Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec BFM Business le 7 juin 2021, sur l'investissement étranger en France.

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  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Média : BFM Business

Texte intégral

Q- Bonjour, Monsieur le Ministre,

R - Bonjour.

Q - Ministre délégué en charge du commerce extérieur et de l'attractivité. C'est de cela dont nous allons parler, Franck Riester, parce que les chiffres qui sont tombés ce matin sont bons. C'est le cabinet Ernst & Young dont les chiffres sont toujours très attendus qui nous le dit : contre vents et marées, la France est restée en 2020 le pays le plus attractif d'Europe. L'an dernier, la France est restée en tête avec 985 projets, quand même une baisse de 18% qui a été moins marquée, ailleurs, je crois, UK : -12% ; Allemagne : -4%. Comment les regardez-vous ces chiffres, globalement ?

R - C'est d'abord une grande satisfaction de voir que la France est encore en haut du classement des pays européens, en termes d'attractivité, c'est-à-dire en termes de projets d'investissements étrangers sur son sol ; près de mille projets alors qu'on a eu la crise COVID. On partait de très haut en 2019, d'où la baisse peut-être plus importante que dans d'autres pays, mais on reste devant. Ce qui démontre bien que le travail de fond paie, et que la transformation du pays opérée depuis maintenant 2017, les mesures de protection de notre économie et le plan de relance contribuent à ce que les investisseurs continuent de choisir la France.

De plus, nous avons des investisseurs qui investissent beaucoup dans l'industrie ; on est premier, et loin devant, en termes d'industrie. Des investisseurs qui investissent partout en France ; et pour nous, c'est très important. 40% des projets sont dans des communes de moins de 20.000 habitants. Ce n'est donc pas un développement et un investissement que dans les grandes métropoles, c'est partout sur le territoire. Et c'est très créateur d'emplois puisque nous sommes là aussi, très largement devant en termes d'emplois : 30.000 emplois créés par la France, grâce à ces projets-là.

On voit donc bien que la politique qui vise à améliorer la compétitivité de notre pays, à attirer les meilleurs, les talents, à investir dans l'avenir, dans les technologies d'avenir, est perçue positivement par les investisseurs ; 60% des projets sont issus d'investisseurs qui sont déjà en France et qui continuent de choisir la France. Donc, ils se sentent bien en France et c'est évidemment une grande satisfaction.

Q - Les chiffres sont bons, on reste en tête. Je vais me faire l'avocat du diable, je disais -18% de projets quand même en France, -12% en UK, -4% en Allemagne, aussi parce que nous avons pâti de report ou d'abandon de projets, dans des secteurs sur lesquels la France est très forte : l'aéronautique, l'automobile et l'industrie de services. Est-ce cela qui a joué en notre défaveur, quelque part ?

R - Oui, je pense vraiment que nous étions très haut en 2019, très largement devant. Donc, évidemment, quand on part de très haut, on peut descendre un peu plus vite mais on reste quand même en haut ; c'est le premier point. Le second point, c'est vrai qu'il y a un certain nombre d'investissements dans les secteurs que vous citez qui ont été un peu reportés ou décalés, parce que ce sont des secteurs qui sont particulièrement touchés par la crise, notamment l'aéronautique.

Pour autant, je crois vraiment que ce qu'il faut retenir, c'est premièrement la première place, deuxièmement la diversité des projets et notamment des projets industriels. On a souvent dit, ce qui était une réalité, que la France n'était pas suffisamment compétitive en matière industrielle, d'où la désindustrialisation du pays. La stratégie du Président de la République, qui est de miser sur la compétitivité du pays, pour créer la richesse en France, créer des emplois en France, et ensuite se déployer à l'international, est la bonne.

Q - Un mot sur le plan de soutien. Les investisseurs le disent, ils avaient prévenu qu'ils regarderaient au cas par cas l'ampleur des plans de soutien dans les différents pays. Effectivement, c'est qu'il y a une aide massive, bien plus marquée en France que dans d'autres pays et que cela aussi a joué. Effectivement, c'est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c'est que la fin du "quoi qu'il en coûte" arrive, que se passera-t-il derrière, quand on commence à débrancher les perfusions, finalement ?

