Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " La France face à la révolution des NBIC : quelle place dans le match entre les États-Unis et la Chine ? "
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
(...)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Je commencerai par remercier le député Jean-Paul Lecoq. Comme vous l'imaginez, nous ne partageons pas tout à fait la même position mais je tiens à relever sa présence, qui témoigne d'une forme de respect pour la démocratie et le débat public. Hier, j'ai vu les uns et les autres réagir à l'allocution du Président de la République. Le président Mélenchon se plaisait à dénigrer la stratégie vaccinale. Force est de constater que lorsqu'il s'agit de commenter le retard français dans la production de vaccins, il y a toujours du monde du côté de l'opposition – ce qui est normal dans une certaine mesure –, mais qu'il y en a beaucoup moins, en revanche, lorsqu'il s'agit de participer à un débat sur les causes profondes du retard de la France en matière de biotechnologies et donc de production de vaccins. Ce matin, je ne vois pas le président Mélenchon. Il n'y a personne sur les bancs du groupe La France insoumise, personne sur ceux du groupe Socialistes et apparentés, personne non plus sur ceux du groupe Les Républicains.
M. Jean-Paul Lecoq. Je suis seul !
M. Cédric O, secrétaire d'État. En effet, seul le groupe communiste est là parmi les groupes d'opposition et cela s'explique, d'une certaine manière, car je pense qu'il y a dans l'histoire du parti communiste une relation spéciale avec la technique, qui dépasse d'ailleurs le seul cadre de la technique. Évidemment, il y a la majorité, que je remercie d'avoir choisi ce débat sur un sujet essentiel.
Il y a une certaine inconséquence dans l'action des responsables politiques. Il est trop facile de venir commenter sur les plateaux télévisés le retard français en matière de vaccins et de déserter ensuite l'hémicycle lorsqu'il s'agit de débattre de sujets aussi importants que le progrès technique, l'investissement dans la recherche et le retard européen en ce domaine. Les uns et les autres gagneraient à faire preuve d'une certaine décence dans l'action politique. (Mme Maud Gatel, M. Thomas Gassilloud et Mme Anne Genetet applaudissent.)
Mais venons-en au fond du débat qui nous occupe aujourd'hui et que je remercie le groupe Agir ensemble d'avoir proposé. Il soulève des questions complexes, compte tenu notamment des tensions sociales et géopolitiques existantes, mais absolument déterminantes pour l'avenir de la France et de l'Europe. Vous me permettrez de l'étendre à la recherche et à la compétition technologique que se livrent les grands ensembles mondiaux que sont les États-Unis, la Chine et l'Europe et certains autres pays.
Qu'on la trouve positive ou pas, la concurrence technologique est très forte et c'est là que ma position diffère un peu de la vôtre, monsieur Lecoq. En tant que député d'une circonscription qui comprend une partie du Havre, vous en êtes témoin plus que d'autres, compte tenu de l'importance des échanges maritimes dans la compétition internationale – mais aussi intra-européenne, puisque les premiers concurrents du port du Havre sont les ports du nord de l'Europe. Mais vous savez aussi quelle importance a le progrès technologique, progrès à concevoir bien sûr dans le respect de l'humain et des transitions. Le risque, que face aux ports d'Anvers et de Rotterdam, Le Havre courrait à ne pas innover, à ne pas être à la pointe de la technologie, c'est malheureusement de se retrouver déclassé dans la compétition internationale.
Il y a quelques jours, j'étais dans cette belle ville pour évoquer la 5G, que nous estimons être un élément absolument indispensable de la compétitivité des ports. Certes, elle suscite des débats mais j'estime que la responsabilité des décideurs politiques est de prendre en compte le monde tel qu'il est et non pas tel qu'ils aimeraient qu'il soit. Bien sûr, nous souhaiterions tous voir émerger une coopération internationale globale qui permettrait à chaque pays de se concentrer sur une part de la recherche afin de maximiser les gains pour tous. Soit dit en passant, il serait intéressant de savoir, du point de vue de la théorie économique, si ce modèle-là serait plus efficace qu'un modèle de concurrence, mais peu importe, la réalité, c'est que nous sommes en concurrence avec les États-Unis et la Chine. Les choix que nous faisons aujourd'hui, les choix que nous avons faits hier conditionnent l'avenir de nos emplois, de notre souveraineté, de nos modèles sociaux.
