Déclaration de Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité, sur les risques de panne généralisée d'électricité cet hiver, au Sénat le 12 janvier 2021.

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Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains sur le risque de blackout énergétique, au Sénat le 12 janvier 2021

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le risque de blackout énergétique.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous présenter à mon tour mes meilleurs vœux pour 2021 : nous souhaitons tous que cette année soit celle de la résilience et de l'apaisement pour tous les Français.

Notre pays risque-t-il le blackout électrique ? Notre système de production et d'acheminement d'électricité est-il en mesure de répondre aux pointes de consommation hivernales ? La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim met-elle en danger notre capacité à fournir de l'énergie à toute heure et en tout lieu ? Allons-nous avoir recours aux centrales à charbon pour passer le cap hivernal ? Ce sont autant de questions que les élus du groupe Les Républicains nous invitent à examiner aujourd'hui. Il s'agit là d'un débat légitime ; nous ne faisons pas forcément nôtre leur inquiétude, mais, en tout cas, cette dernière appelle notre attention.

Tout en saluant la tenue d'un tel débat dans cet hémicycle, je ne crois pas – et je vais vous préciser pourquoi – que nous risquions un blackout. Je ne crois pas non plus que la fermeture de Fessenheim menace la stabilité de notre système électrique. Au contraire, je crois que l'accroissement des énergies renouvelables contribue à sécuriser notre approvisionnement électrique et que nous utiliserons de moins en moins nos centrales à charbon. Certes, la situation actuelle exige une vigilance particulière, mais nous sommes prêts à faire face au pic de consommation que nous connaissons.

La vigilance dont il s'agit s'explique, avant tout, par l'impact de la pandémie. Vous le savez, en temps normal, le calendrier de maintenance du parc nucléaire, qui fournit 70% de notre électricité, est organisé pour maximiser la disponibilité des réacteurs en hiver. Or la crise sanitaire a contraint EDF à revoir le calendrier de certaines opérations de maintenance.

À notre demande, EDF a révisé la planification des arrêts de réacteurs, afin d'améliorer autant que possible la disponibilité du parc en hiver, malgré ces décalages.

En outre, nous avons demandé à RTE de mener des analyses prévisionnelles pour évaluer la sécurité de l'approvisionnement électrique au cours des prochains mois. Les conclusions de ces analyses ont été rendues publiques – vous en avez pris connaissance, j'en suis persuadée – et elles sont rassurantes.

Cet hiver, la situation est plus favorable que nous ne l'escomptions au printemps, du fait de l'optimisation du planning d'arrêt des réacteurs, de la gestion prudente de la production hydroélectrique au cours des derniers mois, qui a permis de constituer un stock supérieur à celui des dernières années, et d'une consommation électrique largement en deçà du niveau habituel à la même époque, en répercussion, malheureusement, des difficultés économiques que traverse notre pays. Je peux donc vous l'assurer : les Français et les Françaises seront approvisionnés sans difficulté. Nous ne risquons aucun blackout. C'est sur le fondement des prévisions de RTE que nous pouvons l'affirmer.

À ce titre, je tiens à saluer l'implication des agents d'EDF et de RTE, qui sont à pied d'œuvre pour que nous soyons correctement approvisionnés. (M. Fabien Gay proteste.) Monsieur le sénateur, je vous certifie que tel est le cas ! C'est seulement dans l'hypothèse d'une vague de froid particulièrement rigoureuse, si les températures devenaient sensiblement inférieures aux normales de saison, de plusieurs degrés en moyenne et pendant plusieurs jours consécutifs, qu'un point de vigilance subsisterait. Même dans ce cas, plusieurs leviers peuvent être actionnés pour assurer la continuité de l'approvisionnement.

Tout d'abord, en collaboration avec certaines entreprises, la consommation peut être réduite : il s'agit de la méthode dite "de l'effacement", utilisée jeudi dernier. À ce titre, le volume disponible est doublé grâce aux mesures mises en œuvre cette année.

Ensuite, la consommation de certains industriels peut être momentanément arrêtée : c'est l'interruptibilité, un dispositif auquel les intéressés souscrivent et pour lequel ils sont rémunérés.

Si cela ne suffit pas, RTE peut diminuer de 5% sur de courtes périodes la tension sur les réseaux : les effets d'une telle mesure sont quasiment imperceptibles pour les consommateurs.

Enfin – un tel cas de figure reste tout à fait improbable –, en dernier recours, parce que nous sommes aussi préparés aux situations exceptionnelles, nous pourrions tout à fait procéder à des opérations de délestage temporaire du réseau. Il s'agirait alors, en prévenant en amont les personnes concernées, de couper l'alimentation électrique d'un nombre limité de foyers, pour une durée maximale de deux heures, pour protéger l'ensemble du réseau.

Nous ne serons donc en aucun cas confrontés à des situations de blackout, c'est-à-dire à des coupures massives et non contrôlées sur le réseau. La sécurité de notre approvisionnement électrique est tout à fait garantie. (M. Fabien Gay proteste.)

J'en viens à la part du nucléaire dans notre mix électrique.

Monsieur Gremillet, je ne crois pas non plus que la fermeture de Fessenheim augmente le risque pesant sur le réseau électrique.

À cet égard, vous avez évoqué les études d'impact.

Il s'agit bien d'une décision pour partie politique. J'ajoute que le but est d'accroître la résilience de notre mix en garantissant un meilleur équilibre. D'ailleurs, ce sont bien les perturbations du programme de maintenance nucléaire, résultant, soit de la crise sanitaire actuelle, soit des périodes de canicule qui sont la conséquence du réchauffement climatique, qui expliquent le surcroît de vigilance dont nous faisons preuve. À certaines périodes de l'automne, entre cinq et dix réacteurs supplémentaires étaient à l'arrêt par rapport à l'année dernière. Il en sera de même pendant certaines périodes cet hiver.

Les deux réacteurs de Fessenheim n'auraient pas suffi, à eux seuls, à changer la donne. En outre, vous le savez, pour continuer à fonctionner de manière sûre au-delà de cette année, cette centrale aurait exigé des investissements massifs. De lourdes dépenses, pour une contribution faible à l'approvisionnement, auraient donc été engagées au détriment du déploiement d'autres capacités de production et de puissance bien plus importantes.

Le nucléaire demande de la planification – c'est ce qui a présidé à l'arrêt de cette centrale –, et nous poursuivrons en ce sens.

En parallèle, nous utilisons de moins en moins nos centrales à charbon. Les dernières d'entre elles seront arrêtées à l'horizon de 2022, conformément à nos engagements. Nous les employons encore à la marge, comme source d'appoint, pour faire face à des pics de consommation.

Pour la période 2019-2020, l'utilisation de ce moyen de production a été sensiblement plus basse que lors de la période 2015-2018. Ainsi, pendant les mois de septembre et d'octobre 2020, cette production a été deux fois plus faible que pendant les années passées. De plus, pendant la période 2012-2018, nous avons fermé 10 gigawatts de capacités de production à base de charbon et de fioul.

En aucun cas, la fermeture de Fessenheim ne nous conduit à augmenter notre utilisation du charbon. Notre électricité reste, de fait, la plus décarbonée d'Europe, grâce à notre parc nucléaire, grâce au parc hydraulique et au développement des autres énergies renouvelables.

L'épisode actuel nous montre, plus que jamais, la nécessité de diversifier notre mix électrique pour ne pas dépendre d'une seule source d'énergie et pour renforcer la résilience du réseau : tel est notre objectif à travers le développement des énergies renouvelables. C'est tout le sens de la programmation pluriannuelle de l'énergie, en vertu de laquelle la part du nucléaire dans notre mix électrique doit être abaissée à 50% d'ici à 2035.

J'y insiste, les énergies renouvelables contribuent à la sécurité de notre système électrique – les bilans prévisionnels de RTE le confirment – et elles doivent constituer une part croissante de notre mix électrique. L'énergie éolienne a ainsi pu représenter jusqu'au tiers de la production électrique – ce fut le cas le 27 septembre dernier. J'ajoute que cette production est en moyenne plus élevée en hiver, puisque les conditions climatiques s'y prêtent, alors même que la consommation est plus importante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, nous sommes prêts, et sans crainte, à faire face à cette période hivernale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. En vertu du cap fixé, la part du nucléaire dans notre mix électrique doit être portée à 50% en 2035. Qu'il s'agisse d'un véritable changement de stratégie ou d'un simple effet de communication, cette décision ne doit pas nous mener à rouvrir des sites de production d'énergies polluantes ou à importer une énergie carbonée de pays voisins en cas de manque sur notre propre réseau. Le nucléaire fait partie des énergies les moins carbonées et reste la plus stable à notre disposition, même si je crois beaucoup aux possibilités qu'offrent les énergies renouvelables, notamment quand elles sont couplées à un stockage par batterie, comme le solaire le prouve.

