Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, à BFM Business le 25 janvier 2021, sur l'attractivité économique et le commerce extérieur de la France.

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  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Texte intégral

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R - Je rappelle que "Choose France", c'est ce qu'a souhaité mettre en place le Président de la république dès 2018 pour rassembler les grands CEO, les grands patrons internationaux, les gros investisseurs qui partout dans le monde investissent pour leurs affaires, pour mettre en avant la transformation du pays et l'attractivité de la France.

Q - C'est sûr qu'en ce moment c'est un peu compliqué.

R - Oui, mais c'est compliqué pour tous les pays car tous les pays sont touchés.

Là, cela a été un moment important parce que cela a permis de faire le point sur la transformation du pays, sur le plan de relance et les questions étaient très précises sur : quid de la digitalisation du plan de relance ? Quid de la façon dont on peut bénéficier des aides pour la décarbonation de l'économie ? Quid de la stratégie d'accompagnement des entreprises à l'international, quand on est une entreprise qui investit en France ? Est-on accompagné pour développer ses affaires à l'international ? Bref, des questions assez concrètes, mais avec quand même un sentiment général du fait que la transformation du pays pour améliorer sa compétitivité, la baisse de fiscalité sur le capital, la baisse de fiscalité sur la production, les fameuses baisses d'impôts de production, la baisse de l'impôt sur les sociétés, sur lesquelles on ne reviendra pas...

Q - Il l'a encore affirmé le Président ?

R - Cela a contribué à changer l'image de la France, et les différentes personnalités qui sont intervenues disent que notre plan de relance est un plan qui est sur le moyen et long terme, et c'est un plan qui va dans le bon sens à notre avis. C'est quand même intéressant d'entendre cela, ce qui montre que nous n'avons pas fait fausse route : à la fois prendre des mesures d'urgence pour protéger les outils économiques, les entreprises et les salariés dans la crise, et en même temps, miser sur un plan de relance qui va nous permettre de préparer la France à l'après-crise pour que notre économie soit plus décarbonée et plus digitale.

Q - On va revenir sur tous ces points, mais j'imagine qu'il y a quand même eu une question autour de Couche-Tard et de ses ambitions françaises qui ont été bâchées en une phrase par le ministre de l'économie et des finances chez nos confrères de France5. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'en France On ne peut pas racheter d'entreprises ? LVMH peut racheter Tiphanie pour 8 milliards de dollars, mais par contre, on ne peut pas racheter une entreprise française ?

R - Si, bien sûr, on peut racheter des entreprises françaises, et vous avez raison il y a eu une question là-dessus. Le Président de la république en a profité pour réexpliquer quelle était la stratégie de la France. La stratégie de la France, c'est de faire en sorte que notre pays soit attractif, on souhaite qu'il y ait encore davantage d'investisseurs étrangers qui viennent investir en France parce qu'on pense que c'est le bon endroit et le bon moment, notamment avec le Brexit, pour le faire. Pour autant, nous voulons aussi développer, réaffirmer notre souveraineté française et européenne, et cela passe par dire clairement aux investisseurs, et ils en sont convaincus, et dans leur pays...

Q - Ils n'en sont pas convaincus...

R - Mais si. Dans leur pays, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, ils ont aussi des politiques de souveraineté, des politiques de protection d'un certain nombre de secteurs d'activités stratégiques ou de fleurons. Tout cela était su. Il y a des lois qui ont précisé que, oui, la France se dotait d'outils de protection, de filtrage d'investissements...

Q - On se demandait si Carrefour, c'est vraiment stratégique...

R - C'était défini comme un des secteurs stratégiques puisque lié à l'alimentaire, à la chaîne de valeur alimentaire, ce qui permet de pouvoir s'assurer que nous sommes autonomes en matière alimentaire. Et dans la période, avouez, qui est de cette crise sanitaire, on a vu le rôle déterminant qu'ont joué notamment la grande distribution ou les commerçants, pour continuer de nourrir pendant la crise. Avec ces caissières, qui étaient des héroïnes ou des héros de cette crise, comme les soignants. On est légitimement en droit de dire "on veut protéger un fleuron comme celui-là", dans un secteur qui est très clairement dans la loi, prévu, pour pouvoir bénéficier d'une protection des investissements.

Q - Danone est clairement défini dans la loi.

R - Oui.

Q - Aussi ? Danone, est-ce aussi un actif stratégique ?