Si l'on regarde le monde tel qu'il est, nous voyons bien qu'il y a une compétition technologique, une compétition dans la recherche comme il n'y en a pas eu depuis plusieurs décennies. Nous assistons à une course aux armements, symbolisée par les investissements énormes de la Chine et des États-Unis dans certaines technologies critiques – l'intelligence artificielle, le quantique, le cloud et les NBIC. De manière plus globale, comme l'a indiqué Thomas Gassilloud, nous observons une convergence des biotechnologies, des nanotechnologies et de la micro-électronique. Les pays se livrent une compétition pour acquérir à terme une suprématie technologique et économique. Ce qui est en jeu pour nous, c'est toujours notre souveraineté nationale et l'indépendance de l'Europe car la France comme l'Europe sont exposées au risque d'un déclassement significatif.
Je citerai quelques chiffres pour illustrer mon propos. En 2017, lorsqu'Emmanuel Macron a été élu Président de la République, le différentiel d'investissements dans l'intelligence artificielle entre les États-Unis, d'un côté, et l'Europe, de l'autre, était le même que celui existant entre l'Europe et la Chine : un rapport de un à dix. Les raisons qui l'expliquent ne sont pas les mêmes, bien sûr. Aux États-Unis, marché capitaliste fondé sur l'initiative privée, l'investissement est essentiellement d'origine privée. Rendez-vous compte qu'Amazon investit chaque année dans la recherche de l'ordre de 20 à 22 milliards de dollars alors que la R&D française, dans son ensemble, représente 60 milliards de dollars. Autrement dit, une entreprise américaine dégage à elle seule un tiers des moyens consacrés à la recherche en France. La Chine, quant à elle, repose sur autre modèle, fondé principalement sur les investissements étatiques.
Le risque que nous courons est le déclassement. La France investit 2,83% de son PIB dans la R&D alors que l'Allemagne en est déjà à 3% et vise 3,5%. Si nous restons collés à ces 2,83% et que les Allemands passent à 3,5 %, ce sont 60 milliards de dollars de plus chaque année qu'ils consacreront à la recherche, à leur industrie, à leur avenir. En Europe, nous sommes globalement en retard même si dans certains domaines, nous restons encore dans la course. Nous pouvons y voir le résultat de choix politiques des majorités précédentes qu'elles doivent assumer.
Les choix ou les non-choix politiques sont à nos yeux décisifs et c'est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi dès le début de faire de la question technologique un axe extrêmement fort de sa politique, en étant parfois, il faut le dire, un peu raillé, sur la question du numérique notamment. Citons les plans sectoriels consacrés à l'intelligence artificielle, au quantique, à la cybersécurité, aux biotechnologies. Plus globalement, la loi de programmation pour la recherche représente un effort de plus de 25 milliards d'euros sur dix ans. Certains ont jugé cette ambition insuffisante – que n'ont-ils tiré de telles conclusions lorsqu'ils étaient au pouvoir ; pour nous, cet investissement historique dans la recherche publique est absolument indispensable. Ne décidons pas, de manière inconsciente, d'abandonner notre économie, nos emplois, notre souveraineté et notre modèle social.
Le modèle social français tient à certains choix économiques, bien sûr, mais aussi à l'inventivité, à la créativité, à l'audace d'entrepreneurs, de chercheurs, d'entrepreneuses et de chercheuses qui ont choisi, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, de se consacrer au rail, à la chimie, à l'aéronautique, et au lendemain de la seconde guerre mondiale, au nucléaire. D'ailleurs, monsieur Lecoq, si un référendum lui avait été consacré alors,...
M. Jean-Paul Lecoq. Cela aurait été une bonne chose !
M. Cédric O, secrétaire d'État. ...je ne pense pas que l'idée d'investir autant d'argent dans l'atome aurait suscité un grand enthousiasme dans la population française. Et je ne suis pas certain que sans le nucléaire, la France serait ce qu'elle est aujourd'hui, mais c'est un autre débat.