Cette décision ne doit pas non plus fragiliser notre réseau face aux nouvelles consommations électriques. À titre d'exemple, en 2035, plus de 15 millions de véhicules électriques pourraient circuler dans l'Hexagone. J'espère que les véhicules à hydrogène bénéficieront alors, eux aussi, d'un maillage suffisant. D'après les chiffres de la Commission de régulation de l'énergie et de RTE, ces millions de véhicules électriques représenteront une consommation annuelle estimée autour de 35 tonnes wattheures, soit environ 7% de la consommation française globale.

Fort heureusement, ces besoins nouveaux sont compensés par des innovations permettant de réduire la consommation électrique. Néanmoins, il faut aller plus loin : qu'en sera-t-il en cas de pic de consommation et donc de risques de tensions importantes sur le réseau pouvant entraîner un blackout ?

Les véhicules électriques doivent être la solution d'une gestion intelligente du réseau. Ce qu'on appelle le procédé vehicle to grid, autrement dit "de la voiture au réseau", est en train d'émerger. La perspective de piloter la recharge des véhicules électriques est source d'espoir et d'efficacité du réseau.

Madame la secrétaire d'État, comment envisagez-vous de faciliter l'expérimentation et le développement du pilotage de la recharge des véhicules électriques, dont le potentiel d'innovation pourrait rendre notre réseau plus flexible et prévenir d'éventuels blackouts sur le long terme ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Médevielle, pour ce qui concerne le mix électrique à l'horizon de 2035 et au-delà, notre politique tiendra compte des besoins nouveaux, qu'il faudra bel et bien gérer intelligemment. D'ailleurs, les véhicules électriques font déjà l'objet d'expérimentations : certaines d'entre elles m'ont été présentées, en tant que Haut-Marnaise.

Il s'agit là de perspectives extrêmement intéressantes, car – j'insiste sur ce point –, face aux variations que connaît notre production d'électricité, notre mix énergétique doit absolument être diversifié. À cet égard, toute mesure susceptible de favoriser de nouveaux process de stockage de l'énergie, notamment au titre des mobilités, mérite d'être étudiée. Nous accorderons donc une attention toute particulière au système que vous évoquez.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.

M. Pierre Médevielle. Madame la secrétaire d'État, je partage votre optimisme quant à ces nouvelles solutions, qui permettront d'accroître l'intelligence du réseau.

Certes, le stockage de l'énergie est un problème persistant, mais, sur ce sujet, nous avançons : dans certains territoires où la demande n'est pas trop forte, comme la Nouvelle-Calédonie, on parvient presque à l'autonomie, grâce à des unités de cellules photovoltaïques couplées à des batteries. Ainsi, l'électricité est délivrée à certains horaires : qu'il s'agisse des véhicules ou d'autres appareils, ce système ouvre de nouvelles perspectives. Nous faisons confiance au génie français pour développer ces solutions.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. RTE a activé son dispositif d'alerte rouge Ecowatt vendredi dernier. La tension dans l'approvisionnement électrique provient certes de l'augmentation de la consommation liée à la vague de froid, mais elle questionne évidemment le choix du tout-nucléaire dont, encore à l'instant, on nous a vanté la prétendue robustesse. Or la crise du covid a révélé, une nouvelle fois, nos vulnérabilités, cette fois-ci en matière énergétique : elle a décalé la tenue de plusieurs travaux, et quatre réacteurs sur dix se sont ainsi retrouvés à l'arrêt.

Notre parc nucléaire, qui va bientôt fêter ses quarante ans, représente 77% du mix électrique français. La voilà, la fragilité de notre modèle, loin des discours rassurants et optimistes : c'est celle d'une énergie coûteuse, fragile, dangereuse et dépassée, qui n'est pas à la hauteur des enjeux de notre siècle !

Néanmoins, le génie français ne serait rien sans son entêtement. Alors que de nombreux pays ont fait le choix de la diversification, nous avons décidé d'investir dans des EPR, comme celui de Flamanville, qui affiche déjà dix ans de retard et dont les coûts sont passés de 3 milliards à 19 milliards d'euros. Quand j'entends que l'on n'a pas encore assez investi dans le nucléaire, j'éprouve quelques doutes…

La peur du blackout doit permettre à certains d'ouvrir les yeux sur notre mix énergétique : il est urgent de le diversifier pour le rendre plus résilient. Mais la production n'est que la moitié du problème : il faut aussi se pencher sur la consommation et donc sur notre sobriété.

Le secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire, représente aujourd'hui 45% de la consommation finale d'énergie en France. La part immense du chauffage électrique, couplée à une grande quantité de passoires thermiques, représente une immense marge de manœuvre pour faire baisser notre consommation électrique.

Au-delà de ces réserves d'énergie, il est indispensable de débattre des nouveaux usages. À ce titre, le rapport que le Haut Conseil pour le climat a consacré à la 5G est édifiant : il prévoit ni plus ni moins qu'une explosion de la consommation.

Madame la secrétaire d'État, ma question est la suivante : quel est votre scénario concret de réduction de la consommation électrique française et quelle est votre stratégie en matière de sobriété ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Dossus, les clefs sont effectivement dans l'efficacité énergétique et dans la maîtrise de la demande.

La loi prévoit une diminution de la consommation d'énergie finale de 20% à l'horizon de 2030 par rapport à 2012 et une consommation d'électricité stable à cet horizon par rapport à aujourd'hui. En effet, l'électrification croissante des usages doit être compensée par une plus grande efficacité énergétique.

À cette fin, nous mettons en œuvre un certain nombre de dispositifs, à commencer, bien sûr, par la rénovation thermique des bâtiments. Il s'agit là d'un élément essentiel, comme le renouvellement des modes de chauffage, qui sont aujourd'hui moins carbonés et plus efficaces. Ainsi, nous disposons des certificats d'économies d'énergie (CEE), du dispositif MaPrimeRénov', qui monte en puissance – vous l'avez vu –, et des aides de l'Anah, qui constituent le cœur des aides à la rénovation.

Les certificats d'économies d'énergie ont été renforcés au printemps 2020 pour la rénovation des logements et locaux tertiaires chauffés au fioul et au gaz notamment, et l'ambition de la cinquième période d'obligation, qui s'ouvrira le 1er janvier 2022, est en cours de définition.

Par ailleurs, les études montrent que, en renforçant l'isolation des bâtiments, le remplacement à grande échelle du chauffage au fioul par des pompes à chaleur n'entraîne pas d'augmentation de la consommation.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.

M. Thomas Dossus. Madame la secrétaire d'État, la sobriété énergétique est un impératif : pourquoi, d'un côté, préconiser de fortes économies d'énergie et, de l'autre, laisser se développer de nouveaux usages entraînant une forte consommation d'électricité ?

La 5G représente une augmentation de 5% à 13% de la consommation finale d'électricité du résidentiel et du tertiaire actuels. Si, tout en isolant les bâtiments pour faire des économies, on laisse la consommation énergétique exploser, on n'y gagne rien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Je constate que le groupe Les Républicains a choisi d'utiliser l'anglicisme "blackout" énergétique. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Aussi, je rappelle que, en français, il s'agit d'une coupure généralisée de l'approvisionnement en électricité sur tout ou partie d'un territoire. Cette crainte a été largement relayée par les médias en raison des effets de la crise sanitaire et du confinement du printemps dernier, le calendrier de maintenance du parc nucléaire ayant été retardé avec un nombre anormalement haut de réacteurs à l'arrêt.

Le débat de cet après-midi porte donc, d'une part, sur le risque de sous-production par rapport à une demande en forte hausse liée à la chute actuelle des températures et, d'autre part, sur les mesures que prend ou pourrait prendre le Gouvernement pour prévenir un tel phénomène, dans cette période hivernale et de couvre-feu. En France, il est vrai, nous sommes particulièrement consommateurs de chauffage électrique, ce qui peut provoquer une croissance rapide de la demande en énergie au cœur de l'hiver, notamment en début de soirée.

