Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
C'est l'heure de retrouver Sonia MABROUK et son invitée. Ce matin Marlène SCHIAPPA, Ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur chargée de la Citoyenneté.
SONIA MABROUK
Bienvenue et bonjour Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
SONIA MABROUK
On va bien sûr démarrer cet entretien malheureusement par ce crash d'hélicoptère en Savoie, un hélicoptère de secours avec un lourd bilan impliquant notamment deux CRS. Evidemment c'est un hommage ce matin.
MARLENE SCHIAPPA
Evidemment. Merci de me donner l'occasion de commencer à cette émission par un hommage appuyé pour eux, pour ces cinq personnes mais aussi ces cinq grands professionnels mais aussi pour tous ceux qui, au péril de leur vie, s'engagent pour des opérations de sauvetage, de protection. Le ministre de l'Intérieur va se rendre sur place tout à l'heure et je voudrais bien sûr adresser une pensée également pour le pilote qui est dans un état critique à l'heure actuelle.
MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr, et leurs familles également.
MARLENE SCHIAPPA
Oui.
SONIA MABROUK
Alors une question d'actualité, Madame la Ministre, autour de ce qui s'est passé hier lors de la Ligue des champions. PSG- Basaksehir avec des accusations de racisme visant un arbitre. Est-ce que vous soutenez, est-ce que vous saluez ce matin la réaction collective des joueurs qui ont stoppé le match ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors d'abord, il faut attendre de voir ce qu'il en sera. Moi je n'ai pas entendu les propos racistes en tant que tels mais il y a quand même des témoignages concordants. Donc bien évidemment, moi je salue le fait que les joueurs en solidarité aient décidé de quitter le terrain. Et ça c'est très fort, parce que ça veut dire qu'on considère maintenant… Ils ont considéré, ils nous envoient un message en disant : le racisme, ça ne doit pas être l'affaire de la personne qui est visée uniquement, ça doit être l'affaire de tous ; et donc en solidarité dès lors qu'il y a un propos raciste, eh bien on prend une action forte ; là en l'occurrence ; on quitte le match. Donc moi je trouve ça très fort, je voudrais les saluer et je voudrais dire qu'on attend maintenant les prises de parole des instances qui ne se sont…
SONIA MABROUK
Elles sont tardives selon vous ?
MARLENE SCHIAPPA
Je les trouve tardive et en matière de lutte contre le racisme, il n'y a pas de juste milieu, c'est-à-dire on ne peut pas être neutre. Soit on pourfend le racisme, soit on est du côté des racistes et des propos racistes qui sont prononcés.
SONIA MABROUK
Et qu'est-ce que cela révèle dans nos sociétés où les Noirs dénoncent un racisme ordinaire ? Est-ce que selon vous c'est un racisme ordinaire ? Parce que l'arbitre roumain dit "negru" et explique que ça signifie noir en roumain ; il n'a pas le sentiment que c'est une insulte raciste pour lui.
MARLENE SCHIAPPA
Alors c'est pour ça que je disais prudence parce que je n'ai pas entendu les propos en tant que tels. En revanche j'entendais sur votre antenne, je crois que c'était l'un des joueurs, qui disait : on ne dit pas pour désigner un joueur de foot blanc "ce joueur blanc". Donc le fait de désigner quelqu'un par sa couleur de peau en disant : ah, ce Noir etc, c'est déjà quelque chose de très problématique et qui effectivement est un propos qui n'a pas sa place sur un terrain de foot, ni nulle part d'ailleurs.
SONIA MABROUK
Marlène SCHIAPPA, j'en viens à présent au projet de loi confortant les principes républicains. Pourquoi l'exécutif a peur, encore peur du mot "islamisme" ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors je ne crois pas qu'on en ait peur mais ce qui est drôle - enfin "drôle"… - ce qui difficile disons plutôt dans ce combat que nous menons, c'est qu'on est en permanence soit taxé d'être trop laxiste, soit taxés d'être islamophobe et je mets des guillemets à ce mot. Et donc le président de la République aux Mureaux, lors de son discours quand il a présenté cette loi a été très clair justement dans le combat que nous menons contre l'islamisme, qu'il a appelé l'islamisme radical notamment à destination des traductions pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté et c'est un combat que nous menons fortement.
