Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la souveraineté économique de la France.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les débats sur des sujets comme la souveraineté économique – et je tiens à remercier votre groupe, monsieur Babary, d'avoir mis ce thème à l'ordre du jour – sont à mener avec pragmatisme et mesure, au-delà du nécessaire temps des constats.
Ces constats portent sur les conséquences de la mondialisation et l'émergence de nouvelles superpuissances, que nous pensions, hier, simples ateliers du monde, ou d'entreprises numériques représentant des capitalisations pharaoniques. Ils portent aussi sur les conséquences des choix stratégiques nationaux de ces trente dernières années, négligeant malheureusement des pans entiers de notre économie, notamment l'industrie.
Équilibre : c'est le mot qui doit caractériser notre débat de cet après-midi.
Ne tombons pas dans l'anathème, dans la caricature ! L'heure est bien trop grave pour chercher des responsabilités individuelles face à la destruction d'un million d'emplois industriels en vingt ans, pour s'étonner du déclassement de l'industrie pharmaceutique française en l'espace de deux décennies – cette dernière est passée de la première à la quatrième place et a perdu la moitié de sa part de marché mondiale – ou pour regretter des fermetures d'usines qui ont dévitalisé nos territoires.
Le temps est venu, désormais, de travailler ensemble à la reconquête de notre souveraineté économique, et c'est tout le sens de la politique menée depuis le début du quinquennat par le Président de la République et la majorité présidentielle.
L'impérieuse urgence de cette reconquête a été mise en exergue par la crise sanitaire sans précédent que nous traversons.
Mais cette crise ne fait que révéler un état de fait, provoquant un effet de loupe sur des défaillances profondément ancrées dans notre pays depuis des décennies. Les difficultés d'approvisionnement en masques sanitaires, en médicaments, en matières premières stratégiques ou encore en intrants critiques essentiels, comme les semi-conducteurs, ont mis en lumière nos dépendances manifestes vis-à-vis d'autres continents. Le sujet n'est pas uniquement français ; il est européen. La crise est le révélateur profond d'enjeux de souveraineté trop longtemps négligés.
Soulignons que dans cette crise, et face à ces difficultés, nos industriels ont fait montre d'une formidable capacité d'adaptation, de souplesse, d'ingéniosité. Je tiens ici à les en remercier. Ils ont agi en lien étroit avec l'État et les collectivités locales, souvent en improvisant des partenariats inédits. Cela démontre la force de l'intelligence collective et du collectif, et c'est probablement sur ce type de modèles que nous devrions avancer.
L'équilibre que j'évoquais précédemment doit aussi résider dans les solutions que nous avons à apporter, en nous méfiant des raccourcis et des amalgames. La souveraineté économique n'est pas le nationalisme mortifère ; la mondialisation et ses échanges sont, non pas des ennemis, mais des espaces dans lesquels nous devons inscrire notre action sans naïveté ; l'Europe n'est pas un handicap, bien au contraire, mais elle doit devenir notre principal atout et notre échelle de réflexion face aux puissances chinoise et américaine – pour ne citer qu'elles.
Dès le début du quinquennat, sous l'impulsion du Président de la République, nous avons avec Bruno Le Maire engagé un mouvement de reconquête industrielle, d'investissement dans les compétences et les technologies de demain, de modernisation, de digitalisation de notre outil productif, pour que la France retrouve sa place parmi les grandes nations industrielles.
Ce sont des premières mesures de refondation de notre économie qui ont été engagées, comme l'allégement de la fiscalité sur les investissements productifs, la suppression de cotisations sociales afin d'augmenter de façon directe, et non détournée, les salaires tout en baissant le coût du travail, la réforme des ordonnances Travail, qui facilite l'accès à l'emploi pour les plus vulnérables. Par ailleurs, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, a renforcé le contrôle des investissements étrangers prédateurs pour protéger nos actifs stratégiques.
Nous avons voulu rompre avec ce fatalisme qui consistait à faire de la France un pays d'économie post-industrielle, uniquement positionnée sur les services et qui jugeait notre industrie dépassée, polluante et incapable d'être compétitive. Nous voulons au contraire bâtir une industrie forte, innovante, décarbonée, participant à sa manière à la souveraineté des territoires et à leur continuité.
Ces choix ont déjà permis de recréer des emplois industriels pour la première fois depuis 2000 – en 2017, 2018, 2019 – et de redevenir le pays d'Europe le plus attractif pour les investissements étrangers en matière industrielle en 2018 et 2019.
Au niveau européen, nous devons porter l'idée que l'Europe est un atout, tout en défendant, comme l'a fait le Président de la République, l'impératif d'une relance massive et coordonnée des économies européennes. C'est tout le sens des plans de relance européen et français, s'élevant respectivement à 250 milliards d'euros et 100 milliards d'euros, qui portent l'ambition de rebâtir une souveraineté : celle de la France, celle de l'Europe. Ainsi, 35 milliards d'euros seront destinés à soutenir notre industrie – nous faisons le pari de l'industrie !
J'ai bien noté que l'intitulé du débat n'évoque que la souveraineté économique française. Mais, à l'heure où les États-Unis et la Chine ont engagé des plans d'investissements massifs, je ne crois pas que nous rivaliserons seuls contre ces grandes puissances. La souveraineté française est indissociable de la souveraineté européenne.
Nous avons besoin de plus d'Europe, mais surtout de " mieux d'Europe ". Il nous faut une Europe industrielle, ambitieuse en matière d'innovation, de transition écologique et de transformation des compétences, une Europe qui protège du dumping fiscal et environnemental, avec la mise en place d'une taxation sur les plateformes numériques, par exemple, ou d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, une Europe qui impose une concurrence réellement loyale, à l'heure où des entreprises non européennes accèdent à des marchés domestiques sans contrepartie et sont fortement subventionnées. C'est pourquoi nous soutenons des mesures de réciprocité sur l'accès aux marchés publics. C'est également pourquoi nous avons soutenu des mesures additionnelles en matière de filtrage des investissements au niveau européen.
Sur le plan national, nous avons quatre objectifs.
Relocaliser et, en premier lieu, relocaliser des chaînes d'approvisionnement critiques. Je pense aux secteurs de la santé, de l'agroalimentaire, de l'électronique. Je pense aux intrants critiques, ces principes actifs chimiques ou ces éléments de métallurgie essentiels à notre industrie, mais également à la 5G – parce qu'il faut regarder devant nous – et évidemment au nucléaire. Sur ces six secteurs, nous investissons massivement, avec 273 projets de relocalisation soutenus dans le cadre du plan de relance.
Innover. Il s'agit là d'avoir le quart d'heure d'avance qui nous permettra d'être dans la cour des grandes nations industrielles en 2030, tout en nourrissant notre croissance actuelle. C'est toute l'ambition du programme d'investissements d'avenir, doté de 20 milliards d'euros, dont 11 milliards d'euros doivent être déployés dès les années 2021 et 2022. Une quinzaine de chaînes de valeurs stratégiques sont concernées. Vous avez cité la cybersécurité, monsieur Babary ; elle figure dans la liste ! Nous finançons également, dans le domaine de la santé, les bioproductions et la santé digitale, ou la filière hydrogène en matière de transition énergétique.
La recherche, que vous avez évidemment mentionnée, s'inscrit dans un continuum avec l'innovation. Recherche fondamentale, recherche appliquée, tout l'enjeu de la loi de programmation de la recherche que nous venons de voter est de doter la recherche de moyens complémentaires, mais aussi de renforcer ce continuum de recherche, de faire en sorte que des talents comme les Emmanuelle Carpentier ou les Stéphane Bancel – le patron d'AstraZeneca est plutôt un bon dirigeant, mais pas nécessairement un chercheur – restent en France et y développent leur activité. Sur ces sujets, je le rappelle, nous avons fait des avancées fondamentales.
Décarboner. La décarbonation, c'est une façon, à la fois, d'affronter la transition écologique et de construire un avantage compétitif.
Il se trouve que l'Europe est plutôt bien positionnée dans ce domaine. Nous devons donc inventer des solutions que nous pourrons ensuite développer pour les autres pays, comme nous l'avons déjà fait dans les secteurs de l'eau, des déchets ou de l'énergie, dans lesquels nous disposons de grands groupes industriels innovants. Il faut poursuivre nos efforts dans ce sens.
Il faut également travailler sur les mobilités vertes. Les entreprises qui seront à la pointe de la batterie électrique, du moteur électrique, du moteur à hydrogène seront les entreprises qui gagneront les marchés internationaux de demain. Ces entreprises doivent être françaises ; elles doivent être européennes.
Enfin, la décarbonation passe aussi par des processus industriels, dans lesquels nous investissons 1,2 milliard d'euros. On l'oppose souvent à la filière métallurgie. Or c'est précisément dans ce type de filières que nous avons le plus à gagner et à innover, là où nous pouvons emporter des parts de marché en développant des solutions innovantes, tout en décarbonant notre économie. C'est le but visé dans le cadre du plan de relance, étant rappelé que si l'industrie, de par ses émissions, représente 20% des problèmes en matière de décarbonation de notre économie, elle représente 100% des solutions !
