Texte intégral
Monsieur le président,
Monsieur le président de la commission,
Mesdames et messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Permettez-moi, avant d'entamer mon propos relatif au projet de loi de finances pour 2021 à mon tour, de saluer la mémoire du président Giscard d'Estaing. C'est un homme qui a porté toute sa vie le projet européen, c'est un homme qui a contribué, comme son successeur François Mitterrand, à porter très haut l'amitié franco-allemande qui est le socle, le pilier de ce projet européen. Et puis n'oublions pas que le président Giscard d'Estaing avait un lien particulier avec nos armées : il s'était engagé à 18 ans pour la libération de Paris puis dans la première armée, n'oublions pas qu'il a été cité à l'ordre de cette armée et qu'il fut décoré de la croix de guerre 1939-1945.
Chacun le sait, c'était un ancien élève de l'École polytechnique et lorsqu'il accéda, en 1974, à la présidence de la République, il engagea une profonde modernisation de nos forces armées. Au cours de son septennat, une loi de programmation militaire fut adoptée, et au cours de cette loi de programmation militaire fut lancé l'équipement de nos armées en fusils FAMAS, ces fusils que progressivement nous sommes en train de remplacer dans le cadre de cette loi de programmation militaire par le HK-416 : on voit là toute la continuité qui peut exister d'une loi de programmation à l'autre, et combien nous agissons dans le temps long.
Je rappellerai également le fait que les premières études sur un porte-avions nucléaire ont été lancées à cette époque et puis, pour faire un dernier lien entre le passé, le présent et l'avenir, c'est cette loi de programmation 1977-1982 qui a pris la décision de lancer le programme des sous-marins nucléaires d'attaque Rubis, et au moment où nous nous apprêtons, après avoir réceptionné le premier exemplaire le Suffren qui prend la succession des sous-marins de classe Rubis, j'y vois un signe tout à fait marquant de la continuité, des actions et des décisions qui sont prises pour la France.
C'est avec une grande fierté que je voudrais vous proposer d'examiner le budget 2021 de la mission défense qui, pour la 3ème année consécutive, respecte à la lettre les engagements et la trajectoire financière de la loi de programmation militaire.
Ce budget est la marque du respect de l'engagement fort du Président de la République de porter l'effort national de défense à 2% de la richesse nationale d'ici 2025. Cet objectif n'est pas seulement symbolique. Il poursuit et consolide la remontée en puissance de nos armées portées par la loi de programmation militaire.
Alors, vous l'avez noté dans vos interventions en effet, l'objectif de 2% du PIB pourrait être atteint dès 2020 en raison de l'impact de la crise sanitaire sur notre économie. Pour autant, c'est une conséquence que je qualifierai de purement arithmétique de la crise, et est-ce que cela signifie que nous avons suffisamment modernisé nos armées et qu'elles sont désormais mieux équipées ? Évidemment, non. L'effort est à poursuivre, et donc nous le poursuivons.
Vous avez souligné dans vos interventions la question de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Cette dernière doit avoir lieu au plus tard en 2021. Le travail de préparation est en cours sur le fondement d'une mise à jour de notre analyse du contexte géostratégique nous permettant d'identifier les ajustements envisageables pour répondre à l'évolution de la menace et des risques.
Conformément à la loi de programmation militaire, en 2021, les crédits pour le ministère des Armées s'élèveront à 39,2 milliards d'euros, c'est à dire 7 milliards de plus qu'en 2017. Sur la période 2018-2021, ce sont au total 18 milliards de ressources supplémentaires dont auront bénéficié les armées.
Alors les armées, mais pas seulement. Car les crédits de la mission défense, année après année, bénéficient aussi aux entreprises françaises, à notre industrie et à nos territoires. Dans le contexte actuel, ce budget 2021, c'est une contribution essentielle à la relance économique de notre pays. Si l'on raisonne plus globalement sur la première partie de la LPM 2019-2023, ce sont 110 milliards d'euros qui seront injectés dans l'économie pour les équipements, les infrastructures, ainsi que le maintien en condition opérationnelle : c'est donc l'équivalent en 5 ans d'un plan de relance pour les seules questions de défense.
Et c'est un plan de relance qui s'adapte : dès le mois de juin, pour venir en aide au secteur aéronautique qui a été durement touché par la crise sanitaire, nous avons accéléré certaines commandes qui étaient prévues, au cours de la LPM, pour un montant de 600 millions d'euros. Cette anticipation a ainsi permis de sauvegarder plus de 1225 emplois pendant au moins deux ans, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une respiration bienvenue pour un secteur éprouvé.
