Déclaration de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les projets franco-allemands mis en place par le traité d'Aix-la-Chapelle, à l'Assemblée nationale le 27 janvier 2021.

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Circonstance : Discussion à l'Assemblée nationale d'une proposition de résolution

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Christophe Arend, M. Christophe Castaner et plusieurs de leurs collègues pour l'approfondissement du suivi de l'exécution des projets franco-allemands mis en place par le traité d'Aix-la-Chapelle (no 3709).

(…)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Je commencerai par saluer le travail de Christophe Arend (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens), qui a rappelé tout à l'heure que nous commémorons aujourd'hui la journée mondiale dédiée aux victimes de l'Holocauste. Nous savons que, sur le territoire de l'Europe, par nos déchirements, des massacres se sont produits, des horreurs ont été commises, et nous devons aussi avoir ce sens de l'histoire qu'il a rappelé, je voulais l'en remercier.

Il y a quelques jours, lors de la réunion de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, à laquelle vous participiez, nous célébrions le cinquante-huitième anniversaire du traité fondateur de l'Élysée. C'était le 22 janvier, désormais journée de l'amitié franco-allemande, en soi un symbole qui doit aussi nous faire réfléchir à notre histoire. Il y a deux ans, ce même 22 janvier, cinquante-six ans après le geste courageux du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, la chancelière Merkel et le Président de la République Emmanuel Macron ont signé un nouveau traité, ce traité d'Aix-la-Chapelle qui fait écho au traité de l'Élysée et porte une vision de réconciliation approfondie…

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous n'avons jamais été fâchés ! Nous avons été envahis, ce n'est pas pareil !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Ce sujet est toujours à l'ordre du jour, nous l'avons vu lors des débats. Ce traité, disais-je, porte une vision de coopération renforcée, mais – pas plus que le traité de l'Élysée lui-même, que j'invite chacun à relire car c'est un texte exemplaire par sa concision et sa clarté – sans s'opposer à des projets extrêmement simples et concrets, extrêmement quotidiens, M. Wasermann l'a rappelé, qui ne sont cependant nullement anecdotiques.

J'irai donc dans le sens de l'interpellation dont le Gouvernement a fait l'objet : nous avons en effet besoin, je n'y vois nulle contradiction ni vexation, d'un suivi renforcé, et le Gouvernement est prêt à vous rendre régulièrement compte de l'avancée de ces projets.

M. Patrick Hetzel. Quelle générosité ! C'est la moindre des choses !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. L'un d'entre eux, vous l'avez mentionné à plusieurs reprises, est l'Assemblée parlementaire franco-allemande, qui, loin de dessaisir le Parlement français d'aucune prérogative, renforce la diplomatie parlementaire entre la France et l'Allemagne.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous ne sommes pas à égalité !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Ce projet mérite d'être mentionné tout en haut des réalisations du traité d'Aix-la-Chapelle. Je ne crois pas, monsieur Hetzel, qu'il ne se soit rien passé dans la relation franco-allemande, ces trois dernières années,…

M. Patrick Hetzel. En trois ans, le Gouvernement n'a rien fait !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. …et je pense que personne ne peut le croire, au vu du traité d'Aix-la-Chapelle ou du plan de relance européen.

Je suis heureux de pouvoir vous donner quelques exemples, si le suivi du traité d'Aix-la-Chapelle vous a échappé. Ce sont quinze projets concrets, par exemple le renforcement de l'Office franco-allemand pour la jeunesse, créé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, dont les moyens ont été augmentés et les capacités de mobilité et d'actions accrues.

Ces quinze projets concrets peuvent être suivis par le Parlement français, je réponds là à la proposition de résolution de M. Arend. La forme de ce suivi doit être discutée. Un document budgétaire en annexe du projet de loi de finances annuel a été évoqué. Vous connaissez les réticences amicales parfois constatées du côté de mes collègues du ministère des finances, mais je crois qu'un rapport annuel serait une bonne idée pour éviter tout malentendu sur le suivi des projets.