Moderniser. Nous ne devons pas perdre de vue que nous disposons d'un tissu de PME, d'ETI, de sous-traitants qui ne demandent qu'à bénéficier d'une montée en compétences, au niveau des chaînes de production comme des salariés qui y travaillent. D'où notre investissement massif dans ce tissu au travers du plan de relance.
Cela doit aller de pair avec un accompagnement et une simplification de nos procédures administratives, ce que nous avons fait avec la loi, dite ASAP, du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.
Cela doit aller de pair avec un cadre fiscal valorisant l'investissement productif. C'est le sens de la baisse des impôts de production, qui bénéficie, au premier chef, aux entreprises investissant sur les territoires.
Cela doit aller de pair avec une commande publique valorisant l'empreinte environnementale et sociale. C'est pourquoi nous avons modifié les cahiers des clauses administratives générales et techniques (CCAG).
M. le président. Pardonnez-moi, madame la ministre, mais il vous faut vous acheminer vers la conclusion…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Cela doit aller de pair, enfin, avec un capitalisme français qui prend des risques. C'est le sens du fonds " French Tech Souveraineté " ou des fonds " Tibi ", que nous orientons vers ces pépites industrielles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nos territoires, que vous connaissez bien et que je sillonne quotidiennement, recèlent des atouts exceptionnels. Il nous appartient maintenant de bâtir une industrie puissante et une France en positif. C'est ce qu'attendent nos compatriotes !
- Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Madame la ministre, depuis le début de la pandémie de covid-19, la souveraineté économique est revenue au coeur des débats. Pourtant, à l'origine, la souveraineté est un concept plus politique, juridique et militaire qu'économique. Jean Bodin la définissait comme « le pouvoir de commander et de contraindre sans être commandé ni contraint ». C'est une gageure au niveau économique.
Loin de la volonté de tout faire soi-même et du mercantilisme, le Gouvernement a fait le choix d'une politique de souveraineté économique à la fois responsable et réaliste, avec ce qu'Emmanuel Combe et Sarah Guillou appellent dans une récente étude, d'une part, la " relocalisation des activités jugées stratégiques " et, d'autre part, une " politique industrielle de rattrapage technologique ".
La stratégie pour le développement d'un hydrogène décarboné est un exemple concret de cette politique industrielle de rattrapage technologique. Lancée en septembre 2020, elle permet déjà à notre pays de se placer parmi les pays les plus en pointe dans cette technologie.
Avec le soutien de France Relance – plan qui, rappelons-le, contient une enveloppe de 100 milliards d'euros –, les industriels et les territoires ont répondu à l'appel.
Le 5 mars dernier, l'écosystème territorial hydrogène de l'Auxerrois, dans l'Yonne, a ainsi été présenté. Il s'appuie sur la création d'une station de production et de distribution multimodale d'hydrogène vert, issu exclusivement de sources renouvelables.
La multiplication des hubs hydrogène dans nos territoires nous permettra de relever le défi de la souveraineté énergétique et industrielle, tout en décarbonant notre économie. Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur l'état d'avancement de la stratégie pour le développement de l'hydrogène décarboné ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Je vous remercie, madame la sénatrice Evrard, de m'interroger sur l'hydrogène : c'est une des technologies sur lesquelles nous souhaitons très fortement investir, afin d'accélérer la production industrielle française.
On parle d'hydrogène vert. Je dirais, pour ma part, qu'il s'agit d'un hydrogène bas-carbone, puisqu'il peut s'appuyer sur les énergies renouvelables ou sur le nucléaire, ce dernier étant une énergie bas-carbone.
Nous allons consacrer, au total, 7 milliards d'euros à un plan hydrogène couvrant plusieurs années, dont 2 milliards d'euros seront spécifiquement consommés en 2021 et 2022 afin de donner une impulsion à nos entreprises industrielles.
L'enjeu est de créer les briques technologiques industrielles sur lesquelles on puisse s'appuyer pour, ensuite, déployer une véritable stratégie hydrogène dans deux directions : le développement des mobilités vertes, à travers les véhicules à hydrogène, et la décarbonation de nos processus industriels. C'est très exactement, pour ne prendre que cet exemple, ce qui est en jeu dans la décarbonation des aciéries.
En janvier, nous avons mis en place un Conseil national de l'hydrogène, qui a dessiné une feuille de route particulièrement précise, et nous avons d'ores et déjà lancé deux appels à projets. Le premier, « Briques technologiques et démonstrateurs hydrogène », est doté de 350 millions d'euros et vise à accompagner des projets portés, sur le territoire, par nos industriels ayant la capacité d'innover. Le second, « Écosystèmes territoriaux hydrogène », est national, doté de 325 millions d'euros, et accompagnera des consortiums réunissant des collectivités et des industriels fournisseurs de solutions pour favoriser au maximum des économies d'échelle, avec des projets ancrés sur les territoires.
Par ailleurs, nous finalisons le lancement d'un IPCEI (Important Project of Common European Interest – projet important d'intérêt européen commun), d'un montant de 1,6 milliard d'euros, pour la construction d'une feuille de route stratégique européenne, qui concernera un certain nombre d'entreprises industrielles et nous permettra de gagner nos positions sur cette nouvelle technologie.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la ministre, permettez-moi de vous soumettre une question au nom de ma collègue Guylène Pantel, qui est empêchée.
Le récent refus du rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri ainsi que le refus du rachat du groupe Carrefour par un actionnaire canadien, s'ils sont bienvenus, ont montré une volonté de la part du Gouvernement de réaffirmer la souveraineté économique de la France.
La crise de la covid-19 et les confinements qu'elle a engendrés ont encouragé de nombreux Français à revoir leur mode de consommation pour s'orienter vers des circuits plus courts et les acteurs locaux. Les scènes de rayons vides, la pénurie de masques au début de la pandémie ou encore les délais de vaccination, s'ils ne sont pas complètement imputables à notre stratégie économique, interrogent sur notre capacité à avoir un appareil productif performant pour répondre à la demande nationale.
Ils interrogent d'autant plus qu'en parallèle la France est le pays européen ayant connu la plus forte désindustrialisation au cours des vingt dernières années, avec comme conséquences des délocalisations, de nombreuses suppressions d'emplois, l'automatisation et l'externalisation. Un seul objectif visé : réduire les coûts de production.
Je parlais de concurrence mondiale, mais celle-ci est également européenne.
Vous connaissez, madame la ministre, l'attachement de mon groupe à la construction européenne. Si la concurrence intraeuropéenne, qui est un fait établi, n'est pas près de s'arrêter au vu des différents coûts de production dans les États membres, seule l'Union européenne peut nous permettre de faire face aux géants que sont les États-Unis et la Chine.
Aussi je vous poserai cette question : quelles solutions mettez-vous en oeuvre pour rendre possible la réindustrialisation et la souveraineté économique et alimentaire dans cette économie libérale mondialisée et dans une Europe concurrentielle ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Comme je l'ai évoqué dans mon propos introductif, il s'agit pour nous de renforcer la compétitivité du " site " France, en travaillant sur la compétitivité-coût, en réduisant les impôts de production, en encourageant l'innovation, et donc le développement de solutions mieux adaptées pour nos clients, en modernisant notre économie à travers l'investissement dans les chaînes de production de l'industrie du futur.
Au niveau européen, par ailleurs, on trouve tous les IPCEI – santé, cloud souverain, hydrogène, microprocesseurs, batteries électriques – que nous avons lancés ou que nous souhaitons lancer dans les prochains mois. Nous allons investir massivement sur de nouvelles technologies et de nouveaux sites industriels, de manière à renforcer notre compétitivité face à des pays situés en dehors de l'Union européenne.
Au sein de cette dernière, enfin, un travail est mené autour d'une plus grande convergence sociale et fiscale, afin de jouer avec les mêmes règles du jeu. Notre mot d'ordre, c'est la concurrence loyale. Si nous voulons que la transition écologique se mette en place, si nous voulons améliorer notre compétitivité sociale, il faut tirer les autres pays vers le haut. Là est l'enjeu !
C'est d'ailleurs le même enjeu qui se noue au niveau du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce dispositif doit permettre de taxer des importations ayant un contenu carbone beaucoup plus important que nos produits, afin de favoriser une concurrence loyale et permettre aux entreprises de jouer avec des forces égales.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La France doit défendre ses intérêts, ses entreprises, ses emplois, et savoir affronter ce qu'il faut bien appeler une guerre économique, au niveau tant mondial qu'européen.
Pour notre part, nous plaidons pour la coopération. Mais ne soyons ni les naïfs de la mondialisation libérale ni les Bisounours d'une Europe qui, non seulement se protège mal, mais organise en son sein une concurrence effrénée avec des dumpings sociaux et fiscaux. La France est particulièrement touchée.
Il faudra bien changer ce cadre, mais, en attendant, il faut agir vite ! Si nous voulons inverser la spirale de désindustrialisation, de délocalisation, de détérioration grave de notre balance commerciale, en particulier avec nos partenaires européens, il faut mettre en oeuvre une politique d'intelligence économique.
