Interview de M. Olivier Dussopt, ministre des comptes publics, à BFM Business le 19 octobre 2021, sur l'augmentation des prix de l'énergie, l'énergie nucléaire, le plan d'investissement et les règles budgétaires au sein de l'Union européenne.

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Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est le ministre du Budget, Olivier DUSSOPT, qui est avec moi ce matin. Bonjour.

OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Un ministre sous pression. Est-ce que vous avez une cagnotte, Olivier DUSSOPT…

OLIVIER DUSSOPT
J'aimerais bien…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Parce que, effectivement, les prix de l'énergie flambent, et comme une partie des recettes fiscales, notamment la TVA, forcément, est corrélée à la hausse des prix de l'énergie. Est-ce que vous avez une cagnotte ?

OLIVIER DUSSOPT
J'aimerais bien, mais il n'y en a pas. Il n'y en a pas, parce que, d'abord, nous sommes en pleine discussion budgétaire avec un déficit pour 2021 qui sera supérieur à 8%, et un déficit pour 2022 qui sera proche de 5 %. Quand on est avec de tels déficits, il n'y a pas de cagnotte, et surtout, en matière d'énergie, il ne faut pas oublier que l'Etat achète lui-même de l'énergie et qu'il subit la hausse des cours. Et par ailleurs, ce que nous pouvons gagner en TVA du fait de l'augmentation de l'énergie, nous l'avons déjà plus que rendu aux Français.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Par exemple, en matière d'électricité, un calcul sur un coin de table, 2,5 milliards d'euros de recettes fiscales en plus pour vous, grâce à la hausse des prix de l'électricité…

OLIVIER DUSSOPT
Et un bouclier tarifaire annoncé par le Premier ministre que j'ai fait voter à l'Assemblée nationale cette semaine, qui coûte 5 milliards d'euros…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire que le plafonnement des prix d'EDF en février…

OLIVIER DUSSOPT
Ce que nous faisons pour protéger les Français coûte plus que ce que ça rapporte en fiscalité. Donc deuxième raison pour qu'il n'y ait pas de cagnotte.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et alors, sur le pétrole, là aussi, recettes de TVA en plus, qu'est-ce que vous allez en faire de ces recettes de TVA en plus ?

OLIVIER DUSSOPT
Nous travaillons actuellement – chacun le sait – pour trouver les meilleures façons de protéger les Français de l'augmentation très forte des prix de l'essence et du gasoil à la pompe…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Avec un chèque ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est une piste qui est évoquée, qui est travaillée, c'est une mesure qui sera, de toute manière, à la fois complexe et coûteuse. Il faut prendre des mesures pour protéger les Français, mais nous essayons de trouver la réponse la plus efficace, la mieux ciblée, notamment sur celles et ceux qui ont besoin de leur voiture tous les jours, vous savez, je suis ardéchois, élu en Ardèche, il y a des territoires, comme le mien, dans lesquels, sans voiture, vous ne pouvez pas vous déplacer. Et donc ce sont ces gens-là qui subissent en premiers la hausse du prix de l'essence.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ce sont d'ailleurs les gilets jaunes, une partie d'entre eux…

OLIVIER DUSSOPT
Une partie d'entre eux…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Justement, est-ce que ce chèque énergie, il existe déjà, est-ce qu'il faut simplement l'augmenter ou est-ce qu'il faut viser d'autres populations ?

OLIVIER DUSSOPT
Vous avez raison de rappeler l'existence du chèque énergie, c'est notre gouvernement qui l'a créé en 2018…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
100 euros.

OLIVIER DUSSOPT
C'est 100 euros de plus, il faut avoir en tête que les bénéficiaires du chèque énergie ont perçu en moyenne 150 euros au mois de mars, qu'ils auront à nouveau 150 euros environ au mois de mars 2022. Et Jean CASTEX a annoncé un chèque énergie exceptionnel de 100 euros, il y a quelques semaines, pour 5.800.000 ménages, ce sont les ménages les plus fragiles, nous pourrions effectivement les accompagner et les aider plus, mais l'objectif que nous avons est d'aider celles et ceux qui ne sont pas éligibles aujourd'hui au chèque énergie, parce qu'ils sont en activité, parce qu'ils ont des salaires, entre un et deux SMIC et qu'ils connaissent subissent, la hausse du prix du carburant. Et donc ça nécessite de travailler sur d'autres fichiers, d'où la complexité.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc ça veut dire que le nouveau chèque énergie concernera plus que 5,8 millions de Français ?

