Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invitée ce matin est la ministre déléguée chargée de l'Egalité entre les Femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Egalité des chances.
LÉA SALAME
Bonjour Elisabeth MORENO.
ELISABETH MORENO
Bonjour Léa SALAME.
LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. Vous êtes un nouveau visage du gouvernement CASTEX, c'est votre première expérience en politique, vous venez du privé, vous étiez directrice Afrique du géant américain HEWLETT PACKARD, vous êtes fils d'immigrés Cap-Verdiens qui sont arrivés en France. Vous dites : « J'ai eu une vie avec beaucoup de drames, de souffrances, d'humiliations et d'injustice ». Il était 08h00 du matin, un dimanche matin au Cap, en Afrique du Sud où vous habitiez, quand Jean CASTEX vous a appelée pour vous proposer de rentrer au gouvernement. Vous avez dit oui, vous dites « je ne suis pas venue faire de la poterie au gouvernement », alors vous êtes venue faire quoi ?
ELISABETH MORENO
Ecoutez, d'abord bonjour à tous vos auditeurs. Je suis venue aider la transformation de ce pays, je suis venue faire en sorte que tous les Français soient considérés, d'où qu'ils viennent, je suis venue apporter mon expérience en tant que femme d'entreprise, je suis venue apporter mon expérience en tant que femme issue de la diversité, et je suis aussi venue dire qu'on peut lutter contre le déterminisme, qu'on peut, rien n'est impossible finalement, quand on voit mon parcours on se rend compte qu'on peut partir de rien et arriver à quelque chose, et je suis venue aussi passer un message à toutes ces personnes qui sont issues justement de la diversité et qui se disent qu'aujourd'hui qu'ils sont oubliés, qu'ils sont parfois, qu'ils ne font pas partie de la France, de cette belle France qui est la nôtre, de cette belle France plurielle, et de leur dire que si, il y a des choses extraordinaires qui se passent dans notre beau pays.
LEA SALAME
Votre père était maçon, votre mère femme de ménage, vous y êtes arrivée, pourtant, vous nous le dites ce matin, donc l'ascenseur social qui est quand même bien enrayé en France, marche encore ?
ELISABETH MORENO
Je pense que mon parcours démontre que l'ascenseur social fonctionne encore en France. Certains peuvent dire qu'il est en panne, mais il reste les escaliers, et tout est possible finalement. Je pense qu'il y a…
LEA SALAME
Vous avez pris l'escalier ou vous avez pris l'ascenseur ?
ELISABETH MORENO
Ah moi j'ai pris l'escalier, j'ai monté pas à pas et marche après marche, je pense que c'est la meilleure manière finalement d'apprécier le voyage. Et puis finalement on se rend compte qu'il y a beaucoup de choses qui sont faites en France, notamment dans la partie éducation, vous avez vu ce que Jean-Michel BLANQUER a fait en dédoublant notamment les classes pour donner aux enfants issus des quartiers un peu plus défavorisés, la possibilité d'étudier et d'avancer dans leur vie. Il y a beaucoup de choses qui sont faites en France, mais qui sont très peu connues, et mon ambition c'est de les faire connaître et les faire savoir, pour que chacun ait la chance de réussir justement.
LEA SALAME
Alors, on va commencer par votre premier dossier, les violences faites aux femmes. Vous avez eu une première déclaration qui a fait parler : « Ce que je veux, c'est que les féminicides passent de 170 actuellement à 10 par an à la fin du quinquennat, alors je pourrais mourir tranquille », avez-vous dit. Et pourtant Elisabeth MORENO, malgré la grande cause nationale décrétée par Emmanuel MACRON, malgré le Grenelle, le nombre de féminicides a augmenté en 2019, 25 femmes de plus sont mortes en 2019 sous les coups de leur compagnon. C'est un échec pour le gouvernement ?
ELISABETH MORENO
C'est terrible, après tous les efforts qui ont été faits ces dernières années, parce que vous l'admettrez que jamais on a autant mis en lumière le sujet des violences conjugales. Cette grande cause du quinquennat a permis à Marlène SCHIAPPA de mettre sur la table un sujet dont personne ne parlait. Ce Grenelle nous a donné 46 mesures, qu'il est extrêmement important d'exécuter une à une, pour pouvoir enrayer ce fléau des violences conjugales, qui touche les femmes.