R - D'abord, effectivement, cela a été très bien perçu et très utile. On a très peu de défaillances en 2020, on a maintenu nos talents, c'est-à-dire les salariés des entreprises dans les entreprises pour qu'ensuite ils puissent tout de suite repartir fort, et c'est ce que l'on constate depuis quelques semaines maintenant, en 2021, avec un rebond très fort de l'économie comme l'a rappelé Bruno Le Maire. Nous souhaitons vraiment pouvoir passer progressivement dans un dispositif normal. On ne veut pas tout couper d'un seul coup, parce qu'il faut que l'on continue à accompagner, et surtout que l'on ne casse pas tous les efforts que nous avons faits en 2020 et depuis le début de la crise, un soutien massif, rapide à l'économie, ce qui serait vraiment, pour le coup une mauvaise décision, parce que cela ne nous permettrait pas de profiter du rebond qu'on souhaite.

Mesures d'urgence massives et rapides, plan de relance ambitieux, misant sur l'investissement et les talents, et transformation du pays depuis 2017. Quand je discute avec des investisseurs étrangers, ils me disent : sur la fiscalité, c'est vrai que la France était très en retard ; vous avez fait beaucoup, la suppression de l'ISF sur la partie valeurs immobilières, la baisse de la fiscalité des revenus du capital avec la flat tax à 30%, la baisse de l'impôt sur les sociétés, on sera à 25% en 2022.

Q - Dans la norme européenne.

R - En effet, nous étions à 33% en 2017. Et aussi la baisse des impôts de production : 10 milliards en 2021, 10 milliards en 2022. Quand on prend industrie par industrie, cela se voit, c'est très net, ce que cela leur apporte en termes de souplesse budgétaire pour pouvoir investir. Combien d'entreprises me disent "grâce à cette baisse d'impôts de production, on va investir dans l'outil productif", eh bien, elles sont nombreuses.

Q - Ils saluent tout cela les investisseurs. Les réformes, vous en avez parlé, la réforme de la fiscalité, l'IS, la baisse des impôts de production, mais on a l'impression que les investisseurs disent : il va nous en falloir plus, il va falloir continuer à nous raconter une histoire. Accélérer aussi sur les réformes, eux-mêmes le disent, que ce soit les retraites, l'assurance chômage...

R - On ne raconte pas d'histoires.

Q - Non, je veux dire : histoire pour nous attirer.

R - Oui, je comprends bien.

Q - Ce n'est pas péjoratif.

R - J'ai bien compris ; mais je veux dire : le Président de la République s'est engagé et il tient ses engagements. Et bien évidemment la volonté, c'est de continuer de transformer. C'est pour cela que l'on veut au 1er juillet mettre en oeuvre la réforme de l'assurance chômage. C'est pour cela que l'on transforme l'organisation de la fonction publique et notamment des cadres dirigeants de la fonction publique avec tout le dispositif de suppression de l'ENA, la transformation de l'ENA dans un dispositif qui permettra davantage la mobilité au sein de la haute administration française pour davantage d'évolution au mérite plus que le fruit d'un examen à 25 ans, même si cet examen est important, et on continuera évidemment d'avoir des examens pour entrer dans la haute fonction publique, mais on a besoin de plus s'appuyer sur les résultats dans la haute fonction publique. C'est pour cela qu'on souhaite réformer le système de retraite pour garantir sa pérennité dans le temps. Et parce que l'on a objectivement globalement de davantage de travail en France pour relever le défi de cette relance et de ce rebond auquel on veut prendre toute notre part.

Q - Il y a des attentes des investisseurs sur la fiscalité encore, sur les réformes. Est-ce que l'imminence de l'élection présidentielle est un sujet pour les investisseurs, aujourd'hui ? On est à un an maintenant des élections présidentielles, à peine. La question peut se poser, des investisseurs : qui sera président, l'an prochain ? Est-ce que la France restera aussi pro-business, dans les prochaines années, qu'elle l'a été, ces dernières années, finalement ? Est-ce que c'est un souci pour les investisseurs ? Est-ce qu'on vous en parle régulièrement ?