De ce point de vue, l'intention exprimée par la Grèce, premier pays européen à vouloir acheter 18 avions Rafale dont 6 neufs, a été une excellente nouvelle pour notre industrie. Nous poursuivons activement les discussions à l'heure actuelle et nous pourrions aboutir d'ici la fin de l'année sur la question. Je précise un point qui a été soulevé au cours des différentes interventions, c'est que si ce contrat aboutit, le produit de la vente des Rafale d'occasion reviendra bien au budget du ministère des Armées. Nous avons eu en effet toutes les assurances du ministère de l'Economie et des Finances à ce sujet.
Naturellement, nous nous organisons de sorte à ce que la vente des avions issus de nos forces à l'armée de l'air grecque n'obère en rien la capacité de nos armées à remplir leurs engagements opérationnels, et ceci ne doit évidemment avoir aucun impact sur leur entraînement. Et je souhaite donc être très claire sur ce point : les missions confiées à l'armée de l'air et de l'espace continueront d'être réalisées et ses pilotes continueront à s'entraîner.
Là aussi, je voudrais préciser le fait, car il est important que les prélèvements réalisés dans nos escadrons de combat, si ce contrat est bien conclu, soient compensés par des avions neufs. La Loi de Programmation Militaire fixe une ambition capacitaire pour l'armée de l'Air et de l'Espace, comme pour d'ailleurs toutes les autres armées. Cette ambition sera respectée. Nous avions ensemble prévu que l'armée de l'Air et de l'Espace soit dotée de 129 avions Rafale en 2025, cet objectif sera tenu. Aussi, je crois, comme certains d'entre vous l'ont exprimé, qu'il s'agit, si ce contrat est finalement conclu, d'une triple bonne nouvelle. C'est une bonne nouvelle politique, nous poussons à ce que les exportations d'armement se développent au sein de l'Union européenne, ce serait le cas. Ce serait une bonne nouvelle sur le plan économique, puisque cette commande de 6 Rafale neufs par la Grèce, complétée par une commande de 12 Rafale neufs par l'armée de l'Air et de l'Espace française pour compenser les prélèvements réalisés au profit de la Grèce, et bien ces commandes représentent 7000 emplois, concernent 500 PME et ceci sur 18 mois. Donc, dans la période actuelle, je crois que personne dans cet hémicycle ne pourrait s'en plaindre. Et enfin, c'est aussi une bonne nouvelle puisque tout ceci va contribuer activement à l'interopérabilité de nos forces.
Pour en revenir au budget, le ministère des Armées sera en 2021 une véritable fabrique de l'emploi : nous serons le 1er recruteur de l'État avec près de 27 000 recrutements, soit 300 de plus que l'année précédente. L'effort en termes d'apprentissage sera poursuivi. Nous recruterons des jeunes venus de tous les territoires de notre pays et ayant tous les niveaux de formation possibles. Nous poursuivrons également l'effort engagé dans les domaines du renseignement, du cyber et du numérique.
J'en viens maintenant au détail du contenu du budget et je vous propose de l'examiner en reprenant les quatre axes de notre loi de programmation militaire.
(1) Pour ce qui concerne tout d'abord l'amélioration des conditions de travail et de vie des personnels, je voudrais souligner quatre éléments clés pour illustrer ce budget à hauteur d'hommes :
- Le premier, c'est l'amélioration des conditions d'hébergement des militaires, auquel nous allons consacrer 237 millions d'euros en 2021, dans le cadre du programme hébergement qui prévoit un investissement d'1 milliard d'euros d'ici 2025, car en effet il y a matière à progresser et nombre d'entre vous l'ont relevé dans leurs interventions. Mais comme dans bien d'autres domaines, concernant le budget et la mission défense, il s'agit, non pas de rattraper des décennies de sous-investissement, il s'agit de rattraper des décennies de non-investissement.
- Le 2ème élément c'est le renouvellement des petits équipements de nos militaires avec notamment 12 000 nouveaux fusils HK-416, je l'ai mentionné tout à l'heure, et de 126 000 nouveaux treillis ignifugés F3, ceux qui ont eu la chance de pouvoir se rendre en opérations sur le terrain ont pu constater qu'en 2020, conformément à l'objectif fixé, 100% de nos soldats déployés en OPEX en sont équipés.