SONIA MABROUK
Oui, c'est vrai. On l'a entendu. Mais pourquoi ne pas aller jusqu'au bout et faire porter le nom de cette loi : projet de loi contre l'islamisme ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors vous savez qu'il y a une difficulté dans la loi française qui est en vertu de l'article 2 de la loi de 1905 : l'Etat ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne, ne reconnaît aucun culte. Nous sommes d'ailleurs aujourd'hui l'anniversaire de cette grande loi extrêmement importante qui est une loi de séparation des églises et de l'Etat mais aussi une loi d'équilibre et de liberté, et donc nous ne pouvons pas désigner des religions donc il n'y a…
SONIA MABROUK
Donc c'est un obstacle juridique. Ce n'est pas comme dit l'opposition et Marine LE PEN qui vous reprochent un manque de courage en ne ciblant pas l'islamisme mais en le diluant dans les séparatismes.
MARLENE SCHIAPPA
Mais alors pardon mais aucun président de la République n'a fait ce qu'a fait Emmanuel MACRON depuis 2017. Avec le renforcement des CRIR, des cellules de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire ; en ayant fait fermer des établissements ; en organisant avec Gérald DARMANIN, le ministre de l'Intérieur, la fermeture et la dissolution du CCIF, de Baraka City, du groupement de fait Cheikh Yassine en prenant justement dans cette loi des dispositions fortes qui vont enfin nous permettre partout en France de vraiment lutter contre l'idéologie qui précède le terrorisme c'est-à-dire l'islamisme.
SONIA MABROUK
C'est intéressant, vraiment. Ça veut dire que depuis trois ans, ce n'était pas fait.
MARLENE SCHIAPPA
Non. Ça veut dire que depuis trente ans, c'était trop peu fait.
SONIA MABROUK
Mais trois ans aussi. Vous êtes au pouvoir.
MARLENE SCHIAPPA
Alors depuis trois, je viens de vous dire justement que depuis 2017, il y a près de 350 établissements qui ont été fermés notamment par les services de renseignement qui sont à pied d'oeuvre. Et dans les territoires autour du préfet, désormais tous les 15 jours ou tous les mois, il y a une cellule locale de lutte contre l'islamisme et la radicalisation et le repli communautaire. Ça veut dire que tous les services de l'Etat autour du préfet, du procureur de la République partagent les informations dont ils disposent pour faire fermer les établissements qui sont des établissements qui prêchent la haine et l'islamisme radical.
SONIA MABROUK
Il y a beaucoup de choses, Marlène SCHIAPPA, dans ce texte. Un point quand même : il y a une grande partie consacrée aux associations avec un contrat d'engagement républicain à signer pour obtenir – c'est important - des subventions. Une condition qui inquiète quand même de nombreux élus, des maires, du fait d'une tutelle de l'Etat. Qu'est-ce que vous leur dites ce matin ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors d'abord si nous faisons ce contrat d'engagement, c'est le contrat que j'avais mis en place dans mes précédentes fonctions pour l'égalité femme-homme et nous l'élargissons et nous lui donnons valeur de loi, c'est pour soutenir justement les élus locaux. Moi j'étais avant-hier à Montpellier avec le maire qui est un maire d'ailleurs qui n'est pas de mon parti politique, qui est un maire PS monsieur DELAFOSSE, qui a pris courageusement une charte de la laïcité pour les associations. Eh bien sa charte, elle est attaquée en justice - en tout qu'elle est menacée d'attaque en justice comme cela avait été le cas d'ailleurs pour Valérie PECRESSE, qui n'est pas non plus de mon parti mais que je soutiens aussi pour ses actions pour la laïcité. Donc nous, nous faisons ça pour soutenir les élus. Mais je voudrais vous dire que nous allons continuer le travail commun à partir de la présentation en Conseil des ministres tout à l'heure. Je lancerai deux séries de consultations, l'une avec les élus locaux avec ma collègue Jacqueline GOURAULT qui est la ministre en charge de la Cohésion des territoires, et l'une avec les associations…
SONIA MABROUK
C'est bien que vous sentez qu'il peut y avoir des crispations autour des collectivités locales. Mais c'est bienvenu s'il y a un dialogue.