OLIVIER DUSSOPT
Si nous voulons aider celles et ceux qui sont en activité et qui gagnent jusqu'à deux SMIC par exemple, ça nécessite d'aller plus loin que 5.800.000 Français…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça fait combien de Français qui gagnent plus de deux SMIC ?

OLIVIER DUSSOPT
Si on regarde, ça dépend, c'est souvent des matières complexes, si on regarde uniquement les salaires, nous savons qu'il y a entre 20 et 21 millions de salariés en France qui gagnent moins de deux SMIC, si on regarde à l'échelle du foyer fiscal, souvent, les aides sont attribuées en fonction du foyer, on est sur des montants et des chiffres un peu différents, mais tout ça est en cours de calculs, cela fait partie des pistes, cela fait partie des hypothèses, il ne faut rien fermer, nous l'avons dit et répété, à plusieurs reprises, aucune piste n'est exclue, mais pour le moment, nous travaillons, le Premier ministre, le président de la République auront l'occasion de préciser tout cela.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais dites-moi, ça va coûter beaucoup d'argent, parce que c'est combien le chèque énergie aujourd'hui, c'est 2 milliards, c'est ça ?

OLIVIER DUSSOPT
Le chèque énergie, sur la partie exceptionnelle, c'est-à-dire la centaine d'euros annoncée, les 100 euros annoncés par le Premier ministre, cela concerne 5.800.000 foyers, donc c'est environ 600 millions d'euros. Si nous allons sur 15 millions de foyers…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça fera 2 milliards…

OLIVIER DUSSOPT
C'est 1,5 milliard. Parce que, il suffit de multiplier, si je puis dire, c'est beaucoup d'argent, et vous avez raison de le souligner, parce que nous sommes aussi dans une équation budgétaire qui n'est pas simple, c'est mon rôle de le rappeler, de rappeler que même le ciel a des limites, et c'est un athée qui le dit sur votre plateau ce matin ; nous devons aussi avoir ce souci des finances publiques en tête.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous oubliez les entreprises, parce que, en matière de hausse des prix, de l'énergie et du pétrole, c'est la même chose…

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez, le dispositif sur l'électricité, il concerne mes collègues, Barbara POMPILI et Agnès PANNIER ont ouvert un cycle de concertations avec les industries qui consomment beaucoup de gaz, mais dire qu'on oublie les entreprises alors qu'on est dans une période marquée par le quoi qu'il en coûte, marquée par des aides, je les rappelle, 35 milliards d'euros sur le fonds de solidarité, 32 sur l'activité partielle, les prêts garantis par l'Etat pour 140 milliards d'euros, et évidemment, le plan de relance ; je pense que c'est un peu rapide comme formule.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Non, mais c'était par rapport à l'énergie, on avait ce matin sur notre plateau Nicolas de WARREN, le président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie, il représente les industries qui consomment à elles seules 70% de l'électricité industrielle en France. Il nous disait que plein d'usines se sont arrêtées, dans l'ammonium, l'engrais, le zinc, la chimie du plastique, parce que l'explosion, l'envolée des coûts du gaz et de l'électricité ne permet plus de faire tourner les machines en étant rentable…

OLIVIER DUSSOPT
On est face à des situations de marché qui sont compliquées, et quand un tel représentant des industries le dit, il dit aussi, j'imagine que c'est une augmentation des cours qui est une augmentation mondiale, ça n'est pas français, ça n'est même pas européen…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est vrai, les usines, elles sont arrêtées en Europe d'ailleurs…

OLIVIER DUSSOPT
C'est absolument mondial, ce sont souvent des industriels qui peuvent bénéficier d'une dérégulation totale du marché de l'énergie, et qui peuvent donc choisir leur fournisseur parmi un panel assez large, et ça démontre que ça ne les protège pas suffisamment de telles augmentation des cours, on a tous l'objectif, en tout cas l'espoir que les cours se régularisent, mais c'est une situation qui est compliquée aujourd'hui.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et d'ailleurs, ils réclament que EDF leur vende davantage d'électricité au prix coûtant, au prix du nucléaire, pour simplifier, au fameux 42 euros, est-ce qu'on pourra augmenter ce quota ?

