Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Julien DENORMANDIE, bonjour.
JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Bienvenue. Vous êtes ministre de l'Agriculture. On va parler de l'agriculture, mais on va d'abord parler bien sûr de l'épidémie. Trop faible par rapport à la gravité de la situation, voilà ce que l'on entend comme réaction face aux nouvelles restrictions. Est-ce qu'on ne va pas être contraint de serrer un peu plus la vis ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, ce qui est sûr, c'est qu'on s'adapte au fur et à mesure, on l'a toujours fait depuis le début de la crise, et on continuera à le faire. Après, on le sait bien, l'ensemble des mesures qui sont prises doivent être à l'image de la situation qu'on voit, et notamment, la situation qu'on a dans nos hôpitaux, c'est ce que nous suivons d'extrêmement près pour adapter au fur et à mesure ; je crois aussi qu'il faut en appeler à la responsabilité de chacune et chacun d'entre nous, je vois les débats depuis la semaine dernière avec les nouvelles annonces, beaucoup se sont interrogés, parfois, certains ont trouvé ça trop confus, on a corrigé le tir depuis lors, mais il n'en reste pas moins que ça dépend de chacun d'entre nous. Donc, il faut absolument que cette responsabilité, elle soit totale et elle soit partagée.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a un rendez-vous devant nous, c'est le week-end pascal, et après, il y aura les vacances de Pâques. L'Allemagne a décidé de reconfiner sévèrement pour ce grand rendez-vous familial. Faut-il le faire en France aussi ?
JULIEN DENORMANDIE
Mais vous savez, le Premier ministre a donné des indications très claires sur le week-end pascal, et ce qui est incroyablement difficile, c'est que le week-end pascal est un moment familial, est un moment où on a tous en tête ces chasses aux oeufs ou auprès de sa famille et des grands-parents, pour faire simple. Eh bien, à nouveau, ça dépend de chacun d'entre nous, ce n'est pas une loi qui va empêcher dans le cadre familial, dans l'intimité profonde, mais c'est la responsabilité de chacun…
CHRISTOPHE BARBIER
Mais il y a la lassitude des gens qui n'ont pas vu leur famille depuis longtemps ou qui en ont assez, comment lutter contre ça ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, c'est un fait, et cette lassitude, on la partage tous, tous. Mais c'est vrai que face à cette lassitude, il faut avoir le courage de se dire que les positions qui sont prises, le comportement de nous, de chacun d'entre nous, encore une fois, je le redis, il est là pour protéger celles et ceux qu'on aime. C'est dur, c'est très dur, mais il faut le faire…
CHRISTOPHE BARBIER
Dehors en citoyen…
JULIEN DENORMANDIE
Exactement…
CHRISTOPHE BARBIER
Slogan… si dehors, on doit se comporter en citoyen, est-ce qu'il ne faut pas que les forces de l'ordre soient un peu plus interventionnistes quand il y a des attroupements au soleil, elle est très discrète la police quand même…
JULIEN DENORMANDIE
Si, je crois que les indications et les instructions passées par le ministre de l'Intérieur, et vous avez raison de le rappeler, elles ont été très claires, on a vu des images inacceptables, quand vous voyez ce carnaval à Marseille le week-end dernier, mais qui peut l'accepter, évidemment, et donc, oui, des messages très stricts sont passés pour que l'ensemble des règles soient appliquées, mais encore une fois, à la fin, c'est une responsabilité collective, collégiale, quand il y a un département ici ou là, évidemment qu'il faut intervenir, qu'il y ait des contrôles, évidemment qu'il faut qu'ils soient là, qu'ils soient renforcés, mais le comportement que vous, Monsieur BARBIER, vous avez avec vos proches, dans votre intimité, ça dépend évidemment avant tout de votre propre comportement. Et c'est cela la responsabilité que j'évoquais.
CHRISTOPHE BARBIER
On bute sur une difficulté en Ile-de-France, ce sont les transferts de malades, parce que les familles sont réticentes, est-ce qu'on ne doit pas être un tout petit peu plus autoritaire, et évidemment, les aider à accompagner leurs proches dans cet exil provisoire ?
JULIEN DENORMANDIE
C'est des sujets qui évidemment sont très compliqués, parce que là aussi, on est face à des situations qui sont extrêmement difficiles, moi, je crois que ça fait partie de tout l'accompagnement notamment du professionnel médical, des services de santé, que de pouvoir expliquer la nécessité et les accompagnements, parce qu'il y a des accompagnements qui sont proposés aux familles. Ce qui est sûr, c'est que c'est très important de pouvoir libérer des places là où elles doivent être libérées.