MARLENE SCHIAPPA
C'est ce qui était prévu initialement et l'idée justement, c'est que comme cet outil il est à disposition de l'Etat mais aussi des élus, on veut que les élus se sentent à l'aise avec ce qu'il y aura dedans, notamment quand on va définir ce que sont les principes républicains, les valeurs de la République. Pour moi c'est assez clair : on ne prononce pas de parole antisémite, on ne discrimine pas les femmes, on ne manque pas de respect aux symboles de la République etc etc. Mais il est important de les définir par écrit pour qu'on partage justement cette même définition des valeurs de la République.
SONIA MABROUK
Vous m'avez parlé de ces premières réunions. Les deuxièmes, vous n'avez pas précisé.
MARLENE SCHIAPPA
Les deuxièmes, c'est avec les associations, avec Sarah EL HAÏRY qui est ma collègue qui est chargée de l'engagement associatif, et l'idée pour nous c'est justement d'échanger avec les associations sur leurs attentes, de leur présenter ce contrat puisque ce sont elles qui devront le signer. Il sera joint automatiquement à tous CERFA et toute demande d'argent public devra passer par ce contrat d'engagement. Nous ne voulons pas donner un euro d'argent public aux ennemis de la République.
SONIA MABROUK
Vous l'avez précisé tout à l'heure, Marlène SCHIAPPA : aujourd'hui c'est une date importante, date anniversaire de la séparation entre l'Eglise et l'Etat. Certains sur la laïcité vous demandent d'aller plus loin. Xavier BERTRAND suggère un référendum sur cette notion importante, ce concept de laïcité. Est-ce que c'est une bonne idée ?
MARLENE SCHIAPPA
Moi je pense que le problème dans le débat autour de la laïcité, c'est que c'est parfois - et je le déplore - devenu un genre de mot valise, et vous avez des gens qui met des choses très différentes derrière le mot de laïcité. Et si on dit aux Français "êtes-vous pour ou contre la laïcité", la grande majorité des Français vont vous dire qu'ils sont pour la laïcité, mais en mettant des choses très différentes derrière. C'est pour ça…
SONIA MABROUK
Non, peut-être qu'il faudrait leur demander - pardonnez-moi - s'ils sont d'accord pour consacrer le principe de laïcité davantage et plus fortement, au même niveau que l'égalité, la liberté ou la fraternité dans notre Constitution.
MARLENE SCHIAPPA
Alors le principe de laïcité, il est déjà existant non seulement dans la Constitution, et vous savez que la République française est une démocratie sociale, laïque, une et indivisible au terme de nos grands textes fondateurs ; elle est également dans les Droits de l'homme. Et cette fois de 1905, moi je pense qu'elle est absolument fondamentale. Elle n'a pas le mot de laïcité d'ailleurs initialement dans la loi, mais c'est une loi aussi de liberté, de liberté de conscience, de liberté de culte et c'est important.
SONIA MABROUK
Si je vous pose ces questions autour de la laïcité, c'est que les défenseurs de la laïcité sont parfois considérés, et peut-être que vous avez lu cette enquête dans le quotidien Le Monde, comme des laïcistes : des tenants d'une laïcité offensive comme il est décrit dans cette enquête évoquant notamment Elisabeth BADINTER, Manuel VALLS ou encore Zina EL RHAZOUI. Est-ce que ce sont des laïcistes ?
MARLENE SCHIAPPA
Moi je suis assez choquée par la tournure de certains débats à cet égard. Vous savez j'ai coécrit avec Jérémie PELTIER, le directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, un livre qui s'appelle « Laïcité, point ! » parce que nous nous refusons d'adjectiver la laïcité. La laïcité, elle n'a pas à être ouverte fermée, bienveillante, apaisée comme si elle s'excusait d'être. C'est la laïcité. Et je suis aussi choquée par certains qui renvoient dos à dos islamistes et laïcistes, avec ce terme fort discutable d'un point de vue historique et sémantique. Personne n'a jamais tué quelqu'un au nom de la laïcité. Donc des gens qui sont très fortement pour la laïcité, ce sont des gens qui sont très fortement pour la liberté de conscience, qui sont très fortement pour la liberté de culte, qui sont très fortement pour lutter contre l'endoctrinement et contre l'emprise et les dérives sectaires, des gens qui sont très fortement pour la liberté, pour l'égalité, pour la fraternité. Je ne crois pas que ce soit condamnable et je ne crois pas qu'il soit opportun de les renvoyer dos-à-dos avec des islamistes qui tuent, qui réduisent des femmes à l'esclavage sexuel dans beaucoup de pays du monde, qui profèrent des attentats, qui égorgent et qui décapitent.