Je concentrerai mon propos sur ce point, parce qu'il y a beaucoup à faire dans de nombreux domaines.
La plupart des grands pays développés ont des programmes d'intelligence économique, ainsi que des outils particuliers voués à cette fonction. Je pense, en particulier, aux États-Unis et à l'Allemagne. Si nous avions eu des structures réellement opérationnelles, avec une mobilisation de tous les acteurs territoriaux et sociaux, avec une culture partagée de l'intelligence économique, nous aurions certainement pu anticiper et éviter la vente d'une partie de notre fleuron national Alstom à General Electric et le démantèlement de Technip, qui passe sous pavillon américain. Je prends ces deux exemples, mais de nombreuses PME et PMI font tous les jours l'objet d'opérations de prédation de la part d'entreprises étrangères.
L'intelligence économique est donc un outil permettant de mobiliser les forces vives du pays – l'État, les territoires, etc. – pour, d'une part, anticiper et déployer une stratégie de veille sur les risques menaçant les entreprises, grandes ou petites, et, d'autre part, créer des outils en vue de réagir à temps, très rapidement. À nouveau, les États-Unis ou l'Allemagne font cela très bien, par exemple en modifiant la fiscalité ou la législation pour s'adapter à la stratégie des prédateurs.
Il faut donc une stratégie d'intelligence économique. Nous avons déposé un projet de loi très complet en la matière, considérant que la France doit se doter de tels outils. Madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à présenter une loi pour une nouvelle stratégie d'intelligence économique en France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Madame la sénatrice Lienemann, comme vous le savez, un Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) a été créé en 2016 par la réunion de différentes entités tournées vers l'intelligence économique. Ce service, rattaché au ministère de l'économie, des finances et de la relance, dispose de correspondants territoriaux dans les régions. De même, le Président de la République a fait de l'économie une priorité des services de renseignement en la repositionnant dans la politique de renseignement globale de la France.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela ne marche pas !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. S'agissant de la lutte contre les prédations, nous avons, avec la loi Pacte puis par la loi d'urgence sanitaire, renforcé la réglementation applicable aux investissements étrangers en France de manière à permettre un filtrage de ces investissements, l'objectif étant d'interdire toute prédation sur des PME et des ETI qui possèderaient des savoir-faire ou des technologies uniques.
En outre, grâce à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), nous avons renforcé nos outils de lutte contre les cyberattaques, qui sont une autre façon de déstabiliser des entreprises par l'acquisition d'informations économiques ou par la déstructuration des systèmes d'information.
Bien sûr, il est possible d'aller plus loin. C'est pourquoi nous avons porté ces propositions au niveau européen. Je rappelle que le règlement de filtrage des investissements étrangers a été largement soutenu par la France, qui a été avant-gardiste dans ce domaine. Nous sommes prêts à poursuivre notre travail dans cette direction, en ayant cependant le souci de ne pas utiliser ce règlement comme un moyen de protection visant à empêcher toute circulation de l'innovation et tout investissement productif. Il faut trouver un juste équilibre.
En tout état de cause, on ne peut pas dire, me semble-t-il, que le gouvernement français ait fait preuve de naïveté ces dernières années. Il a clairement investi dans l'intelligence économique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. La crise sanitaire a souligné un phénomène de fond : celui d'une perte relative de souveraineté, au fil des décennies, en raison de l'abandon ou de l'externalisation par les pays occidentalisés de certaines productions.
Mais, plus inquiétant encore pour notre souveraineté économique, nous n'avons pas les moyens de nos ambitions en matière de recherche. En effet, notre recherche scientifique est fondamentale pour notre souveraineté, car elle garantit notre capacité à innover.
Notre indépendance passe par l'innovation, notamment dans la production pharmaceutique, comme j'ai souvent eu l'occasion de le rappeler dans cet hémicycle en alertant sur nos vulnérabilités s'agissant des produits et équipements médicaux.
La bataille économique se joue aujourd'hui sur le terrain scientifique et technologique. Une course s'est engagée et notre recherche nationale est notre meilleur atout pour favoriser les gains de productivité et la compétitivité.
Toutefois, comme je l'évoquais, à l'automne dernier, dans mon rapport pour avis sur ce texte, la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a été une occasion partiellement manquée, ne donnant pas suffisamment à notre pays les moyens de rehausser son effort de recherche.
Dès lors, madame la ministre, quel bilan faites-vous de cette loi ? Que proposez-vous afin que la recherche publique débouche sur la diffusion de connaissances nouvelles, notamment en lien avec la recherche privée, alors que la dernière loi de finances, certes en application de directives européennes, supprimait le doublement de l'assiette du crédit d'impôt recherche ? Quel rôle la recherche doit-elle jouer dans la bataille économique actuelle ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Moga, la recherche est clairement un élément de compétitivité hors coût sur lequel nous devons augmenter les investissements.
Le bilan que je tire de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche est plus favorable puisqu'est prévue une augmentation de 25 milliards d'euros des moyens destinés à la recherche sur les dix prochaines années.
Cette augmentation, inédite, a deux objets : donner plus de moyens à la recherche, mais aussi revaloriser le statut des chercheurs.
Comme vous l'avez mentionné dans votre propos introductif, cette revalorisation est absolument essentielle si nous voulons que les chercheurs restent en France, qu'ils continuent à mener des recherches et qu'ils puissent alterner aussi aisément que possible recherche fondamentale et recherche appliquée dans le domaine industriel. Je pense en particulier aux dispositions de la loi Pacte tendant à une meilleure circulation de la recherche et à celles qui permettent une meilleure protection de la propriété intellectuelle. Sur ces points, le Parlement a vraiment fait oeuvre utile.
Au-delà de cette question de la recherche fondamentale, le programme d'investissements d'avenir (PIA) permettra de mobiliser 20 milliards d'euros au cours des cinq prochaines années. Surtout, nous nous employons à activer immédiatement 11 milliards d'euros sur des projets précis relevant d'une quinzaine de technologies clés. Cette feuille de route stratégique sous-tend des appels à projets ou des appels à manifestation d'intérêt en direction des entreprises de nos territoires, tant des TPE, des PME, des ETI que de grands groupes. L'objectif est très précis : définir les moyens budgétaires à mobiliser pour que ces entreprises puissent déployer dans les cinq ans ces travaux de recherche.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la ministre, j'entends ce que vous dites et je ne minimise pas vos efforts. Cependant, vous le savez, nous partons de très bas. Au cours de ces dernières années, le nombre de doctorants est passé de 20 000 à 16 000, tandis que les salaires de nos chercheurs sont inférieurs de 30% à la moyenne de ceux de nos pays voisins.
Effectivement, vous faites des efforts, comme l'atteste la loi de programmation, mais, par le plan de relance, vous devez faire en sorte que notre recherche soit à la hauteur de nos ambitions.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. En 2021, dans un monde où la France dépend en réalité de ses partenaires et de nombre de fournisseurs étrangers pour des ressources hautement stratégiques – je pense notamment aux terres rares, si nécessaires aux industries qui font la compétitivité et donc les emplois d'aujourd'hui, et plus encore de demain –, quels sont selon vous les critères, les déterminants de la notion de souveraineté économique nationale ?
Comment prenez-vous en compte la dimension européenne incontournable de ce concept ? On ne connaît bien, notamment pour y travailler, que ce que l'on mesure. Faute de quoi, on se paie de mots et on n'avance pas collectivement dans le bon sens, qui doit être celui d'un " confortement " de notre souveraineté économique nationale.
Prenons un exemple, celui de la souveraineté numérique, sur laquelle le Sénat a travaillé et fait des propositions de progrès voilà deux ans au travers du rapport de Gérard Longuet, rendu au nom de la commission d'enquête que je présidais.
Le numérique innerve tous les domaines de la vie de la Nation. Sa gouvernance, si elle est plutôt claire et rassurante pour la défense nationale, l'est beaucoup moins pour les acteurs économiques, les entreprises, grandes, moyennes et petites, dans notre territoire. Notre rapport l'a souligné et nous avons proposé que le Parlement discute, sur l'initiative du Gouvernement, une loi d'orientation et de suivi de la souveraineté numérique nationale.
Cette loi d'orientation serait au numérique ce que la loi de programmation militaire est à la défense nationale.
Madame la ministre, qu'en pensez-vous et y êtes-vous favorable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Montaugé, vous avez raison de le souligner : clairement, le numérique est un élément de notre souveraineté. Aujourd'hui, nous pouvons dresser plusieurs constats.
Premièrement, la France et l'Europe sont absentes, ou bien leurs entreprises sont d'une taille bien moins importante que les grandes plateformes numériques, qui disposent d'un accès privilégié, au niveau mondial, aux données des consommateurs.
Deuxièmement, compte tenu du niveau de valorisation de ces entreprises, nous ne faisons pas jeu égal avec elles en termes d'investissements et de capacité à investir, ces entreprises ayant développé une maîtrise des algorithmes et de l'intelligence artificielle. Je vise là les plateformes numériques non seulement américaines, mais également chinoises.