Regardons les choses en face : nous avons besoin de réinvestir dans la R&D et l'innovation et nous avons besoin que le privé le fasse aussi car ce qui nous différencie des puissances d'innovation, ce n'est pas la dépense publique, plus élevée en France qu'ailleurs, mais bien la dépense privée.
Comme l'ont souligné Jean-Paul Lecoq et Mireille Clapot, la question de l'acceptabilité du progrès technologique s'est fait jour dans les sociétés occidentales. Bien évidemment, elle est décisive et nous ne saurions continuer dans la voie des innovations sans prendre le temps d'avoir un débat à ce sujet.
M. Jean-Paul Lecoq. Chiche !
M. Cédric O, secrétaire d'État. Cela dit, je ne pense pas que l'on puisse régler ces problèmes à coups de référendums – j'ai déjà dit mon avis sur ce qui se serait passé si l'on en avait organisé un sur la question du nucléaire. Cela nécessite des débats longs, précis et contradictoires.
M. Jean-Paul Lecoq. Sur l'éducation aussi !
M. Cédric O, secrétaire d'État. La prochaine élection présidentielle sera, à mon avis, le meilleur moyen démocratique de donner l'occasion à chacun de faire le choix de sa relation au progrès technologique et au progrès tout court. Cette question occupera une place centrale dans le débat électoral et l'intelligence artificielle, la 5G dans la bande des 26 gigahertz, les biotechnologies ou les nanotechnologies seront autant de sujets essentiels.
Il me semble indispensable que la France retrouve un discours de progrès. Je suis d'accord avec la plupart des intervenants sur le fait que l'alliance d'une ambition extrêmement forte pour la recherche et l'innovation et d'une prise en compte de l'humain doit nous permettre de trouver une voie française sur ces questions. Encore faut-il pour cela que nous soyons capables d'avoir un débat apaisé et que nous ne dévoyions pas certains principes comme le principe de précaution.
Dans une interview, il y a quelques semaines, le professeur Étienne Klein soulignait que le principe de précaution devait pousser à faire des recherches et non à les bloquer. En faire un principe de refus du progrès,...
M. Jean-Paul Lecoq. Mais qu'entendez-vous par progrès ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. ...un principe de peur, c'est le dévoyer par rapport à sa philosophie initiale. Si nous ne sommes pas capables de voir lucidement ce que nous avons à gagner et ce que nous avons à perdre, alors nous nous retrouverons dans la même situation qu'aujourd'hui avec les vaccins. Les difficultés de la France en matière de recherche biotechnologique sont en partie la conséquence d'un dévoiement du principe de précaution. Nous avons surpondéré les risques dans les processus d'innovation technologique, tous les chercheurs en biotechnologies vous le diront. Pourquoi Emmanuelle Charpentier, dernière Française à avoir reçu le prix Nobel de chimie, est-elle partie en Allemagne ? Il faut se demander pourquoi certains secteurs sont exposés à une forme de déclassement technologique.
M. Jean-Paul Lecoq. Parce que les chercheurs sont sous-payés !
M. Cédric O, secrétaire d'État. Si nous n'abordons la question de l'innovation en santé que sous l'angle du risque alors, à la fin, ce sont les autres pays qui produiront les vaccins.
La recherche technologique repose sur un équilibre lucide entre risques et gains. Et je pense que c'est ce qu'a voulu dire le Président de la République lorsqu'il est revenu sur la question du risque dans son allocution hier. Il y a un rapport aux risques, un rapport à l'échec que nous devons retrouver. Nous avons construit notre prospérité technologique, notre prospérité sociale grâce à des gens qui prenaient des risques. Il fallait oser monter dans un avion lorsqu'il venait d'être inventé.
M. Jean-Paul Lecoq. Certes, mais s'il s'écrasait, cela n'avait pas de conséquences pour la planète entière !
M. Cédric O, secrétaire d'État. En matière de vaccins, il en va de même. Si nous refusons le risque, alors nous devons en assumer les conséquences.