CHRISTOPHE BARBIER
Si chaque pays avait acheté soi-même ses doses sans passer par l'Europe, est-ce que la France n'aurait pas été plus vite et mieux vaccinée ?
JULIEN DENORMANDIE
Je ne crois pas, je ne crois pas, et je pense, moi, profondément à la force de l'Europe dans ces discussions. Est-ce que tout a marché ? A l'évidence, non, est-ce qu'il faut aller plus vite ? A l'évidence, oui, mais est-ce que cela aurait été mieux sans l'Europe ? Je suis persuadé que non. Je suis persuadé que non parce que quand vous prenez le la somme de doses de vaccins achetées à travers le monde par l'Europe, c'est absolument colossal, quand vous voyez le rapport de force que, parfois, il faut mener avec un certain nombre de compagnies ou de laboratoires pharmaceutiques…
CHRISTOPHE BARBIER
La France n'avait pas les reins pour ça ?
JULIEN DENORMANDIE
Mais avec l'Europe, avec le couple franco-allemand, avec la puissance de l'Europe, évidemment que c'est beaucoup plus puissant…
CHRISTOPHE BARBIER
Parce que les Britanniques tous seuls n'ont pas mal réussi quand même !
JULIEN DENORMANDIE
Oui, mais en dépit, et on regardera à la fin, en dépit de quoi, parfois du non-respect y compris de protocoles sanitaires édictés par les laboratoires pharmaceutiques…
CHRISTOPHE BARBIER
Ils écartent les doses beaucoup…
JULIEN DENORMANDIE
Ils écartent les doses. Qui l'accepterait ? L'Europe, c'est quoi, c'est une Europe forte qui est là pour négocier, pour obtenir, et puis, c'est une Europe qui protège, je crois que c'est très important, vous savez, quand on dit que ces vaccins, ils arrivent au niveau européen après qu'une autorité de santé ait donné des consignes, mais c'est essentiel, c'est une Europe qui protège. Et donc, moi, je suis persuadé que cette politique européenne, il faut se souvenir de là où on vient, la politique de santé européenne existait très peu auparavant, eh bien, je crois que c'est un grand pas qui est fait, encore une fois, il faut accélérer, il faut mettre encore plus de pression, parce que la seule solution aujourd'hui, c'est la vaccination, et donc, il faut accélérer, accélérer, c'est ce qu'a encore redit président de la République hier.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, si l'Europe est forte, pourquoi n'arrive-t-elle pas saisir tout de suite, mettre sous séquestre les doses d'ASTRAZENECA produites en Union européenne, mais destinées à l'exportation ?
JULIEN DENORMANDIE
Mais parce que, d'abord, il faut voir qu'on importe en Europe un certain nombre de doses de vaccins qui ne sont pas produites en Europe ou qui sont sous licence de pavillons non Européens, donc, il ne faut pas…
CHRISTOPHE BARBIER
Vous craignez les représailles…
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, il ne faut pas se dire que tout se passe comme s'il n'y avait pas des interactions à l'international, et inversement, moi, ce que je note, c'est que l'Europe est sortie de toute naïveté s'agissant de la nécessité parfois d'interdire elle-même certaines exportations depuis son territoire vis-à-vis de compagnies qui ne respectaient pas leurs propres contrats.
CHRISTOPHE BARBIER
Ça se terminera devant les tribunaux commerciaux, ça ?
JULIEN DENORMANDIE
En tout cas, c'est dans ce rapport de force qu'il a été initié pour faire en sorte qu'à la fin des fins, les contrats soient respectés, et je crois que c'est très bien ainsi.
CHRISTOPHE BARBIER
Si l'immunité vaccinale n'est pas atteinte en France pour l'été, ne faut-il pas considérer que le gouvernement ayant échoué, la présidentielle sera perdue pour Emmanuel MACRON ; est-ce que ce n'est pas son curseur pour une réélection ?