Dans cet esprit, les commissaires Thierry Breton et Margrethe Vestager travaillent à un plan tendant à accélérer le développement du numérique, notamment le cloud souverain, afin que nous ne perdions pas le deuxième temps de cette bataille, celle des données non pas individuelles, mais industrielles. En la matière, nous avons un projet IPCEI qui a vocation à définir des solutions et des briques technologiques indépendantes européennes.
Au-delà, il est prévu d'investir 1 milliard d'euros dans le cyber au travers du PIA 4, dont 720 millions d'euros de fonds publics. Nous avons d'ores et déjà fixé la feuille de route et lancé les appels à manifestation d'intérêt. Le Campus Cyber, qui verra le jour en septembre prochain, permettra de réunir toutes les forces en présence.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Madame la ministre, vous ne m'avez pas répondu sur les critères et les déterminants de la souveraineté économique nationale. Nous ferons donc sans…
Intuitivement, comme hélas ! beaucoup de Français, je pense, au regard de l'évolution tendancielle de notre industrie en particulier, que le niveau de souveraineté économique de la France est orienté depuis des décennies à la baisse. La débâcle sanitaire nous a renvoyé à la figure L'Étrange défaite de Marc Bloch, chronique du désastre de 1940 en France. Elle aussi aura, je le crains, des conséquences morales durables sur les Français.
Nos compatriotes sont capables de comprendre, pour peu qu'on leur donne des éléments de représentation de la situation, sur quoi l'accent doit porter, en quoi ils sont concernés, en commençant par les plus jeunes ou les chercheurs que nous ne sommes pas capables – à moins que nous ne le voulions pas – de garder en France. La responsabilité des gouvernements est aussi là !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. La pandémie a révélé la fragilité des chaînes d'approvisionnement mondiales de certaines industries stratégiques. Elle a confirmé la dépendance excessive de la France et, plus largement, de l'Europe à l'égard des producteurs asiatiques et chinois en particulier.
La souveraineté économique de notre pays exige une stratégie industrielle et technologique à long terme.
La France dispose d'atouts pour relever ce défi. Certes, elle peut et elle doit s'appuyer sur ces filières d'excellence. Les dynamiques d'innovation des entreprises françaises sont les premiers supports de cette ambition.
Notre pays doit aussi mobiliser les leviers européens pour renforcer sa souveraineté économique et industrielle.
L'an dernier, j'ai été interpellé par une entreprise de taille moyenne, qui avait le projet d'implanter une usine de production d'hydrogène par électrolyse d'eau. Elle ambitionnait d'intégrer un projet IPCEI, véhicule précieux qui autorise des synergies européennes dans un cadre assoupli en matière d'aides d'État. Seul un soutien public pouvait permettre de développer cette initiative qui devait conduire à la création d'emplois locaux.
La France doit appuyer la création de ces outils européens et faciliter leur mise à disposition pour faire émerger des leaders industriels dans des filières innovantes comme celles de la production d'hydrogène ou des semi-conducteurs.
Les acteurs industriels sont prêts à s'en saisir et les collectivités souhaitent s'y associer pour le développement économique de leurs territoires.
La France doit aussi s'atteler à obtenir un soutien financier de l'Europe, bien sûr, pour ces filières d'importance stratégique.
La négociation en cours de la taxonomie verte est à cet égard décisive. Il s'agit de définir le périmètre des investissements nécessaires à l'accompagnement de la transition climatique. Si la filière nucléaire en était exclue, c'est tout l'avenir de cette filière d'excellence française qui se trouverait compromis. C'est un enjeu essentiel d'autonomie stratégique.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il faire de notre appartenance à l'Union européenne un levier pour la compétitivité de notre industrie, pour l'emploi et la vitalité de nos territoires et, finalement, pour la souveraineté économique de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Rapin, l'enjeu est en effet de déployer une politique industrielle européenne ambitieuse. Ce sera d'ailleurs l'objet de la prochaine communication du commissaire Breton lors du Conseil " Compétitivité ", auquel j'assisterai aux côtés des vingt-six autres ministres européens de l'industrie. L'objectif est double.
Premièrement, il faut réinvestir massivement le secteur industriel avec des projets d'innovation. Un projet IPCEI autour de l'hydrogène devrait voir le jour dans les prochaines semaines. Mais nous devons l'accompagner d'autres projets. C'est pourquoi nous portons des projets en matière de santé, de cloud souverain, d'intelligence artificielle, de nanoélectronique ou de microprocesseurs, qui ont vocation à être mis en oeuvre dans les prochains mois et les prochaines années.
Deuxièmement, nous devons adopter des mesures défensives, de réciprocité, en veillant à ce que la concurrence soit réellement loyale. Cela passe par un passage en revue de tous les instruments européens en matière de politique commerciale, de politique de la concurrence, de politique de la commande publique.
Ainsi, en matière de politique de la concurrence, nous devons retravailler les règles pour tenir compte de la spécificité des modèles des plateformes numériques, en considérant, au regard des rapprochements qui s'opèrent entre les grands groupes industriels, que le marché est non pas uniquement européen, mais mondial. Partant, dès lors qu'une entreprise exerce une activité en Europe tout en percevant des subventions de son pays d'origine, nous devons considérer que c'est là une situation de concurrence déloyale.
Dans le même ordre d'idées, nous devons demander la transparence sur les subventions et sur les politiques d'aides des autres pays, qui permettent à certaines entreprises de faire du dumping.
Je pourrais poursuivre ainsi chapitre par chapitre, mais, me semble-t-il, mon propos est assez clair. Nous allons pousser dans ce sens avec le commissaire Thierry Breton.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Face à la crise et au regain des tensions internationales, la question de la souveraineté économique est aujourd'hui fondamentale.
Tout en saluant la pertinence et la nécessité d'un tel débat, je souhaite rappeler que cette souveraineté peut bien être envisagée au niveau national mais également, et surtout, au niveau européen.
Comme dans les autres domaines, la France doit assurer sa souveraineté en matière économique. Travailler avec nos partenaires européens nous permettra de développer des solutions efficaces et pérennes.
Notre dépendance dans le domaine industriel a été mise en lumière au plus fort de cette crise sanitaire. Au cours des dernières années, nous avons laissé beaucoup de filières s'affaiblir, quitter notre territoire. La France est donc l'un des pays les plus touchés par la désindustrialisation en Europe.
Ces délocalisations se sont traduites par une dépendance accrue de notre pays dans plusieurs domaines. Nous sommes nombreux à souhaiter qu'il retrouve le contrôle de ses capacités de production. Notre industrie doit cependant faire face à une concurrence déloyale, notamment en matière écologique. À cet égard, la filière sidérurgique me semble emblématique : la part de l'acier européen n'a cessé de reculer dans la production mondiale, rendant l'Europe de plus en plus dépendante en la matière.
Les concurrents de notre industrie ne sont pas tous astreints aux mêmes obligations de réduction de gaz à effet de serre.
En mars dernier, le Parlement européen a voté le principe d'une taxe carbone aux frontières pesant sur les importations. Cette taxe doit permettre de concilier la poursuite des objectifs de préservation de l'environnement et de localisation de la production européenne. Pensez-vous, madame la ministre, que ce mécanisme renforcera efficacement la compétitivité de notre tissu industriel et de nos entreprises ? Pourra-t-il être adopté et généralisé au niveau de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Menonville, vous avez parfaitement raison. Pour ce qui est d'une industrie comme celle de l'acier, l'enjeu est de lutter contre une forme de concurrence déloyale que constituent les surcapacités et l'importation massive d'acier en provenance de pays qui n'ont pas les mêmes modèles sociaux et environnementaux que les nôtres. Leurs entreprises, de surcroît, ont pu bénéficier d'une certaine forme de soutien, soit par un accès privilégié au marché domestique – cela leur permet de se constituer un « pécule » qui leur donne ensuite la capacité d'exporter massivement –, soit par des soutiens en matière d'innovation.
C'est pour cette raison, en premier lieu, que nous soutenons les mesures de sauvegarde sur l'acier qu'a mises en place la Commission européenne.
En second lieu, nous sommes à la pointe du combat en faveur du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui repose sur le marché des Emissions Trading Schemes (ETS), les systèmes d'échange de quotas d'émissions. Le but est de rééquilibrer la concurrence, l'acier produit en Europe l'étant avec une empreinte carbone bien moins importante qu'elle ne l'est dans d'autres pays, qui exportent un acier dont l'empreinte carbone est très élevée.
Je rappelle un fait important : l'empreinte carbone de l'industrie, entre 1995 et 2015, a été réduite de 40 %.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Forcément, les industries sont parties !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Effectivement, le jeu des délocalisations y a contribué.
Ce sont donc les importations qui expliquent pour l'essentiel l'augmentation de 17 % de notre empreinte carbone : nous avons échangé des emplois contre des émissions de CO2. C'est le mouvement inverse que nous voulons enclencher et nous y travaillons au niveau européen. Ainsi, la Commission européenne devrait présenter dans les prochains mois une proposition portant sur quelques secteurs clés, ces mesures ayant vocation à être étendues.
