Texte intégral
Cher ami, cher Ara Aïvazian,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'avoir pu m'entretenir aujourd'hui en présentiel, comme l'on dit maintenant, avec mon homologue arménien, qui a choisi de venir en France à l'occasion de son premier déplacement après sa prise de fonction, un premier déplacement qui l'amène à Moscou et à Paris. Nous nous étions déjà entretenus au téléphone à plusieurs reprises.
C'est l'occasion pour nous de bâtir une relation de travail solide, confiante, indispensable entre des pays aussi proches que le sont l'Arménie et la France, et dans le prolongement de l'amitié de longue date entre nos deux pays et entre nos deux peuples.
Notre rencontre aujourd'hui revêt une importance d'autant plus grande qu'elle intervient dans un contexte qui exige, après six semaines d'un conflit très meurtrier au Haut-Karabagh et dans son pourtour, un engagement et une mobilisation sans faille.
Une déclaration de cessez-le-feu a été signée le 9 novembre par l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Russie. La décision prise par les autorités arméniennes a été courageuse et j'en mesure pleinement les implications. Elle a permis de faire cesser les combats et de sauver de nombreuses vies, et il est indispensable à cet égard de faire toute la lumière sur les informations faisant état de crimes et d'exactions commis dans le cadre de ce conflit.
Dans ce contexte difficile, la France est, vous le savez, aux côtés de l'Arménie ; notre action s'articule selon trois axes :
Le premier, c'est l'assistance humanitaire, une assistance coordonnée par le Centre de crise de ce ministère.
La France a affrété deux avions transportant à leur bord du matériel médical et des équipements destinés à venir en aide aux familles déplacées, fournis par des associations de solidarité, par des organisations humanitaires, mais aussi par les autorités françaises et par des collectivités territoriales. Deux autres avions sont prévus dans les prochains jours, et dans le domaine médical, nous renforcerons notre coopération hospitalière entre les établissements français et arménien. Enfin, une initiative visant à soutenir les associations présentes en Arménie permettra de financer des projets humanitaires et de stabilisation.
Le second axe de l'action de la France, c'est la protection du patrimoine culturel et religieux dans et autour du Haut-Karabagh. La France a pris des initiatives en appelant en premier lieu à respecter un cessez-le-feu patrimonial et à ne pas transporter le conflit sur le terrain du patrimoine historique. Nous poursuivons des consultations très actives avec l'UNESCO et les différentes parties, afin qu'une mission d'assistance technique puisse se rendre dès que possible dans la région pour faire l'inventaire des biens culturels significatifs des deux communautés, en vue de leur préservation. Et ce point fait l'objet d'une approche conjointe avec nos partenaires dans ce dossier, notamment avec la Russie.
Enfin, et c'est sur le terrain politique que la France agit et continuera d'agir, le retour au dialogue en vue d'un règlement politique dans le cadre de notre médiation est une priorité. Dans le communiqué publié le 3 décembre avec le ministre Lavrov et le secrétaire d'Etat américain Biegun, j'ai appelé les parties à mettre à profit le cessez-le-feu pour engager un processus permettant un accord de paix durable et viable. Il passe par des discussions permettant d'abord d'aboutir à nos objectifs prioritaires : le retour sûr et durable des personnes déplacées du fait du conflit, le départ des mercenaires syriens déployés aux côtés de l'une des deux parties au conflit, les paramètres de sécurité indispensables à la sécurité et à la stabilité de la région, ou encore, comme je l'ai indiqué, la question de la protection du patrimoine culturel et religieux.
Pour tout cela, nous avons besoin d'un processus de dialogue relancé, parce que, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le cessez-le-feu n'est pas un accord, c'est la fin d'une guerre.
Nous pensons qu'il faut maintenant une solution durable à ce conflit, notamment sur les questions qui ont trait au statut futur du Haut-Karabagh, à sa délimitation administrative, à son mode de gouvernance, et la France, au sein de la coprésidence du groupe de Minsk, assumera toutes ses responsabilités pour y parvenir.
C'est la seule voie vers un développement de la région qui permettra une reprise des échanges humains, culturels, économiques et un élément important pour le développement économique et son désenclavement.