Je ne vais pas m'attarder plus longtemps sur ce sujet qui, comme vous le voyez, me passionne. Je rappellerai encore une fois l'importance de ce débat et remercierai la majorité et le groupe communiste pour leur présence ce matin. Je ne doute pas que nous aurons l'occasion de poursuivre ce débat au-delà de la série des questions-réponses. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)
M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, si je me réjouis comme vous de la présence de Jean-Paul Lecoq, je dois vous indiquer qu'à l'Assemblée nationale, il n'est pas de coutume de prendre à partie des élus de la nation lorsqu'ils ne sont pas présents dans notre hémicycle.
J'aimerais que nous puissions passer sereinement à la deuxième partie de ce débat. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel.
M. Pierre-Yves Bournazel (Agir ens). Si la révolution des nanotechnologies, biotechnologies, de l'informatique et des sciences cognitives est un défi technique, la réponse se trouve dans le capital humain. La locomotive technologique de la robotique, de l'intelligence artificielle ou de la biotechnologie est avant tout alimentée par les cerveaux des jeunes chercheurs. Pour saisir le train des NBIC et ne pas rester sur le quai des producteurs de données assujettis à l'offre sino-américaine, la France doit mener une politique de formation, d'orientation et de fidélisation ambitieuse.
Les grands groupes comme Facebook, Google, Samsung, Fujitsu ou IBM ont compris le potentiel des talents français et font le pari d'installer en France leurs nouveaux centres de recherche et d'innovation sur l'intelligence artificielle.
Aussi est-il essentiel, pour soutenir et convertir en dividendes concurrentiels les travaux scientifiques français, de développer, d'abord, les compétences et le capital humain à travers la formation initiale et continue, de créer, ensuite, un environnement favorable à l'intensification de l'entreprenariat et au transfert de technologies, de promouvoir, enfin, l'attractivité vis-à-vis des acteurs internationaux et des meilleurs talents mondiaux.
En ce sens, la stratégie exposée par la France en matière d'intelligence artificielle vise à attirer les meilleurs talents en mettant en place un programme national pour l'intelligence artificielle, coordonné par l'INRIA – Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique : doublement du nombre d'étudiants formés à l'intelligence artificielle d'ici à la fin du quinquennat ; renforcement des synergies entre recherche publique et industrie ; création de chaires individuelles pour faire venir les meilleurs chercheurs ; lancement d'appels à projets, enfin, pour attirer les meilleurs projets de recherche. Le plan quantique, quant à lui, doit permettre de créer 16 000 emplois directs et indirects à l'horizon 2030.
Cette montée en puissance s'appuiera sur différents niveaux de formation, combinant formation initiale, continue, technique et sur la recherche. L'objectif est de former 5 000 nouveaux talents en technologie quantique – techniciens, ingénieurs, docteurs – et 1 700 jeunes chercheurs, grâce à un doublement du nombre de tests par an.
Pouvez-vous nous préciser la stratégie du Gouvernement en matière d'orientation, de formation et de fidélisation des cerveaux ? La France et l'Europe demeurent des pôles de puissance, mais nous ne devons pas ignorer le risque d'un déclassement technologique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Cédric O, secrétaire d'État. Vous mettez le doigt sur le point nodal. La bataille en matière d'intelligence artificielle, comme en matière de recherche, est avant tout une bataille pour l'intelligence humaine. Historiquement, l'Europe et la France forment d'excellents chercheurs. Cependant, elles faisaient face à un double problème : elles n'en formaient pas assez et nombre d'entre eux, notamment parmi les meilleurs, partaient.
Le coeur de la stratégie dans l'ensemble des secteurs que vous évoquez est donc de créer les conditions permettant de conserver les meilleurs chercheurs. Qu'est-ce que cela implique ? D'abord, d'augmenter les salaires. C'est pourquoi, dans le cadre du plan intelligence artificielle, nous avons créé 270 doctorats, développé le nombre de chaires et fait en sorte que les conditions de la recherche dans ce domaine, pour les chercheurs français ou étrangers d'ailleurs, soient améliorées. La question du salaire des chercheurs, notamment au cours des premières années de carrière, est ainsi centrale dans la LPPR – loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Le deuxième élément, c'est la question de l'environnement et de l'écosystème dans lequel un chercheur évolue. Il décide en effet de rester et de travailler dans un pays si l'écosystème, les gens qu'il rencontre, les autres chercheurs sont au bon niveau. Pour vous citer un exemple, j'ai rencontré il y a peu un chercheur venu travailler au sein d'un centre de recherche – celui de Facebook, je crois. Ce Français, qui a habité aux États-Unis, est revenu travailler en France sur l'intelligence artificielle précisément parce que Google, mais aussi d'autres entreprises, d'autres chercheurs étaient présents sur le territoire. La question de l'attractivité de la France vis-à-vis des meilleures entreprises et des meilleurs centres de recherche est donc tout à fait centrale.