Parallèlement, nous travaillons à décarboner notre industrie, ce qui permettra de la rendre plus compétitive dans le cadre de la mise en place de ce mécanisme.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, ma collègue Sophie Taillé-Polian, empêchée, m'a chargé de vous poser cette question.
La période de crise a démontré, une fois de plus, qu'un pilotage de notre stratégie économique était plus que jamais nécessaire. Les exemples ne manquent pas la matière. Le moment est bel et bien au redéploiement de l'économie de notre pays dans une nouvelle direction, celle d'une écologie réelle.
C'est tout particulièrement le cas concernant la gestion des déchets. Création d'emplois, savoir-faire des salariés, circuits courts, recyclage, respect de l'environnement, écologie de pointe : avec tous ces atouts pour l'économie française, ce secteur d'avenir est malgré tout, depuis plusieurs années, en danger.
C'est notamment le cas de l'usine française Chapelle Darblay, spécialisée dans le processus de recyclage des déchets et de la production de papier 100% recyclé. Depuis 1985, cet établissement mobilise un savoir-faire de qualité pour assurer la gestion des déchets sur le territoire de la Normandie. Depuis février 2020, les salariés ont lutté pour le maintien du site. Alors que celui-ci aurait pu être converti en bijou écologique grâce à l'expertise des salariés, il y a eu plus de 250 licenciements en juillet dernier, et le site risque d'être démantelé dans huit semaines.
Il est donc temps de passer de la parole aux actes. Le Gouvernement doit soutenir les salariés, qui souhaitent changer les habitudes des modes de production, tendre vers une industrie écologique et radicale créatrice d'emplois, qui rompt avec la logique passéiste dont on connaît trop bien les ravages à la fois sociaux, climatiques et environnementaux.
Si le groupe UPM reste propriétaire de cette usine, l'État doit favoriser les dossiers qui promeuvent la papeterie écologique et le recyclage des déchets. Il faut une réponse sur un sujet global : la collecte des filières de recyclage.
Alors que le plan de relance prévoit 30 milliards d'euros pour la transition écologique et que le ministre Bruno Le Maire annonçait, l'année passée, que cette dernière devait être l'horizon de notre économie, le Gouvernement ne donne aucune réponse sur l'avenir de la filière du papier recyclé en France et, plus largement, sur les projets industriels tournés vers les sujets environnementaux. Nous regrettons ainsi l'absence totale de contreparties sociales et environnementales pour notre économie.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la papeterie Chapelle Darblay, fleuron de l'économie circulaire, demeurera un site spécialisé dans le secteur de la gestion et du recyclage des déchets réels et un véritable atout pour notre économie ? Vous avez ici l'occasion de faire un geste concret pour l'environnement !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Gontard, votre question me permet de rappeler l'engagement du Gouvernement pour trouver une solution de reprise du site de Chapelle Darblay, dont vous avez raison de dire qu'il coche toutes les cases en matière de transition écologique et d'industrie.
Le Gouvernement s'est engagé à lever les obstacles à la reprise et à accompagner le projet dans le cadre du plan de relance. Pas plus tard que le 30 mars dernier, j'ai pris des engagements écrits en signant un courrier de confort à deux repreneurs potentiels, leur assurant qu'une partie des investissements nécessaires à la reconversion de l'usine Chapelle Darblay devraient être financés sur les crédits du plan de relance.
Par ailleurs, nous avons fait en sorte que la convention de revitalisation conclue entre l'État et UPM prévoie que ce groupe verse 500 000 euros en faveur du projet de reprise du site.
Une commission industrielle sera présidée par le préfet de Normandie le 10 mai pour passer en revue les différents projets. À cette date, quatre projets dans le secteur du papier-carton ainsi que deux autres projets relevant d'autres secteurs sont annoncés. J'ai reçu les organisations syndicales la semaine dernière, et nous avons d'ores et déjà indiqué notre préférence pour un projet qui continuerait à utiliser les installations de Chapelle Darblay, la cogénération et le savoir-faire des salariés. C'est ce qui nous paraît le plus logique.
Nous allons mener à terme l'examen de ces quatre projets de reprise, en veillant à ce qu'ils soient fermes et non pas soumis à des conditions que nous aurions toutes les peines à remplir. Nous travaillons avec UPM pour que, le 15 mai, les projets de reprise soient définitifs, afin de donner un avenir aux salariés et au territoire. Nous travaillons main dans la main avec les organisations représentatives du personnel et les élus locaux.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Alors que l'exécutif soutient l'impérieuse reconquête de notre souveraineté numérique, comment expliquer, madame la ministre, les choix faits ces derniers mois de confier des données stratégiques sensibles à des entreprises américaines ?
Je pense bien sûr à la plateforme des données de santé (PDS), également appelée « Health Data Hub » (HDH), que l'État français a choisi d'attribuer à une firme américaine, Microsoft, et ce, a priori – vous nous le confirmerez –, sans aucun appel d'offres.
Je pense également à l'aérospatiale, avec la firme américaine de big data Palantir Technologies et l'avionneur Airbus, alors même que celui-ci est en plein conflit avec l'américain Boeing.
Je pense au renseignement français – direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) – pour le traitement de leurs données sensibles, confiées toujours et encore à l'américain Palantir.
Je pense enfin aux prêts garantis par l'État (PGE), confiés à Amazon Website, qui dispose donc aujourd'hui d'informations stratégiques sur les entreprises françaises et peut ainsi cibler les acquisitions opportunes pour des investisseurs étrangers hors Union européenne.
Ces géants américains du numérique, nous le savons, ont un savoir-faire technologique indéniable. Amazon investit chaque année 22 milliards d'euros dans la recherche et le développement.
Mais nul besoin, madame la ministre, de rappeler les dispositions extraterritoriales du Cloud Act en matière de transfert des données aux États-Unis. Nul besoin non plus de rappeler qu'Amazon Website gère le cloud de la CIA et de l'organisme américain chargé de la régulation et du contrôle des marchés financiers.
Si nous voulons réellement, au-delà des mots, reconquérir notre souveraineté numérique et donc économique, l'achat public doit devenir le levier majeur de la politique industrielle française, y compris pour le numérique, comme les États-Unis le pratiquent eux-mêmes depuis des années avec le succès que l'on connaît.
L'État ne doit-il donc pas, madame la ministre, soutenir et privilégier davantage les offres souveraines existantes et équivalentes ou presque à l'offre américaine et dépasser cette forme de défiance que nous avons à l'égard de nos propres acteurs français de l'écosystème et que l'on observe malheureusement depuis un certain nombre d'années ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Anne-Catherine Loisier. Quelle place également pour le cloud européen Gaïa-X, tant attendu, qui se révèle être davantage une base de données et de logiciels unifiée dans le but de les connecter qu'un outil de souveraineté numérique européenne destiné à protéger les données des Européens ? (Mmes Sophie Primas et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Madame la sénatrice Loisier, la question que vous posez met en exergue la situation à date : d'un côté, des plateformes numériques étrangères qui proposent un haut niveau de service ; de l'autre, des briques technologiques françaises et européennes qui n'ont pas la capacité, à ce jour, d'offrir une solution complète de cloud souverain.
C'est très exactement l'enjeu du projet d'IPCEI de cloud souverain Gaïa-X, sur lequel nous travaillons avec la volonté de rechercher une solution non pas seulement de stockage des données, mais également de traitement des données.
Nous menons ces travaux avec deux objectifs.
D'une part, il s'agit de veiller à ce que les lois d'extraterritorialité ne puissent être invoquées par aucun pays, quel qu'il soit. Vous avez mentionné les États-Unis, mais je crois savoir que la Chine s'est également dotée d'une telle législation, laquelle oblige les entreprises soumises au droit de ce pays à communiquer des données sur simple demande. À cette fin, il est envisageable d'ériger des frontières entre les structures juridiques, y compris avec des solutions étrangères.
D'autre part, et c'est notre second objectif, nous devons créer les briques technologiques qui nous manquent. L'enjeu est moins d'utiliser des solutions souveraines que d'aider à leur émergence. Nous y oeuvrons au travers de notre stratégie en matière de cloud souverain. Vous le savez, Bruno Le Maire et Cédric O sont fortement engagés sur ces sujets.
Outre le fait qu'un projet IPCEI, comme je l'ai dit, devrait voir le jour dans les prochaines semaines, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), qui sont en cours de discussion et qui seront évoqués au cours du prochain Conseil « compétitivité » à la fin du mois, ont également vocation à nous doter d'un levier d'action contre les grandes infrastructures numériques, sur lesquelles nous n'avons aujourd'hui pas suffisamment prise en tant qu'État souverain.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. L'innovation technologique est un facteur de développement économique, lequel n'est pas dirigé par une « main invisible » qui tendrait vers le meilleur et le plus juste. C'est aux humains et aux sociétés politiques qu'il appartient d'y mettre de l'ordre et de la justice : notre débat de ce jour sur la souveraineté économique de la France nous renvoie à cette évidence.