R - Les actifs qui sont dans le domaine alimentaire et qui ont un rôle clé dans la chaîne alimentaire française, peuvent être considérés effectivement, comme des actifs stratégiques pour notre pays. On ne peut pas dire, comme parfois cela a été dit, "vous êtes trop naïfs, vous n'avez pas de stratégie industrielle, vous ne protégez pas nos fleurons, vous les laissez partir dans d'autres mains", et quand on utilise des outils qui ont été très clairement votés, qui sont connus de tous...

Q - Mais là, ce n'est pas un outil, c'est la parole de Bruno Le Maire. Enfin, ce n'est pas un vrai outil.

R - Si.

Q - Alors, d'accord il est ministre de l'économie.

R - Il est ministre de l'économie. Il a les outils législatifs, légaux, pour pouvoir, si jamais il devait y avoir la volonté, ce qui n'est pas le cas a priori, des parties prenantes, d'aller jusqu'au bout malgré l'affirmation de la position de l'Etat, on pourrait faire jouer ces outils juridiques. Tout cela est légal et tout cela a du sens politiquement. Cela a du sens politiquement et cela a du sens en termes de stratégie économique. On peut allier, cela a été réaffirmé par le Président, une stratégie d'accueil d'investissements étrangers, d'attractivité, et en même temps, faire en sorte que l'on puisse protéger des secteurs stratégiques.

Q - Franck Riester, combien d'entreprises, parmi ces entreprises qui ont assisté à "Choose France", qui sont prêtes à investir ? Qui ont des projets de création d'usines dans les territoires ?

R - Je rappelle que sur les presque 90 qui étaient présents, il y en a un certain nombre qui ont ces projets-là, pour certains mis en pause, et d'autres maintenus. Globalement si vous voulez, on a une baisse en 2020, du nombre d'investissements étrangers directs en France. Mais comme on le constate dans le monde entier. Et même moins en France que par exemple en Grande-Bretagne ou en Allemagne, ou en Italie, où la décrue des investissements est encore plus importante.

Ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire que la France continue d'être attractive.

Je rappelle qu'en 2019, ce n'est pas rien, la France était devenue le pays le plus attractif d'Europe en matière d'investissements directs étrangers sur son sol. Ce n'est pas rien, c'est inédit, devant la Grande-Bretagne et devant l'Allemagne. Ce qui n'était jamais arrivé dans ces dernières décennies. Ce qui montre bien que l'effort de transformation du pays paie en termes d'attractivité et aura des conséquences positives sur le long terme, en termes de croissance, de création d'emplois dans les territoires.

Q - A propos, pour le coup, on parlait tout à l'heure de la Chine. Vous savez, il y avait le président Xi Jinping qui faisait quasiment l'ouverture du forum de Davos, qui parlait de la mondialisation qu'il fallait relancer, mondialisation presque heureuse. Il y a Huawei qui aujourd'hui inaugurait son site dans le Grand Est : Huawei, cela fait "bienvenue en France" ?

R - Oui, "bienvenue en France", mais on a dit très clairement que, sur ce qui concerne la 5G, les composants devront être des composants européens. Parce que dans les zones denses et dans les zones où il y a des sensibilités industrielles, on veut être certain que ce ne sera pas utilisé à des fins qui ne seraient pas des fins simplement commerciales, civiles.

Mais, vous savez, le Président de la République l'a dit très clairement au Président Xi. Il a dit : écoutez, nous voulons notre souveraineté sur des secteurs stratégiques, sur des technologies qui nous paraissent essentielles. Et la 5G en est.

Donc, il est bien évident que l'on ne pointe pas du doigt tel pays ou telle entreprise. Et donc, Huawei est bienvenue à investir en France. Mais en ce qui concerne la 5G, sur les zones denses, et les zones où il y a un sujet assez stratégique, il faut que cela soit des composants européens. Cela a été très clairement dit. On l'assume et on le revendique même.

Q - En ce moment, il y a beaucoup de dossiers sur la table.

R - Oui.

Q - Mais je sais que vous avez rencontré notamment les dirigeants de chantiers navals, qui auraient dû, qui devraient...

R - Oui, les chantiers de l'Atlantique.

Q - Oui, les chantiers de l'Atlantique, pardon, qui devraient être rachetés par Fincantieri, par l'Italien, Usinor traîne des pieds, il y a sept jours encore... Il est mort, l'accord, non ? Enfin, le simili-accord...