OLIVIER DUSSOPT
Ça fait partie des choses que l'on peut regarder, mais ne faisons pas les choses dans le désordre, il y a un travail qui est mené, un travail interministériel, et chaque décision, notamment du fait de leur complexité, du fait de leur coût aussi, chaque mission doit être pesée et annoncée dans un cadre interministériel.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous pensez, Olivier DUSSOPT, que cette flambée des prix de l'énergie, c'est une raison supplémentaire de continuer à faire de l'électricité nucléaire en France, une raison supplémentaire de lancer la construction de 6 EPR ?

OLIVIER DUSSOPT
Oui, et mille fois oui, pour plusieurs raisons, d'abord, parce que ça nous permet d'être souverains et d'avoir notre propre production d'énergie sans dépendre uniquement des cours mondiaux et d'approvisionnements mondiaux comme aujourd'hui, parce que ça permet aussi, le nucléaire, allié évidemment avec la montée en puissance des énergies renouvelables, de sortir de l'économie de l'énergie fossile, et donc si nous voulons sortir de l'énergie fossile, si nous voulons sortir de l'ère du pétrole, il faut qu'on puisse à la fois produire beaucoup plus d'énergies renouvelables, mais en attendant d'avoir suffisamment d'énergies renouvelables, nous avons un besoin impératif du nucléaire, et je suis très heureux que l'essentiel de la classe politique se rassemble sur cet objectif aujourd'hui.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça veut dire que dans quelques semaines, on va avoir l'annonce officielle du lancement de 6 nouveaux EPR ?

OLIVIER DUSSOPT
Le président de la République a dit quels sont les contours du plan d'investissement pour l'économie en 2030, il a…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pas parlé des EPR, il a parlé des mini-réacteurs…

OLIVIER DUSSOPT
Il a parlé des mini-réacteurs, parce que, à chaque époque, il y a une technologie, il y a une recherche d'efficacité, il y a aussi la volonté de réduire un maximum les risques et les nuisances.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et donc pas forcément des EPR ?

OLIVIER DUSSOPT
Laissez le président de la République aller au bout de sa réflexion, laissez-nous travailler sur ce programme d'investissements pour qu'on puisse à la fois le traduire dans les documents budgétaires en cours d'examen et avoir les solutions les plus efficaces.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que c'est à cause de vous et de Bruno LE MAIRE qu'on n'a pas eu finalement de revenu d'engagement très ambitieux dans ce budget 2022, et qu'on va simplement faire un petit replâtrage de ce qui existait jusqu'à présent ?

OLIVIER DUSSOPT
Je ne pense pas qu'on puisse parler de replâtrage, là aussi, il y aura un certain nombre d'annonces, l'objectif que nous avons, qui est un objectif collectif, c'est de permettre à un plus grand nombre de Français et à un plus grand nombre de jeunes d'aller vers l'emploi, il y a un an, si vous m'aviez posé la question de l'évolution du chômage, je vous aurai dit mon inquiétude, inquiétude sur l'économie, inquiétude sur le chômage…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On était tous inquiets…