M. Patrick Hetzel. Pour un rapport, il faut du concret !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Laissez-moi donner quelques exemples parmi d'autres de ces avancées, que je crois importantes. Demain aura lieu une réunion du Forum franco-allemand pour l'avenir, un lieu de réflexion qui a commencé des travaux importants, entre sociétés civiles, entre des organisations comme France stratégie et son homologue allemand, pour faire un certain nombre de propositions concrètes. Beaucoup d'élus y participent également.

Le sujet des frontières, qui vous occupe, selon des positions diverses sur ces bancs, a été au coeur, et c'est normal, des discussions et des projets concrets ayant suivi le traité d'Aix-la-Chapelle. Je n'énumérerai pas les instances pour le plaisir, mais le comité de coopération transfrontalière, auquel certains d'entre vous participent, a permis, au mois d'octobre dernier – j'ai eu l'occasion alors de le coprésider pour la première fois – d'éviter que ne soient imposés des contrôles spécifiques pour les travailleurs frontaliers. Les travaux de l'Assemblée parlementaire franco-allemande qui y ont fait écho ont permis d'éviter, malgré la situation sanitaire, de perturber la vie quotidienne de nos travailleurs frontaliers, et pas seulement avec l'Allemagne ; je rappelle que leur nombre total atteint 350 000 et que, quand ils se déplacent, ils ne voyagent pas, ils travaillent, pour l'essentiel, ou ils vont faire leurs courses, ils vivent, tout simplement. Ce comité de coopération transfrontalière a permis d'organiser la coopération et parfois la solidarité dans l'accueil de malades au plus fort de la crise sanitaire, ces derniers mois ? Je crois que ce n'est pas une réalisation mineure.

Il y a aussi toute une série de coopérations en matière d'infrastructures. Il s'agit pour l'instant, depuis deux ans, d'études supplémentaires conjointes avec l'Allemagne, par exemple sur le rétablissement de liaisons entre Colmar et Fribourg ou encore la liaison ferroviaire entre Strasbourg et la Rhénanie-Palatinat. Cela prendra du temps, il ne s'agit pas d'un coup de baguette magique dans nos relations concrètes, comme nous le disions hier, mais ce sont des projets qui avancent et ont déjà avancé ces derniers mois.

Le champ des projets de coopération culturelle et éducative était également au coeur de l'esprit du traité de l'Élysée. Ces projets non plus ne sont en rien anecdotiques ou secondaires, et les avancées en la matière sont aussi importantes.

Nous avons, je l'ai dit à l'instant, renforcé les moyens, y compris financiers, de l'OFAJ : même pendant la crise sanitaire, il a réussi à organiser des mobilités, de façon numérique, malheureusement, mais nous avons maintenu ce lien humain et culturel entre la France et l'Allemagne malgré la crise sanitaire.

Nous l'avons même renforcé avec la mise en place – c'était une demande de plusieurs parlementaires au moment du traité d'Aix-la-Chapelle – d'un fonds citoyen commun, une sorte d'OFAJ de soutien aux associations, qui a d'ores et déjà sélectionné et financé, monsieur Hetzel, plus de 100 projets. Cette année, 200 projets supplémentaires seront soutenus. Nous pourrons vous en rendre compte ici.

Autre exemple dans le champ culturel et éducatif, nous renforçons les instituts culturels franco-allemands à l'étranger : un institut supplémentaire ouvrira cette année à Palerme et nous travaillons sur d'autres projets, notamment en Amérique du Sud.