Nos voisins connaissent actuellement des froids glaciaux qui pourraient, selon certains scénarios, atteindre notre pays. En tant que membre du groupe d'amitié France-Espagne, j'ai une pensée particulière pour nos amis espagnols : la tempête Filomena a déjà causé plusieurs décès dans leur pays, où s'abat une vague de froid sans précédent depuis 1956.

Dans ce contexte, pour répondre à une éventuelle surconsommation, des campagnes de sensibilisation sont lancées et des mesures existent en France pour compenser le manque de ressources. La plus connue est l'importation d'électricité auprès des pays frontaliers. Toutefois, la situation risque d'être tendue : l'Allemagne est elle aussi concernée par cette vague de froid et sera également soumise à une forte demande sur son réseau intérieur.

Dans certains cas extrêmes, RTE peut également demander aux différents gestionnaires du réseau de distribution de réaliser des coupures localisées tournantes de deux heures au maximum. La Bretagne et le sud-est de la France seraient particulièrement touchés par le délestage du fait d'un faible niveau de production d'électricité dans ces zones. Cette possibilité est-elle envisageable ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Havet, dans certaines situations exceptionnelles, si la capacité de production est insuffisante au regard de la consommation, des mesures post-marché peuvent en effet être mobilisées afin d'éviter d'avoir recours à des délestages, en particulier l'activation des contrats d'interruptibilité des grands consommateurs industriels, permettant à RTE de couper l'approvisionnement avec un très faible préavis, un service pour lequel ces industriels sont rémunérés.

La baisse de tension sur les réseaux est également possible : une diminution temporaire de 5% n'emporte que des conséquences quasiment imperceptibles sur la qualité du service.

D'autres réponses existent, comme l'augmentation ponctuelle de nos importations, au-delà du signal donné par le marché, ou l'appel aux gestes citoyens. Ce dernier point fait l'objet du site Ecowatt, développé avec RTE et l'Ademe ; ses alertes permettent une mobilisation dans laquelle tous les Français peuvent trouver du sens afin d'adapter certaines habitudes du quotidien. Le résultat a d'ailleurs été très bénéfique jeudi dernier, et nous pouvons les en remercier.

En dernier recours, et seulement si les leviers que je viens d'évoquer ne sont pas efficaces, RTE prévoit de pouvoir faire appel aux délestages tournants, c'est-à-dire à la coupure temporaire de deux heures de certains clients en variant les zones concernées afin d'anticiper et de maîtriser la situation. Ces coupures épargnent, évidemment, les infrastructures prioritaires, comme les établissements de santé ou les installations indispensables à la sécurité.

Il ne s'agit surtout pas de mettre la France dans le noir, mais bien de maîtriser le délestage ciblé d'une partie des consommateurs afin d'éviter des coupures beaucoup plus importantes. Ces opérations font l'objet d'une annonce la veille du délestage.

C'est donc sur la base de cet effort volontaire de réduction, des éco-gestes et de ces différentes mesures que nous nous garantissons une absence de blackout.

Mme la présidente. Dans la suite du débat interactif, la parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. La crise sanitaire a entraîné des retards dans la maintenance des réacteurs nucléaires et donc une moindre disponibilité du parc. Bien que planifiés, la fermeture de Fessenheim en 2020 – qui produisait 1 800 mégawatts – et les arrêts de centrales au fioul et au charbon participeront aux tensions de l'offre. En vérité, la centrale de Fessenheim nous manque !

Si le risque de blackout est maîtrisé cet hiver, il ne peut être écarté à l'avenir, et je remercie les initiateurs de ce débat d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre du jour.

Il est impératif d'anticiper et d'accroître les marges de manœuvre, car il n'est pas acceptable de se satisfaire des capacités d'effacement et de coupures d'électricité, aussi courtes soient-elles, comme cela pourrait être le cas au cours du prochain mois.

Au-delà de la nécessaire maîtrise de la demande par des gains d'efficacité énergétique, il convient de garantir la stabilité du système électrique.

Le développement des capacités de stockage doit s'accélérer, afin d'accompagner les efforts de stabilisation des réseaux. À ce titre, le recours à l'hydrogène constitue un levier de flexibilité pour assurer la sécurité de l'approvisionnement en énergie, ainsi qu'une meilleure intégration des énergies renouvelables. Pour rappel, ces dernières devraient représenter 40% du mix électrique français en 2030.

La stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène, ambitieuse sur le plan financier, avec les 7 milliards d'euros qui lui seront consacrés, évoque timidement le stockage de l'énergie. Plus que celle de la France, les stratégies américaine et britannique accordent une importance particulière à la résilience des réseaux énergétiques à travers le stockage souterrain de l'hydrogène. Dès lors, comment le Gouvernement entend-il accélérer le développement du stockage massif de l'hydrogène afin d'accompagner la transition énergétique et de préserver la sécurité d'approvisionnement de notre pays ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Requier, à court terme, les analyses de RTE n'indiquent pas un besoin de recours à l'hydrogène pour faire face aux pointes de consommation : les sources actuelles de flexibilité sont suffisantes à l'horizon de 2030-2035. Pour autant, l'objectif prioritaire du développement de l'hydrogène est la décarbonation des usages afin de pouvoir l'utiliser directement, notamment dans l'industrie et la mobilité lourde, de manière complémentaire aux solutions entièrement électriques.

À ce titre, la stratégie française pour le développement de l'hydrogène, annoncée en septembre dernier par le Gouvernement, fixe un objectif de 6,5 gigawatts d'électrolyse à l'horizon de 2030. Nous nous donnons ainsi la possibilité de massifier la production et l'utilisation d'hydrogène, avec une enveloppe de 7 milliards d'euros jusqu'à 2030, dont 2 milliards d'euros ont été inscrits dans le plan de relance. Nous consacrons donc des moyens importants au développement de l'hydrogène.

Au-delà de 2035, indépendamment du mix électrique choisi, les études montrent un besoin de stockage accru. L'hydrogène pourra alors offrir une solution des plus intéressantes. Plusieurs études prospectives de long terme sont en cours et permettront de quantifier ce besoin et, plus largement, de documenter les enjeux et les leviers de notre futur système électrique, notamment le bilan prévisionnel 2050 de RTE, lequel doit être publié à la mi-2021.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Depuis deux ans, RTE alerte sur le risque de tension du système électrique durant les hivers à venir et sur les risques de coupure généralisée.

En novembre dernier, Mme la ministre Pompili nous confirmait la possibilité de coupures très courtes en cas de grosses vagues de froid. Pour y remédier, il suffirait, selon elle, d'avoir recours à l'effacement, c'est-à-dire de demander aux industries d'arrêter leur production à certains moments, contre rémunération. Or, demain, ce n'est plus seulement aux entreprises électro-intensives que l'on demandera de s'effacer, mais aussi aux particuliers, grâce aux boîtiers Linky. C'est dans cette logique, semble-t-il, qu'EDF a lancé sa scandaleuse campagne #MetsTonPull, alors que 12 millions de personnes sont déjà en situation de précarité énergétique. Tous ne devront pourtant pas se couvrir et l'hiver ne sera pas rigoureux pour tout le monde, comme pour la famille Mulliez, grâce au développement, via des fonds publics, du boîtier d'effacement Voltalis.

Cette injonction à "mettre son pull", discours paternaliste et infantilisant, présupposant que les Français gaspillent, ne saurait en aucun cas masquer votre inertie à développer une politique industrielle ambitieuse pour répondre aux besoins de la Nation.

Si la crise épidémique a accentué les menaces sur l'approvisionnement, c'est bien la libéralisation du secteur de l'énergie qui en est à l'origine, et cette situation risque fort de devenir structurelle avec le projet Hercule.

Aujourd'hui, des centrales nucléaires et à charbon sont fermées sans que leur apport soit compensé, et les barrages hydroélectriques – les sources d'énergie les plus pilotables et qui permettent d'assurer l'approvisionnement de façon continue, avec le nucléaire – pourraient être confiés, demain, au privé. Nous serions alors pleinement à la merci des actionnaires, qui pourraient bien décider, comme ce fut le cas en Californie dans les années 2000, de couper l'alimentation.

