Texte intégral
Q - C'est Franck Riester, le ministre du commerce extérieur, qui est avec nous ce matin dans "Good Morning Business". Bonjour, Franck Riester.
R - Bonjour.
Q - On va dire un mot quand même du vaccin, parce que quand vous regardez les chiffres, 516 vaccinés en France, 1 million au Royaume-Uni, bon, d'accord, ce n'est pas en Europe, mais enfin ce n'est pas loin, en Allemagne plus de 250.000, aux Etats-Unis, un million aussi, qu'est-ce qui se passe Franck Riester ?
R - Ecoutez, il ne faut pas lire les chiffres trop vite, mais il y a nécessité d'avoir une montée en puissance rapide, c'est ce qui est prévu, et je fais toute confiance aux services du ministère de la santé pour se faire.
Q - Ça c'est des éléments de langage Franck Riester.
R - Non, mais attendez...
Q - Enfin, combien on a dit ? 516 vaccinations en France, vous savez qu'il y a une urgence, qu'il y a une maladie, qu'il faut se faire vacciner, que l'économie elle ne démarre pas parce qu'il y a encore trop de malades et qu'il faut... dans cette course, on est les derniers.
R - Il faut une montée en puissance rapide, cela a été dit par le Président de la République, il faut que tout le monde soit mobilisé, au niveau du ministère de la santé ils le sont, il faut associer, le maximum, les professionnels de santé, les pharmaciens, les élus locaux...
Q - Ça veut dire qu'on va changer de stratégie.
R - Non, ce n'est pas changer de stratégie, c'est une montée en puissance...
Q - Pour l'instant on vaccine des gens dans les EHPAD, c'est compliqué, c'est long, et il y a plein de gens qui veulent se faire vacciner.
R - Oui, qu'il y ait des priorités de vaccination, c'est tout à fait légitime, et je pense que tout le monde peut le comprendre, nous sommes dans un pays où la politique de santé est une bonne politique, c'est reconnu dans le monde entier. Faisons confiance aux professionnels qui ont la charge de cette vaccination et ne lisons pas les chiffres trop vite, voilà. Alors, qu'il y ait une monté en puissance nécessaire, oui, qu'elle soit prévue, également, et donc maintenant jugeons sur pièce.
Q - Apparemment, le Président de la République, lui-même, est un peu en colère.
R - Tout à fait... en colère, je ne sais pas, mais en tout cas il met la pression légitime qu'il faut mettre, à tout le monde. Vous savez, ce n'est pas une petite affaire...
Q - Conseil des ministres mercredi, il y aura peut-être des annonces ?
R - Vous savez, ceux qui aujourd'hui tapent du poing sur la table en disant il faudrait qu'il y ait davantage de vaccins tout de suite, maintenant, on est le 4 janvier, seraient les mêmes à dire mais attendez, on va trop vite, on ne prend pas suffisamment de...
Q - Ah non, non, moi, si vous me donnez un vaccin je me vaccine tout de suite !
R - Peut-être pas vous, mais beaucoup. Donc, soyons aussi calmes, sereins, déterminés, il faut aller vite, parce que, comme vous le dites, la maladie court ; c'est important pour sauver des vies et c'est important pour faire en sorte que l'économie reparte le plus vite possible, en tant que ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, j'en suis absolument convaincu. Maintenant, faisons confiance aux femmes et aux hommes qui ont la responsabilité de cette vaccination, il faut monter en puissance, monter en puissance rapidement, et en associant toutes celles et ceux qui ont démontré par leurs déclarations ou leurs actions qu'ils étaient prêts à s'associer à cette campagne importante...
Q - Les médecins, les pharmaciens...
R - Et les élus locaux.
Q - Et on verra ça au Conseil des ministres de mercredi, peut-être avec un changement de braquet, enfin moi, personnellement, je le souhaite. Allez, on va avancer sur vos sujets du commerce extérieur, il y en a beaucoup. Quelle année ! D'abord, cet accord avec la Chine et l'Europe, entre les fêtes, Angela Merkel en rêvait, elle l'a fait pendant la présidence de l'Union, les Américains nous priaient de ne pas signer avant l'arrivée de Joe Biden, on a fait fi des Américains et on a signé.
R - Alors, plusieurs choses : 1) cette négociation, elle n'est pas récente, elle est depuis 2013, et en 2019, mi-2019, on disait il faut que l'on arrive, collectivement, on se disait au niveau européen, il faut qu'on arrive à une négociation fin 2020. On a tenu cet engagement, pas en sacrifiant nos principes, mais en ayant des avancées, des avancées importantes. Des avancées au point de vue économique, on disait il faut arrêter que l'Europe soit naïve vis-à-vis la Chine ; eh bien, on ne l'est plus, on a mis une pression très importante et on sécurise un certain nombre d'investissements qui sont déjà opérés en Chine, et on va permettre...