R - Il y a des éléments à remonter de la part de Fincantieri pour voir en termes de position dominante ce qu'il en est. Pour l'instant, les documents ne sont pas remontés. Si une des parties prenantes ne donne pas les éléments qui permettent l'accord, cela veut dire que l'accord tomberait. Il faudrait que l'on fasse avec cette nouvelle information, avec cette nouvelle donnée. Vous comprenez bien que l'Etat est actionnaire très largement des chantiers de l'Atlantique.

Q - 84%.

R - C'est un des fleurons et une des fiertés françaises. Nous pensions que cela pouvait avoir du sens qu'il y ait un accord avec les Italiens. Si jamais cela ne devait pas se faire, nous serons, Bruno Le Maire, le ministre de l'économie et des finances, et tout le gouvernement seront, évidemment, mobilisés pour faire en sorte que l'avenir de cette entreprise si importante pour notre pays, si importante pour la région Ouest soit assurée.

Q - En même temps "si importante"... "La fierté", on était prêt à la vendre aux Italiens.

R - Ecoutez, c'est un pays européen, il y avait un projet industriel. Manifestement, les choses ont un peu évolué dans la stratégie italienne, enfin de l'entreprise Fincantieri, dont acte. Mais attendons sept jours pour voir si les documents demandés seront fournis ou pas.

Q - Franck Riester, je ne sais pas si vous avez vu, le décret signé par Joe Biden, le nouveau président américain, qui demande à l'administration américaine d'acheter américain. On voit bien que le protectionnisme, même s'il y a un Joe Biden, il est là. Il y a un protectionnisme national, c'est partout aujourd'hui.

R - Alors, inciter à acheter des produits qui sont fabriqués sur son territoire, on peut appeler cela du protectionnisme... Moi, j'appelle cela plutôt une forme de patriotisme économique. Et vous voyez bien, ce que je vous disais tout à l'heure, sur un certain nombre de pays qui eux aussi affirment du patriotisme économique, qui protègent un certain nombre de secteurs essentiels, eh bien, on fait pareil en Europe. On nous a suffisamment reproché, à juste titre, on a suffisamment reproché à l'Europe d'être trop naïve et trop faible dans la compétition internationale pour là, nous, nous inscrire dans une pratique industrielle forte, dont la volonté de sensibiliser nos compatriotes à acheter plutôt français ou européen.

Regardez sur l'agriculture : les appels du ministre de l'agriculture à acheter des produits fabriqués en France, voire fabriqués à proximité, vont dans le bon sens. Pour autant, bien sûr, il y a le jeu de la concurrence. On a des concurrents européens, on a des concurrents mondiaux. Eh bien, il faut être dans cette concurrence, avoir les meilleurs produits. Mais un peu de patriotisme économique n'a jamais fait de mal à personne.

Q - Deux questions, rapidement, je reviens un instant sur Choose France : le Président s'est donc engagé à ce qu'il n'y ait pas de hausse d'impôts. Il y a plutôt des baisses d'impôt sur les sociétés ?

R - Oui, on va tenir l'engagement de baisse d'impôt sur les sociétés à 25% en 2022. On ne reviendra pas sur la baisse de la fiscalité du capital, c'est-à-dire la suppression de l'impôt sur la fortune, sur les valeurs mobilières et la flat tax à 30% pour les revenus du capital. Et comme vous le savez, il y a une énorme pression, notamment de la gauche, sur cette question-là. Et puis, on ne va pas revenir non plus sur la baisse des impôts de production qui a été décidée dans le cadre du plan de relance. Je le rappelle : 10 milliards en 2021, 10 milliards en 2022. Cet impôt français complètement stupide, où on impose les chefs d'entreprises et les entreprises qui investissent dans l'outil industriel.

Q - On aura une promesse d'aller un peu plus loin ?

R - Il y a une stratégie d'amélioration de la compétitivité, cela passe absolument par une baisse de la fiscalité sur le temps long. Mais enfin, franchement, le Président de la République, depuis qu'il est élu depuis 2017, a fait beaucoup pour la baisse de la fiscalité. D'ailleurs, pour les entreprises comme pour les particuliers, je rappelle la baisse de l'impôt sur le revenu et la suppression de la taxe d'habitation, qui démontrent que l'on veut absolument baisser la pression fiscale de nos compatriotes.

Q - Merci beaucoup, Franck Riester.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2021