Je veux citer un autre projet qui me tient particulièrement à coeur et sur lequel, je le reconnais, nous n'avons pas encore assez avancé : faisons-le donc ensemble ! Il s'agit, dans le prolongement d'Arte – dont nous avons célébré les 30 ans à la fin de l'année 2020 et qui constitue une autre réalisation exceptionnelle, unique au monde –, de renforcer la plateforme de contenus numériques des chaînes de télévision publiques française et allemande, disponibles en allemand et en français, mais aussi traduits en différentes langues. Cela me donne l'occasion de répondre à votre question sur le multilinguisme, monsieur Naegelen : le traité d'Aix-la-Chapelle est aussi le cadre dans lequel nous allons renforcer l'accès aux langues.

Je pourrais mentionner plusieurs des projets que nous avons lancés concomitamment au plan de relance européen préparé par la France et l'Allemagne l'été dernier, dans la continuité des stipulations du traité d'Aix-la-Chapelle, mais je me bornerai à rappeler le plan franco-allemand en matière de recherche sur l'hydrogène.

Parmi les différents points qui ont été abordés, notamment par M. Naegelen, je veux par ailleurs revenir sur la culture et l'éducation et rappeler que Jean-Michel Blanquer a annoncé en début de semaine, après un échange avec Armin Laschet, plénipotentiaire allemand chargé des relations éducatives avec la France, qu'un deuxième lycée franco-allemand serait ouvert dans les prochains mois à Strasbourg – il ne s'agissait pas d'un projet prévu dans le cadre du traité d'Aix-la-Chapelle, mais, vous le voyez, nous allons encore plus loin ! L'ouverture de ce lycée témoigne du lien qui existe entre nos deux pays.

Rappelons en outre, s'il en était besoin, que c'est notre gouvernement, avec le soutien de cette majorité, qui a rétabli les classes bilangues, lesquelles favorisent notamment l'apprentissage de l'allemand. Depuis la rentrée scolaire 2017, le nombre d'élèves qui apprennent cette langue augmente de nouveau à chaque rentrée. Il s'agit d'un point important, qui s'inscrit dans l'esprit du traité d'Aix-la-Chapelle.

Monsieur le président Mélenchon, vous avez formulé différentes observations qui ne sont pas directement liées à ce traité, mais qui ont trait à la coopération franco-allemande que nous devons défendre. Je ne crois pas, personnellement, à la rhétorique « l'Allemagne paiera » : nous l'avons collectivement payée assez cher pour savoir qu'elle ne mène nulle part, sauf à l'affaiblissement et à la destruction de notre pays. Les difficultés que vous soulevez doivent évidemment être prises en compte. Toutefois, plutôt que d'adopter avec notre voisin allemand, notre premier partenaire européen, une attitude de rejet ou de détestation, mieux vaut tenter de surmonter les blocages.

Prenons l'exemple, important, que vous avez soulevé : celui de la défense – j'aurais tout aussi bien pu choisir celui du spatial. À l'été 2017, lors du premier sommet franco-allemand qui a lancé les travaux sur le traité d'Aix-la-Chapelle, le Président de la République a décidé de lancer des projets de coopération industrielle entre la France et l'Allemagne. On ne peut pas reprocher à l'Allemagne de ne pas s'engager suffisamment en matière de politique extérieure et de ne pas assumer suffisamment de responsabilités au niveau international, notamment au Mali et au Sahel, et ne pas tenter, même si la tâche est difficile, de rapprocher nos industries de défense et de favoriser nos coopérations industrielles dans ce domaine.

Je note d'ailleurs une contradiction entre votre position et celle de M. Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous sommes assez grands pour nous diviser tout seuls !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Je le signale par souci de cohérence ! Vous critiquez, et parfois à juste titre, les lenteurs allemandes. Nous faisons néanmoins avancer les projets à chaque nouvelle étape et encore récemment lors du sommet franco-allemand de Toulouse. Reste que, c'est un fait, les projets avancent lentement, pour une raison simple, qui est une spécificité du système allemand, pour lequel nous avons le plus grand respect : le Bundestag valide chacun des contrats, y compris lorsqu'ils portent sur de petits montants.

