Texte intégral
Q - Bonjour Franck Riester.
R - Bonjour Christophe Jakubyszyn.
Q - Masqué, car vous revenez d'Afrique et vous respectez donc les mesures barrières pour ne pas contaminer, ne pas être cas contact éventuellement. Franck Riester, c'est un peu votre bulletin de notes ce matin, c'est-à-dire celui de l'attractivité de la France, grâce à Eurogroup, on a largement commenté cette étude ce matin. Alors, c'est bien, mais peut mieux faire. On peut toujours mieux faire, et Audrey le rappelait à l'instant. En matière de fiscalité notamment on a fait des progrès, notamment la fiscalité du capital, mais en matière de coût, les impôts de production, les investisseurs étrangers disent quand même que le compte n'y est pas tout à fait.
R - Ecoutez, oui, il y a eu beaucoup de choses de faites. D'abord, ces résultats sont encourageants, ils sont positifs, ça montre que celles et ceux qui sont finalement les ambassadeurs business de la France, partout dans le monde, ces conseillers du commerce extérieur de la France, reconnaissent que la France bouge, se transforme, et ont un retour des investisseurs étrangers positif sur l'image de la France. Ça passe par tout un travail qui est fait depuis 2017, la baisse de la fiscalité sur le capital, sur les sociétés. Je rappelle quand même que l'engagement pris de baisser l'impôt sur les sociétés jusqu'à 25% en 2022 sera tenu, on était à 33% en 2017...
Q - Vous le ferez, même si les Américains prennent le chemin contraire et si Joe Biden, lui, annonce la hausse de l'impôt sur les sociétés ?
R - D'abord, on tient nos engagements par principe - c'est un contrat de confiance avec les électeurs -, et puis deuxièmement parce que ça dépend d'où l'on part. Nous étions beaucoup plus haut, c'est nécessaire de baisser la fiscalité des entreprises, et c'est ce que nous allons faire et tenir : 25% en 2022. Et puis c'était le grand challenge à relever, qui était la baisse des impôts de production, cet impôt typiquement français qui est absolument contre-productif, on taxe les investissements avant même qu'ils créent de la valeur ajoutée.
Q - Mais, c'est ce que nous disent les investisseurs. Ils nous disent "les Français sont bien gentils, ils ont 70 milliards d'euros d'impôts de production et ils le baissent de 10".
R - On baisse de 10 cette année, 10 l'année prochaine, donc on continue l'effort de baisse. Et croyez-moi, quand je rencontre les entreprises, celles qui ont fait les calculs parce que, ça commence à être fait, mais au début beaucoup d'entreprises n'avaient pas fait leurs calculs, quand elles font leurs calculs notamment dans l'industrie, elles s'aperçoivent que c'est une baisse très significative des impôts de production. Et nous voulons continuer cet effort, c'est absolument clé de faire en sorte que la France soit compétitive d'un point de vue fiscal. Mais ce n'est pas suffisant. C'est pour cela aussi qu'il faut faciliter la vie des entreprises et simplifier. Il y a eu la loi PACTE, il y a la loi ASAP, il faut continuer à mettre en place de la flexibilité, et d'ailleurs les conseillers du commerce extérieur de la France reconnaissent qu'il y a eu beaucoup de choses de faites en matière de flexibilité, pour adapter l'organisation de l'entreprise...
Q - Ça c'est vrai que c'est l'autre mesure qui est plébiscitée, c'est celle de la flexibilité du droit du travail.
R - Exactement, qui était une des grandes faiblesses en terme d'image de notre pays, en terme d'image et en terme de réalité d'organisation des entreprises.
Q - Alors, il y a un gros point d'interrogation dans cette étude d'Eurogroup, Franck Riester, c'est le plan de relance, notamment le plan de relance européen. On était tout à l'heure avec le commissaire européen chargé de la justice. Parce qu'au fond, 750 milliards d'euros c'est bien, encore faut-il qu'ils soient votés et décaissés, cela n'était pas le cas. Est-ce que l'Europe n'est pas en train de prendre un retard considérable par rapport à ce que font les Américains ou les Chinois ?
R - En tout cas il faut être très vigilant. C'est pour cela que la France met la pression maximum pour qu'on puisse avoir ce décaissement, comme vous dites, à l'été. Ce n'est pas encore gagné...
Q - Non...
R - Mais ça pourrait être une démonstration, effectivement, de la lourdeur européenne.
Q - Ça peut bloquer, avec les Polonais par exemple ?
R - Non, je ne crois pas que ça bloque, mais c'est la mise en oeuvre ensuite de la décision qui pose problème. On sait qu'il y a un certain nombre de pays où la décision est plus complexe, les procédures sont plus complexes. On sait par exemple que c'est le cas en Allemagne. Il faut absolument qu'on ait ce décaissement, parce que pour l'Europe, cela serait évidemment ravageur en termes d'image. Et puis ensuite on verra une fois que c'est décaissé, encore une fois il faut que ce soit le plus rapidement possible, s'il faut réévaluer le besoin en fonction de la situation économique, après les différentes vagues de virus.
Q - Franck Riester, vous le dites très justement, le risque de la déception européenne - elle a déjà eu lieu sur la gestion de l'approvisionnement en vaccins -. Est-ce que vous ne craignez pas, quand même, qu'au bout du compte les gens se disent "il vaut mieux comme les Anglais, être en dehors de l'Europe, que dans l'Europe, pour aller plus vite, être plus agile" ?
R - Alors, sur la crise sanitaire, on verra à la fin de la crise ce que sera le bilan des uns et des autres. Je ne suis pas sûr que la Grande-Bretagne ait des leçons à donner à la terre entière de ce point de vue-là.