L'engagement continu de la communauté internationale, et en premier lieu de la France, est nécessaire pour poser les bases d'une telle ouverture, avec l'espoir qu'elle portera ses promesses au bénéfice de l'ensemble des Etats de la région, et la France est et restera aux côtés de l'Arménie afin de l'accompagner dans cette tragédie.
Je remercie mon collègue Ara Aïvazian de sa visite aujourd'hui et je lui passe maintenant la parole.
(...)
Nous sommes un peu contraints par le temps, donc nous allons prendre une question de part et d'autre.
Q - La semaine dernière, vous avez évoqué le souhait d'avoir une supervision internationale au Haut-Karabagh. Qu'est-ce qui bloque pour mettre cela en place, s'il y a quelque chose qui bloque ? Je pense à l'Assemblée nationale, à la commission des affaires étrangères.
Sur la Turquie, il y aura une discussion des chefs d'Etat. Est-ce que vous avez eu les clarifications que vous souhaitiez par la Turquie, et sinon, est-ce que le temps des sanctions est arrivé ?
(...)
R - Je suis avec mon collègue arménien, donc je ne répondrai qu'aux questions qui concernent nos discussions actuelles. Sur le post-cessez-le-feu, puisque c'est votre question, nous avons d'abord dit clairement que nous voulions la mise en oeuvre de l'ensemble des éléments inscrits dans le cessez-le-feu, et que le groupe dit groupe de Minsk dont nous sommes coprésidents avec la Russie et les Etats-Unis, a le rôle en particulier d'assurer la mise en oeuvre de l'ensemble du cessez-le-feu. Je pense aux personnes déplacées, je pense aux mercenaires qui doivent partir, je pense aussi aux réfugiés, je pense aux prisonniers. Tout cela fait partie des sujets qui sont inscrits dans le cessez-le-feu, qui doivent être mis en oeuvre, et c'est notre rôle que de faire en sorte qu'il soit respecté. Et dans les prochains jours, les trois coprésidents se rendront sur le territoire pour vérifier la mise en oeuvre de tout cela.
Ensuite, sur la question de la Turquie, que vous avez évoquée, je ne dirai pas autre chose que ce que vous connaissez déjà. Il y aura un Conseil européen le 9 et le 10 du mois de décembre, dans peu de jours, et le Conseil européen aura abordé la question de la Turquie. Je ne vais pas anticiper, là, en cet instant, sur les décisions qui seront prises à cet égard.
Q - Monsieur le Ministre Le Drian, la déclaration du 9 novembre a mis fin aux combats, mais comme vous l'avez-vous-même souligné, la reprise des négociations dans le cadre de la co-présidence du groupe de Minsk reste nécessaire, notamment afin de définir le statut du Haut-Karabagh. Comment la co-présidence du groupe de Minsk envisage-t-elle la mise en application du droit à l'autodétermination de la population de l'Artsakh, compte tenu du fait que cette question est pratiquement la seule qui figurait dans les éléments des six principes de base de Madrid à demeurer ouverte. Si M. Aïvazian veut réagir sur cette question du droit à l'autodétermination, il serait le bienvenu.
R - Sur cette question, je crois avoir été assez clair dans mon propos introductif, mais vous faites bien de la reposer pour qu'il y ait une bonne clarification. Il y a un cessez-le-feu dont il faut mettre en application tous les paramètres. Il y a un cessez-le-feu qui a été signé par les parties en présence. Et les paramètres, vous les avez déclinés pour les plus urgents, j'ai bien noté que les autorités d'Azerbaïdjan mettaient en avant - les autorités de l'Arménie mettaient en avant dans l'urgence la stabilité et la sécurité. C'est le sujet à l'ordre du jour. Mais il faudra trouver, avec les parties présentes au conflit, la bonne méthode pour une négociation qui permettra de définir le statut du Haut-Karabagh, parce qu'il reste à définir et cette négociation doit s'ouvrir dans une discussion que nous aurons assez rapidement avec l'ensemble des intervenants. Donc je ne vais pas préempter l'issue de la négociation avant qu'elle n'ait commencé. D'autant plus que les parties prenantes doivent être autour de la table. Mais notre volonté est celle-là.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2020