Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur les efforts du gouvernement en faveur des relocalisations, à Paris le 26 octobre 2021.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Circonstance : Clôture du Colloque (Re)localiser

Texte intégral

Bonjour à tous,
Madame la Ministre, chère Agnès.


Vous avez tous très faim, moi le premier. Je vais donc me contenter de vous donner quelques convictions sur un sujet qui me tient très à coeur, qui tient très à coeur à la ministre de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, que je remercie de son initiative, parce que je trouve qu'elle est particulièrement bienvenue, particulièrement utile et je sais que les échanges avec le président de l'UIMM avec tous les représentants des filières qui sont présents ici ont été particulièrement utiles et efficaces.

Quelques convictions rapides mais profondément ancrées chez moi et que nous partageons avec le président de la République.

La première conviction, c'est la nécessité de reconstruire un imaginaire industriel. Vous avez dû parler beaucoup de financement, j'y reviendrai, de technologie, j'y reviendrai aussi rapidement.

Je voudrais commencer par ce point de départ. Nous devons reconstruire un imaginaire industriel français. Vous savez que je suis très lié avec un écrivain que vous connaissez tous, qui s'appelle Michel Houellebecq, qui a écrit des ouvrages tous aussi exceptionnels les uns que les autres, qui sont peut-être le meilleur sismographe de ce qu'est la société française aujourd'hui, dont un qui s'appelle " La carte et le territoire " et qui présente l'avenir français comme un avenir de Disneyland amélioré où la France serait un territoire de tourisme, accueillant dans des lieux tous aussi jolis les uns que les autres des services, du tourisme, des étrangers, mais qui aurait renoncé à toute capacité de production. Je ne veux pas faire de grandes révélations. Mais je pense que le prochain ouvrage de Michel Houellebecq reviendra sur cette thèse et défendra l'industrie.

J'ai eu l'occasion d'en parler avec lui et je pense que c'est un signe. C'est un signe important parce que Michel Houellebecq est probablement celui qui saisit le mieux les courants profonds qui animent la société française.

Nous venons d'une nation qui a réussi la première révolution industrielle. Nous sommes les héritiers d'un peuple qui a été un peuple d'industrie, qui a été un peuple d'ouvriers, qui a été un peuple de culture industrielle. Je pense qu'une des fautes politiques les plus graves connue dans l'économie française au cours des quarante dernières années, c'est le renoncement à notre industrie.

Nous en sommes tous collectivement responsables les politiques, les chefs d'entreprise, les filières industrielles, tous ceux qui ont inventé le fameux concept de " fabless industries ", tous ceux qui ont recouvert d'un vernis scientifique ce qui était une défaite politique.

Aucune autre nation européenne n'a connu la même défaite. L'Allemagne est restée à 24-26% d'industrie dans son PNB, l'Italie, même chose. Il n'y avait aucune raison que la France abandonne son industrie. La France a abandonné son industrie et nous en payons encore aujourd'hui le prix économique, le prix financier, le prix en termes d'emplois et le prix politique.

Je l'ai toujours dit depuis 15 ans que je suis élu dans une circonscription qui était une circonscription industrielle. Là où une usine ferme, une permanence du Front national ouvre. C'est une réalité politique. Je l'ai vu dans les cantons de mon territoire, dans mon département que j'arpente depuis près de 15 ans. J'ai vu comment là où des usines fermaient, où des cultures disparaissaient, où nous nous retrouvions avec des friches, nous avions effectivement les extrêmes qui montaient, qui s'implantaient et qui se développaient. Nous en sommes tous responsables.

Il n'y a aucune excuse à cette défaite collective. La seule façon de remédier à cela, c'est de retrouver une volonté industrielle, de reconstruire cet imaginaire industriel, et c'est exactement ce que nous essayons de faire avec Agnès et avec le président de la République depuis quatre ans.