Cela étant, pour être effective et aller de l'avant, la souveraineté économique ne doit pas se construire dans le repli : elle doit se nouer dans des partenariats avec celles et ceux qui ont les mêmes objectifs de moyen terme que nous.
Qu'il s'agisse de la fiscalité des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), des risques d'ingérence de puissances étrangères ou de la dépendance de l'État envers des acteurs technologiques extraeuropéens, la question de la souveraineté numérique, évoquée par plusieurs orateurs, est majeure aujourd'hui. Il est donc essentiel de faire émerger, en Europe, de nouveaux acteurs du numérique dont les activités respecteraient les principes et les valeurs des Européens.
Aujourd'hui, le développement de l'industrie numérique et digitale impose sans doute une mise en ordre de l'effort national, mais dans une logique de coopération ouverte et européenne.
Avant tout, il convient de constituer le cadre réglementaire pour circonscrire l'activité des entreprises et des professionnels de ce secteur. Il est également nécessaire de garantir les droits et libertés de nos concitoyens et la capacité d'action des autorités publiques de régulation.
D'un point de vue industriel, comment l'Union européenne et la France contribuent-elles à créer un écosystème vertueux susceptible de constituer demain une concurrence européenne aux Gafam et aux BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ? Doit-on, comme j'ai cru vous l'entendre dire, se résigner à ce que la bataille soit définitivement perdue ?
Plus précisément, où en est la mise en oeuvre de l'initiative européenne sur l'informatique en nuage, l'acquisition de calculateurs à haute performance de nouvelle génération et le développement de la technologie quantique ? Quelle est la part spécifique de la France dans ces chantiers d'avenir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Madame la sénatrice Blatrix Contat, en réponse à votre question, qui prolonge celle d'un précédent orateur, je rappellerai l'objet de la feuille de route numérique défendue par Cédric O et Bruno Le Maire.
Les priorités détaillées par ce document sont au nombre de cinq : renforcer notre souveraineté numérique en soutenant la création et l'usage de solutions de confiance, qui protègent les données des citoyens, des entreprises et des administrations – vous vous souvenez que certains hôpitaux ont également fait l'objet de cyberattaques ; soutenir le développement de l'offre de la filière industrielle du cloud et promouvoir l'interopérabilité ; soutenir la recherche, le développement et l'innovation dans les domaines du cloud présentant un fort potentiel de création de valeur, comme l'intelligence artificielle, la 5G et l'edge computing – désolée pour la multiplication des termes anglais ! ; soutenir le verdissement de la filière numérique ; et, enfin, soutenir la formation en technologie – vous savez qu'il s'agit également d'un enjeu, compte tenu du manque de compétences que déplore la France.
Ces cinq orientations stratégiques s'articulent totalement avec les priorités définies au niveau européen.
Il y a quelques instants, j'ai mentionné la mise en oeuvre d'un plan d'investissement innovation et préindustrialisation massif en faveur du cloud souverain : c'est un des éléments de cette action.
Nous menons également un travail au sujet du quantique. À cet égard, les calculateurs de haute performance font l'objet d'un projet européen. Atos, notamment, prend part à l'appel d'offres en cours pour Barcelone et, à ce titre, nous nous efforçons de défendre l'intérêt des solutions européennes.
Au-delà, les deux directives que j'ai évoquées, le DSA et le DMA, qui doivent être soumises au prochain Conseil « Compétitivité », apportent également des réponses en matière de régulation. Ces actions se sont renforcées et ont une importance toute particulière dans le contexte dont nous débattons !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Le nucléaire est aujourd'hui la troisième filière industrielle de notre pays. Il fait vivre près de 220 000 personnes et de 3 000 entreprises. Accessoirement, il produit 70 % de notre électricité…
Las, les petits arrangements politiques et le manque de décisions anticipatrices nous conduisent à une stratégie floue pour l'ensemble de la filière nucléaire, voire à une absence totale de stratégie.
Ainsi, en décembre dernier, le Président de la République affirmait que notre avenir énergétique et écologique passait par le nucléaire. Pourtant, six mois plus tôt, le même Emmanuel Macron fermait définitivement la centrale de Fessenheim. Au coeur de l'été 2019, il annonçait même l'arrêt du programme Astrid, dédié aux réacteurs de quatrième génération.
Sur ce dernier point, je mène depuis plusieurs mois une mission pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Sans dévoiler les conclusions de ce travail, je tiens à déplorer le coup de frein brutal infligé à la recherche nucléaire. En la matière, la France était le leader incontesté depuis de nombreuses années ; mais, aujourd'hui, elle ne représente plus une hypothèse incontournable pour nombre de projets internationaux.
J'insiste également sur notre capacité à former des techniciens et des ingénieurs : ces professionnels n'auront, hélas ! bientôt plus de perspectives dans notre pays. Ils n'auront donc guère d'autres choix que de se tourner vers des groupes étrangers, qui reviendront bientôt pour nous vendre de nouveaux réacteurs !
Sur le plan industriel, il est primordial de soutenir les projets de Small Modular Reactors (SMR), qui pourraient être montés en usine et exportés à l'international. Ne l'oublions pas : la filière nucléaire est un outil adapté à la réindustrialisation des territoires. De surcroît, elle favorise l'attractivité internationale.
Madame la ministre, comment comptez-vous assurer à notre pays la souveraineté économique et industrielle de la filière nucléaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Piednoir, il n'y a aucune ambiguïté : le nucléaire fait partie des six secteurs prioritaires soutenus dans le cadre du plan France Relance.
J'en veux pour preuve le fait qu'il est l'un des six secteurs nommément cités dans le dispositif d'appel à projet Résilience, qui vise à permettre des relocalisations industrielles en France. J'en veux également pour preuve les 470 millions d'euros que le plan de relance consacre au soutien de la filière nucléaire.
Il y a deux semaines, j'étais avec Bruno Le Maire sur le site de Bernard Controls, où nous avons signé l'avenant au contrat stratégique de la filière nucléaire.
Au-delà, un certain nombre de mesures vont dans le sens du renforcement de la filière nucléaire. Vous savez que, dans le cadre du plan de relance, nous soutenons financièrement un certain nombre d'entreprises et de chantiers, notamment celui des SMR. S'y ajoutent un fonds d'investissement pour accompagner les PME et les ETI de la filière, qu'EDF va abonder à hauteur de 100 millions d'euros, et un programme de renforcement et de modernisation des compétences via des appels à projet et des manifestations d'intérêt.
L'enjeu est de former plus de techniciens et de renforcer l'attractivité du secteur, laquelle était considérable dans les années 1970 : cette filière doit retrouver ses lettres de noblesse.
Enfin, pour ce qui concerne l'énergie nucléaire, la recherche et le développement font l'objet d'un soutien fort, à hauteur de 270 millions d'euros. Le soutien au projet de SMR s'inscrit dans ce cadre.
Notre objectif est donc clairement de renforcer la filière nucléaire en construisant à partir de nos atouts. Au-delà des projets d'EPR, nous défendons un ensemble de projets d'avenir ; c'est également ce dont nous discutons avec EDF, dans le cadre de sa stratégie !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, j'ai bien entendu les chiffres en tête et je me félicite que des centaines de millions d'euros soient fléchés vers la filière nucléaire. Comme vous, j'estime qu'il faut reconstruire notre souveraineté en se concentrant sur des secteurs clés de notre industrie. La filière nucléaire est l'un d'entre eux, ne l'oublions pas, d'autant qu'elle présente une dimension territoriale.
Je le répète : les acteurs concernés ont l'ambition de construire cette souveraineté dans les territoires. Les étudiants manifestent une véritable appétence pour la filière nucléaire. Or, aujourd'hui, le coup de frein infligé à la recherche pousse nos chercheurs les plus chevronnés à se tourner vers l'étranger. Espérons que nous n'aurons pas à le regretter dans quelques années !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. Voilà plusieurs années que nos entreprises sont confrontées à une série de cessions d'activités à des groupes étrangers qui débouchent rapidement sur la fermeture de sites.
M. le ministre Bruno Le Maire déclarait il y a peu que " la France entendait se montrer très vigilante quant à ces projets de rachats qui menacent la souveraineté européenne ".
Madame la ministre, permettez-moi de vous donner un exemple qui illustrera parfaitement mon propos et l'objet du débat de ce jour.
L'entreprise ariégeoise Aluminium Sabart, fleuron de l'industrie française pour la production d'aluminium de haute qualité, a été placée en liquidation judiciaire en 2016 avant d'être rachetée in extremis par le groupe chinois Jinjiang Industries Europe.
Ce groupe a ensuite repris l'usine de la SAM, installée en Aveyron, celle de FVM en Meurthe-et-Moselle et celle d'Alfisa en Espagne. En 2019, l'usine Gardner à Bélesta, également dans mon département, a clos cette série de rachats.
À l'en croire, le groupe Jinjiang suivait une véritable stratégie industrielle d'intégration verticale. Pourtant, très rapidement, les inquiétudes ont resurgi : le groupe chinois semble faire table rase de ses belles promesses. En effet, après la fermeture du site d'Alfisa, le placement en redressement judiciaire de la SAM et de la FVM, nous avons appris récemment des suppressions d'emplois au sein d'Aluminium Sabart. Le constat est sans appel : toutes les entreprises du groupe Jinjiang sont en grande difficulté !