SONIA MABROUK
Une question, Madame la ministre, autour évidemment de notre police et de la sécurité. Un Beauvau de la police et de la sécurité, cela a étonné. Quand on est dans l'impasse, qu'est-ce qu'on fait ? On crée un grand machin comité Théodule, c'est cela ?
MARLENE SCHIAPPA
Non. Je crois que cette annonce, elle se pose dans la droite ligne de ce qui a été fait avec le Livre blanc de la sécurité.
SONIA MABROUK
Mais oui, justement, il est là. Une centaine de pages. Fourni.
MARLENE SCHIAPPA
Absolument. Christophe CASTANER et Laurent NUNEZ avaient lancé ce Livre blanc et Gérald DARMANIN a réussi quand même quelque chose qui est proche de l'exploit politique : c'est-à-dire qu'en six mois, quand il est arrivé - quand nous sommes arrivés - place Beauvau, les policiers jetaient leurs menottes devant la grille. En quelques mois à peine, la confiance a été rétablie.
SONIA MABROUK
Et aujourd'hui Marlène SCHIAPPA ? Et aujourd'hui, ils ne veulent plus faire de contrôles d'identité pour certains. Vraiment la confiance est rétablie ?
MARLENE SCHIAPPA
Non, ce n'est pas… D'abord, ce n'est pas l'ensemble des policiers et moi, vous savez, je vois tous les jours les 290 000 femmes et hommes du ministère de l'Intérieur qui s'engagent très fortement. Moi je trouve qu'il y a un écart énorme entre ce qu'on entend dans le débat public sur la police et la réalité de leur engagement quotidien. Leur engagement, c'est maintenir l'ordre républicain, protéger les citoyens…
SONIA MABROUK
Personne ne le remet en cause. La question, c'est est-ce que vous leur faites confiance ? Est-ce que vous leur apportez le soutien ?
MARLENE SCHIAPPA
Bien évidemment.
SONIA MABROUK
Est-ce qu'il faut arrêter de parler de violences policières ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors moi, je n'ai jamais prononcé le terme de violences policières. Jamais. Je ne pense pas que la police soit une institution structurellement violente ou structurellement raciste. C'est une institution qui fait du maintien de l'ordre, qui garde la paix - le beau terme de gardien de la paix - et moi je déplore qu'il y ait des petits garçons de 8 ans qui ne puissent pas dire au moment de la rentrée scolaire que leur papa est policier parce qu'ils ont peur d'être attaqué. Donc quand il y a des violences inadmissibles comme ça s'est produit avec le producteur Michel ZECLER ou comme ça s'est produit place de la République avec les exilés, il faut bien sûr les condamner. Mais la police et la gendarmerie nationale, ce sont des gens qui se lèvent le matin pour aller protéger l'ordre républicain, et l'ordre républicain il nous protège aussi de l'ordre des clans. Donc je crois qu'il est important de leur rendre hommage, les saluer et leur dire qu'on les soutient dans ce travail difficile.
SONIA MABROUK
Bien sûr. Et ils nous protègent aussi du terrorisme islamiste.
MARLENE SCHIAPPA
Absolument. Du terrorisme, des violences intrafamiliales, de l'ensemble des violences de plus en plus fortes dans la société.
SONIA MABROUK
Merci Marlène SCHIAPPA…
MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous.
SONIA MABROUK
D'avoir été notre invitée ce matin.
MARLENE SCHIAPPA
Avec plaisir.
SONIA MABROUK
Bonne journée à vous ainsi qu'à nos auditeurs.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 décembre 2020