Que chacun prenne ses responsabilités, parce que nous, nous ne nous contentons pas de mots, nous prenons des décisions. Relocaliser, c'est indispensable, c'est vital. C'est vital pour l'emploi, c'est vital pour atteindre le plein emploi dans notre pays, c'est vital pour lutter contre les extrêmes, c'est vital pour redonner de la confiance aux Français dans l'avenir de la nation française.

Nous devons, je le redis, rebâtir un imaginaire industriel français qui soit compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique, compatible avec la vocation de progrès qui a toujours été au coeur de la nation française. Mais il faut aussi remplir certaines conditions pour retrouver cet imaginaire industriel.

D'abord, il faut que ce soit rentable. Pardon d'être un peu trivial. Mais un industriel, il compte, il regarde s'il est compétitif, s'il ne l'est pas, si c'est rentable, si cela ne l'est pas, si ses coûts de production sont trop élevés ou ne le sont pas. Il faut donc prendre les décisions qu'en général tous ceux qui nous donnent les leçons sont incapables de prendre ou ont été incapables de prendre.

Je vois un ancien président de la République qui se répand matin, midi et soir sur toutes les chaînes de radio et télévisions pour expliquer que nous faisons tout mal et que lui, il fait tout bien. S'il avait fait tout bien, peut-être aurait-il pu se représenter à l'élection présidentielle ? Nous, nous avons pris avec Emmanuel Macron les décisions nécessaires.

D'abord, nous avons réduit la fiscalité sur le capital. Alors, bien entendu, le même et d'autres oppositions nous diront que nous avons voulu servir les riches. Non, nous avons défendu l'industrie. Nous avons défendu l'emploi industriel.

Quand nous baissons les impôts de production, nous ne faisons pas un cadeau à l'UMM. Nous faisons un cadeau aux ouvriers français. Nous permettons de recréer des emplois industriels dans notre pays. Simplement ces décisions qui paraissent triviales, qui sont difficiles à prendre, elles sont la base de la reconquête industrielle. Tout le reste, c'est de la littérature.

Je l'ai dit avec Michel Houellebecq, j'adore la littérature, c'est mon autre passion avec la politique. Mais quand je fais de la politique, je fais de la politique. Quand je me bats pour l'industrie, je me bats pour l'industrie. Quand j'essaye de recréer des emplois industriels avec Agnès Pannier-Runacher, je sais qu'il n'y aura pas d'emplois industriels de créés si nous ne baissons pas les impôts de production, si nous ne rétablissons pas la compétitivité de prix de nos industries. Si nous ne baissons pas le coût de l'emploi et si nous ne permettons pas à nos industriels de se battre à armes égales par rapport à leurs compétiteurs européens et mondiaux. C'est un fait. Et les faits sont têtus. C'est la première condition.

Je suis prêt à ce que nous allions plus loin. J'estime que notre baisse d'impôt de production, 10 milliards d'euros, était déjà une première étape, mais qu'il faudra aller sans doute plus loin dans la baisse des impôts de production pour rester compétitifs par rapport à nos grands voisins allemands. J'estime qu'il ne faut pas fermer la porte sur la question des coûts de production et du coût du travail dans notre pays.

Aujourd'hui, nous avons un plafonnement 1,6 SMIC. Je pense que ce plafonnement est raisonnable. Il faut faire très attention aux trappes à bas salaires. Il faut bien se poser la question est-il légitime ou non d'augmenter ces allègements de charges dès lors que nous sommes quasiment en plein emploi au-dessus de 1,6 SMIC ? Mais je ne ferme la porte à aucun débat parce que je veux que vous réussissiez et que je veux que nous réussissions cette relocalisation industrielle.

La première condition, ce sont des conditions de compétitivité prix, ce sont des conditions financières. Sans cela, pardon, mais les politiques ne servent à rien. Beaucoup de nos compatriotes pensent déjà que nous ne servons à rien. Autant leur montrer que nous pouvons être un peu utiles en prenant des décisions courageuses.

