accord intergouvernemental soutenant la mise en oeuvre du concept "one MBDA", nos deux pays ont accepté un principe de rationalisation industrielle jamais vu en Europe. Ce modèle a aujourd'hui fait ses preuves : je pense par exemple au programme Anti Navire Léger qui bénéficie pleinement de cette construction industrielle, et j'en profite pour saluer la réussite du deuxième tir de qualification du missile il y a quelques jours.
Enfin, la dissuasion et la coopération nucléaires sont au coeur du partenariat franco-britannique. Il ne saurait y avoir de plus grande preuve de la valeur que nous attachons à notre relation bilatérale que cette volonté de travailler conjointement dans ce domaine si sensible. La mise en place d'installations communes à Valduc et à Aldermaston, est la preuve éclatante du haut niveau de confiance atteint entre nos deux pays. Ces avancées illustrent la force de notre partenariat.
Or, nous en avons plus besoin que jamais, à un moment où nous sommes confrontés à une dégradation de notre environnement stratégique. La menace terroriste continue de peser sur nos sociétés, la compétition stratégique désinhibée est devenue la nouvelle grammaire des relations internationales, l'érosion de l'ordre international s'accélère : on le voit avec la remise en cause des grands accords de maîtrise des armements ou, de façon moins spectaculaire mais encore plus insidieuse, les violations quotidiennes du droit international - je pense par exemple au droit de la mer.
Et, comme si cela ne nous suffisait pas, nous devons faire face à l'impact sécuritaire d'une crise économique inédite qui découle de la crise sanitaire la plus grave qu'ait connue l'Europe depuis un siècle. Face à un tel tableau, la lucidité est sans doute nécessaire mais elle ne suffit pas. Nous devons faire preuve d'une détermination sans faille pour maintenir notre capacité à agir militairement sur toute l'intensité du spectre qui s'étend désormais jusqu'au cyber et à l'espace. Et nous devons le faire ensemble.
Nous devons aussi poursuivre et approfondir le développement de notre relation bilatérale de défense en étant ambitieux pour la prochaine décennie. Aux domaines actuels de coopération, nous pourrions réfléchir à de nouvelles synergies pour renforcer la protection de nos intérêts dans l'espace et le cyberespace.
J'en suis convaincue, nous ne pourrons pas réussir sans un dialogue politique robuste entre Paris et Londres. Bien sûr, nous sommes différents. Nous ne devons pas nier les nuances qui peuvent exister quant à l'appréciation de la situation internationale, nous ne pouvons pas non plus ignorer les choix fondamentalement différents que nous avons faits, en particulier à l'égard de l'Union européenne.
Mais, à l'évidence, il nous reste beaucoup de choses à discuter et nous avons beaucoup de cadres pour le faire. J'en citerai trois :
- À l'OTAN, nous allons dans les mois à venir travailler à la consolidation du lien transatlantique. Au lendemain des dernières élections américaines, c'est un enjeu essentiel car l'Alliance demeure le cadre de notre défense collective. La remise imminente du rapport du Groupe de réflexion stratégique mis en place à la demande du Président de la République doit être l'occasion d'un débat nourri à l'OTAN et entre nos deux pays.
- A l'Union européenne se joue d'abord bien sûr la capacité de ses membres à construire une souveraineté européenne à la mesure des enjeux globaux. Mais il importe aussi de dessiner les contours d'une relation de l'Union avec le Royaume-Uni qui permette de contribuer ensemble à la sécurité de l'Europe.
- Au sein de l'Initiative européenne d'intervention, enfin, où le Royaume-Uni est très actif et je m'en réjouis. Nos deux pays continueront de partager leurs visions stratégiques et d'explorer les pistes de coopération sur le terrain.
Pour conclure, si je devais résumer notre relation avec un peu d'humour, je dirais qu'elle ressemble à un Tango : elle est rythmée, les pas ne sont jamais fixés à l'avance, c'est à nous de les esquisser ensemble et les répéter sans cesse, mais nous avançons dans la même direction, avec énergie et avec envie. Nous travaillerons encore à renforcer cette relation, notamment dans la perspective d'un sommet franco-britannique en2021, mais aussi et surtout pour contribuer à la sécurité de l'Europe.
Je vous souhaite à toutes et à tous des échanges constructifs et enrichissants dans le cadre de ce forum virtuel. Merci.
Source https://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2020