Texte intégral
Q - Bonjour Clément Beaune.
R - Bonjour.
Q - Nous allons évoquer ce matin la situation en Biélorussie, mais d'abord, je voudrais avoir votre avis sur ce qui est en train de se passer en Europe. La vague de Covid reprend avec force, avec des mesures de restriction, on l'a vu, comme l'Autriche qui confine uniquement les non-vaccinés. L'Europe se prépare-t-elle au reconfinement, avec cette cinquième vague ?
R - Non, nous ne sommes pas dans une phase de reconfinement généralisé en Europe. On voit que des pays sont plus touchés que d'autres : il y a une dizaine de pays européens aujourd'hui qui sont extrêmement touchés. La France est moins touchée que ses voisins allemands, néerlandais par exemple, ou autrichiens un peu plus loin. Ça veut dire deux choses : ça veut dire d'abord qu'on regarde les situations, que la meilleure arme, ça reste le vaccin. Ce sont les pays, où le taux de vaccination est le plus élevé, qui sont le moins touchés par cette vague, même si la vigilance est nécessaire partout. Et puis, la deuxième arme, qu'il faut continuer à utiliser, ce sont un certain nombre de protections, de gestes barrières, l'utilisation du passe sanitaire. La France est aussi moins touchée, même si, je suis prudent, parce que nous avons gardé les deux, c'est-à-dire une vaccination très active et dès le mois de juillet, un passe sanitaire qui a été largement utilisé, et beaucoup de pays européens vont dans cette voie aussi, pour maîtriser la pandémie.
Q - Mais faut-il imaginer de nouvelles restrictions de circulation entre les pays européens les plus touchés, et les pays comme la France qui l'est moins ?
R - Alors, non, ça n'est pas l'idée à ce stade. Nous avons d'abord le pass sanitaire, y compris pour voyager, donc il y a déjà une forme de contrôle, nous intensifions d'ailleurs un certain nombre de ces contrôles de voyageurs. Et nous avons décidé ces derniers jours pour les pays qui sont les plus touchés, y compris l'Allemagne ou la Belgique, par exemple, d'exiger pour tous les non-vaccinés un test plus récent, de moins de 24h, pour vérifier la situation sanitaire. Donc on est vigilant aux frontières aussi.
Q - Mais vous diriez, Clément Beaune, qu'il y a une inquiétude européenne sur ce qui est en train de se passer, sur ce front de l'épidémie ?
R - Il faut être honnête, oui, il y a une vigilance et une inquiétude, parce qu'on voit que le virus circule de nouveau.
Q - Malgré la vaccination.
R - Malgré la vaccination, mais elle protège énormément, elle ralentit évidemment la diffusion de l'épidémie. Ce sont ceux qui sont non-vaccinés qui sont les plus touchés, on le voit très clairement, dans tous les pays. Et donc, ça ne veut absolument pas dire que le vaccin n'est pas utile, ça veut dire d'ailleurs qu'il faut, au contraire, accélérer le rappel pour tous ceux qui ont le droit, ce qu'on a commencé en France parmi le plus tôt d'Europe, avec le rappel pour les personnes de plus de 65 ans notamment, beaucoup de pays européens sont en train de le faire aussi, c'est notre meilleure arme.
Q - Alors, l'Europe est confrontée à une attaque migratoire, ce sont des mots que vous avez utilisés, l'Europe a annoncé des sanctions contre la Biélorussie, dans les jours qui viennent. Est-ce que l'Europe va faire plier Loukachenko ?
R - Ecoutez, je crois que l'Europe, oui, va réussir à surmonter cette crise, et il y a une tentative de division et d'affaiblissement de l'Europe. C'est une crise montée de toutes pièces par M. Loukachenko, dictateur biélorusse qui se maintient au pouvoir après une "élection présidentielle" entre guillemets, frauduleuse, l'an dernier. Nous avons pris des sanctions, ce qui montre bien que ça le gêne, et il organise un trafic d'êtres humains à nos frontières pour faire pression. Donc, on doit être extrêmement fermes, extrêmement unis, en soutien de la Pologne, et d'ailleurs de deux autres Etats dont on parle moins, la Lituanie et Lettonie, ces trois pays européens qui sont directement visés. On sera très solidaires et très fermes pour les soutenir.
Q - De nouvelles sanctions, lesquelles ?
R - Alors, il y a plusieurs choses, des sanctions d'abord ont été décidées hier, de nouvelles sanctions par les 27 ministres des affaires étrangères. On parle d'une trentaine de sanctions supplémentaires, qui viseront des responsables du régime biélorusse de nouveau. Je rappelle que depuis un an, on a sanctionné plus de 160 personnes, y compris M. Loukachenko lui-même, qui sont liées, et directement aujourd'hui impliquées...