Madame la ministre, dès lors, nos interrogations sont nombreuses. Comment expliquer ce désastre industriel ? Ne faut-il pas s'alarmer de l'accaparement d'un savoir-faire unique en Europe ? Au cours de la précédente mandature, le ministre du redressement productif avait mis en place une série d'outils, qui semblent encore tout à fait d'actualité. À ce titre, quelles sont les armes, tant d'anticipation que de contrôle, dont dispose l'État pour défendre les actifs stratégiques nationaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Michau, vous mentionnez la situation d'une entreprise sur laquelle vous avez d'ailleurs alerté notre cabinet. À cet égard, nous avons engagé un certain nombre de travaux.
Au total, neuf emplois de l'équipe de production sont menacés dans cette entreprise, faute d'une activité suffisante : le carnet de commandes est vingt fois inférieur à celui de 2017.
Comme vous le savez, la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises, en lien avec ma conseillère parlementaire Célia Agostini, a réuni les élus le 19 avril dernier. À la suite de cette rencontre, nous avons pris l'attache de la direction générale de l'armement (DGA) pour déterminer les moyens de poursuivre le travail.
Par ailleurs, le directeur de l'usine dit travailler à un projet avec Tarmac Aerosave à Tarbes, site de démontage et de recyclage d'avions. Les premiers retours dont nous disposons sont positifs.
En tout état de cause, l'enjeu, pour nous, est de trouver une solution industrielle pour ce site. Vous avez raison de mentionner la situation dans laquelle se trouve la fonderie SAM, elle aussi reprise par Jinjiang à la barre du tribunal. De tels rachats sont, par définition, des situations assez particulières : c'est au tribunal de commerce qu'il revient d'apprécier les différentes propositions de reprise et il se prononce en fonction de l'existant.
Quant au projet de cession d'Iveco, je précise qu'il a été abandonné. À ce jour, il n'y a donc pas de menace de rachat par un groupe chinois.
Notre système de filtration des investissements étrangers permet de fixer des conditions pour autoriser ou interdire des opérations de cette nature, mais il permet aussi de discuter en amont d'un certain nombre de projets. Je peux vous assurer que nous avons eu, à cet égard, des échanges assez nourris avec des acheteurs potentiels et avec la direction d'Iveco !
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Je ne peux que me réjouir de la tenue de ce débat, alors même que la souveraineté économique était, il y a encore peu, le pire des blasphèmes.
La souveraineté économique, c'est la capacité d'un État à maîtriser son destin économique en assurant son indépendance dans des secteurs stratégiques. C'est aussi une certaine idée de la protection des Français.
Pourtant, l'industrie du médicament, secteur éminemment stratégique, se porte mal en France. Il faut se le dire : notre pays n'est plus souverain en la matière !
Il y a trois ans déjà, l'excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Decool mettait en lumière les pénuries de médicaments et de vaccins. La crise sanitaire n'a fait que confirmer les conclusions de ce travail. Qu'il s'agisse de traitements lourds et durables ou de médicaments aussi quotidiens que le paracétamol, la France souffre régulièrement de pénuries.
À de multiples reprises, j'ai attiré l'attention du Gouvernement sur ce problème, en prenant comme exemple le cas d'UPSA, fleuron lot-et-garonnais qui continue à souffrir d'une politique déraisonnable du prix du médicament. Pourtant, cet acteur de premier plan a su se mettre au service de la France pour faire face à la pénurie de paracétamol.
Pour rester concurrentiels, les industriels français sont désormais contraints de se tourner vers l'étranger ! Les conséquences sont terribles : c'est malheureusement à Singapour, et non en France, que Sanofi annonce publiquement la construction d'une usine pour un total de 400 millions d'euros.
Madame la ministre, qu'en est-il de vos promesses ? Où en est le plan présenté le 18 juin 2020, visant à rapatrier les industries de santé stratégiques sur le territoire national dans les trois ans ? (MM. Bernard Fournier et Laurent Burgoa acquiescent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Madame la sénatrice Bonfanti-Dossat, je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler très précisément la politique que le Gouvernement déploie depuis plusieurs mois, et même plusieurs années, pour réimplanter des sites industriels.
Tout d'abord, en juin dernier, avant même d'évoquer la construction de son site de Singapour, Sanofi a annoncé la création d'une usine équivalente en France. Nous sommes les premiers à avoir eu le bénéfice de ces investissements, qui bénéficieront à l'ensemble du continent européen.
Il ne faut donc pas opposer ces deux investissements. L'investissement à Singapour vise à servir le marché asiatique. L'usine annoncée en juin dernier, qui représente 600 millions d'euros et 200 emplois, dans la région lyonnaise, sera dédiée à la fabrication de vaccins, dont ceux à ARN messager. Elle verra le jour en 2025 et, j'y insiste, ce site sera le premier à sortir de terre.
De surcroît, nous avons fait de la santé un secteur relevant de l'appel à projet Résilience. Dans ce cadre, nous accompagnons aujourd'hui 273 entreprises pour des relocalisations. La santé bénéficie en outre d'un dispositif particulier, dit " capacity building ", dans lequel nous avons investi 160 millions d'euros en juin dernier – il s'agit de l'annonce du 18 juin que vous mentionnez. Grâce à ce dispositif, quatre sites de production de vaccins sont déjà actifs ou vont commencer la production dans les prochaines semaines : Delpharm, Recipharm et deux sites de Fareva.
Au-delà, beaucoup d'autres sites participent aux chaînes de production de vaccins, de médicaments et de dispositifs médicaux dans le cadre de la lutte contre la covid. J'ajoute que 25 % des lauréats du plan Résilience appartiennent au secteur de la santé, qu'ils soient spécialisés dans les principes actifs ou dans les dispositifs médicaux.
Vous constatez donc que, depuis six mois, nous avons accéléré le mouvement, d'autant qu'un nouvel appel à projet de 300 millions d'euros est d'ores et déjà lancé pour continuer à relocaliser des sites de production en France !
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, les exemples de naufrages français sont nombreux, alors même que l'on peut, selon moi, y remédier facilement.
Après les promesses, il faudra des actes, car une promesse c'est comme une fonction : il faut l'honorer quoi qu'il en coûte !
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Le sujet que je vais aborder fera certes l'objet d'un débat spécifique ce soir même, mais il s'agit d'une composante essentielle de la souveraineté économique de la France : l'agriculture.
La France importe encore à ce jour 20% de son alimentation, dont 25% de la viande de porc, 34% de la volaille, 50 % des protéines végétales et des fruits. Si nous n'avons fort heureusement pas souffert de pénuries du fait de la crise sanitaire, l'épidémie n'en a pas moins révélé les faiblesses de l'industrie alimentaire française.
Ces considérations ont mené le ministre de l'agriculture et de l'alimentation à annoncer, en décembre 2020, une stratégie nationale pour le développement des protéines végétales. En outre, le budget du ministère consacre 1,7 milliard d'euros à la compétitivité de l'agriculture.
L'immense majorité de ce budget vise à augmenter les capacités de production agricoles. Il serait pourtant naïf de penser que ces crédits suffiront pour restaurer la souveraineté économique de la France en matière d'agriculture.
Un ensemble de facteurs doit être pris en compte et les investissements ne doivent pas tous être fléchés vers des machines permettant de meilleurs rendements ou l'augmentation des surfaces agricoles.
Le terrible épisode de gel que nous avons connu il y a quelques semaines en est d'ailleurs le parfait exemple : sans investissement dans la résilience de l'agriculture face au changement climatique, l'augmentation de la production est réduite à néant.
De même, sans éducation de la population – il faut expliquer pourquoi les prix de l'agriculture française peuvent être plus élevés tout en insistant sur les bienfaits d'une consommation locale –, nos efforts sont vains.
Il est également important d'appliquer de telles considérations à la commande publique, notamment afin que les collectivités territoriales se tournent davantage vers des solutions d'alimentation locales – je pense notamment aux écoles.
Enfin, j'insiste sur la nécessité d'investir dans la recherche et le développement. Au total, 20 millions d'euros du plan seront destinés à la recherche, mais ce n'est pas suffisant. Notre autonomie, notamment protéique, est un objectif pertinent, mais encore faut-il maîtriser toute la chaîne, car aujourd'hui la majorité de nos semences sont importées.
Madame la ministre, comment prévoit-on d'aider l'agriculture à s'adapter au changement climatique ? Comment comptez-vous inciter à la consommation française ? Allez-vous investir plus massivement dans la recherche pour que la souveraineté alimentaire française ne reste pas une pure utopie ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Pellevat, je rappelle tout d'abord que l'agriculture, ou plus exactement l'agroalimentaire – c'est en effet d'industrie que nous parlons –, figure parmi les six secteurs stratégiques des appels à projet Résilience. C'est même le deuxième secteur lauréat bénéficiant de ce soutien aux relocalisations.