LEA SALAME
Mais pourquoi ça augmente ? Pourquoi ça augmente ? On n'en a jamais autant parlé, c'est vrai, mais ça augmente. Pourquoi ? Qu'est-ce qui rate ?
ELISABETH MORENO
Alors, je pense qu'il y a des choses très pratiques et très pragmatiques, qui font que, qui prennent du temps parce que ça inclut le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Justice, ça inclut le ministère de la Santé. Il y a des solutions qui sont mises en place en ce moment, comme vous en avez entendu parler, pour protéger et pour éloigner les agresseurs. Protéger les femmes victimes et leurs enfants, éloigner les agresseurs, vous avez entendu parler du bracelet anti-rapprochement…
LEA SALAME
Oui, alors, par exemple, le bracelet anti-rapprochement, depuis fin septembre il est mis en place dans cinq juridictions seulement, le député LR Aurélien PRADIER, à l'origine de la loi, regrette qu'il n'y ait que 1 000 bracelets disponibles. Nous avons voté une loi pour généraliser ce bracelet, et qu'est-ce qu'on a ? Une expérimentation dans cinq juridictions, soit 2 % du territoire.
ELISABETH MORENO
Léa, cinq juridictions, c'est beaucoup. Ça peut paraître peu. Notre intention c'est de faire en sorte qu'à la fin de l'année ils soient déployés sur l'ensemble du territoire français, le temps avance très très vite. Déjà, dès le mois de novembre nous irons sur les territoires ultramarins, nous allons étendre ça sur une trentaine d'autres juridictions. Je peux vous dire que notre détermination, c'est de faire en sorte qu'à la fin de cette année, ces 1 000 bracelets soient déployés sur tous les territoires, et que les femmes se sentent protégées, et qu'elles n'aient pas systématiquement la peur au ventre de voir leur agresseur s'approcher du domicile ou de l'école. La deuxième chose que nous allons faire, c'est important parce qu'une fois que nous avons protégé ces femmes, il faut que nous nous assurions que les victimes ne récidivent pas, parce que d'autres femmes peuvent subir les mêmes choses. Nous allons donc ouvrir 15 centres pour traiter les agresseurs, on peut les appeler comme ça, socialement, psychologiquement, on sait que 38 % d'entre eux sont sous addiction d'alcool, de drogue, etc. Les traiter c'est aussi une manière de réduire ces féminicides. Et puis il est important, je pense qu'il faut que les femmes continuent de s'exprimer, il faut que me ministère de l'Intérieur, quand il reçoit des plaintes, quand ces femmes viennent porter plainte, eh bien qu'elles puissent comprendre quelle est la nature des dangers qu'elles peuvent courir.
LEA SALAME
Oui. Je vous coupe un peu en l'air, parce qu'on a deux autres sujets importants. Vous présentez demain le premier plan national d'action pour l'égalité des droits contre la haine et les discriminations anti-LGBT. Parmi les mesures de ce plan, autoriser l'utilisation du prénom d'usage dans les documents administratifs ou adapter les formulaires administratifs pour inclure les familles homoparentales. En quoi ça va vraiment changer la vie des personnes LGBT+ ?
ELISABETH MORENO
Parce qu'aujourd'hui, les personnes LGBT+ sont totalement invisibilisées, aujourd'hui ce sont des citoyens qui ont des droits mais qui peinent à faire reconnaître ces droits, donc nous allons travailler sur ce plan autour de quatre axes : le premier, c'est qu'il y ait une reconnaissance réelle et concrète des droits qu'ils ont acquis de haute lutte. Le deuxième c'est le leur donner un véritable accès à ces droits, parce que depuis 2013, par exemple, les personnes homosexuelles peuvent adopter, mais on se rend compte que très peu de couples finalement y ont encore accès…
LEA SALAME
Parce que c'est très difficile.
ELISABETH MORENO
Parce que c'est très difficile. Donc nous allons travailler avec le Conseil des familles pour comprendre où sont les barrières. La troisième chose c'est lutter contre cette haine, cette violence qu'il y a à l'égard des personnes LGBT+/ Je ne sais pas si vous le savez, mais l'une des insultes les plus violentes qu'on trouve dans les cours d'école ou dans les stades, c'est PD. Si ça peut vous choquer de l'entendre dans la bouche d'une ministre, je peux vous laisser imaginer comment c'est humiliant, comment c'est blessant pour un jeune LGBT+ de l'entendre dans la cour de l'école.
LEA SALAME
Mais comment vous allez lutter contre ça, contre les enfants qui disent ça ?