Q - On est content de l'accord ?
R - Oui, on est content de l'accord, et on va permettre à un nombre plus important de secteurs de pouvoir être ouverts aux acteurs européens et aux investisseurs européens, je pense par exemple à la santé, je pense par exemple aux questions des transports. Eh bien, écoutez, c'est quand même une bonne chose, on sécurise les investissements et on ouvre des marchés nouveaux pour nos entreprises européennes. On va, par exemple, permettre à un certain nombre d'investisseurs d'investir en Chine sans avoir besoin d'avoir des dirigeants chinois, sans avoir besoin de joint-ventures, sans avoir besoin de majorité chinoise dans le capital, c'est des avancées considérables. Et puis, de l'autre côté, il y a aussi, au-delà de l'ouverture des marchés, il y a davantage de respect de règles équitables, finalement, dans la gestion, dans les relations entre ces investisseurs et les investisseurs chinois, notamment sur les aides d'Etat...
Q - Mais le travail forcé ?
R - Alors... et on a demandé, absolument, à ce qu'il y ait un levier sur le développement durable, c'est-à-dire le levier sur l'environnement, et sur les droits sociaux et les droits de l'Homme. Il y a, dans cet accord, la nécessité de respecter l'Accord de Paris par la Chine et, d'autre part, il y a l'engagement de faire en sorte qu'il y ait une ratification des conventions de l'OIT, l'Organisation Internationale du Travail, par la Chine, notamment concernant le travail forcé. Alors, on ne réglera pas toutes les questions de droits de l'Homme à travers cet accord-là, mais utiliser des accords commerciaux, en l'occurrence ce n'est pas un accord commercial, c'est un accord sur l'investissement, donc des accords économiques pour faire avancer un certain nombre d'autres sujets, comme les sujets environnementaux, et comme les sujets sociaux ou de droits de l'homme, c'est nouveau et c'est sans équivalent dans les relations entre la Chine et d'autres partenaires.
Q - Mais, vous n'avez pas peur de froisser Joe Biden, parce que l'administration démocrate vous a demandé explicitement d'attendre son accession à la Maison Blanche pour poursuivre les négociations avec les Chinois ?
R - L'Europe est souveraine, il faut qu'elle assume sa puissance, il faut qu'elle soit déterminée à exercer sa souveraineté. Et donc, bien évidemment que l'on souhaite entretenir les meilleures relations avec l'administration Biden, et les premiers gestes, les annonces de l'administration Biden, vont dans le bon sens, la réintégration de l'Accord de Paris, la volonté de réintégrer les instances multilatérales, la volonté de renouer un dialogue transatlantique nourri, cela va dans le bon sens. Pour autant, nous sommes indépendants et nous prenons les décisions, qui sont les décisions souveraines de l'Union européenne, sans demander l'avis aux Etats-Unis, à la Chine, ou à je ne sais quelle puissance, qui sont des partenaires de l'Europe, mais qui doivent rester à la place qui est la leur, celle de partenaires et pas celle de tuteurs.
Q - Alors, l'un des premiers dossiers qu'il va falloir négocier avec Joe Biden c'est la taxe Gafam, qu'on a décidé d'appliquer parce que l'accord OCDE a fait pour l'instant long feu. Qu'allez-vous dire à Joe Biden, vous, ou Emmanuel Macron, qu'allez-vous lui dire pour expliquer que la France... ?
R - Que cette escalade de barrières douanes, de tarifs douaniers, de surtaxes douanières, est ridicule, contre-productive, au moment où on a besoin de relancer nos économies, au moment de la crise Covid. Et donc, nous l'invitons, comme nous l'avons dit à M. Trump et M. Lighthizer, qui est le ministre du commerce des Etats-Unis, qu'il faut une désescalade. Faisons en sorte de nous mettre autour de la table, regardons les questions autour d'Airbus et de Boeing, s'il y a des questions encore à voir sur les soutiens des Etats-Unis et de l'Union européenne concernant ces grandes entreprises aéronautiques...
Q - Oui, parce que juste pour les téléspectateurs et auditeurs, rappeler que dans le dossier AIRBUS/BOEING il y a eu une nouvelle escalade américaine avec de nouveaux droits de douane qui vont être appliqués parce que les Américains considèrent que dans les droits de douane qui ont été mis de chaque côté on a trop mis de droits de douane.
R - Oui, tout cela est très compliqué, ce qu'il faut retenir c'est que les Etats-Unis au lieu de se mettre autour de la table et de travailler à la désescalade, avec l'Union européenne, vont dans la surenchère tarifaire, à chaque fois, supplémentaire. Ce n'est pas comme cela que l'on va régler le problème...
Q - Non, mais Biden va vous dire "oui, vous êtes bien gentil Franck Riester, mais vous allez mettre une nouvelle taxe qui est une taxe sur les Gafam."