Ma question est simple, madame la secrétaire d'État : quand allez-vous mettre un terme à cette politique mortifère de libéralisation du secteur et enfin créer un véritable service public de l'énergie dont la Nation a besoin ? Et puisque vous avez parlé des salariés : cessez de casser leur statut ! Plus que de longs discours, c'est cela qu'ils attendent de vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Gay, les producteurs d'énergie adaptent leur production en fonction des signaux économiques, c'est indéniable. Dans le cas d'un barrage hydroélectrique à réservoir, ils ont une incitation économique à produire lorsque le prix est plus élevé, c'est-à-dire lorsque s'annoncent des pointes de consommation. Ce système contribue donc à la sécurité d'approvisionnement. Quelle que soit l'option retenue pour le renouvellement des concessions hydroélectriques, ce comportement, dicté par une rationalité économique, ne changera pas.

La Commission de régulation de l'énergie, une autorité administrative indépendante, s'assure, par ailleurs, que les acteurs n'abusent pas de leur éventuel pouvoir de marché, et le gestionnaire de réseau de transport d'électricité, RTE, a la responsabilité d'assurer l'équilibre entre l'offre et la demande sur ce réseau et peut faire appel aux moyens de production en cas de risque pour la sécurité d'approvisionnement.

Un scénario à la Enron, dans lequel un acteur avait pu manipuler le système électrique grâce à la possession de lignes à haute tension cruciales pour la Californie et de nombreux moyens de production, n'est donc pas à craindre en France, et nous y veillerons.

M. Fabien Gay. Si on vous laisse faire, c'est ce qui nous arrivera !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. Plus largement, ainsi que cela sera évoqué lors du débat dont vous avez demandé l'organisation demain, concernant l'évolution d'EDF, le Gouvernement est très attentif à mettre en place un dispositif dans lequel les concessions hydroélectriques pourront jouer tout leur rôle dans la transition énergétique comme dans la gestion de l'eau – la question des étiages en est un exemple parfait – en développant des approches cohérentes par vallée et en créant des conditions d'investissement nouvelles pour les concessions existantes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Un blackout énergétique traduirait un déséquilibre sur le réseau avec une demande d'électricité supérieure à la capacité de production. À ce jour, un tel déséquilibre ne s'est jamais produit en France. Malheureusement, ce risque ne doit pas être écarté, tant à court terme, avec l'indisponibilité, cet hiver, de centrales nucléaires, qu'à long terme, avec le rééquilibrage progressif du mix énergétique de la France en faveur des énergies renouvelables. Le niveau de ces dernières dans le mix est encore trop faible pour que leur intermittence ait un impact structurel sur le réseau, mais cette problématique devrait se présenter de plus en plus régulièrement à la faveur de leur développement.

Quelles solutions peuvent être alors envisagées ? Deux leviers principaux sont à disposition des pouvoirs publics : le dimensionnement des moyens de production pour faire face à des pics de consommation, d'une part, et la flexibilité du système électrique, d'autre part.

En ce qui concerne ce second point, il nous faudra, bien entendu, améliorer les technologies de stockage de l'électricité renouvelable intermittente. En la matière, madame la secrétaire d'État, quelles solutions vous semblent aujourd'hui les plus avancées ?

Nous considérons que, à long terme, le développement d'une filière d'hydrogène bas-carbone pourrait contribuer à remédier à l'intermittence saisonnière des énergies renouvelables. L'hydrogène produit en période de surplus d'électricité renouvelable, par exemple en été, pourrait être stocké et retransformé en électricité par le biais de piles à combustible ou de turbines à combustion pendant les périodes de faible production éolienne ou solaire.

Le recours au stockage par hydrogène devrait cependant demeurer marginal en France métropolitaine dans les années à venir, en raison du niveau encore modéré des énergies renouvelables dans le mix énergétique. À long terme, quand celles-ci occuperont une part plus ambitieuse de notre mix, ne faudra-t-il pas faire de l'hydrogène un outil de flexibilité ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Longeot, à court terme, les analyses de RTE n'indiquent pas de besoin supplémentaire de stockage pour faire face aux pointes de consommation : les sources actuelles de flexibilité sont suffisantes à l'horizon de 2030-2035.

Au-delà de 2035, indépendamment du mix électrique choisi, les études montrent un besoin de flexibilité accru. Plusieurs leviers sont envisageables à cette fin : le développement du stockage, l'amélioration de l'efficacité énergétique ainsi qu'un meilleur pilotage de la demande pour baisser et mieux répartir les pointes de consommation.

En ce qui concerne le stockage, l'hydrogène est une option intéressante. Le Gouvernement a mis en place un plan Hydrogène doté de 7 milliards d'euros à l'horizon de 2030 pour massifier la production et l'utilisation de l'hydrogène.

À court terme, la priorité du développement de l'hydrogène vise à la décarbonation des usages, notamment dans l'industrie et dans la mobilité lourde. D'autres solutions existent pour le stockage, comme le recours aux batteries au sein du système électrique, de plus en plus fréquent et dont les coûts baissent rapidement. À moyen terme, le développement de parcs de batteries pourra donc apporter cette flexibilité.

Le développement des véhicules électriques offre également une opportunité d'améliorer sensiblement la flexibilité du système grâce à des outils de pilotage de recharge. Il est ainsi tout à fait envisageable d'inciter les utilisateurs à charger leur véhicule en milieu de journée, lorsque la production renouvelable est importante, et à restituer en partie cette énergie au réseau le soir, lorsque les besoins sont importants.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. L'évolution de la production d'électricité en France s'inscrit dans le cadre de la PPE révisée et de la stratégie nationale bas-carbone. De 71% de production d'électricité d'origine nucléaire aujourd'hui, ayant, je le rappelle, un impact minime sur le réchauffement climatique et un coût très compétitif, nous devons passer à 50% en 2035. La marche est très haute et la faisabilité d'une telle modification pose question.

EDF s'est engagée dans la mise aux normes post-Fukushima et le rallongement de la durée de vie de ses centres de production dans le cadre du grand carénage. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous fournir à la représentation nationale et à la commission des affaires économiques du Sénat la programmation pluriannuelle des investissements et de leur financement traduisant la planification des investissements et des gros entretiens de production, incluant, bien entendu, les énergies renouvelables ?

La situation actuelle du réseau donne à comprendre que le mécanisme de capacité en place ne répond pas à la couverture des risques identifiés ou constatés.

Cette PPI devrait, bien sûr, faire apparaître les investissements planifiés au regard des risques de blackout et des nécessités d'importation en situation de crise de fourniture. Je constate, en outre, que le dernier guide public de RTE relatif à la gestion des blackouts remonte à 2004.

En quoi le projet Hercule du Gouvernement, en démantelant de fait le groupe EDF, second énergéticien au monde et fleuron de notre souveraineté industrielle, va-t-il améliorer la prévention des blackouts ? Comment va-t-il permettre d'améliorer la résilience de la production et des réseaux de transport et de distribution face aux aléas climatiques et technologiques ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Montaugé, nous disposons de ces projections et de ces bilans, qui sont beaucoup plus fréquents que vous ne l'indiquez. Les sénateurs comme les députés, parmi lesquels je siégeais encore il y a quelques mois, ont largement débattu dans le cadre de la loi Énergie-climat comme de la programmation pluriannuelle de l'énergie de ces différents scénarii.

M. Franck Montaugé. Je parle de la PPI !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. Les investissements ont évidemment été mis en regard.

Je ne reviens pas sur Hercule, vous en débattrez demain.

Nous avons évoqué les différentes mesures qui permettent d'éviter un blackout, lequel, pour les raisons précédemment avancées, ne constitue ni un risque particulier ni une urgence appelant d'autres mesures.

Enfin, le parc nucléaire a en effet connu une disponibilité historiquement faible durant l'hiver 2020 ; nous en connaissons les raisons. Les fermetures de centrales à charbon envisagées ont pu être préparées et nous avons sécurisé notre approvisionnement par un autre mix énergétique, qui nous permet d'aborder sereinement les prochaines échéances, y compris en cas de pic de consommation.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. S'agissant de l'électricité, il convient de mettre un terme au dogme mortifère, et qui joue contre nos intérêts nationaux, de la libre concurrence non faussée. Seule une organisation adaptée au monopole naturel de ce marché spécifique, à nul autre pareil, permettra la concurrence et l'émergence des énergies renouvelables, c'est-à-dire une entreprise intégrée, de la production à la distribution.

Traiter le projet Hercule par voie d'ordonnance reviendrait à dessaisir les Français du devenir de cette entreprise, laquelle leur appartient pourtant depuis 1946, par décision du Conseil national de la Résistance et de Charles de Gaulle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Madame la secrétaire d'État, je vais vous poser une question simple : pourquoi avez-vous décidé de fermer la seconde tranche de Fessenheim, quoi qu'il en coûte ? Je vous rappelle que, quand la décision initiale de fermeture de Fessenheim a été prise, l'EPR devait être en service.