Q - En matière de morts, c'est vrai ; en matière de vaccination...
R - Oui, mais bon, c'est un tout. Après, il est clair qu'on a besoin, en Europe, de relocaliser les chaînes de valeur, d'avoir un outil industriel encore plus performant pour l'avenir, et notamment sur la partie santé, sur la partie médicaments, sur la partie vaccins.
Q - Mais vous le vivez tous les jours, Franck Riester...
R - Le problème...
Q - Ce n'est pas un frein plus qu'un atout, l'Europe, avec ses lourdeurs administratives ?
R - Non, c'est un atout considérable. Je vais vous dire, on va être dans une compétition entre poids lourds politiques et économiques. Si on n'est pas un poids-lourd politique et économique, on ne pèse rien, et donc il faut peser face aux Etats-Unis, peser face à la Chine, peser face à l'Inde, au Brésil, à la Russie. Ce n'est qu'en étant unis qu'on pourra réussir à peser. On pèse quand on oblige les Etats-Unis à aller vers un moratoire sur l'aéronautique, en ce qui concerne les taxes sur l'aéronautique et les vins et spiritueux dans le contentieux Boeing-Airbus. On pèse quand on réussit à faire en sorte qu'à 27, sur les vaccins, pour revenir sur les vaccins, à 27 on est uni plutôt que divisé. La division, rien n'est pire que la division. Alors après, il faudra tirer les conséquences de cette séquence, pour voir comment on peut industriellement être beaucoup plus autonome, indépendant et réactif.
Q - On va reprendre un exemple très concret, Franck Riester, celui du passeport vaccinal ou médical, appelez-le comme vous voulez, qui doit normalement être mis en place en juin, avec l'adoption par le Parlement européen et ensuite la mise en place technique très vite, avant la fin juin, nous a dit Thierry Breton hier. Est-ce que ça va être rendu obligatoire, est-ce que pour voyager dans un autre pays européen, pour prendre l'avion, je devrais avoir mon passeport sanitaire ?
R - Ecoutez, c'est ce qui va être à réfléchir et à décider dans les semaines qui viennent. Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que pour beaucoup de déplacements on a besoin d'avoir un test PCR...
Q - Y compris pour les chefs d'entreprise.
R - Oui, par exemple, je reviens de l'étranger, il faut faire des tests PCR pour se déplacer. Après, l'idée, là, c'est de ne pas être dans une démarche d'obligation de certificat...
Q - Pourquoi pas ?
R - On verra, pour l'instant ce n'est pas encore le cas...
Q - Parce qu'on a autant de réticence à dire que pour voyager et mettre en sécurité tout le monde, les gens chez qui on se rend, on rend obligatoire un passeport ou une vaccination ou un test.
R - Vaccination, test ou présence...
Q - Un statut sérologique.
R - C'est pour cela qu'on travaille sur cette application, et que...
Q - Vous, personnellement, qu'est-ce que vous en pensez ?
R - Moi je pense qu'il y a besoin de rassurer les gens. Donc de toute façon, le fait de rassurer les gens avec la preuve qu'on a une protection contre le virus, va dans le bon sens. Après il faut regarder les questions éthiques et les questions juridiques, c'est ce que l'on essaie de faire.
Q - La question éthique c'est de protéger tout le monde, et donc peut-être de rendre obligatoire ce type de passeport.
R - La difficulté c'est qu'aujourd'hui on ne peut pas donner l'accès aux vaccins à tout le monde, vous savez qu'il y a une hiérarchisation en fonction de l'âge, en fonction des risques. Quand les choses seront différentes, c'est-à-dire que tout le monde pourra avoir un accès aux vaccins, on regardera les choses différemment. Mais il faut se préparer.
Q - On va parler de l'impôt mondial, de l'impôt minimum, Emmanuel Macron en a rêvé, Joe Biden va le faire ? Les propositions de Joe Biden vont même au-delà de ce que la France voulait avec cet impôt minimal.
R - C'est très bien. On va voir après comment dans les discussions les choses se mettent en oeuvre. Mais très bien : c'est la France qui a été pionnière, c'est la France qui a été aiguillon, tant mieux. Si les Etats-Unis suivent l'initiative de la France, et de l'Europe, parce qu'il y avait beaucoup de pays européens qui soutenaient l'initiative de la France, même si in fine on n'a pas réussi à avoir un accord unanime sur cette fiscalité des grandes entreprises du service numérique. Là cela va même plus loin, puisque c'est un impôt minimum, et ensuite, c'est une des grandes incompréhensions de nos compatriotes sur la mondialisation, c'est que des grandes entreprises qui gagnent beaucoup d'argent grâce à la mondialisation, ne paient pas d'impôts ou très peu. Et puis deuxièmement, c'est que cette fiscalité aille dans les pays où les activités...
Q - L'activité est faite, exactement.
R - L'activité est faite. Et cela, c'est aussi d'une logique implacable et qui était un des grands défis de la communauté internationale. Si les Etats-Unis qui reviennent dans la communauté des nations, d'une certaine façon, réussissent à, avec nous, mettre en oeuvre ces principes, tant mieux, la France aura été, aura eu raison d'être pionnière et d'être l'aiguillon.
Q - Vous êtes optimiste pour cet été, juin, juillet, le G7, le G20, l'OCDE ?
R - Après, on n'est pas à deux semaines près, ce qui compte c'est qu'effectivement on avance. Là, il y a des déclarations, qui sont fortes, ça va vraiment dans le bon sens, c'est même effectivement plus ambitieux que ce qu'on avait imaginé, tant mieux.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 avril 2021