C'est pourquoi nous investissons pour former plus de personnes dans les différents secteurs – le quantique, l'intelligence artificielle, la cybersécurité – et nous oeuvrons à encourager l'investissement des entreprises étrangères, mais aussi françaises, comme Clitéo ou Orange, pour créer cet environnement favorable qui doit nous permettre d'attirer les meilleurs talents internationaux et de les garder. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Agir ens.)
M. Jean-Paul Lecoq. Vous reconnaissez que le salaire des chercheurs est trop faible ! Vivement que vous fassiez de même pour les autres fonctionnaires !
M. le président. Monsieur Lecoq, nous nous sommes réjouis de votre présence, n'en abusez pas !
M. Jean-Paul Lecoq. Il est rare de voir le Gouvernement admettre que les salaires sont trop faibles !
M. le président. La parole est à Mme Anne Genetet.
Mme Anne Genetet (LaREM). NBIC : ce sigle, que personne ne sait énoncer, cache une compétition féroce, dont la France et l'Europe pourraient être exclues. Elles font face en effet à deux géants qui ont mis sur la table des moyens considérables pour développer leurs propres outils et leurs propres normes.
Il nous faut donc définir, de manière urgente et coordonnée, une stratégie européenne qui combine investissements de conséquence, personnels compétents et installation de sites de production. Sur ce dernier aspect, la crise du Covid-19 a mis en lumière notre dépendance.
Sans réaction européenne massive et rapide, ce seront des secteurs cruciaux de notre quotidien que nous mettrons dans les mains de ces deux géants : santé, éducation, défense, administration, les applications sont pratiquement illimitées.
Les Français n'en mesurent pas encore la portée, mais nous devons nous y préparer. Pour traiter des flux de données très importants, nous devrons nous équiper des infrastructures adéquates, ce qui implique notamment de couvrir entièrement le territoire national en très haut débit, d'une part – le Président de la République s'y était engagé et le Gouvernement s'y attelle au travers du plan France relance et je peux témoigner que la fibre optique est arrivée dans le petit village du Lot dont je suis élue ; d'autre part, il faut s'équiper en antennes relais 5G qui, contrairement à ce qu'a pu dire subtilement le maire Europe Écologie-Les Verts M. Éric Piolle, serviront à autre chose que, je le cite, « regarder du porno dans l'ascenseur en HD ». Nos malades, en attente d'une chirurgie de pointe, apprécieront !
En réponse à notre collègue Jean-Paul Lecoq, je voudrais souligner que l'outil n'est pas le problème, mais bien plutôt l'usage qu'on en fait : ainsi, un marteau peut servir à construire une maison, mais aussi à la cambrioler en fracturant une fenêtre.
M. Jean-Paul Lecoq. Parlons plutôt du serrage de vis !
Mme Anne Genetet. Monsieur le secrétaire d'État, que répondez-vous au refus idéologique, militant, voire électoraliste, opposé à la 5G ?
M. Ugo Bernalicis. Oh là là !
M. Jean-Paul Lecoq. Quelle agressivité !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Cédric O, secrétaire d'État. Il convient d'appréhender l'arrivée de la 5G de manière non partisane et lucide. Douze pays européens l'ont déployée avant la France, et les autorités sanitaires de ces pays se sont penchées sur cette question, notamment des pays du nord dont on sait la sensibilité en matière de santé publique. Ces autorités l'ont validée. Depuis cinquante ans, 27 000 études ont été réalisées sur les ondes électromagnétiques. Je ne suis d'ailleurs pas d'accord avec le député Jean-Paul Lecoq : aucune étude reconnue par la communauté scientifique n'a jamais estimé qu'en dessous des seuils admis d'exposition aux ondes il existait un quelconque risque pour la santé humaine. Or en France, au Havre comme à Paris ou ailleurs, nous sommes en moyenne exposés à des niveaux qui sont de 150 à 200 fois inférieurs au niveau maximal.