M. Bruno Sido. Exact !

Mme Christine Lavarde. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une situation de "quoi qu'il en coûte" sur le plan économique. Depuis le premier rapport de RTE, au mois d'avril, sur l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité pour l'hiver 2020-2021, nous savons que notre système électrique pourrait être défaillant. Les actualisations de ce rapport font état d'une situation moins alarmante ; pour autant, dans la version du mois de novembre, il est indiqué que la situation fin janvier et durant le mois de février pourrait être difficile si nous subissions une vague de froid. Cela se traduira par le recours à des mécanismes hors marché, qui emportent des conséquences sur l'activité économique.

Il s'agit également d'une décision de type "quoi qu'il en coûte" sur le plan des émissions de CO2, car, contrairement à ce que vous nous avez dit précédemment, on ne peut pas vivre uniquement avec des moyens intermittents alors que l'énergie nucléaire est une énergie pilotable et décarbonée. Je cite un seul exemple : le jeudi 10 novembre, 10% de l'électricité produite l'a été à partir de centrales à gaz, lesquelles émettent quarante fois plus de CO2 que le nucléaire.

M. François Bonhomme. Ah bah bravo, c'est du joli !

Mme Christine Lavarde. La centrale de Cordemais sera en fonctionnement jusqu'en 2024 ou 2026, contrairement à ce qui a été voté, et nous importons de l'électricité depuis les pays voisins, dont le mix énergétique est beaucoup plus carboné que le nôtre.

Il s'agit, enfin, d'une décision de type "quoi qu'il en coûte" pour les consommateurs, si j'en crois un document de consultation de la Commission de régulation de l'énergie, lequel fait état d'une augmentation des tarifs bleus à compter du 1er février, notamment parce que le coût des matières premières est plus élevé : 12% pour le charbon, 9% pour le gaz et 20% pour les quotas de CO2. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. La question est claire ! Qu'en sera-t-il de la réponse ?…

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Lavarde, Fessenheim n'y changerait rien, ainsi que j'ai pu le dire dans mon propos introductif.

La France s'est engagée dans une transition énergétique qui repose sur la sobriété et l'efficacité énergétiques ainsi que sur la diversification des sources de production et d'approvisionnement. Avec la programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2028, nous avions l'ambition, qui se confirme, de réduire la part du nucléaire à hauteur de 50% à l'horizon de 2035 avec, notamment, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en 2020. Le premier a été fermé le 22 février, avant la crise, et le second en juin.

Au début de la crise, le processus de fermeture était, quoi qu'il arrive, déjà engagé de manière irréversible, les travaux nécessaires à la poursuite de l'exploitation n'avaient pas été réalisés et EDF ne disposait pas du combustible nécessaire à l'exploitation de la centrale.

La situation à laquelle nous avons fait face n'est pas la conséquence de la fermeture de ces deux réacteurs, mais de l'arrêt pour maintenance, cet hiver, d'autres réacteurs de centrales en France. Cela confirme les orientations du Gouvernement sur le besoin de diversifier le mix électrique pour en améliorer la résilience, notamment face à des événements extérieurs tels que nous en connaissons actuellement.

Par ailleurs, dois-je vous rappeler le calendrier de l'EPR de Flamanville, dont la mise en service était initialement prévue en 2012 et qui, malheureusement, a pris beaucoup de retard ? Il ne devrait être opérationnel vraisemblablement qu'après la mi-2023.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Vous nous avez exposé des arguments que vous aviez déjà avancés dans votre propos liminaire et qui ne répondent qu'imparfaitement à la question. La première tranche a été fermée en février, mais la seconde l'a été en juin. Or elle représentait tout de même une puissance de 900 mégawatts !

Aujourd'hui, que pouvez-vous répondre sur ce que l'on constate, à savoir un recours accru aux moyens thermiques, puisque, comme vous le savez très bien, les moyens intermittents seuls ne peuvent pas suffire pour assurer une production électrique stable ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Certains s'inquiètent aujourd'hui de la survenue d'un blackout énergétique en France. Cependant, un tel scénario ne pourrait se produire qu'en réunissant plusieurs conditions : d'une part, une forte hausse de la consommation d'électricité, elle-même liée à une baisse durable des températures, et, d'autre part, une absence de vent à même d'empêcher le parc éolien de prendre le relais du parc nucléaire. Le risque me paraît donc limité pour le moment, et je compte sur le Gouvernement pour l'éviter.

Cela étant, je souhaite aborder la question du moyen terme.

Des tensions existent déjà au moment des pics de consommation et pourraient bientôt s'amplifier alors que nos capacités de production nationale disponibles lors de ces pointes risquent de diminuer à l'avenir, puisque quatorze réacteurs nucléaires devront être fermés pour atteindre les objectifs fixés par la PPE : une part du nucléaire ramenée à 50% dans le mix énergétique français d'ici à 2035. Ces fermetures devraient, en principe, être compensées par un recours accru aux énergies renouvelables. Néanmoins, il est douteux qu'il puisse s'agir d'une compensation complète et efficace, car ces sources d'énergie sont par nature intermittentes et produisent moins que le nucléaire.

Ajoutons à cette équation le fait que la RE 2020 restreindra de fait l'utilisation du gaz dans les logements neufs, ce qui conduira au retour du chauffage électrique, au risque de solliciter encore plus nos capacités de production d'électricité.

Par conséquent, madame la secrétaire d'État, comment pensez-vous concilier, demain, la baisse de la ressource électrique disponible au moment des pics de consommation et l'augmentation plus que probable de la demande en électricité, sans risquer des blackouts hivernaux répétés ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Saint-Pé, la politique énergétique du Gouvernement permettra de disposer d'un système électrique plus diversifié et donc plus résilient face aux aléas.

La tension sur la sécurité d'approvisionnement de cet hiver illustre bien le risque que présente un système qui reposerait massivement sur une seule technologie. La diversification du mix est liée au programme de fermeture des réacteurs comme au développement des énergies renouvelables, ambitieux, mais progressif et qui ne met pas en péril la sécurité de l'approvisionnement.

Il s'agit d'un constat appuyé sur des analyses techniques approfondies menées par RTE, intégrant les prévisions d'évolution de la production, de la demande et du fonctionnement du réseau. Pour la production, RTE intègre la modélisation d'un très grand nombre de situations, notamment les aléas météorologiques et ceux qui concernent les moyens de production, comme les retards de maintenance.

S'agissant de la RE 2020, elle s'applique à des logements neufs, dont la consommation est donc faible, car ils sont bien isolés. Nous menons en outre une politique très volontariste de rénovation des bâtiments existants pour limiter les besoins en chauffage et favoriser le développement de solutions peu consommatrices d'énergie, comme les pompes à chaleur. La géothermie et les réseaux de chaleur décarbonés sont évidemment encouragés. Il n'est ainsi pas anticipé d'augmentation de la consommation électrique dans les prochaines années.

Concernant les évolutions au-delà de 2035, le ministère de la transition écologique a demandé à l'AIE et à RTE une étude sur les enjeux liés à l'intégration massive d'énergies renouvelables variables dans le système électrique. Les résultats sont très encourageants et doivent être publiés sous peu. Une analyse plus détaillée de la sécurité d'approvisionnement à l'horizon de 2050 doit être publiée à la mi-2021 par RTE, dans le cadre de son bilan prévisionnel de long terme. Ces études permettront de prendre des décisions éclairées sur l'évolution de notre mix après 2035, en toute connaissance de ces différents enjeux, y compris en matière de sécurité d'approvisionnement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Florence Blatrix Contat. Le spectre du blackout hante régulièrement les colonnes de nos médias et participe de peurs collectives récurrentes. Pour cette année, le risque semble contenu, même si l'accident demeure toujours possible.

Le rôle du politique, en ces moments d'inquiétude pour l'opinion, n'est pas d'attiser les peurs, mais de tenter d'éclairer nos concitoyens sur la réalité du risque et, surtout, d'œuvrer à une réponse collective.

L'orientation qui tend à réduire de façon significative la part des énergies fossiles dans notre production électrique doit être poursuivie et prolongée, en veillant particulièrement à réduire le CO2, principal responsable du réchauffement climatique. La réduction des énergies fossiles concerne également l'énergie nucléaire, laquelle présente toutefois l'avantage de ne pas émettre de CO2.