OLIVIER DUSSOPT
Et en particulier, inquiétude sur le chômage des jeunes, parce qu'en 2010, tout le monde s'en rappelle, c'est le chômage des jeunes qui avait le plus explosé, aujourd'hui, le chômage a baissé, nous avons retrouvé le niveau de chômage de fin 2007, donc le plus bas depuis 15 ans, et quand on regarde le détail de cette baisse du chômage, le chômage des jeunes a baissé, par contre, le chômage de longue durée a augmenté. Et donc le Premier ministre a annoncé 1,4 milliard d'euros de crédit pour aider les plus éloignés de l'emploi à revenir dans l'emploi, ils seront financés, financés à la fois dans la loi de finances rectificative de fin de gestion pour 900 millions, et dans le projet de loi de finances pour 2022, pour 500 millions. Et nous allons bientôt déboucher sur de nouvelles mesures, là aussi, pour aider les plus jeunes, mais aussi les plus éloignés de l'emploi. Le contexte a beaucoup changé, si nous étions dans la situation que nous craignons, c'est-à-dire une explosion du chômage des jeunes, une plus grande précarité, il faudrait certainement des mesures très lourdes, très massives, là, il faut des mesures qui sont importantes, parce qu'on parle de plusieurs centaines de millions d'euros, je rappelle que pendant cette crise et ce plan de relance, ce sont de 9 milliards d'euros qui ont été mis sur le plan « 1 jeune 1 solution », l'apprentissage, l'alternance, et ça marche. Donc nous cherchons, là aussi, le plus efficace.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je pourrai poser la même question au sujet du plan d'investissement présenté par le président de la République, il y a une semaine, est-ce que c'est aussi du replâtrage et du saupoudrage ?

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez, avec 30 milliards de crédits supplémentaires centrés sur quelques filières et quelques objets de développement, je n'appelle ni ça du plâtre ni ça de la poudre…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, mais regardez sur les semi-conducteurs, on va mettre 5 milliards, quand par exemple le Taïwanais TSMC met 100 milliards ; donc…

OLIVIER DUSSOPT
Nous ne partons pas du même niveau.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On part de beaucoup plus bas justement…

OLIVIER DUSSOPT
Nous ne partons pas du même niveau, et ça explique que nous puissions séquencer aussi ces efforts-là, on le fait, mais il faut le mesurer, on le fait après presque deux ans de politique d'urgence avec 70 milliards de dépenses exceptionnelles en 2020, autant en 2021, avec un plan de relance de 100 milliards d'euros, et nous complétons ce plan de relance, en tout cas, nous le prolongeons avec un plan d'investissement sur des filières qui sont des filières qui vont nous donner de la compétitivité ou de la souveraineté ; c'est un effort qui n'a jamais été fait, il faut le mesurer.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il y a un Conseil des ministres des Finances, qui se voient à Bruxelles, est-ce que vous réclamez, la France, est-ce que la France réclame plus de souplesse de la part de Bruxelles, est-ce qu'il faut revoir les règles budgétaires en Europe ?

OLIVIER DUSSOPT
La souplesse est là. Donc la souplesse est là…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous parlez comme les Allemands, les Allemands ont dit, la nouvelle coalition SPD et libéraux, et Verts, que : la souplesse était là et qu'il ne fallait pas changer les règles. Bruno LE MAIRE, il ne dit pas ça, Bruno LE MAIRE, il veut changer les règles…

OLIVIER DUSSOPT
Mais laissez-moi aller au bout de ma phrase, la souplesse est là parce que la Commission a décidé de suspendre l'application des traités jusqu'à fin 2022. Et le commissaire en charge des questions économiques et monétaires a dit qu'il ferait des propositions pour revoir les indicateurs de finances publiques, la règle des 3%, la règle de 60% de dettes…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Nos amis Allemands disent, enfin, en tout cas, la nouvelle coalition, que ce n'est pas la peine de changer les règles…

OLIVIER DUSSOPT
J'ai vu la déclaration de nos amis allemands…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Que la souplesse est là…

OLIVIER DUSSOPT
Et nous disons avec Bruno LE MAIRE que ces règles doivent être adaptées, ça doit être fait dans un cadre communautaire, et il est de bonne politique de considérer que c'est le commissaire européen en charge de ces questions qui fait des propositions, que chaque Etat puisse se positionner sur les propositions, et faire en sorte que ce débat puisse aboutir…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Le commissaire fait des propositions et l'Allemagne décide ?

OLIVIER DUSSOPT
Non, le commissaire fait des propositions et l'Europe décide, et la France sait se faire entendre en Europe.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Eh bien, écoutez, on verra le résultat final. Merci beaucoup Olivier DUSSOPT, ministre délégué du Budget, des Comptes publics, auprès du ministre de l'Economie. Merci d'avoir été avec nous ce matin dans " Good Morning Business. "

OLIVIER DUSSOPT
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 octobre 2021