Les élus des différentes villes de France le savent bien d'ailleurs, quelle que soit leur couleur partisane, et l'on ne peut que constater dans certaines postures une forme de jeu de rôles – on cherche encore à Paris ce que la nouvelle charte signée par les opérateurs comporte de différent par rapport à la précédente ! Après avoir dû composer avec les réticences d'une partie de leur majorité, l'ensemble des villes ont accédé au déploiement de la 5G ou vont le faire. Et, ce, pour une raison simple : d'ici un an, les réseaux de la 4G arriveront à saturation. Trois choix seront alors possibles : laisser faire, mais je ne suis pas sûr que les édiles y soient prêts ; déployer plus de 4G ; ou déployer la 5G qui, pour une même bande passante, consomme dix à vingt fois moins d'électricité.
Selon une approche environnementale très basique, nous avons donc besoin de la 5G. Elle sera nécessaire également pour le développement industriel, pour les ports, pour l'agriculture, pour la télémédecine en zone rurale...
M. Jean-Paul Lecoq. Pas pour le climat !
M. Cédric O, secrétaire d'État. Nous sommes parvenus à une plus grande sérénité sur le sujet et je ne peux que m'en féliciter, tant il est crucial pour l'économie française.
M. le président. La parole est à Mme Anne Genetet, pour une deuxième question.
Mme Anne Genetet (LaREM). L'an dernier, la France a connu une multiplication par quatre du nombre des cyberattaques lancées contre ses entreprises et ses administrations les plus sensibles. Depuis le début de l'année, les attaques sont devenues hebdomadaires et n'épargnent personne.
Les hôpitaux, en première ligne pour soigner les malades de l'épidémie de covid-19, sont devenus récemment les cibles privilégiées du rançonnage, qui consiste à paralyser l'ensemble du système informatique d'une structure jusqu'au versement d'une rançon.
Le mois dernier, les informations personnelles et médicales de plus de 500 000 Français, issues d'une trentaine de laboratoires d'analyses médicales, ont été rendues publiques par des hackers. Ces phénomènes doivent nous alerter : ils disent quelque chose de la vulnérabilité de notre tissu économique, de notre administration et de l'ensemble de notre réseau informatique. Il y a deux semaines encore, l'incendie d'un centre de données OVH a montré combien ce réseau était fragile : plus de 3,5 millions de sites web, en grande partie français, ont été affectés par le sinistre.
Monsieur le secrétaire d'État, la sécurité informatique n'est pas un sujet sur lequel nous pouvons lésiner. Elle nous concerne tous et nous concernera de plus en plus au fur et à mesure que se développeront les objets connectés, la décentralisation des services administratifs, la robotisation des appareils de production ou encore les applications reposant sur l'intelligence artificielle.
Je pose donc deux questions : que compte faire le Gouvernement, au niveau national, pour relever ces défis ? Au niveau européen, quelles sont les actions de la France afin de faire émerger une défense européenne en matière de cybersécurité, étant entendu que la menace ne répond pas à une logique de frontières ? Des coopérations existent-elles ?
M. Jean-Paul Lecoq. Bonne question ! Meilleure que la précédente !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Cédric O, secrétaire d'État. Vous pointez un sujet absolument central, sur lequel d'ailleurs le Président de la République s'est exprimé, il y a quelques semaines : celui des cyberattaques et de la cybersécurité.
De la même manière que, lors d'une pandémie, la réponse première repose sur l'application des gestes barrières et le comportement individuel, nous devons faire prendre conscience à l'ensemble des Françaises et des Français de la menace qui pèse sur eux et sur leur entreprise et de la nécessité de respecter les gestes barrières dans leur vie personnelle ou professionnelle. La meilleure manière d'éviter une cyberattaque reste encore de ne pas cliquer sur une pièce jointe envoyée par une personne inconnue, de télécharger les mises à jour sur son téléphone portable ou son ordinateur, de changer régulièrement de mots de passe et de les choisir de manière relativement élaborée.