On nous dit que le grand carénage en cours des centrales nucléaires, nécessaire pour répondre à l'impératif de sécurité et de sûreté, a pris du retard avec la pandémie. Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, nous fournir des indications plus précises sur le calendrier projeté ?

Je souhaite également revenir sur la RE 2020, laquelle prévoit une sortie rapide des énergies fossiles excluant progressivement les chaudières à gaz et au fioul. Si l'on en croit une étude de RTE et de l'Ademe sur le sujet, cela pourrait conduire à un accroissement significatif de la part de chauffage électrique, générant une tension accrue sur le réseau en période de pointe. Le Gouvernement entend-il avancer dans les voies suggérées par l'Ademe à ce sujet ? Comment réduire sensiblement ce risque accru de tension du réseau avec la montée en charge du chauffage électrique, notamment des pompes à chaleur ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Blatrix Contat, vous en appelez à une réponse collective. Je vous en remercie, car il est bon que les objectifs soient partagés.

Nous avons un objectif commun de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est également nécessaire de ne pas recourir aux énergies fossiles davantage qu'actuellement. Par ailleurs, nous devons poser des limites à la production nucléaire. Le calendrier des travaux de maintenance prévus pour 2021-2022 a effectivement glissé du fait des aléas climatiques que nous avons connus cet été et des difficultés liées à la crise sanitaire que nous venons de traverser. Il est toutefois prévu que les visites décennales, dont les calendriers s'étalent sur de grands tableurs que je ne vais pas détailler, retrouvent leur rythme habituel.

Ces tensions sur les réseaux démontrent la nécessité de parvenir à une plus grande sobriété, notamment énergétique – c'est une des clefs. Nous y travaillons au travers du grand plan de rénovation énergétique des bâtiments que nous déployons. Celui-ci vise notamment à favoriser des modes de chauffage moins énergivores, plus efficaces et donc plus sobres en termes de consommation énergétique. Ce plan doit nous amener à une consommation relativement stable qui nous permette de déployer ce nouveau mix énergétique en toute sécurité.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger.

M. Christian Klinger. Le 25 novembre dernier, dans le cadre d'une question d'actualité au Gouvernement, j'alertais sur la situation de tension que pourrait rencontrer le réseau électrique cet hiver. Le ministre Jean-Baptiste Djebbari avait assuré à la représentation nationale que la situation était sous contrôle et qu'il n'y aurait pas de coupure d'approvisionnement.

Or, vendredi dernier, RTE a publié un communiqué incitant les Français à réduire leur consommation pour éviter tout risque de coupure d'électricité. Ce communiqué précise qu'en cas de difficultés d'approvisionnement RTE peut avoir recours à des coupures tournantes. Cette situation intervient alors que les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ont été fermés en 2020, engendrant une perte de 1 800 mégawatts.

Dans son communiqué, RTE indique qu'une économie de 600 mégawatts permet de disposer d'une marge de manœuvre sur le réseau. Or un réacteur de la centrale de Fessenheim produit 900 mégawatts.

D'après les données de RTE, ces derniers jours, nous avons eu recours au charbon de manière accrue, puisque, en moyenne, 3% de notre production en était issue, et nos importations d'électricité ont été bien plus importantes que la normale.

Madame la secrétaire d'État, au vu de l'ensemble de ces éléments, le Gouvernement n'a-t-il pas fermé la centrale de Fessenheim trop tôt, c'est-à-dire avant la mise en route de l'EPR de Flamanville ?

En février, la France devrait connaître une vague de froid. Pouvez-vous de nouveau nous assurer que nous serons capables de faire face à cet hiver et aux hivers prochains ?

Estimez-vous que votre stratégie énergétique est durable alors que nous émettons beaucoup plus de CO2 en ayant recours au charbon, au fioul et au gaz ? Ne pensez-vous pas que votre stratégie, qui conduit à un recours accru aux importations d'électricité, notamment produite avec du gaz et du charbon, remet en cause l'indépendance énergétique de la France ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Klinger, dans le cadre des lois adoptées en 2015 et 2019, nous avons fixé des objectifs de décarbonation, d'efficacité énergétique et de diversification du mix énergétique avec les EnR. À terme, en 2035, notre production d'électricité sera issue pour environ 40% des EnR et pour 50% du nucléaire, ce qui conduira à la fermeture de certains réacteurs parmi les plus anciens.

Comme vous l'avez rappelé, les deux réacteurs de Fessenheim ont été fermés en février puis en juin 2020 dans le cadre d'un processus qui avait été engagé en 2019 et qui était absolument irréversible, puisque les travaux de sûreté n'avaient pas été effectués et qu'EDF ne disposait pas du combustible nécessaire.

La situation que nous connaissons aujourd'hui résulte d'abord d'une disponibilité moindre du parc nucléaire du fait de différents problèmes de maintenance liés notamment à la crise sanitaire.

Vendredi dernier, alors même que les températures étaient inférieures de 4 degrés aux normales saisonnières, nous avons in fine consommé seulement 87 gigawatts, soit beaucoup moins que prévu. Autrement dit, nous étions loin d'activer les mesures exceptionnelles que j'ai précédemment évoquées. Nous agissons donc en toute sérénité quant à ce risque de rupture d'approvisionnement.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.

M. Christian Klinger. Il est vrai que les consommations sont moindres que celles qui étaient prévues. Or vous n'êtes pas sans savoir que la France connaît une situation économique particulière : les entreprises ne tournent pas à plein régime, ceci expliquant cela…

Pour rester très factuel, le site éCO2mix de RTE – vous le connaissez aussi bien que moi – indique que nous consommons actuellement 1 981 mégawatts produits par le charbon. Si les réacteurs de Fessenheim étaient encore ouverts, nous en aurions fait l'économie en produisant autant d'électricité décarbonée.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Christian Klinger. Les chiffres sont têtus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Stéphane Piednoir. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.

M. Christian Redon-Sarrazy. En novembre dernier, en plein confinement, Mme la ministre de la transition écologique affirmait dans les médias qu'il n'y aurait pas de blackout énergétique cet hiver, en prenant soin toutefois de préciser que des mesures de régulation étaient prévues. Elles sont très simples : les Français vont devoir se rationner. C'est ce que RTE a annoncé jeudi dernier face à la vague de froid qui touche notre pays et à la hausse attendue de la consommation d'électricité.

Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer ce que nos concitoyens doivent faire lorsqu'ils ont besoin à la fois de se chauffer et de télétravailler ? Comment doit s'effectuer leur choix ?

En vérité, cette situation n'est que le résultat de l'imprévoyance du Gouvernement, qui s'apprête à fragiliser notre souveraineté énergétique avec son projet Hercule.

Les épisodes de confinement qui ont marqué l'année 2020 et qui menacent de se poursuivre encore en 2021 ont fortement sollicité le secteur énergétique. Si le premier confinement a entraîné une baisse relative de la consommation électrique en raison de la saison et de la baisse d'activité globale, une hausse de 4% de la consommation électrique des ménages a été enregistrée durant celui de novembre.

Ces épisodes ont par ailleurs considérablement retardé les opérations de maintenance des centrales nucléaires d'EDF. Je rappelle que, si la France a pour objectif louable de diversifier son mix énergétique, les énergies renouvelables sont encore trop intermittentes pour remplacer le nucléaire, qui assure 70% de nos approvisionnements énergétiques. Or l'année 2020 a vu sa production chuter drastiquement pour la première fois depuis trente ans. EDF avait prévenu au printemps que ce retard pourrait fragiliser notre production d'électricité pour certains mois de l'année. Nous y sommes, précisément. Comme cela est devenu habituel avec ce gouvernement, la seule solution envisagée est de faire payer aux Français le prix de son imprévoyance en exigeant d'eux qu'ils réduisent leur consommation.

Risque de surconsommation électrique, d'augmentation du coût des énergies, de conséquences sociales importantes pour les populations déjà durement touchées par le chômage partiel ou la cessation d'activité : quels dispositifs avez-vous prévus pour répondre à tous ces enjeux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Redon-Sarrazy, restons mesurés : il n'est bien sûr pas question de rationner les ménages. Cela étant dit, il est tout à fait imaginable que certains d'entre nous choisissent en conscience d'observer une forme de sobriété.