La deuxième condition, elle est décisive. Elle est plus compliquée que la première. C'est la formation et c'est inciter les jeunes à s'orienter vers les métiers industriels. Je ne vais pas vous faire l'article, vous le connaissez mieux que moi. Vous cherchez tous désespérément des chaudronniers, des soudeurs dans le domaine nucléaire. Vous avez du mal à faire la maintenance de vos usines, du mal à faire la maintenance de vos outils de production, parce que c'est difficile de recruter dans l'industrie.

Hier, j'étais avec le président de la République et avec Agnès dans une magnifique entreprise industrielle à Saint-Etienne. Nous avons déjeuné avec les salariés de cette entreprise, tous très jeunes. Le directeur des ressources humaines de l'entreprise m'a dit " Aujourd'hui, j'ai deux sujets, l'un sur lequel je reviendrai, qui est l'approvisionnement en semi-conducteurs. Mais le second sujet et qui, en réalité, était le premier, c'est trouver des salariés. C'est trouver des compétences ". Le maire de Saint-Etienne, qui est un ami de longue date, m'a dit qu'il avait du mal à remplir son CFA dans les secteurs industriels, parce que l'image de l'industrie reste une image totalement décalée par rapport à la réalité des métiers industriels.

Nous visitons des musées, tant mieux. Nous emmenons des enfants du primaire et du collège visiter des lieux de mémoire, visiter des musées, visiter des lieux du patrimoine, tant mieux. C'est indispensable de transmettre nos mémoires. Mais notre mémoire, c'est aussi notre mémoire industrielle. Si l'industrie fait partie de notre culture, pourquoi ne pas inviter nos enfants à partir du collège, du primaire - comme vous voulez, discutons-en - à se rendre dans des usines, à visiter ce que sont des lieux de production pour découvrir juste ce que c'est. Comment cela fonctionne et qu'ils s'en fassent une autre idée.

Comment faire pour changer la culture française par rapport à l'industrie ou plutôt pour renouer avec cette culture industrielle française ? C'est indispensable pour réussir ce deuxième défi qui est celui de la formation et de la qualification.

Faisons-le aussi filière par filière. Nous l'avons fait avec Agnès sur la filière nucléaire. Nous avons recréé, je le rappelle, une université des métiers du nucléaire parce que nous nous sommes aperçus avec Agnès qu'en matière nucléaire, nous avions perdu de la compétence et que si nous prenions tant de retard sur la réalisation de certains projets dans l'industrie nucléaire, c'est parce que nous avions perdu en compétences et que les jeunes étudient le nucléaire, plus personne n'y croit. Ce n'est donc pas la peine que j'aille me mettre dans cette filière. Nous, nous leur disons " Nous y croyons, cela vaut le coup de se mettre dans cette filière, aller vers ces formations, aller vers ces qualifications. " C'est la deuxième condition à réunir.

La troisième, elle tient en un seul mot innovation. Il n'y pas d'avenir pour l'industrie française en dehors de l'innovation, et je salue vraiment le travail qui a été fait par Agnès Pannier-Runacher pour lancer des appels à projets, lancer des appels à manifestations d'intérêt, relancer la machine à innover dans tout l'appareil industriel français. La digitalisation, la numérisation, la robotisation de l'industrie française sont une nécessité absolue. Le plan de relance de ce point de vue-là est un immense succès puisqu'il a permis d'accélérer ce travail.

La relocalisation ne sera pas la relocalisation de toutes les chaînes de valeur, nous le savons. Ce sera la relocalisation de certaines chaînes de valeur, celles sur lesquelles nous pouvons être compétitifs, celles sur lesquelles nous avons une valeur ajoutée.

Le plan d'investissement annoncé par le président de la République, France 2030, doit nous permettre d'opérer ces relocalisations dans un certain nombre de filières stratégiques et ciblées les biotechnologies, l'intelligence artificielle, l'hydrogène, les semi-conducteurs, le calcul quantique. Sur ces cinq grandes filières, à laquelle j'ajoute évidemment le nucléaire, nous allons mettre le paquet, nous allons regagner notre indépendance et nous allons relocaliser.

