Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à BFM Business le 10 février 2021, sur la production de vaccins contre le coronavirus et la politique industrielle.

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Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de l'Industrie, qui est avec moi. Ministre de l'Industrie, ce n'est pas Emmanuel MACRON, le ministre de l'Industrie aujourd'hui, ce n'est pas lui qui a pris en charge les commandes, notamment pour la production du vaccin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
La reconquête industrielle, c'est clairement une priorité de notre politique économique. Et ce n'est pas juste limité à la question du vaccin. On le voit sur plein de sujets…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais quand il est intervenu dimanche dernier sur TF1, on l'a entendu vraiment comme étant chef de production, expliquant qu'il fallait produire…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mobilisation générale de l'ensemble des laboratoires, et c'est l'enjeu que nous avons, c'est-à-dire, aujourd'hui, si nous avons trois sites qui vont pouvoir produire du vaccin, DELPHARM, RECIPHARM et FAREVA, c'est parce que l'Etat a lancé un appel à projets dès juin dernier. Ça ne s'est pas fait en une semaine, et que nous soutenons ces trois entreprises pour installer des lignes de production et démarrer au mois de mars, puis, avril, puis, mai, pour chacune de ces lignes. Donc c'est une action déterminée…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Une ligne de production aussi de SANOFI qui va produire le vaccin de BIONTECH ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement. Alors ça, ils n'ont pas besoin de notre argent et du soutien public, mais effectivement, ils vont basculer une partie de leurs lignes de production à Francfort, qui est à proximité de l'endroit où on produit la première, la substance active du vaccin, pour finaliser cette production. Et donc grâce à SANOFI, on aura 100 millions de doses de vaccin BIONTECH.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
En attendant le vaccin de SANOFI, enfin, les deux vaccins, ils sont sur les deux technologies, un vaccin plus classique et un vaccin effectivement…

AGNES PANNIER-RUNACHER
ARN messager…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
ARN messager. Eux, j'ai reçu le patron de SANOFI il y a quelques jours, à votre place, novembre, il nous dit pour son vaccin, vous, vous dites septembre.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je dis septembre, octobre, donc on est à peu près dans les mêmes eaux. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il faut qu'ils passent le cap de leurs essais de phase 2, et que nous, notre objectif, et on a été très clair avec eux, c'est qu'ils produisent du vaccin, ils en produisent pour BIONTECH, ils ont les capacités de mener à bout leur propre projet. Ils ont la capacité de mener à bout des projets pour le compte d'autres laboratoires, et comme pour tous les laboratoires, il faut mobiliser les capacités de production, on est en train de voir des accords sortir sur le modèle de celui que nous avons un petit peu organisé entre BIONTECH et SANOFI, entre grands groupes pharmaceutiques qui ont des capacités et qui ne se sont pas lancés dans la course du vaccin. C'est intéressant d'ailleurs de noter que SANOFI est le seul grand laboratoire à s'être lancé dans la course du vaccin en tant que développeur, tous les autres sont sous-traitants…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais avec du retard, avec du retard par rapport aux biotechs…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Par rapport aux biotechs, mais parce que les cycles de développement sont plus longs sur la technologie, et donc, ça, on ne peut pas leur reprocher d'avoir…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous ne leur reprochez pas d'être en retard…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, il y a deux choses, le vaccin était attendu pour juin, parce que c'est un des vaccins à un cycle de développement plus long, et puis, la deuxième chose, c'est qu'ils ont pris 3 mois de retard, donc les 3 mois de retard, c'est une grosse déception, mais on peut pas leur reprocher d'avoir une technologie qui prend un peu plus de temps à développer que l'ARN messager. Mais ce que dit cette crise, c'est qu'on est en train de faire des avancées incroyables d'un point de vue technologique et industrielle sur l'ARN messager, et que l'enjeu que nous avons, nous, en tant que responsables politiques, c'est d'avoir des capacités de fabrication d'ARN messager, ce qui n'existe pas en France aujourd'hui, sur un gradient industriel.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est intéressant, parce que vous dites, nous, en tant que dirigeants politiques, c'est ce que dit aussi Emmanuel MACRON, lorsqu'il est intervenu dimanche, est-ce que ça a vraiment changé quelque chose le fait que le président et que vous-même soyez chargés d'ailleurs de cette montée en production plus rapide, est-ce que vous avez vraiment un rôle dans ces cas-là, est-ce que, lorsque le gouvernement français tape du poing sur la table, réunit les différents partenaires et intervenants, est-ce que ça accélère ou pas, vraiment ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien, je vous l'ai dit déjà, si nous avons trois sites de fabrication qui démarrent, c'est parce que l'Etat a mouillé la chemise dès le mois de juin dernier, si SANOFI a un accord avec BIONTECH, c'est parce que l'Etat a mouillé la chemise, et si, aujourd'hui, il y a une accélération des coordinations et des coopérations entre laboratoires, c'est parce que, non seulement l'Etat français, mais l'Etat allemand, mais la Commission européenne, travaillent sur ce sujet. Donc ces coopérations n'auraient pas de sens dans l'absolu, mais ce n'est pas l'habitude que d'aller rassembler des concurrents pour leur dire : travaillez ensemble…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, et produisez le vaccin du concurrent…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que pour aller plus vite, il y a ce débat qui monte, il ne faudrait pas changer le droit des brevets, de propriété des brevets, notamment pour les vaccins concernant la Covid ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur la Covid, la réalité à laquelle, moi, je suis confrontée, c'est des problèmes de trouver des sites qui soient investis, des chaînes de production qui soient homologuées, ce n'est pas un sujet de licence, peut-être à moyen terme, ça pourrait, mais ce n'est pas le sujet qui se présentent aujourd'hui. Et puis, une deuxième réflexion quand même, la licence, elle protège la propriété intellectuelle, et donc le fait d'aller chercher, si on n'avait pas eu de licence, je ne pense pas qu'on aurait eu autant de vaccins aujourd'hui qui arriveraient sur le marché…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Autant d'investissements…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et autant d'investissements, tout à fait. Donc il faut toujours trouver un juste équilibre, parce qu'il est important de rémunérer la recherche et le développement ; c'est ce qui nous manque en France aujourd'hui, c'est ce qu'on nous reproche, on a, pendant trente ans…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Eh bien, oui, c'est ce qu'on vous reproche, parce que, effectivement, il y a un chaînon manquant entre effectivement des biotechs et des talents qui sont là, et le développement industriel qui parfois part aux Etats-Unis pour se financer…

