Texte intégral
Merci beaucoup, Peter, de m'accueillir avec ma délégation.
Je dois dire qu'il était temps que je vienne, parce que cela fait vingt ans qu'un ministre des affaires étrangères français ne s'est pas déplacé ici. Je n'avais pas mesuré, avant de venir, qu'il y avait tant de temps passé. C'était un moment fort, un moment particulier pour notre relation, que je sois, ce soir, à Budapest. Cela intervient quelques semaines avant que la France ne préside l'Union européenne, puisque nous aurons cette responsabilité à partir du mois de janvier. C'est une échéance majeure à laquelle nous devons nous préparer, dès aujourd'hui. J'ai pu échanger, nous allons continuer tout à l'heure avec Peter, sur les principaux dossiers qui seront à l'ordre du jour de cette présidence française, que ce soit le numérique, le climat, l'Europe de la défense, la capacité de l'Union européenne à peser au plan international, en particulier en Afrique ou dans l'Indopacifique, et nous avons aussi échangé sur les sujets sur lesquels nous ne sommes pas d'accord. Parce que c'est important, quand on est en confiance, d'échanger sur les sujets où nous avons des désaccords. Nous l'avons fait de manière claire et constructive avec Peter, sur la question de l'Etat de droit, sur les fondamentaux de l'Union européenne, parce que nous sommes convaincus que le traité de l'Union européenne n'est pas un traité comme les autres - c'est une charte commune, avec des valeurs communes - et nous avons discuté sur la mise en oeuvre de ces valeurs et ce qui fait débat entre nous, je crois, avec beaucoup de sincérité et clarté de part et d'autre, et c'est comme cela qu'on avance. Je voudrais te remercier de la qualité de l'échange que nous avons pu avoir, chacun s'expliquant sur ses positions, mais avec la volonté d'éclairer le jugement de l'autre.
Je voudrais vous dire que par ailleurs, nous nous réjouissons des accords que nous avons, y compris sur certains concepts, je pense en particulier à l'autonomie stratégique de l'Europe. C'est un mot qui, il y a encore quelques années, était rejeté, et qui maintenant de plus en plus devient partagé. Nous avons l'un et l'autre, je crois, une approche commune sur la déclinaison de ce concept qui se traduit, en particulier, par la volonté d'assurer notre sécurité dans l'Alliance, mais avoir un pays européen qui soit consistant, parce que les intérêts sécuritaires et les intérêts fondamentaux des Européens sont spécifiques. La géographie l'impose. Le fait que vous ayez proposé de rejoindre la force Takuba au Sahel est tout à fait important, c'est un acte fort que nous apprécions en tant que tel, parce que le Sahel fait partie de notre frontière sud, et nous devons assurer là aussi la lutte contre le terrorisme. Tu as rappelé que nous étions dans une période particulière, puisque que nous sommes le 10 septembre, la veille du 11 septembre, des vingt ans de l'attaque des Twin Towers. Par ailleurs, c'était avant-hier que s'ouvrait à Paris le procès de ceux qui ont commis les actes de terrorisme au mois de novembre 2015. Ce procès va durer longtemps, mais nous sommes au milieu de ce débat sur le terrorisme. Il importe que l'Europe acquière sa propre capacité d'action, de prévention et de sécurité sur ces sujets, ce qui d'ailleurs se traduit par une très bonne collaboration que nous avons dans le domaine des industries de défense, tu l'as évoqué. Tu as évoqué le fait que nous ayons un partenariat dans les hélicoptères, qui est un sujet important, y compris la volonté d'Airbus de s'installer en Hongrie, le fait qu'un simulateur d'hélicoptères soit mis en place, cela fait partie de la même logique.
Enfin, nous sommes en phase ensemble, à la fois sur les enjeux énergétiques, sur la coopération en matière nucléaire, sur la bonne définition du futur mix énergétique que l'Union européenne doit adopter. Nous sommes aussi en phase sur la nécessité pour l'Union européenne d'avoir l'autonomie stratégique dans ce que j'appelle "les espaces contestés", c'est-à-dire la cybersécurité, le maritime et le spatial. Et sur le spatial, je crois que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. Déjà, des actions communes sont en cours, mais il nous faut agir pour que l'autonomie stratégique européenne passe aussi par l'autonomie stratégique dans le spatial, que nous ne soyons pas dépendants des uns ou des autres pour assurer notre maîtrise propre de nos intérêts dans l'espace.
Enfin, tu as rappelé que la France est le quatrième investisseur en Hongrie, 45.000 emplois dépendent d'entreprises françaises. Je crois que la coopération est bonne et nous allons poursuivre nos discussions ce soir pour faire en sorte qu'elle se renforce.
Au-delà de cela, nous avons aussi évoqué la situation internationale, la crise en Afghanistan, la situation en Indopacifique, j'en ai parlé, et puis aussi le partage en commun de la nécessité d'un réveil stratégique de l'Union européenne qui pourra peut-être émerger au moment de l'adoption de ce qu'on appelle la boussole stratégique qui se fera sous présidence française. Boussole stratégique, qui d'une certaine manière est une forme de Livre blanc de la sécurité et de la défense européennes, pour définir nos intérêts collectifs et les moyens de les défendre et d'assurer notre propre sécurité. Voilà un enjeu qui est sur notre établi, aux uns et aux autres, et un enjeu sur lequel la France essaiera de faire des propositions pour aboutir à un accord général des Vingt-Sept sur ce sujet central.
En tout cas, merci de cet accueil. Ravi d'être là. Merci de la clarté et de la franchise de nos échanges.