Q - Des sanctions économiques sévères...
R - Alors, il y a eu des sanctions individuelles, il y en aura de nouvelles certainement dans les jours qui viennent, on définit exactement la liste. Il y a eu déjà des sanctions économiques dans certains secteurs par le passé qui frappent et font mal à la Biélorussie. Et puis, la nouveauté, c'est la décision qu'ont prise les ministres des affaires étrangères, hier, c'est qu'on va aussi sanctionner un certain nombre d'entreprises, d'acteurs qui participent à ce trafic immonde, qui sont, par exemple, des agences de voyages, peut-être des compagnies, on va regarder cela précisément dans les deux-trois jours qui viennent, mais il y aura, pas seulement des individus, mais aussi des entités qui vont être sanctionnées pour agir contre ce trafic.
Q - Est-ce que ça suffira pour faire plier Loukachenko ? C'était la question que je vous posais. Il a commencé à expliquer que Minsk avait commencé à rapatrier des migrants. Est-ce que vous le croyez, est-ce que c'est déjà le début d'une désescalade ?
R - Ecoutez, il y a de premiers signaux, il faut être très prudent. Je crois que l'Europe a fait la bonne chose, nous avons tenu bon, très clairement. C'était un test pour voir si malgré nos débats internes avec la Pologne etc., nous avions une solidarité européenne : elle est totale. On aura d'autres débats avec la Pologne, c'est entendu...
Q - On va en parler...
R - Mais, on est solidaire, parce qu'on est dans la même famille européenne ; 2) on mène ce travail de sanctions qui fait pression, et qui a des résultats ; 3) c'est encore plus important, nous faisons un travail diplomatique européen, c'est une action européenne, avec un certain nombre d'autres pays, je pense à la Turquie, aux Emirats arabes unis, ça marche depuis quelques jours, pour suspendre des vols. Parce que, évidemment, les migrants n'arrivent pas tous seuls, c'est organisé, et il y a une forme de complicité de fait. Donc, nous travaillons à la suspension de ces vols. La Turquie a annoncé un certain nombre de suspensions, les Emirats arabes unis aussi. Et puis, il y a une réponse humanitaire qui implique, y compris une discussion, même si elle est pénible, avec la Biélorussie. M. Borrell, qui est le représentant européen de la politique étrangère, a eu une discussion avec le ministre biélorusse des affaires étrangères : il y aura de premiers vols de rapatriement de migrants de Biélorussie vers l'Irak notamment, dès la fin de semaine.
Q - C'est Vladimir Poutine qui a réglé la situation ? Le Président de la République s'est entretenu avec lui, hier, à ce sujet, notamment - on va reparler de l'Ukraine dans un instant -, mais au sujet de ce qui se passe en Biélorussie. C'est lui le maître du jeu ?
R - Non, d'abord, ce qui se passe, ce n'est pas lié... les premières avancées ou les premiers reculs de la Biélorussie, je crois que ce n'est pas lié à Vladimir Poutine, c'est lié d'abord à l'unité et à la fermeté européenne. Et Vladimir Poutine, on doit le mettre dans le jeu, parce qu'on sait que...
Q - Il y est !
R - Il y est certainement, et, soyons clairs, la Biélorussie est totalement dépendante de la Russie. Donc, il est évident que M. Loukachenko a besoin de M. Poutine. Et les dialogues qui ont eu lieu entre Mme Merkel et M. Poutine, hier entre le Président de la République et Vladimir Poutine appelant tous deux à la désescalade, oui, ça aide, ça fait partie de la résolution de cette crise, mais soyons clairs, ça a été un test pour l'Europe ces derniers jours...
Q - C'est l'Europe qui a fait plier Loukachenko ?
R - Mais je crois, oui, que l'Europe a été sur cette crise rapide, unie et ferme. On doit continuer, ça n'est pas fini.
Q - Bon, ça n'est pas fini. Si la situation se détend localement, ce n'est pas encore fait, mais on a bien compris que cela allait plutôt dans le bon sens. Est-ce que la Pologne doit cesser la construction de ce mur, puisqu'elle a annoncé hier qu'elle débutait la construction d'un mur à la frontière avec la Biélorussie ?
R - Alors, moi, je suis très clair, je suis pour une Europe qui n'a aucune naïveté et qui tient ses frontières, je l'assume pleinement, les frontières extérieures...
Q - Quitte à construire des murs, c'est la question ?