ELISABETH MORENO
Eh bien il y a plusieurs choses. La première chose à faire c'est de commencer par éduquer. C'est commencer par sensibiliser, et c'est pour ça que nous allons créer un site internet, sur lequel le corps enseignant pourra trouver tous les outils, les éléments de langage, parce que ce n'est pas toujours un sujet très facile à traiter, donc nous allons leur donner accès à ce site pour qu'ils puissent s'auto-former et pouvoir répondre à cela dans les cours d'école.
LEA SALAME
Donc, c'est un guide pour les enseignants, c'est ça ?
ELISABETH MORENO
Ça c'est un guide, donc sur Internet, qui soit accessible à tout le monde et qu'on puisse mettre à jour régulièrement. Et puis la deuxième chose que nous allons faire, c'est que nous allons écrire un guide pour recevoir les jeunes trans dans les écoles, vous avez vu cette petite Lily qui racontait son histoire, tellement poignante, et qui raconte combien…
LEA SALAME
Née garçon.
ELISABETH MORENO
Exactement. Née garçon…
LEA SALAME
Et petite fille qui a fait une mission de télévision « Quotidien », la semaine dernière…
ELISABETH MORENO
Absolument.
LEA SALAME
Qui a déchaîné une violence sur les réseaux sociaux, ahurissante.
ELISABETH MORENO
Et c'est une violence qui démontre encore combien les gens comprennent peu ce sujet de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre, et c'est justement pour ça qu'il est important que nous donnions toute la place à cette population de lesbiennes, de gays, de bis et de trans, pour qu'ils se sentent partie prenante de notre société et qu'ils puissent voir leurs droits respectés, et notamment dans les actions de la vie quotidienne, parce que là on va parler de l'école, on va parler de la vie familiale, on va parler de la santé, on va parler de tous les environnements, le sport, tous ces environnements dont ils peuvent parfois se sentir complètement exclus.
LEA SALAME
Et vous aurez des résultats.
ELISABETH MORENO
Et nous allons avoir des résultats bien sûr, parce que c'est un plan interministériel dans lequel nous avons associé les associations, et je suis convaincue qu'il va véritablement changer leur vie.
LEA SALAME
Dernière question, la militante féministe Alice COFFIN, fait beaucoup parler d'elle, avec notamment son livre « Le génie lesbien », où elle dénonce une guerre des hommes contre les femmes, elle dit qu'elle ne veut plus lire des livres d'hommes, écouter de la musique venir des hommes ou voir des films réalisés par des hommes. Vous la comprenez ? Elle défend bien la cause des femmes ?
ELISABETH MORENO
Eh bien déjà, la première chose que je veux dire, c'est que je suis atterrée et je condamne totalement les violences et les condamnations à mort dont elle fait preuve, ça me paraît totalement hallucinant. Quand quelqu'un exprime son idée, d'être autant violentée, c'est totalement insupportable, inadmissible. Maintenant, moi je ne partage pas ce point de vue. Moi je suis dans un ministère qui lutte contre toutes les formes de violences, d'où qu'elles viennent, et je ne crois pas qu'opposer les hommes et les femmes, et chercher à séparer les hommes et les femmes, et remplacer une injustice par une autre, ce soit le bon chemin. Par conséquent je ne partage pas cette idée, j'ai besoin de tous les hommes et de toutes les femmes pour porter cette égalité qui me tient tant à coeur, et je pense que madame COFFIN à cette idée-là en tête, mais elle est tellement fatiguée, j'ai l'impression qu'elle est fatiguée de voir cette domination masculine, qui existe finalement dans toute la…
LEA SALAME
C'est fini.
ELISABETH MORENO
…
LEA SALAME
Non mais terminez, si vous voulez, terminez la phrase.
ELISABETH MORENO
Mais c'est trop court !
LEA SALAME
Mais oui, je sais.
ELISABETH MORENO
Je vois d'où elle vient, mais je ne suis pas du tout d'accord sur la démarche
LEA SALAME
Elisabeth MORENO était notre invitée. Premier test, première grosse interview pour vous. Ça va, c'est passé ?
ELISABETH MORENO
Ecoutez, c'est passé, mais ça passe justement trop vite.
LEA SALAME
Alors on vous réinvitera. Merci, belle journée à vous.
ELISABETH MORENO
Merci beaucoup.
NICOLAS DEMORAND
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 octobre 2020