M. Jean-Paul Lecoq. Il en a le pouvoir, contrairement à l'Assemblée nationale !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Un tel système est assez exceptionnel en Europe et l'on pourrait certes débattre de sa pertinence, mais ce n'est pas ici notre sujet. En tout état de cause, il constitue le principal facteur de ralentissement des projets industriels franco-allemands. Soulignons tout de même un point fondamental : c'est la première fois que nous faisons le choix de coopérations industrielles avec l'Allemagne. Nous ne pourrons pas construire l'Europe post-Brexit en n'investissant pas ensemble dans le domaine de la défense.

Quant à notre coopération dans le secteur spatial, elle a rencontré des difficultés, mais il est illusoire, là encore, de croire que nous nous en sortirons séparément. Nous disposons d'acquis industriels qui dépassent la dimension franco-allemande, mais qui témoignent tout de même d'une coopération entre nos deux pays dans le secteur spatial. Le groupe Arianespace a été chahuté en Allemagne, mais nous avons remis le train sur les rails. Il y a quinze jours, Bruno Le Maire et son homologue Peter Altmaier ont relancé le processus afin d'éviter que l'Allemagne ne recoure à d'autres lanceurs : il est désormais acquis que les satellites européens seront placés en orbite par des lanceurs européens, je vous renvoie d'ailleurs à la déclaration commune du sommet franco-allemand de Toulouse. Par conséquent, la préférence européenne en matière de lancement spatial, qui n'était pas garantie jusque-là, est désormais explicitement reconnue.

Je pourrais multiplier les exemples en ce sens. Conformément à l'esprit d'Aix-la-Chapelle, nous avons la volonté de travailler ensemble et d'étendre notre collaboration au spatial et à la défense, plutôt que de nous mettre mutuellement des bâtons dans les roues, ce qui ne serait pas la méthode la plus efficace pour construire l'Europe et renforcer notre pays, ce qui est bien, à la fin, notre objectif commun. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe Agir ens.)

M. le président. La parole est à Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes. Je n'avais pas l'intention de prendre la parole, mais je ne pouvais pas, en tant que députée française de nationalités française et allemande – j'espère que cela ne dérange pas trop dans cette enceinte –,…

M. Jean-Paul Lecoq. Ça ne dérange personne !

Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes. …ne pas m'exprimer un jour comme aujourd'hui. Au cours de ma vie, j'ai pu mesurer ce qui s'est passé, ces soixante-dix dernières années. Monsieur Mélenchon, je ne peux pas vous laisser dire que nous envisageons la relation franco-allemande avec naïveté. L'Assemblée parlementaire franco-allemande a précisément été créée pour permettre aux députés allemands et français d'atteindre une hauteur de vue dans leur dialogue, en dehors de toute naïveté, en s'appuyant sur une méthode de travail qui préserve les intérêts de tous. Je vous invite donc, avec votre groupe, à participer pleinement aux travaux de cette assemblée, comme j'invite tous ceux qui le souhaitent ici à s'y associer. C'est seulement en rencontrant l'autre que l'on peut apprendre qui il est et comprendre, par exemple, ce que recouvrent les notions d'État central et de fédération, pour avancer vers une forme de complémentarité.

Je ne peux pas vous laisser dire non plus, monsieur Mélenchon, qu'il n'est fait aucun cas de nos partenaires du Sud de l'Europe. La commission des affaires européennes de l'Assemblée a notamment mis sur pied le groupe de Montecitorio, format de coopération interparlementaire totalement inédit entre la France, l'Allemagne et l'Italie, et également reproduit ce format avec nos amis polonais. L'Assemblée parlementaire franco-allemande constitue une sorte de champ expérimental parlementaire nous permettant de nous ouvrir plus largement à l'Europe tout en défendant nos intérêts respectifs. Je crois que c'est aussi l'objectif visé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et LaREM.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 29 janvier 2021