Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à BFM Business le 9 décembre 2020, sur l'énergie nucléaire et la politique industrielle.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
La Ministre de l'Industrie Agnès PANNIER-RUNACHER est avec nous ce matin. On ne résiste pas à vous poser une question quand même sur le nucléaire. On sort du débat entre Nicolas DOZE et Jean-Marc DANIEL. Est-ce qu'avec ce choix du chef de l'Etat clairement de dire on va construire des réacteurs, des EPR, est-ce qu'on ne va pas pendant trente ans avoir une électricité trop chère ? Deux ou trois fois plus chère que l'électricité renouvelable ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Christophe JAKUBYSZYN. Non, je ne crois pas bien au contraire. D'abord le nucléaire, je le rappelle, c'est une énergie décarbonée et l'enjeu que nous avons, c'est de lutter contre le réchauffement climatique. Et la chance que nous avons c'est de maîtriser le nucléaire et d'avoir une énergie qui est disponible à n'importe quel moment et qui peut délivrer nos besoins en base et ensuite être complétée par les énergies renouvelables. Donc il ne faut surtout pas opposer nucléaire et renouvelables, c'est complémentaire.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais en termes de coût, c'est plus cher aujourd'hui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ah, en termes de coût avec du nucléaire amorti c'est moins cher, l'énergie nucléaire. Et l'enjeu, c'est de continuer à construire nos savoir-faire et de pouvoir obtenir une énergie…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il ne faudra pas trop dépasser les budgets des centrales, des EPR si vous voulez que ce soit moins cher.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je comprends. Ce que vous dites est parfaitement fondé mais regardons quel est le coût de l'énergie nucléaire en France aujourd'hui : c'est un de nos éléments de compétitivité par rapport aux autres pays.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça l'était jusqu'à présent.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement. Et qu'est-ce qui empêche de le recommencer ? Et n'oubliez pas que les énergies renouvelables, je pense à l'éolien par exemple, à l'éolien marin, vous avez des courbes de convergence ou le photovoltaïque. Vous commencez à des coûts élevés et le fait de converger et de maîtriser de mieux en mieux les technologies vous permet de revenir dans des niveaux de coûts qui sont acceptables et c'est 13 exactement notre politique. C'est une politique où on investit massivement dans les énergies renouvelables, mais également où on investit dans le nucléaire et c'est nécessaire si en 2050 on va avoir une économie décarbonée.

SANDRA GANDOIN
On va revenir aussi sur le rachat par INEOS du site SMART de Hambarch à DAIMLER en Moselle. Cela permet de préserver 1 300 emplois. En revanche, c'est un véhicule à grosses émissions de CO2 qui remplace une électrique dans la production.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui ? Mais c'est un véhicule de franchissement. C'est un 4 x 4 en fait qui a un usage sur les pistes, dans les espaces où vous devez monter des montagnes, avec un usage professionnel. Ce n'est pas le 4 x 4 de confort que vous garez dans les beaux quartiers à Paris. Rien à voir. Et par ailleurs, INEOS est en train de regarder l'évolution de la motorisation. N'oublions pas qu'aujourd'hui, nous sommes à 6 % d'immatriculations de véhicules électriques. C'est un bon quantique en une année mais enfin, ça laisse quand même 94 % de véhicules thermiques. Donc nous sommes très exactement dans cette transformation et surtout ce que montre ce rachat d'Hambach, c'est que vous aviez une usine qui devait fermer, qui emploie 1 300 personnes en direct, 200 personnes supplémentaires. 1500 personnes. Et nous avons trouvé une solution pour que la préservation de l'emploi soit faite sur cette usine à hauteur de 1 500 personnes dont 1 300 personnes auront leur emploi garanti par DAIMLER. Donc ça c'est l'exemple de la manière dont on peut accompagner les transformations industrielles de notre pays, et ça montre comment avec les élus locaux, avec les entreprises dans une discussion qui a été très exigeante et avec les organisations syndicales, nous sommes capables de trouver des solutions pour des sites qui pourraient fermer.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors on a eu les chiffres de l'emploi hier et la bonne nouvelle, c'est que dans l'industrie effectivement, on est en train peut-être de réussir à transformer l'essai, même si dans les services - on le sait - à cause de la pandémie c'est un peu la catastrophe et que les chiffres du chômage vont certainement augmenter. Mais bon, il y a une tentative là du gouvernement de réindustrialiser. Vous avez hier annoncé que vous aviez retenu 287 projets dans le cadre des fonds de soutien au secteur automobile, aéronautique. C'est 605 millions d'euros. Il n'y a plus d'argent, comment on va faire pour la suite ? Il faut remettre.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien exactement. C'est très exactement la décision que j'ai prise avec l'appui de Bruno LE MAIRE et du Premier ministre. C'est qu'on pensait que notre industrie était touchée par la crise, néanmoins elle a des projets. Elle a des projets d'investissement, elle a des projets de modernisation, elle a des projets de décarbonation et surtout elle a des projets de relocalisation.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais elle a besoin d'aide de l'Etat pour faire tout ça apparemment.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Elle est accélérée par l'Etat. C'est-à-dire ce que nous faisons, c'est que nous prenons en partie le financement des investissements en dur. Du robot de la nouvelle ligne de production, juste une partie. Et c'est le coup de pouce qui permet de faire ces projets dans un moment de grande incertitude. Et je pense que l'enjeu - et vous l'avez dit vous-même - pour un euro public, vous avez 5 euros au total d'investissement. Voyez l'effet de levier, il est considérable et c'est très exactement notre enjeu. On a aujourd'hui 3 000 entreprises qui ont déposé un dossier. Ça montre, je dirais, le dynamisme de notre tissu industriel. C'est 90% de PME et d'entreprises de taille intermédiaire. Nous en accompagnons déjà plus de 500 et nous allons continuer dans les mois qui viennent, et effectivement en avançant les crédits de 2021. J'ai remis 250 millions d'euros dans le moteur pour pouvoir accompagner ces entreprises.