Dans ce cadre, deux éléments stratégiques font l'objet d'une attention toute particulière : les protéines végétales et les protéines à base d'insectes destinées à l'élevage animal. Je pense notamment à des projets concrets comme Ynsect et InovaFeed. Ainsi, Ynsect va lancer son opération de recrutement le 6 mai prochain, en présence du ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
En parallèle, la recherche et le développement font l'objet d'une feuille de route dans le cadre du PIA, car le bien manger fait partie des enjeux clés d'innovation sur lesquels nous avons mis un coup de projecteur.
Tel est le travail que nous menons pour moderniser l'ensemble de l'industrie agroalimentaire, avec les guichets « industrie du futur » et les territoires d'industrie. Il est assez frappant de constater que beaucoup de projets déposés dans ce cadre relèvent du secteur agroalimentaire.
La prise en compte de ces enjeux va donc bien au-delà des montants que vous mentionnez. Je tiens à vous rassurer : aux initiatives du ministère de l'agriculture s'ajoutent l'ensemble des politiques menées, en complément, par le ministère de l'industrie et le volet du PIA, avec, à la clé, la création de 2 000 emplois pour l'ensemble des projets Résilience !
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Plus que jamais, la révolution du big data représente un péril pour la souveraineté de la France.
Tous les jours, les Gafam se livrent à un véritable pillage en exploitant massivement les données de millions de Français. Soumis à des lois extraterritoriales, ces géants du numérique sont désormais des entreprises systémiques, capables de concurrencer les États.
Comme l'expliquait déjà notre collègue Gérard Longuet dans son rapport d'octobre 2019, les Gafam menacent le monopole fiscal de la France. Avec une capitalisation boursière qui correspond à plus de deux fois celle du CAC 40, le chiffre d'affaires des Gafam est désormais comparable aux recettes fiscales françaises.
Réponse nécessaire, mais insuffisante, du Gouvernement, la taxe sur les services numériques instaurée en 2019 n'a répondu que partiellement au défi fiscal posé par les entreprises du numérique. Ces dernières continuent d'échapper largement à l'impôt.
Alors que plane au-dessus de notre économie le spectre des représailles américaines, la préservation de notre souveraineté économique implique une reprise rapide des négociations au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en vue d'instaurer un taux minimum mondial d'imposition, qui pourrait être fixé à 12,5 %.
Cela étant, la lutte pour la souveraineté numérique de la France ne se résume pas à l'harmonisation interétatique de la taxation des Gafam. Reprendre le contrôle de notre souveraineté numérique suppose aussi d'organiser le rapatriement des données de nos concitoyens et des entreprises françaises sur le territoire national. Aujourd'hui, 92 % des données occidentales sont hébergées aux États-Unis. Afin de garantir la sécurité économique de nos entreprises, il est primordial de sortir de cette situation de dépendance numérique en proposant des solutions d'hébergement sûres, réparties équitablement sur l'ensemble du territoire national.
Enfin, la France doit impérativement capitaliser sur l'expertise de ses ingénieurs en développant un modèle économique compétitif fondé sur les technologies digitales de pointe. C'est à cette unique condition que notre pays pourra sortir de sa position de colonisé numérique et créer des gisements de croissance grâce au levier du digital.
Quel plan le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour pallier le désarmement numérique de la France et atteindre l'indépendance technologique dont dépendent la sécurité et la souveraineté économiques de ses entreprises ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Madame la sénatrice Boulay-Espéronnier, j'ai déjà répondu assez largement aux interrogations quant à la situation de l'économie française face aux géants du numérique, qui – je le rappelle – ne sont pas seulement américains. Je vais donc reprendre les différents éléments sur lesquels j'ai déjà insisté, à commencer par la taxation des plateformes numériques, que les Français ont été les premiers à instaurer.
Ce faisant, nous avons engagé un mouvement à l'échelle européenne comme au sein de l'OCDE et dans un certain nombre d'États-nations, qui se sont engouffrés derrière la France pour élaborer leur propre législation.
S'ensuit, aujourd'hui, un autre mouvement au sein de l'administration américaine, à la faveur de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau Président, qui prend le sujet très au sérieux. Pour examiner les enjeux de concurrence soulevés par les plateformes numériques, il vient de nommer une personnalité extrêmement active, qui a étudié toutes les distorsions que ces plateformes induisent dans l'économie et dont le discours sur le sujet est assez offensif. Pour notre part, nous accompagnons ces démarches au niveau de l'Union européenne avec Margrethe Vestager.
Une taxation minimale est effectivement à l'étude. Je rappelle qu'au sein de l'OCDE l'on distingue deux piliers : la taxation de l'ensemble des entreprises, quelle que soit leur origine – c'est à cet égard que l'on défend le taux de 12,5 % – et la taxation spécifique aux plateformes numériques.
Pour sa part, la France prélève sur les plateformes numériques quelle que soit leur nationalité, y compris européenne. Nous espérons pouvoir nous rallier ensuite à un projet international : notre intention est de jouer un rôle d'aiguillon dans cette réflexion.
Vous évoquez la protection des données des Français et la limitation du pouvoir des plateformes. C'est tout l'enjeu du règlement général sur la protection des données (RGPD) et des deux directives que j'ai mentionnées, le DSA et le DMA.
Enfin, comme je l'ai indiqué, le projet de cloud souverain devrait connaître de nouveaux développements dans les prochains mois : le projet Gaïa-X vise précisément à créer les briques technologiques du cloud souverain européen !
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Malheureusement, comme souvent, il aura fallu une crise historique pour que, collectivement, nous nous rendions compte à quel point notre pays était devenu dépendant sanitairement, industriellement et, au total, économiquement d'autres grandes puissances.
Que n'ai-je pas entendu ces dernières années, ici même, dans cette assemblée, quand nous parlions de la désindustrialisation de nos territoires, de la défense de notre souveraineté, de la protection de nos entreprises, qui se faisaient racheter une par une ; quand nous défendions la branche énergie d'Alstom, Aéroports de Paris (ADP) ou encore Photonis, dont personne ne parlait ? Nous étions des conservateurs, des souverainistes qui n'avaient rien compris à la mondialisation, au commerce international ou aux règles du libre-échange !
Aujourd'hui, je souhaite tout simplement pour notre pays, et plus largement pour l'Europe, que nous fassions preuve de plus de réalisme et de pragmatisme.
Les Français, légitimement, comprennent de moins en moins notre naïveté face à des pays comme la Chine ou les États-Unis, qui utilisent toutes les armes économiques, douanières, fiscales ou monétaires pour se protéger et qui investissent massivement chez nous.
Nous pouvons le regretter, mais, depuis plusieurs années, tous les grands pays se referment et renforcent leur législation pour mieux protéger leurs entreprises des rachats par des investisseurs étrangers.
En France, depuis 2014, nous avons élargi le décret qui soumet certains investissements étrangers à l'autorisation du Gouvernement. Ces mesures, que vous avez encore améliorées, madame la ministre déléguée, ne suffisent pas, car nos groupes sont particulièrement vulnérables depuis la crise du covid.
Nous devons trouver un chemin étroit et difficile entre la protection de nos entreprises et une économie ouverte, attractive, dans laquelle plus de 2 millions d'emplois dépendent de groupes étrangers installés sur notre territoire.
Aussi, je souhaiterais que vous nous précisiez la politique que met en oeuvre le Gouvernement pour que la France protège plus efficacement ses entreprises, notamment au regard des pays qui observent des règles très strictes de contrôle des investissements étrangers.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Monsieur le sénateur Fournier, la doctrine de l'État en matière d'investissements étrangers en France (IEF) a évolué, sous l'impulsion du Président de la République et de Bruno Le Maire, qui ont renforcé les outils juridiques en matière d'IEF, et veillé à ce que leur application soit plus stricte et mobilise l'ensemble des leviers à notre disposition. Je m'y suis également employée.
Cette démarche a aussi inspiré la doctrine de filtration des investissements en Europe, dont on peut penser qu'elle pourrait aller plus loin, mais qui, à tout le moins, nous permet d'échanger des données, comme nous avons pu le faire avec l'Italie, sur le dossier Iveco.
Cela emporte des conséquences concrètes : Photonis est un investissement qui a été bloqué ; s'agissant de General Electric, Bruno Le Maire a annoncé travailler à une solution souveraine sur la partie Arabelle ; en ce qui concerne Liberty, c'est précisément parce que les conditions relatives aux investissements étrangers en France sont très fortes que nous avons pu obtenir un certain nombre de mouvements et préserver l'actif Ascoval et Hayange à date.
Sur ce dernier dossier, la recherche de repreneurs est très bien engagée, un certain nombre d'industriels, présentant un passé industriel, sont intéressés. La transformation d'Ascoval que nous avons menée durant ces deux dernières années porte ses fruits, puisque, aujourd'hui, l'actif est beaucoup plus désirable et les savoir-faire sont beaucoup mieux reconnus.
En 2020, nous avons suivi 275 opérations de contrôle sur les IEF, ce qui montre l'efficacité du dispositif, et nous sommes prêts à aller plus loin.
(source http://www.senat.fr, le 19 mai 2021)