De nombreuses cyberattaques commencent par l'envoi d'une pièce jointe vérolée. C'est effectivement devenu un problème national, je pense notamment à l'attaque des hôpitaux, le dernier en date étant celui d'Oloron-Sainte-Marie qui se remet difficilement. Pour y parer, nous devons améliorer la prise de conscience – c'est pour cela que nous avons travaillé à une campagne de communication, notamment avec l'équipe du Bureau des légendes. Nous devons aussi renforcer les effectifs de l'ANSSI – Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information – qui bénéficiera d'un budget supplémentaire de 136 millions d'euros dans le cadre du plan de relance : ce sont ces personnes qui interviennent à la manière de pompiers et travaillent avec les très petites entreprises, les PME et les grandes entreprises pour anticiper les attaques. Enfin, il nous faut apporter une réponse technologique, car il s'agit bien d'une guerre technologique. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé, il y a quelques semaines, une mobilisation de 1,3 milliard d'euros.
Nous menons également ce combat au niveau européen ; nous commençons à nous coordonner et nous avons ouvert un centre européen de cybersécurité en Roumanie. Nous ne sommes qu'au début de la réponse commune et nous devons la renforcer. (M. Pierre-Yves Bournazel, Mme Mireille Clapot et Mme Maud Gatel applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Maud Gatel.
Mme Maud Gatel (Dem). Je souhaite mettre l'accent sur l'intelligence artificielle, dont les capacités exponentielles et les progrès – si tant est que nous puissions parler de progrès sur certains aspects – ouvrent tous les champs du possible.
Avec le livre blanc de la Commission européenne et les travaux très intéressants conduits par le Parlement européen, une stratégie européenne se dessine en la matière. Comment comptez-vous l'articuler avec la stratégie française, compte tenu notamment des questions éthiques qui se posent ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Cédric O, secrétaire d'État. Les stratégies française et européenne en matière d'intelligence artificielle reposent sur deux piliers. Le premier concerne la recherche et les progrès technologiques qu'il nous faut accomplir. Dans certains domaines comme l'intelligence artificielle appliquée aux données personnelles ou aux données de consommateurs, nous connaissons en effet un retard important par rapport à la Chine ou les États-Unis, même si nous restons dans la course en matière d'intelligence artificielle embarquée ou appliquée à certains secteurs comme l'énergie ou la santé.
Nous devons donc continuer à investir pour, selon le cas, réduire notre retard ou conserver notre compétitivité. Continuer à faire partie du jeu est en outre le seul moyen de parler avec les leaders technologiques internationaux qui, il faut bien le dire, fixent les standards. C'est donc également indispensable sur le plan éthique et des valeurs.
Parallèlement, la France – avec le Canada notamment, et avec le soutien de l'Union européenne – a lancé le partenariat mondial pour l'intelligence artificielle – PMIA. En effet, nous avons besoin de mieux connaître les conséquences éthiques et sociétales de l'intelligence artificielle. De même que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – GIEC – a permis de forger un consensus concernant le réchauffement climatique, préalable à l'action politique, nous devons organiser un dialogue entre les chercheurs du monde entier – canadiens et français, africains, américains, asiatiques... – pour dresser un état des lieux des recherches sociétales, sociologiques et techniques relatives aux conséquences de l'intelligence artificielle, base sur laquelle des décisions politiques seront prises. Le PMIA a été lancé il y a environ six mois, à l'instigation, notamment, du Président de la République et du Premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Il fonctionne extrêmement bien, et tiendra cette année sa deuxième réunion. Nous avons grand espoir que ce cénacle fasse progresser le débat de société sur l'intelligence artificielle, qui interroge nos valeurs. (Mme Mireille Clapot et M. Thomas Gassilloud applaudissent.)
M. le président. Le débat est clos.
M. Jean-Paul Lecoq. C'est dommage !
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 30 mars 2021