M. Fabien Gay. Oui, les plus pauvres…

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. Toutefois, la précarité énergétique peut entraîner de réelles difficultés. Comme vous le savez, nous proposons de nombreux dispositifs pour aider les ménages concernés à se chauffer et à bénéficier d'un habitat digne. Ces aides existent.

Je crois que nous partageons le souci de la nécessaire maîtrise de notre dépense énergétique. S'il n'est évidemment pas question de priver les Français d'un quelconque confort énergétique, chercher à se rassurer en surdimensionnant notre approvisionnement quand cela n'est pas nécessaire aurait des effets néfastes au plan tant environnemental qu'économique. Or, pour l'heure, ces craintes sont infondées.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.

M. Christian Redon-Sarrazy. J'ai du mal à être convaincu par vos arguments, madame la secrétaire d'État. Si le Gouvernement s'était montré prévoyant, RTE n'aurait pas besoin d'exiger un rationnement de la part des consommateurs. Dans un contexte aussi dur socialement et économiquement que celui que nous traversons, il est injuste de réclamer encore de nouveaux sacrifices aux Français, surtout lorsque ces sacrifices concernent les droits élémentaires à se chauffer et à travailler.

À cet égard, le projet Hercule est une épée de Damoclès qui fragilisera et déstructurera notre modèle énergétique, ce qui, au regard des enjeux en termes de souveraineté, n'est pas acceptable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Dumont.

Mme Françoise Dumont. Le 19 novembre dernier, la ministre de la transition écologique évoquait la possibilité de très courtes coupures de courant durant l'hiver en cas de grosse vague de froid. Elle ne possède pourtant pas de boule de cristal… Elle anticipait simplement son annonce suivante en date du 24 novembre lors de la présentation des principales orientations de la nouvelle réglementation pour la construction des bâtiments neufs, la RE 2020, à l'occasion de laquelle elle indiquait en filigrane la disparition à moyen terme du chauffage au gaz pour les constructions neuves en fixant un seuil d'émissions de CO2 tellement bas qu'il rendrait presque impossible son installation dans les maisons individuelles à partir de l'été 2021 et pour les logements collectifs à partir de 2024.

Ce sont donc désormais presque uniquement des systèmes de chauffage électriques qui seront installés dans tous les futurs logements neufs, accentuant ainsi la tension sur notre système de production d'électricité durant les mois d'hiver. Cela alors qu'il y a presque un an, comme nous le rappelait justement notre collègue Christian Klinger, le Gouvernement fermait la centrale nucléaire encore opérationnelle de Fessenheim, ce qui se traduit désormais par l'émission de 10 millions de tonnes de CO2 supplémentaires en Europe par an.

Mais rassurons-nous, mes chers collègues, le 4 décembre, le Président de la République assurait lors de son interview à Brut : "Moi, j'assume à fond. Je crois dans l'écologie, je suis pour qu'on soit parmi les champions de la lutte contre le réchauffement climatique. Si on veut réussir, ça veut dire qu'on doit être meilleur encore sur le nucléaire." Une position réaffirmée le 8 décembre sur le site de Framatome au Creusot.

"Il faut que nous considérions un homme non pas tel qu'il se fait voir par ses discours mais tel qu'il se montre par ses actes", disait Saint-Hilaire. Je vous laisse seuls juges, mes chers collègues.

Madame la secrétaire d'État, comment pouvez-vous assurer clairement à la représentation nationale qu'il n'y aura pas à l'avenir de blackout énergétique en France ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Dumont, l'analyse de l'équilibre offre-demande qui est effectuée de manière prospective par RTE au travers de ses bilans prévisionnels n'indique pas – je le répète – de risque de blackout.

Plusieurs mesures sont par ailleurs à la disposition du gestionnaire de réseau RTE pour répondre aux pics de consommation que nous pouvons connaître du fait des aléas, notamment climatiques. Le Gouvernement a pris différentes mesures pour accroître leur disponibilité, qu'il s'agisse de l'effacement ou de l'interruptibilité.

Pour le long terme, des études sont en cours, entre autres avec l'AIE et RTE, pour fixer les enjeux de notre mix après 2035 – les parlementaires y seront bien évidemment associés –, ce qui permettra de définir des stratégies d'investissement dans la production, le réseau, le stockage sans oublier la maîtrise de la demande, en tenant compte des enjeux de sécurité d'approvisionnement.

Concernant la RE 2020, un travail fouillé est conduit pour affiner les détails des obligations – leur niveau et leur date d'entrée en vigueur. L'amélioration de la performance des bâtiments permettra de déployer des dispositifs de chauffage moins carbonés comme les pompes à chaleur hybrides au gaz et les réseaux de chaleur décarbonés. Il n'est pas question de déployer les grille-pain que nous avons pu connaître en d'autres temps. L'étude menée par l'Ademe et RTE montre qu'avec des bâtiments neufs ou existants bien isolés équipés de pompes à chaleur nous parvenons tout à fait à passer ces pics de consommation.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Dans la loi Énergie-climat, le Parlement a voté la fermeture des centrales à charbon à l'horizon de 2022. Or, depuis le mois de septembre, la France a relancé la production de ses quatre centrales à charbon fortement émettrices de CO2 pour compenser en partie l'arrêt des réacteurs de Fessenheim et le manque de vent pour les éoliennes. Depuis septembre aussi, du fait de l'arrêt de cette centrale nucléaire, il arrive à EDF de devoir importer très cher de l'électricité produite au gaz ou au lignite en Allemagne. Ainsi, hier, pendant vingt-quatre heures, la France a importé l'équivalent de six tranches nucléaires.

Ces mesures successives et l'intermittence hivernale de l'éolien et du solaire, presque absents de la production électrique française, mettent en danger notre réseau. S'ajoutant à l'incapacité d'EDF de tenir les délais de livraison du futur réacteur de Flamanville, ces difficultés fragilisent la sécurité de l'approvisionnement électrique.

Jeudi dernier, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité français, RTE, a demandé aux Français de réduire leur consommation d'électricité face à un risque de tension sur notre réseau. Le risque de coupure chez les particuliers n'est pas un acte banal : la France ne saurait s'y habituer.

Face au risque d'instabilité de notre réseau électrique dû à notre dépendance envers les autres pays européens et à nos orientations énergétiques, quel est le nouveau calendrier pour la mise en service du futur réacteur de l'EPR de Flamanville ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Sido, le Gouvernement porte une attention particulière au calendrier de mise en service de ce réacteur.

Les essais à chaud se sont terminés en février 2020. Les premiers assemblages de combustible ont été approvisionnés en octobre pour être entreposés, et le processus de remise à niveau des soudures situées sur le circuit secondaire se poursuit, le scénario de reprise des soudures de traversées de l'enceinte étant en cours d'examen par l'ASN.

Malgré la crise sanitaire, EDF n'a pas fait connaître de modification de son objectif de chargement de combustible fin 2022. Selon toute vraisemblance, l'EPR devrait être opérationnel en 2023.

M. François Bonhomme. Félicitations !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour la réplique.

M. Bruno Sido. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État, mais, à vrai dire, dans le raisonnement que vous avez développé depuis le début de ce débat et dans toutes les réponses que vous avez données, vous faites comme s'il n'y avait jamais d'incident. Permettez-moi de rappeler que, dans la soirée du 4 novembre 2006, 15 millions de foyers ont été privés d'électricité, dont 5,6 millions en France, du fait d'un incident en Allemagne. Cela a conduit le Sénat à constituer une mission commune d'information, que j'ai présidée, sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver. Je vous invite à relire l'intéressant rapport qui a été rédigé, en particulier les propositions très concrètes qui y sont formulées afin d'éviter ce type d'incident.

Les accidents sont par définition rarement prévisibles. Or si nous avons surmonté cette crise en 2006, c'est parce que nous avions des capacités disponibles pour y répondre. Aujourd'hui, nous n'en avons plus. Comment ferez-vous en cas d'incident ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Je souhaite tout d'abord saluer notre collègue Daniel Gremillet, qui a demandé la tenue de ce débat, pour sa perspicacité. En effet, après les événements de la fin de la semaine dernière, ces échanges arrivent à point nommé.

Nous partageons tous l'objectif de consommer moins d'énergie et de la consommer mieux, en particulier quand elle est d'origine fossile. Si la demande faite aux Français de réduire leur consommation était sans doute nécessaire compte tenu des ressources disponibles, elle résonne avant tout comme un aveu d'échec, ou en tout cas d'impuissance à réguler les flux de notre mix énergétique au sujet duquel les orateurs précédents sont intervenus.