R - Alors, ça, c'est encore un autre sujet, parce que là il y a les sujets sur les taxes dans le cadre du contentieux BOEING/AIRBUS, il y a effectivement sûrement des surtaxes qui vont être appliquées par les Etats-Unis d'une façon illégale, je le rappelle, illégitime, absolument sans aucun accord de l'OMC. Les taxes que nous appliquons sur les Boeing et un certain nombre de produits américains, sont autorisées par l'Organisation mondiale du commerce...
Q - Oui, et vice-versa.
R - Non, non, pas les dernières qui viennent d'être annoncées par les Etats-Unis...
Q - Oui, mais parce qu'ils considèrent qu'on est dans le déséquilibre avec la baisse du commerce...
R - Oui, oui, mais enfin on ne fait pas comme on veut avec le droit international...
Q - Ça, c'est Trump pour l'instant !
R - Oui, donc on souhaite que Joe Biden revienne, enfin soit dans un état d'esprit de dialogue et de désescalade, et concernant la taxe Gafam, qui est une taxe sur les services numériques, qui est d'imposer, et tout le monde peut le comprendre, que les grands géants de l'Internet, qu'ils soient américains d'ailleurs ou d'autres nationalités, payent un minimum de taxes dans les pays dans lesquels ils ont des revenus, or aujourd'hui ce n'est pas suffisamment le cas. Et donc, cette taxe est légitime, elle a été décidée en 2019, nous avons dit nous la suspendons si nous pouvons avoir un accord au niveau de l'OCDE, c'est-à-dire au niveau international. Les Etats-Unis ont refusé de continuer à discuter au niveau international, eh bien, nous avons dit, en France, nous appliquons la taxe et nous travaillons avec nos partenaires européens pour que cette taxe puisse être au niveau européen, et il y a de nombreux pays qui nous suivent aujourd'hui.
Q - Est-ce que vous accepteriez de suspendre encore son application si Joe Biden faisait une concession ?
R - Ecoutez, nous, on est prêt à tous les signaux de désescalade, simplement, aujourd'hui, ce que nous pouvons constater, avec l'administration américaine en place, c'est qu'il n'y a pas de volonté de désescalade et qu'il y a au contraire une volonté de faire de la surenchère tarifaire au lieu de trouver un juste équilibre. Et sur la taxe numérique, c'est du bon sens : travaillons à l'OCDE, que cela soit une taxe internationale, mondiale, mais qui ne soit pas simplement une occasion, par les Etats-Unis, une nouvelle fois, pardon de le dire, mais d'utiliser d'une façon déloyale les moyens qui lui sont octroyés par ce genre d'outil tarifaire.
Q - Nous sommes le lundi 4 janvier, c'est donc le premier jour ouvré du post-Brexit, l'accord transitoire, c'était l'an dernier, cette fois-ci l'accord a été signé entre Européens et Britanniques. On entre dans une nouvelle ère, est-ce que tout est prêt, est-ce qu'il y a la queue aux frontières, est-ce qu'il y a des marchandises qui vont prendre du temps pour traverser la Manche ?
R - Ecoutez, il y a eu un travail préparatoire de trois ans, on voit qu'aujourd'hui, même s'il faut relativiser les choses, puisque les échanges en ce début d'année sont limités, puisque beaucoup d'échanges ont été faits dans la préparation des fêtes de fin d'année et la préparation du Brexit au mois de décembre, on a vu d'ailleurs qu'il y avait pas mal de contraintes, mais aujourd'hui les choses se passent plutôt bien, il y a eu trois ans d'investissement, trois ans de préparation, pour faire en sorte que l'on puisse gérer au mieux possible les nouvelles contraintes liées à la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne, puisque la Grande-Bretagne est maintenant un pays tiers de l'Union Européenne. Et donc, il y a des contraintes douanières, des déclarations à faire, des contrôles à opérer. Pour l'instant les choses se passent bien, tout le gouvernement est mobilisé, les services, notamment des douanes, sont mobilisés. Restons vigilants et accompagnons le mieux possible les entreprises qui doivent continuer à exporter ou importer vers la Grande-Bretagne. C'est ce que nous faisons avec la Team France Export, c'est ce que nous faisons avec Business France, on a mis des moyens supplémentaires spécifiques qu'on appelle de "Easy Brexit" pour accompagner les entreprises, que les entreprises, surtout si elles ont toutes questions, aillent sur le site www.brexit.gouv.fr ou se rapprochent de la Team France Export, ou des douanes, pour avoir tous les renseignements si jamais toutes les mesures n'avaient pas été prises par ces entreprises-là.
Q - Voilà, www.brexit.gouv.fr, premier point d'entrée pour toutes les questions que vous pouvez vous poser sur ce premier jour de l'après-Brexit. Merci, Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, d'avoir été avec nous ce matin.
R - Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2021