JULIEN DENORMANDIE
On verra à la fin, je ne peux vous répondre autre chose que : on verra à la fin, ce qui est sûr, c'est que, aujourd'hui, on n'est pas du tout sur ce sujet-là, aujourd'hui, notre préoccupation, c'est de se dire : comment on fait pour continuer à protéger les Français, comment on fait pour accélérer la vaccination, ce qu'il faut vraiment avoir en tête, c'est que la seule solution, c'est la vaccination, et d'ailleurs, vous avez commencé votre question comme cela, notre seule préoccupation, c'est d'atteindre les objectifs de vaccination, c'est de renforcer les dispositifs de vaccination, c'est d'obtenir les doses de vaccination. Et quand, d‘ailleurs, je me compare par rapport… on se compare par rapport à d'autres pays européens, il est faux de dire qu'en France, c'est moins bien qu'ailleurs, c'est faux ; et donc, la seule des solutions, c'est la vaccination, et c'est ça qui emporte toute notre attention aujourd'hui.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a beaucoup d'agriculteurs âgés en France, ils se vaccinent ou ils s'en fichent parce qu'ils sont en plein air ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, ils ont le droit exactement aux mêmes règles que les autres…
CHRISTOPHE BARBIER
Et vous les sentez motivés ou au contraire, ils vivent à la campagne, c'est loin pour eux…
JULIEN DENORMANDIE
Non, je crois que c'est une préoccupation de chacune et de chacun, ce n'est pas lié à tel et tel secteur d'activité, mais évidemment, c'est une préoccupation de tous. Et cette vaccination, elle doit être donnée en termes d'accès absolument à tous.
CHRISTOPHE BARBIER
En quoi l'agriculture va-t-elle profiter du plan de relance ? C'est combien d'argent d'ailleurs pour l'agriculture ?
JULIEN DENORMANDIE
C'est plus de 1,2 milliard, donc c'est tout à fait conséquent.
CHRISTOPHE BARBIER
Et où va-t-il aller ce 1,2 milliard ?
JULIEN DENORMANDIE
Il va essentiellement sur les facteurs pour moderniser notre agriculture. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il n'y a pas de pays fort sans agriculture forte. Ça n'existe pas, vous prenez ça à travers les siècles, à travers les civilisations, il n'y a jamais eu de pays fort sans agriculture forte. Vous prenez pendant la période qu'on vit, la Covid, en France, sur nos étals de supermarchés, on n'a jamais manqué de rien, ça n'a pas été le cas dans d'autres pays, pourquoi, parce qu'on a une agriculture qui est forte aujourd'hui, mais qui est face à d'énormes défis, le changement climatique, la réserve en eau, le vieillissement, vous l'avez dit à l'instant, et donc le plan de relance, ce 1,2 milliard d'euros, j'ai voulu l'axer sur l'ensemble de ces priorités pour regagner en souveraineté, mon objectif majeur, c'est la souveraineté agricole de notre pays, et donc comment on fait pour regagner en souveraineté, sortir de cette dépendance, adapter notre agriculture à ses défis d'aujourd'hui et de demain.
CHRISTOPHE BARBIER
Et vous étiez à Bruxelles hier, la nouvelle politique agricole commune, elle va aller dans le sens de la souveraineté, ou au contraire, dans le sens du marché libre et de la concurrence totale ?
JULIEN DENORMANDIE
Non, elle va dans le sens de plus de souveraineté…
CHRISTOPHE BARBIER
Comment ?
JULIEN DENORMANDIE
Mais, je vais vous donner un exemple très concret, vous savez, ça fait 50 ans qu'à l'échelle mondiale, on a organisé un système qui fait que l'Europe, de manière générale, et singulièrement la France, on dépend des protéines : soja, colza légumineuses, du continent américain, et en fait, quand on a créé l'Europe, à la fin des années 50, sur le volet agricole, les Etats-Unis d'Amérique ont dit aux Européens : faites votre Europe, mais à une condition, c'est que vous restiez dépendants de notre production de protéines. Et donc aujourd'hui, on a un système aberrant, pour nourrir nos animaux, pour nous nourrir, on importe du soja, du colza et des protéines sud-américaines, qui sont les mêmes, qui sont produites avec des normes qu'on n'accepterait pas dans notre pays…
CHRISTOPHE BARBIER
Et on va changer ça ?
JULIEN DENORMANDIE
Et qui importent de la déforestation. Et on est en train de changer massivement cela avec un investissement très important dans la reconquête de notre souveraineté protéique, planter plus de légumineuses, planter plus de plantes protéiques au niveau national, au titre du plan de relance, par exemple, c'est 100 millions d'euros nationalement parlant… mais au niveau européen aussi, où on en a fait une priorité, c'est un exemple parmi tant d'autres, et c'est pour moi un exemple qui montre que, oui, l'Europe, elle est là pour nous protéger, on l'a dit sur les vaccins, c'est très vrai pour l'alimentation, c'est profondément vrai, c'est des normes, des standards qui fait qu'on s'assure de la qualité des éléments qu'on donne à nos concitoyens européens, mais aussi, en gain de souveraineté, et la protéine en est un très bel exemple.