Relocaliser ne veut pas dire faire revenir de l'étranger en France. Relocaliser veut dire développer en France des filières indépendantes sans lesquelles il n'y aura pas d'industrie. Regardez ce qui se passe sur les semi-conducteurs. Je vois cet après-midi la filière de l'industrie automobile car certaines usines tournent seulement à 50% de leurs capacités. Vous avez des ouvriers au chômage technique parce que nous n'avons pas de semi-conducteurs.

L'usine de robotique dans laquelle nous sommes allés hier doit exécuter des commandes dans un mois. Elle les exécutera dans six à huit mois parce qu'elle n'a pas les semi-conducteurs dont elle a besoin pour produire ses pièces. Quelle est la solution ? Produire nous-mêmes des semi-conducteurs, c'est ce que nous allons faire.

Le financement, la formation, l'innovation, voilà les trois premiers piliers.

J'en ajoute un dernier, la coopération européenne. Il est indispensable de mettre en commun nos investissements parce que nous sommes devant un tel mur d'investissements industriels, notamment sur les semi-conducteurs ou sur l'hydrogène vert, que si nous ne faisons pas ces investissements en commun, ce sera très difficile de réussir.

Je souhaite bonne chance de ce point de vue-là à la Grande-Bretagne qui a choisi le splendide isolement. J'ai peur que le splendide isolement se traduise en matière industrielle par un déclassement. Je crois au contraire que la France peut retrouver les premières places en matière industrielle en travaillant main dans la main avec ses partenaires européens. Sur l'espace, les lanceurs et les satellites, avec l'Allemagne et avec l'Italie ; sur l'hydrogène avec l'Allemagne et sans doute aussi avec la Pologne ; sur les batteries électriques avec l'Allemagne et avec la Pologne pour le recyclage de ces batteries, également avec l'Espagne et peut-être le Portugal également, qui est intéressé par cette production ; sur le nucléaire avec les Etats qui sont intéressés, comme la République tchèque ou la Pologne. Sur tous ces sujets-là, nous devons avoir des partenariats à géométries variables européens, fondés en particulier sur le lien entre la France et l'Allemagne.

C'est la dernière condition de succès pour ces relocalisations industrielles.

Financer, en vous rendant plus compétitif du point de vue des prix, parce que je sais que vous êtes à un centime d'euro près sur chaque pièce. Former, parce qu'il n'y a pas de grandes industries sans formation de haut niveau. Innover parce que l'avenir de l'industrie française, il est évidemment dans la haute technologie et pas dans les produits de moyenne gamme. Coopérer avec nos partenaires européens. Avec tout cela, nous allons retrouver un imaginaire industriel français.

Croyez-moi, ce grand malaise français que nous vivons aujourd'hui, qui se traduit par une montée sans précédent des extrêmes, face à ce grand malaise français, l'industrie et la culture industrielle sont une des réponses, pas la seule, mais une des réponses, parce que cela nous permettra de renouer avec notre passé et avec notre mémoire commune plutôt que de la balayer d'un revers de main.

Je termine par une histoire plus personnelle. Je me souviens d'être allé dans une commune de l'Est de la France qui était convoitée par un élu connu du Front national. Je me souviens d'être allé dans la maison d'anciens ouvriers fondeurs. Ce qui m'avait frappé, c'est à quel point, ils étaient attachés à leur culture, à leur patrimoine, à leur mode de vie, à tout ce qu'il y avait derrière la fonderie qui avait hélas disparu, et à quel point ils ressentaient à juste titre, du mépris pour ce qu'ils avaient été. En gros, on leur expliquait tout cela, c'est fini, votre vie, c'est fini, votre culture, c'est fini, oublié, dépassé, on passe à autre chose, de plus moderne, plus flamboyant, de plus propre, de mieux. Je pense que c'est ce mépris que nous payons aujourd'hui.

Nous devons redonner de la fierté à l'industrie française et de la considération à ces ouvriers.

Merci à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 15 novembre 2021