[Question sur l'Afghanistan, l'Etat de droit et le Liban]
Sur la question des migrations suite à l'évolution de la situation en Afghanistan, je pense que nous avons d'abord deux devoirs. Celui de secourir et d'évacuer les personnels afghans qui nous ont aidé dans nos actions en Afghanistan, que ce soit les actions militaires ou les actions civiles - personnels qui peuvent être mis en dangers et qui sont menacés par les nouvelles autorités talibanes. Et nous avons, par ailleurs, un devoir collectif d'accueil des Afghanes et des Afghans, qui par leur engagement pour le droit, pour la liberté, pour les droits humains, pour les droits des femmes et des filles, pour l'éducation, bref, des activistes qui ont été pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, dans cette défense-là, nous avons, je crois, un devoir moral de les accueillir s'ils le souhaitent. C'est ce à quoi, je pense, nous nous employons d'une manière ou d'une autre. Sinon, le droit d'asile n'a plus beaucoup de sens.
Par ailleurs, on peut imaginer que l'arrivée de ce pouvoir de fait des Taliban peut entraîner des mouvements migratoires, des flux de population. C'est déjà arrivé dans le passé. Je pense que nous sommes dans une situation totalement différente de celle de 2015, dans la mesure où dans le passé, et même récemment, ces flux de population étaient surtout orientés vers l'environnement immédiat, que ce soit l'Iran, la Turquie, le Pakistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et le Kirghizstan. Pour l'instant, ces flux ne se sont pas manifestés. Il nous paraît essentiel dans l'immédiat de nous organiser au niveau international pour que le Haut-commissariat aux réfugiés soit en mesure d'anticiper les situations et d'apporter les soutiens nécessaires à ces flux de population qui pourraient éventuellement bouger, pour ne pas être dominés par les mouvements, mais éventuellement être en situation immédiatement de pouvoir les protéger, les secourir ; et c'est le sens de la réunion qui se tiendra, lundi, au niveau des Nations unies pour mobiliser les financements permettant aux réfugiés potentiels d'être secourus. Voilà où nous en sommes à cet instant.
Puisque j'ai dit tout à l'heure que nous avons abordé les points de désaccord et que l'un de nos interlocuteurs dans la salle souhaitait savoir comment s'était passé le tête-à-tête, mais si c'est un tête-à-tête, c'est un tête-à-tête, autrement on le fait publiquement, si on se parle entre nous deux, c'est entre nous deux. Mais on s'est dit les choses très clairement, c'est cela l'avantage, que nous nous étions jamais dites, en fait. C'est pour cela que ça a été long et que nous avons pu échanger positivement. La question migratoire reste une question sur laquelle il faut que l'on continue à travailler ensemble. Y compris parce que c'est un enjeu essentiel pour l'Union européenne et que le statu quo n'est pas possible. Et donc, nous avons convenu de poursuivre nos discussions sur le sujet dans un état d'esprit que je trouvais positif, et la crise afghane nous oblige encore plus à agir rapidement.
Je voulais rappeler aussi, puisqu'on parle de l'Afghanistan, rappeler que dans certaines de leurs déclarations, les autorités talibanes, c'était avant la composition du gouvernement - depuis, je ne suis pas sûr qu'il y ait de nouvelles déclarations mais il serait utile qu'elles puissent avoir lieu - ont annoncé qu'elles voulaient respecter la libre circulation et la libre sortie sans entrave. Mais pour l'instant, les faits ne sont pas là. Les actes ne sont pas posés. Donc, il ne suffit pas que les Taliban parlent, encore faut-il qu'il y ait des actes concrets qui se manifestent. C'est dans les jours qui viennent que l'on pourra vérifier, ou pas, si les propos tenus sont des propos de circonstance ou sont des actes concrets posés, y compris dans la liberté d'accès de l'aide humanitaire en Afghanistan même de la part des autorités nouvellement installées par la force. Le Haut-commissaire aux réfugiés a annoncé qu'il y avait des flux internes à l'Afghanistan qui allaient toucher près d'un demi-million de personnes qu'il fallait secourir.
Sur la question posée par le journaliste de Reuters sur les échanges, ensemble, sur l'Etat de droit, j'en ai évoqué quelques points dans mon discours introductif et nous avons échangé de manière forte sur le sujet.
Sur le Liban, oui, un gouvernement est en train d'être formé, sous la responsabilité du Premier ministre, M. Mikati. C'est une bonne chose parce que ce pays attendait un gouvernement depuis un an, même plus d'un an. Il importe non seulement que ce gouvernement soit formé, mais qu'il se mette au travail. L'urgence, c'est l'amélioration des conditions de vie des Libanais, qui se sont profondément dégradées. L'urgence, c'est la mise en oeuvre rapide des réformes que tout le monde attend depuis plusieurs années, singulièrement depuis deux ans. L'urgence, c'est la reprise des discussions avec le Fonds monétaire international qui est l'étape nécessaire pour que le Liban retrouve la confiance de la communauté internationale. La nécessité, c'est aussi de respecter le calendrier prévu pour les échéances électorales de 2022. Voilà un ensemble de propos que nous tenons, que la France tient depuis déjà plusieurs mois, que le Président de la République Emmanuel Macron, avait rappelés aux Libanais lors de son déplacement le 1er septembre dernier. Nous constatons qu'enfin, il y a un gouvernement. Nous souhaitons qu'il puisse maintenant se mettre au travail dans les meilleurs délais pour prendre des mesures de redressement indispensables pour la population libanaise et aussi pour que la confiance revienne au niveau de la communauté internationale à l'égard des responsables de ce beau pays auquel la France est très attachée.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2021