R - Ecoutez, non, on ne m'en a pas parlé récemment.

Q - Vous reconnaissez que c'est un sujet ?

R - Oui, on est dans une démocratie, il y a des échéances, à chacun de se prononcer en fonction de ce qu'il croit bon. Nous souhaitons évidemment que la transformation continue. En tout cas, jusqu'aux élections présidentielles, les réformes vont continuer au service de la compétitivité de notre pays, au service de son attractivité.

Ce que me disent les investisseurs, c'est certain, c'est qu'au moins les engagements ont été tenus, et ont été tenus dans le temps. Vous savez, il y a une pression politique très forte, par exemple sur la suppression de l'ISF, en disant : écoutez, ce n'est pas possible, c'est l'impôt des riches etc... Eh bien, les chefs d'entreprise et les investisseurs ont apprécié que le Président de la République ne lâche pas, tienne ses engagements, tienne sa réforme, malgré la pression politique de certains, parce que c'est une bonne mesure ; parce que c'est comme cela qu'on va réussir à avoir en France le capital sur le temps long qui nous manquait jusqu'alors. C'est comme ça qu'on aura les PME et ETI familiales, sur le temps long, qui nous manquent, par rapport aux Italiens, par exemple, ou par rapport aux Allemands. Et donc, le fait de tenir ses engagements et de les tenir dans le temps long, ça, c'est de nature à rassurer les investisseurs.

Après, l'échéance de 2022, croyez que je serai un des premiers défenseurs de la pérennité après 2022 de cette transformation du pays en profondeur. On a encore beaucoup de choses à faire. Mais enfin, déjà, ce qui a été fait nous permet aujourd'hui, depuis deux ans de suite, d'être au top en termes d'attractivité en Europe, devant le Royaume-Uni, devant l'Allemagne, ce qui est évidemment inédit.

Q - Il nous reste un minute, Monsieur le Ministre, une question - alors ça, c'est un sujet cher au Président de la République - sur la relocalisation d'activités. On a une majorité des investisseurs qui disent oui, j'envisage, je réfléchis à la possibilité de relocaliser en France notamment des activités, mais 18% seulement qui disent : "je suis a priori certain que je vais le faire". Voilà.

R - C'est déjà 18% qui disent qu'ils sont certains, et puis les autres, il faut y travailler avec eux. On n'a pas de règles, on n'a pas de dogme. Il ne s'agit pas de dire : on remet toutes les chaines de valeur en France, on relocalise tout. Parce que cela n'aurait pas de sens. Une partie des localisations ont du sens, parce que c'est intéressant en termes de complémentarité dans la chaîne de valeurs, parce que c'est la seule façon de toucher les marchés dans lesquels nous sommes. En revanche, ces délocalisations qui ont eu lieu, il y a un certain nombre d'années, qui étaient de mauvaises délocalisations, parce que les entreprises se délocalisaient alors même que ce n'était pas pour spécialement exporter dans le pays dans lequel elles se localisaient. Elles l'ont fait parce que la compétitivité du pays n'était pas suffisante.

Maintenant que la compétitivité est bien meilleure, maintenant que des investisseurs étrangers disent "nous, on choisit la France, parce que c'est là où il faut être", il faut convaincre ces entreprises de relocaliser en France, parce que cela permet d'être plus indépendant d'un certain nombre de pays.

Q - C'est l'un des héritages de la crise, au passage...

R - Exactement. Et puis deuxièmement, il faut une réflexion de colocalisation différente. Pourquoi aller toujours localiser des parties de chaîne de valeurs en Asie, alors que nous avons, de l'autre côté de la Méditerranée, en Afrique, des pays qui pourraient absolument convenir en termes de colocalisation. Je suis allé au Maroc, il y a quelques mois, où on essaie de voir de quelle manière on peut travailler intelligemment ensemble encore davantage, je reviens d'un voyage en Côte d'Ivoire et au Sénégal, où là aussi il y a un potentiel pour qu'en relocalisant nos chaînes de valeurs, on en colocalise une partie dans ces pays-là, qui sont plus proches de nous, et qui ont un potentiel économique très important.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2021