Au moment où nous nous orientons fortement et positivement vers une économie décarbonée reposant sur le tout-électrique – dans les transports, dans le bâtiment et pour faire face aux besoins croissants du numérique, comme nous le verrons dans quelques minutes lors de l'examen de la proposition de loi de Patrick Chaize –, il me paraît nécessaire d'aborder sans dogmatisme la question de l'origine de l'énergie indispensable au fonctionnement de notre pays dans tous ses usages.

Les Françaises et les Français n'ont pas à subir les atermoiements successifs des décideurs publics et les conséquences des décisions arbitraires – parfois démagogiques – qui nous ont conduits à cette situation potentielle. Cela ne serait pas digne d'un grand pays comme le nôtre. Du bon sens, du réalisme, du pragmatisme, une vision : tel est mon vœu à l'aube de cette nouvelle année, madame la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Mandelli, je partage votre vœu de résilience, de sobriété et d'intelligence dans la construction de nos réponses. Celles-ci ne sont sans doute pas uniformes. En tout cas, leur construction requiert notre travail collectif, car nous avons la responsabilité de trouver des solutions pour les générations futures.

La politique énergétique du Gouvernement permettra un système électrique plus diversifié. C'est une des clés de la résilience face aux aléas que nous ne connaissons malheureusement que trop aujourd'hui. Les tensions sur la sécurité d'approvisionnement de cet hiver illustrent le risque d'un système qui reposerait massivement sur une seule technologie. La diversification du mix passe en particulier par le programme de fermeture de réacteurs nucléaires et le développement d'énergies renouvelables. Ces mesures doivent être ambitieuses mais progressives afin de ne pas mettre en péril la sécurité d'approvisionnement à laquelle nous sommes attachés.

Ce constat s'appuie sur des analyses techniques approfondies, menées notamment par RTE, qui intègrent les prévisions d'évolution de la production, de la demande et du fonctionnement du réseau. Pour la production, RTE intègre la modélisation d'un grand nombre de ces situations. Au-delà de 2035, une étude menée par l'AIE et par RTE devra nous éclairer sur les investissements que nous devrons envisager.

Les perspectives sont plutôt encourageantes. L'analyse détaillée de la sécurité d'approvisionnement à l'horizon de 2050, qui sera publiée dans le courant de l'année 2021 par RTE dans le cadre de son bilan prévisionnel, doit nous donner les grands axes de sécurisation de ce mix énergétique et de notre sécurité d'approvisionnement.

Concernant la question essentielle de la décarbonation, RTE a estimé que le parc solaire et éolien a permis d'éviter en 2019 l'émission de 22 millions de tonnes de CO2 au niveau européen, soit les émissions annuelles d'environ 12 millions de véhicules. Le développement des EnR nous permet donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Si nous partageons les objectifs, madame la secrétaire d'État, je suis assez dubitatif quant à la capacité de RTE à mesurer globalement l'évolution de la consommation. Les précédents orateurs ont évoqué les besoins afférents au bâtiment, aux voitures électriques ou au numérique. Je ne suis pas persuadé qu'on ait pris la mesure des évolutions très rapides – que nous observons déjà dans d'autres pays – qu'entraîne l'ensemble de ces nouvelles demandes.

C'est pourquoi je proposerai aux présidents de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques d'auditionner des représentants de RTE afin de mieux connaître les modèles qui servent à établir ces indicateurs et ces perspectives. Je doute en effet que la prise en compte de l'ensemble de ces évolutions aboutisse à cette position qui consiste à dire que tout va bien, que tout est prévu et intégré. Aujourd'hui, nous avons la preuve que nous ne sommes pas réellement prêts.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. La loi de 2015 relative à la transition énergétique a marqué un tournant dans la politique énergétique française en prévoyant la réduction à l'horizon de 2025 de la part du nucléaire dans la production d'électricité à hauteur de 50%, objectif reporté à 2035 depuis la loi Énergie-climat car totalement irréaliste. Voilà comment, par dogmatisme, on réduit notre capacité de production électrique pilotable et propre, à savoir le nucléaire, pour la remplacer par des énergies tout aussi propres mais intermittentes et aléatoires, à savoir les énergies renouvelables, avec comme conséquence l'incapacité de couvrir la consommation des ménages et des entreprises en électricité en cas d'hiver rigoureux, et ce peut-être dès cet hiver.

Le Gouvernement veut s'appuyer sur l'électricité d'origine renouvelable pour pallier la réduction de la production d'électricité d'origine nucléaire, mais les voyants sont au rouge : les objectifs de la politique énergétique nationale risquent de ne pas être atteints et le compte d'affectation spéciale "Transition énergétique", qui assurait le financement des EnR, a été supprimé du budget.

Les dispositifs de soutien aux EnR sont entrés dans une zone de turbulences, puisque la baisse des prix des énergies renchérit les charges de service public de l'énergie qui les sous-tendent. L'hydroélectricité, première source d'énergie renouvelable en France, est menacée par la demande d'ouverture à la concurrence du secteur par Bruxelles. En tout cas, les projets sont à l'arrêt.

Les EnR sont aussi le parent pauvre du plan de relance. Au total, 28% des objectifs fixés par la PPE d'ici à 2023 ne sont pas réalisés pour les installations photovoltaïques, éoliennes et hydrauliques.

Madame la secrétaire d'État, quelle est donc la stratégie pour le développement des EnR électriques ? Seront-elles un jour suffisantes pour pallier le recul de l'électricité nucléaire dans le mix énergétique et assurer la continuité du service ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Mouiller, la loi fixe des objectifs ambitieux en visant 40% de la production électrique d'origine renouvelable à l'horizon de 2030. Pour atteindre cet objectif, nous déployons des dispositifs de soutien public en faveur des énergies renouvelables. En 2021, plus de 6 milliards d'euros seront consacrés à ce soutien.

Grâce à cet effort soutenu depuis plusieurs années, la compétitivité des énergies renouvelables, notamment électriques, s'est fortement améliorée. En effet, lors des derniers appels d'offres, le prix du mégawatt était d'environ 60 euros pour l'éolien, et même de 44 euros pour le parc éolien en mer de Dunkerque, alors que la CRE annonce des prix situés entre 48 et 50 euros pour le nucléaire existant et bien au-delà pour le nucléaire à venir. La compétitivité des énergies renouvelables est donc tout à fait évidente aujourd'hui.

Pour rendre crédible l'atteinte des objectifs de la PPE, nous travaillons effectivement sur tous les leviers : nous avons mis en place un calendrier des appels d'offres pluriannuel, qui donne aux acteurs une visibilité leur permettant de développer leurs projets et leur stratégie ; nous soutenons l'innovation par le PIA pour développer les technologies et des appels d'offres spécifiques pour les déployer ; et nous travaillons sur des questions de planification et de délais de raccordement, de qualité de la concertation des projets et de planification jusque dans l'appropriation locale, qui constitue un enjeu fort dans nos territoires.

Les études techniques approfondies qui sont menées par RTE montrent que la diversification du mix électrique prévue par la loi, en particulier dans le cadre du programme de fermetures de réacteurs et du développement des énergies renouvelables, ne met pas en péril la sécurité d'approvisionnement à moyen terme. Ces évolutions seront évoquées dans l'étude qui doit être publiée mi-2021 par RTE, notamment sur cette sécurité d'approvisionnement.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.

M. Philippe Mouiller. J'entends l'ensemble de vos arguments – vous avez lu une fiche vous donnant toutes les explications –, mais, concrètement, il y a un problème d'équilibre entre la volonté de diminuer le nucléaire et la capacité à produire de l'électricité grâce aux énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous constatons une vraie difficulté, car les énergies renouvelables ne sont pas toujours maîtrisables. Dès lors que nous ne sommes pas capables de stocker, il faut une évaluation qui soit différente. À mon avis, la situation que nous connaissons aujourd'hui est donc liée à une mauvaise évaluation de notre capacité à réduire la part du nucléaire.

Par ailleurs, en tant que membre d'un syndicat d'énergie, je constate sur le terrain que, entre les contrats administratifs, les politiques financières et la conduite des projets, la capacité à produire rencontre de vrais freins. Il y a un décalage entre votre vision technique à l'échelon national – même si je peux la comprendre – et la réalité. C'est un point essentiel du présent débat.


Source http://www.senat.fr, le 15 janvier 2021