AGNES PANNIER-RUNACHER
On a, pendant trente ans, fait du médicament la variable d'ajustement, et ce sont les mêmes commentateurs qui étaient aux affaires hier et qui aujourd'hui s'étonnent que la France ait perdu la moitié de ses capacités de production pharmaceutique. Heureusement, le gouvernement n'est pas resté les bras croisés, vous savez que depuis juillet 2018, nous avons un comité stratégique des industries de santé, c'est grâce à ce comité que nous avons pris un certain nombre de mesures qui permettent aujourd'hui de ré-attirer l'investissement des laboratoires pharmaceutiques en France, de soutenir les biotechs, mais ça prend un peu de temps.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors l'autre chose qu'il prendra sans doute du temps, vous avez une réunion tout à l'heure à Bercy, en fin de journée, avec les constructeurs automobiles, les équipementiers automobiles, parce qu'on va devoir arrêter ou ralentir des chaînes de production, c'est le cas de RENAULT et de STELLANTIS, parce qu'il n'y a pas de semi-conducteurs pour l'industrie automobile, d'ailleurs, c'est un problème mondial, il y a eu beaucoup de demandes de la part des fabricants d'informatique, de Smartphones, et donc l'automobile fait face à une pénurie de semi-conducteurs, et on se rend compte que l'Europe, c'est quoi, c'est moins de 10% de la production de puces, là aussi, on découvre notre dépendance…

AGNES PANNIER-RUNACHER
On ne la découvre pas, on la connaît, là encore, ce gouvernement a agi pour les semi-conducteurs, vous savez que c'est ce gouvernement qui a pris le premier, enfin, qui a fait un plan nanoélectronique qui date de 2020, avec un réinvestissement effectivement massif, et notamment, nous avons la chance en France d'avoir deux des trois entreprises européennes significatives, des quatre, pardon, entreprises significatives en matière de semi-conducteurs….

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Notamment STMICROELECTRONICS…