- Le 3ème élément c'est la modernisation de la solde. Avec 38 millions d'euros dans le budget 2021, nous allons donc amorcer la nouvelle politique de rémunération des militaires, avec un dispositif renforcé d'indemnisation de la mobilité géographique.
- Enfin, le 4ème élément, est, je crois, très important à la lumière de la crise sanitaire que nous traversons, il s'agit de l'accroissement des crédits du Service de Santé des Armées en 2021. J'ai en effet décidé cette année d'augmenter le budget de ce service de 160 millions d'euros d'ici la fin de la LPM. Cette décision s'inscrit dans la dynamique de l'effort qui a été entamé, depuis 2017, lorsque nous avons mis fin, enfin, à la déflation des effectifs du Service de Santé des Armées. Nous avions également décidé plusieurs mesures de revalorisation salariale au profit des praticiens et du personnel paramédical à hauteur de 31 millions d'euros entre 2017 et 2020. Une question a été posée sur les mesures de protection que nous prenons à l'égard de nos militaires lorsque ceux-ci partent en opération ou en mission. Je voudrais le répéter car nous avons eu l'occasion à maintes reprises, au cours de ce printemps, d'évoquer ces questions, notamment dans le cadre des échanges avec votre commission : chaque fois que des militaires s'apprêtent à partir en mission, ils sont, avant leur départ, isolés puis testés. Le test à lieu 72 heures avant le départ. Et en sens inverse, lorsque les militaires rentrent de mission ou d'opération, ils sont à nouveau testés, et bien-sûr isolés si le test s'avère positif. Donc je crois que là aussi, nous avons progressivement trouvé les méthodes qui permettent de préserver la santé des militaires, celle de leurs familles mais aussi celles des populations au contact desquelles ils peuvent être amenés à évoluer.
(2) Enfin, je voudrais maintenant aborder les livraisons et les commandes, c'est-à-dire le deuxième chapitre de notre loi de programmation militaire, qui vont donc se poursuivre pour moderniser les matériels et les équipements lourds. Sur la croissance d'1,7 milliard d'euros que ce budget réalise en 2021 par rapport à 2020, les deux tiers seront consacrés aux programmes d'armement majeurs. Alors pour illustrer, et ce n'est qu'une illustration naturellement, sont prévus pour 2021 :
Pour l'armée de Terre, 150 blindés Griffon qui seront donc livrés à l'armé de l'air, ainsi que les 20 nouveaux blindés Jaguar, les premiers blindés Jaguar dans le cadre du programme Scorpion. Nous consoliderons également pour l'armée de Terre des commandes avec 21 hélicoptères interarmées légers et 120 véhicules blindés légers.
Pour ce qui est de la Marine, 2021 verra notamment la livraison de 3 avions de patrouille ATL2 rénovés et d'une nouvelle frégate multi-missions. Nous engagerons les commandes d'une nouvelle frégate de défense et d'intervention ainsi que de 8 hélicoptères légers. Comme la question du porte-avions de nouvelle génération a été abordée, je voudrais tout d'abord vous rassurer sur le fait que nous avons travaillé vite, nous ne sommes absolument pas en retard, nous avons réalisé au cours des deux dernières années des études, et nous sommes donc parfaitement en ligne avec l'objectif de la LPM c'est-à-dire d'être prêt au moment où le porte-avions Charles de Gaulle sera retiré du service en 2038. Et nous avons d'ailleurs prévu, dans le cadre du Projet de Loi de Finances 2021, des crédits très substantiels l'année prochaine pour ce programme, puisque 330 millions d'autorisations d'engagements et 113 millions de crédits de paiement sont prévus pour la poursuite des travaux concernant le porte-avions de nouvelle génération.
Enfin, l'armée de l'Air et de l'Espace réceptionnera, en 2021, 3 avions ravitailleurs MRTT Phénix, 14 avions de chasse Mirage 2000 D rénovés et 1 avion de transport A400M supplémentaire. Pour ce qui est des commandes, elles concerneront le lancement du démonstrateur du système de combat aérien du futur.
(3) Troisième chapitre de la LPM, il s'agit de la consolidation de notre autonomie stratégique, et ce budget 2021 y contribuera avec notamment 5 milliards d'euros pour poursuivre le renouvellement des deux composantes de la dissuasion française. Le ministère des Armées poursuivra son effort en faveur de la stratégie spatiale en lui allouant 624 millions d'euros. J'ai souhaité faire de l'Espace une priorité de la Loi de programmation militaire, et j'ai donc proposé au Président de la République une stratégie spatiale de défense à la hauteur des défis qui se présentent à nous. Nous y consacrons des moyens considérables avec 4,5 milliards d'euros sur la période 2019-2025. En 2021, le secteur spatial verra notamment la livraison d‘un satellite MUSIS/CSO, et je tiens à cette occasion à remercier les sénateurs de leur soutien pour l'introduction d'une mesure souhaitée par le gouvernement lors de l'examen de la loi de programmation de la recherche, qui nous permet d'assurer la sécurité et la souveraineté dans le domaine spatial.