CHRISTOPHE BARBIER
Avec cette épidémie, avec le nouveau monde qu'on espère, la transition écologique est devenue encore plus impérative. On l'a vu avec les pesticides, les mesures censurées au Conseil constitutionnel, on voit que l'agriculture a du mal à aller vite dans cette direction, est-ce qu'elle va y arriver ?
JULIEN DENORMANDIE
Non – je me permets de vous corriger – elle n'a aucun mal l'agriculture à faire ça, bien au contraire, l'agriculture, elle croit profondément dans l'environnement, donc la transition agro-écologique, elle est très importante, et on est très allant dessus…
CHRISTOPHE BARBIER
Mais encore faut-il qu'il y ait des solutions, il n'y en a pas partout !
JULIEN DENORMANDIE
Moi, je vais même vous le tourner en positif, quand on fait une transition agro-écologique, on crée de la valeur environnementale, la question, c'est : est-ce qu'au même moment, vous créez de la valeur pour l'agriculteur, un agriculteur, c'est un entrepreneur du vivant, qui nourrit le peuple, et c'est un entrepreneur. Et donc il a besoin de pouvoir vivre dignement de son travail, et donc si la transition agro-écologique, ça ne crée que de la valeur pour l'environnement, et ça n'a aucun impact positif pour le compte de résultat de l'agriculteur, voire, ça le dégrade, c'est ça qui ne marche pas. Et donc, vous comme moi, mais comme tous ceux qui nous écoutent, quand vous êtes dans un supermarché, dans un commerce, et que vous voyez des produits issus de notre agriculture…
CHRISTOPHE BARBIER
Le circuit court…
JULIEN DENORMANDIE
Le circuit court, mais le label de nos territoires, ce qui fait le coeur de notre agriculture française, qui est l'une des plus durables au monde, mais que – alors que vous en avez la possibilité – ne choisissiez pas cette voie-là, mais un produit importé, eh bien, c'est là où on ne crée plus la valeur. Et donc là aussi, on a un énorme sujet de société, est-ce qu'on croit dans notre agriculture, est-ce qu'on croit dans notre souveraineté, est-ce qu'on fait le choix, y compris dans la consommation…
CHRISTOPHE BARBIER
La loi Egalim devait apporter des réponses un peu à tout cela, on a l'impression qu'elle a été contournée par la grande distribution, qui est très habile, est-ce qu'il faut une révision de cette loi ?
JULIEN DENORMANDIE
Je pense que oui. Je pense qu'il faut aller plus loin, et d'ailleurs, qu'est-ce qu'on constate, on constate que ça a fait bouger des lignes, que certains, y compris dans la grande distribution ou chez les industriels, ont eu des changements de comportement, mais qu'il y en a d'autres qui continuent à ne pas jouer le jeu, et donc à la fin, on dégrade tout, avec, là aussi, un seul principe très clair, c'est que le système qui est organisé, c'est : on tire les prix toujours vers le bas, mais comment vous voyez… votre question précédente, c'était : comment on monte en qualité avec par exemple l'agro-écologie…
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a une contradiction…
JULIEN DENORMANDIE
Il y a une contradiction…
CHRISTOPHE BARBIER
Ça, c'est pour le prochain quinquennat, on n'aura pas le temps de faire une nouvelle loi, là…
JULIEN DENORMANDIE
On ne peut pas à la fois demander plus de qualité et détruire les prix. Est-ce que c'est pour le prochain quinquennat ? Non, je pense qu'on peut aller même plus vite, que ce soit sur des volets réglementaires, peut-être même des volets législatifs, j'ai demandé à Serge PAPIN, qui est l'ancien président de SYSTEME U, de me faire des propositions, il me les remet d'ailleurs demain, avec des choses très concrètes, qui vont nous permettre d'aller plus loin que la loi Egalim. Pour moi, il y a urgence. Et donc, je veux le faire très rapidement.
CHRISTOPHE BARBIER
Dernière question, on doit passer à l'heure d'été, est-ce que c'est une bonne idée, d'abord, en milieu agricole, c'est parfois contesté, c'est compliqué pour les bêtes, et puis, surtout, ça va allonger les soirées, alors que pour lutter contre l'épidémie, on n'en a pas forcément besoin ?
JULIEN DENORMANDIE
Honnêtement, sur l'impact de l'épidémie de ce passage horaire, je laisserai les spécialistes le dire, c'est vrai que quand on parle du temps agricole, c'est plutôt le temps qu'il fait que le temps qui est indiqué sur la montre, mais ça, c'est d'un point de vue agronomique, d'un point de vue sanitaire, je laisserai les sanitaires le dirent.
CHRISTOPHE BARBIER
Julien DENORMANDIE, merci et bonne journée.
JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 mars 2021