SANDRA GANDOIN
Vous avez lancé hier à l'ouverture d'un nouvel appel à propositions pour identifier des sites industriels clefs en main. La première campagne avait bien fonctionné d'ailleurs, 78 sites identifiés et dévoilés dans l'année.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Sites clefs en main pour le dire à ceux qui nous écoutent, ce sont des sites où on peut obtenir rapidement un permis de construire, trois mois, moins de dix mois…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire que toutes les procédures d'environnement etc ont été nettoyées avant.

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, on les a faites avant tout simplement. C'est très simple, il suffisait d'y penser. Ce qui permet à un porteur de projet d'arriver et de ne pas avoir à s'occuper ou à se concentrer sur cet aspect-là, à se concentrer sur son projet. Et du coup, ça fonctionne très bien puisqu'on a la capacité à revenir à des temps d'installation de nouvelles usines qui soient équivalents à ceux de nos voisins européens. Et on n'a rien changé au code de l'environnement, c'est-à-dire qu'on n'a pas baissé nos exigences environnementales. Et on vient de promulguer la loi accélération et simplification de l'action publique qui va également dans ce sens-là, c'est-à-dire une accélération de l'instruction des procédures. Accélération d'instruction des procédures mais on ne retire rien à nos exigences environnementales et c'est justement, je dirais, cette demande qu'ont les chefs d'entreprise de dire : dites-nous oui, dites-nous non mais dites-le nous vite.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous voyez beaucoup de projets de relocalisation vraiment ou est-ce que c'est plutôt des projets d'extension que vous êtes en train de favoriser ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors dans l'imaginaire collectif, la relocalisation c'est l'idée qu'on démonte l'usine de Chine, qu'on la met sur un bateau qu'on la remonte en France.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est ça.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça n'existe pas parce que vous avez fait des investissements en Chine qui sont considérables, que vous avez le coût du bâti et que ça ne se passe pas comme ça. La délocalisation, qu'est-ce que c'était ? C'était lorsque vous avez un nouveau produit, plutôt que de le construire dans l'usine française habituelle, vous alliez l' installer dans une autre usine à l'autre bout du monde. Eh bien la relocalisation, c'est la même chose. Lorsque vous avez un nouveau produit plutôt que de l'installer dans l'usine au bout du monde, vous l'installez dans la nouvelle usine française et c'est ce que nous faisons. Nous avons au niveau national déjà validé 30 projets de relocalisation.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
De relocalisations développement d'investissements existants.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Développement d'investissements ou extension ou réinternalisation.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
D'accord.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est-à-dire vous avez un sous-traitant étranger et vous dites : non, c'est moi qui vais faire son travail. Donc là c'est une vraie relocal… Enfin, c'est une relocalisation en bonne et due forme. Ça se mesure à la fin en parts de marché industrielles. Est-ce que vous avez plus de production qu'avant et est-ce que vous importez moins qu'avant des produits industriels ?

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On verra si votre pari est réussi. On surveillera notamment la part de l'industrie dans le PIB français, la barre des 10 % qui est favorable.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Attention parce que si les services continuent à croître, en toute logique la part ne devrait pas évoluer. Nous notre enjeu, c'est de faire croître l'ensemble de l'économie et d'utiliser l'industrie comme une locomotive.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de l'Industrie, d'avoir été avec nous ce matin dans Good Morning Business.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 décembre 2020