(4) Pour terminer, j'en viens au dernier chapitre de la LPM, qui est la préparation du futur : 2021 sera, je l'ai dit, l'année de la commande du démonstrateur du système de combat aérien du futur, que nous construisons avec les Allemands et les Espagnols et qui devrait prendre son envol en 2026, afin d'être opérationnel en 2040 ou à l'horizon 2040. Et là aussi, je voudrais saisir l'occasion qui m'est donnée pour remercier le Parlement de son soutien et des contacts réguliers qui sont organisés avec les parlementaires allemands. Pour répondre à une question qui a été posée, l'Espagne est un partenaire important, et d'ores et déjà intégré aux travaux d'architecture, de recherche et développement qui avaient été initialement lancés en franco-allemand. Pour la phase du démonstrateur qui devrait être lancé d'ici la mi-2021, l'Espagne sera un contributeur majeur aux côtés de la France et de l'Allemagne.
La préparation du futur passe aussi par l'innovation : en 2021, nous consacrerons près de 900 millions d'euros pour concevoir les technologies de demain, et nous serons donc en bon chemin vers le milliard d'euros annuel qui sera atteint en 2022. L'année 2021 sera également celle de la mise en oeuvre du nouveau fonds innovation de défense, qui viendra donc compléter les mécanismes existants de soutien aux PME tel que par exemple, le RAPID. Ce nouveau fonds innovation défense sera doté de 200 millions d'euros pour soutenir le développement des technologies duales et transversales, par le financement en fonds propres d'entreprises innovantes. J'ai également noté l'interrogation concernant la nature des soutiens apportés par le système bancaire, je pense aux banques privées naturellement : j'ai demandé au délégué général de l'armement d'examiner, avec les organisations professionnelles des industries de défense, les services de Bercy et les représentants de la profession bancaire, l'existence de closes ou de pratiques qui pourraient conduire à restreindre l'accès aux crédits et aux financements des entreprises du secteur de la défense, c'est en effet un point d'attention qu'il nous faut avoir. Enfin, cela a été mentionné par l'un d'entre vous, je voudrais me réjouir que le fonds européen de défense, qui a été fortement soutenu par la France, voie le jour, puisqu'il sera doté de 7 milliards d'euros en euros constants, pour la période 21-27. C'est la première fois que des financements européens seront affectés à la recherche et au développement dans le secteur de la défense, et il faut s'en réjouir.
Notre devoir à tous, c'est de mettre en oeuvre la loi de programmation militaire, de veiller à son exécution dans chaque régiment, dans chaque unité, en métropole comme en outre-mer. Et j'y veille personnellement, chaque jour.
Je voudrais vous dire simplement deux mots sur un sujet, je vois que j'ai dépassé mon temps donc ce sera deux mots, sur un sujet sur lequel nous reviendrons, c'est-à-dire la gestion 2020, qui n'est pas encore tout à fait close. Pour vous dire simplement que la loi de finance initiale sera intégralement exécutée dans les montants prévus, que les surcoûts OPEX et MISSINT d'un montant de 1,46 milliards d'euros sont couverts en 2020, à la fois par la provision constituée en LFI ainsi que par des contributions internationales et des redéploiements internes pour un montant total inférieur à 60 millions d'euros et, enfin, par des ouvertures de crédits en loi de finances rectificative pour 200 millions d'euros.
Ce que je voulais vous dire, c'est que dans le contexte de la crise sanitaire, j'ai décidé de ne pas demander le financement par solidarité interministérielle en gestion, et je vous demande d'observer que le montant total des annulations n'a jamais été si faible.
Comme je suis invitée à conclure, je m'en remets désormais à vous pour que ce budget soit adopté, et je vous demande de bien vouloir prendre en considération que ce budget 2021 est une démonstration de constance, de confiance et de relance, celui de la poursuite de notre mission de protection des Français, celui du soutien de nos entreprises à nos emplois et à nos territoires.
Source https://www.defense.gouv.fr, le 7 décembre 2020