AGNES PANNIER-RUNACHER
SOITEC et STMICROELECTRONICS, il y a également NXP et INFINEON, et nous sommes en train de discuter à nouveau avec la Commission européenne à remettre de l'argent dans cette filière. Mais là où vous avez raison, c'est que le géant aujourd'hui, c'est Taïwan, Taïwan…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, TSMC…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Un peu la Corée, un peu la Chine, mais c'est Taïwan, et nous sommes dans une phase d'accélération de la production, qui est d'ailleurs une bonne nouvelle, parce que ça veut dire que l'économie mondiale repart, qu'elle repart plus vite que ce que n'anticipaient les producteurs, mais du coup, vous avez cette tension qui ne concerne pas que l'automobile, et c'est là où on voit tout l'intérêt d'avoir une politique de relocalisation en France et en Europe, notamment dans la filière électronique, et c'est ce que nous faisons aujourd'hui.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on fait le bilan aussi aujourd'hui avec vous vous de ce plan de relocalisation, puisque vous mettez un milliard d'euros supplémentaire, et vous avez lancé la deuxième salve d'appels d'offres, preuve que ça fonctionne, il y a beaucoup de demandes, soit pour relocaliser, soit pour renforcer…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moderniser…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Moderniser et digitaliser…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ou décarboner, décaboner aussi…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, ou décarboner. Du coup, ça fonctionne, est-ce que, pour autant, l'industrie française est sauvée ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Déjà, ce qu'il faut souligner, c'est que ça fonctionne, c'est-à-dire que nous, nous avions prévu, initialement, dans le plan de relance, 800 millions d'euros sur deux ans, deux ans et demi, enfin, fin d'année 2020-2021, 2022, aujourd'hui, ces 800 millions d'euros, ils sont allés à 1.000 entreprises, et ces 1000 entreprises, ça s'est fait en 4 mois, ce qui veut dire que vous avez des entreprises industrielles qui, en septembre, en octobre, en novembre, déposent des dossiers en disant : je suis prête à prendre un risque, je suis prête à investir, je veux relocaliser de la production en France. Ça, c'est la très bonne nouvelle, c'est d'autant plus une bonne nouvelle que nous avons en France 33.000 entreprises industrielles de plus de 5 salariés, donc ce n'est pas énormément d'entreprises, ça veut dire que ce plan de relance touche juste les bonnes entreprises. Si on regarde maintenant l'activité…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
N'empêche qu'en 2020, on a encore bien sûr fermé des usines et détruit des emplois industriels.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais beaucoup moins qu'en 2008-2009, beaucoup moins qu'en 2008-2009. Et il faut regarder dans le détail les fermetures d'usines, parce que là aussi, ça appelle, je dirais, à une vision assez nuancée. Mais allons plus loin, ce qui est intéressant aussi, c'est de voir que l'activité aujourd'hui, en termes de capacitaires, vous avez 75 % dans l'aéronautique, parce que c'est un secteur qui est durablement frappé par l'arrêt, en gros, de la circulation des avions entre les grands aéroports, vous avez l'automobile qui ralentit à cause du problème des semi-conducteurs, mais vous êtes au-delà de 90% d'utilisation des capacités. Donc l'industrie est repartie, et il ne faut pas regarder l'économie comme étant à l'arrêt ou en difficulté, vous avez le secteur de l'industrie, dont la dynamique est liée à des grands composants internationaux, et qui aujourd'hui fonctionne, et fonctionne pour certains secteurs à plein régime.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Deux questions, est-ce que vous avez trouvé un repreneur pour BRIDGESTONE Béthune ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
A BRIDGESTONE Béthune, j'ai eu une réunion hier soir avec BRIDGESTONE et les élus locaux, et nous allons en avoir une aujourd'hui avec l'ensemble des élus et les organisations syndicales, nous nous acheminons plutôt sur un scénario où il y aurait plusieurs repreneurs pour le site, pour réimplanter de l'emploi, soit directement sur le site, et puis, il y a éventuellement un projet qui est tout proche sur un parc d'activités, donc ce sont les pistes que nous regardons, et pendant ce temps-là, nous avons réussi à quasiment boucler la partie plan social. Et je crois que les salariés estimaient que les choses avaient été bien accompagnées par l'Etat.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc on suivra, si vous arrivez effectivement à la fin à boucler ce dossier. Autre question, on avait comme invité le PDG de BOURRELIER GROUP, Jean-Claude BOURRELIER, c'est BRICORAMA, il est candidat au rachat de 40 à 50 % des parts des Chantiers de l'Atlantique, après l'échec de la fusion avec l'Italien. Est-ce que vous êtes vendeur/vendeuse ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, l'Etat conservera sa participation dans les Chantiers de l'Atlantique aussi longtemps que nécessaire…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Plus de 80%, je crois…

AGNES PANNIER-RUNACHER
L'Etat, c'est plus de 80 % du capital, le sujet n'est pas un sujet d'actionnariat dans l'absolu, le sujet, c'est un sujet de projet industriel, nous voulons donner aux Chantiers de l'Atlantique l'avenir industriel le plus brillant possible, et donc c'est de trouver les bonnes associations, il ne s'agit pas de vendre pour vendre, ça n'a aucun intérêt.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bon, eh bien, on va lui dire. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de l'Industrie, d'avoir été ce matin l'invitée de la matinale.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 février 2021