R - Non, justement, j'y viens... qui tient ses frontières extérieures, et je plaide pour que, en Pologne, comme on l'a fait en Lituanie - je m'y étais rendu dès début septembre -, l'on déploie la police des frontières européennes pour aider, ça s'appelle Frontex, ça peut aider, et ça doit aider aussi en Pologne, je redis à la Pologne qu'on est prêt à apporter cette aide...
Q - Ils n'en veulent pas...
R - Oui, ils n'en veulent pas, mais je leur redis que ce serait utile, pour eux et pour tous les Européens, pour vérifier aussi que les pratiques sont humaines et respectueuses des droits. Je suis pour une Europe qui tient ses frontières, moi, je ne suis pas pour une Europe qui se hérisse de barbelés ou se couvre de murs. Et donc, nous avons ce débat entre Européens, il faut être honnête : il y a plus de dix pays européens, aujourd'hui, qui disent : il faut que l'Europe nous aide à financer des murs. La France n'a pas soutenu cela pour l'instant. Nous aidons fermement à tenir la frontière, mais je crois qu'il y a deux pièges, dans lesquels il ne faut pas tomber : celui de la naïveté et de la désunion - nous l'avons évité - ; et puis, celui qui consisterait à renoncer à nos valeurs et à nos règles. Je ne veux pas non plus que, à la faveur d'une crise qui implique quelques milliers de personnes et un régime brutal à nos portes, on sombre dans cela.
Q - Certains de ces migrants seront accueillis par l'Europe, parce que justement, vous parliez des valeurs européennes, certains le seront, la France le souhaite ?
R - Il faut être très clair, parce que là aussi, sinon, on céderait au chantage de M. Loukachenko, ce n'est pas lui qui décide si les migrants entrent en Europe.
Q - L'Europe peut le décider ?
R - L'Europe peut le décider. Je vais vous dire, il y a une réalité : je suis allé la voir en Lituanie. Dès début septembre, j'ai visité un centre de migrants. Il y a déjà 4 à 5000 personnes qui sont sur le sol européen, qui ont passé, à l'époque, les frontières, au début de l'été. Ces personnes-là, elles auront droit de déposer l'asile. Certains vont rester, et en attendant, je crois que c'est aussi l'honneur de la France, nous avons envoyé en Lituanie - nous sommes prêts à le faire en Pologne, pour ceux qui ont passé la frontière, une aide humanitaire, matérielle.
Donc, ils ont droit aux règles européennes, demande d'asile, et ils ont le droit à une protection humaine en attendant, parce qu'on ne va pas laisser mourir les gens de froid. Moi, je ne confonds pas les bourreaux et les victimes ; les victimes, ce sont les migrants.
Q - On parlait de Vladimir Poutine à l'instant, il masse ses troupes à la frontière ukrainienne, 90.000 hommes sont à la frontière, à 80 kilomètres de la frontière. Jean- Yves Le Drian et Antony Blinken ont fait un communiqué pour dire leur inquiétude ; qu'est-ce qui se passerait si la Russie intervenait, que ferait l'Europe ?
R - Ecoutez, je ne veux pas être dans des politiques-fictions parce que chaque mot compte. Mais Jean-Yves Le Drian, avec son homologue allemand, a été extrêmement clair hier sur le soutien à l'Ukraine, à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Il ne faut pas, même dans les mots, je crois, escalader. C'est pour cela qu'il y a aussi des contacts avec la Russie, Jean-Yves Le Drian a aussi reçu son homologue vendredi, cela a été évoqué par le Président de la République hier. Mais nous défendons l'intégrité de l'Ukraine, et nous sommes très fermes et très clairs avec la Russie. Je ne sais pas si ces informations - parce qu'on parle de beaucoup de rumeurs, pour l'instant - sont vérifiées, mais il vaut mieux passer le message très tôt et très fermement.
Q - Les Russes ont procédé, on l'a entendu tout à l'heure, à des tirs de missiles dans l'espace, dont des débris ont menacé l'ISS. Les Etats-Unis se sont dits scandalisés, la France l'est aussi ?
R - Ecoutez, c'est les Etats-Unis qui ont eu par la NASA les informations en premier, donc, nous allons regarder : est-ce que c'est délibéré, est-ce que c'est mal maîtrisé, je ne sais pas. Si c'est délibéré...
Q - C'était pour détruire un vieux satellite russe...
R - Oui, un vieux satellite ; on va voir. Moi, je ne sais pas vous dire, aujourd'hui, si les règles d'usage de l'espace ont été respectées ; si elles ne le sont pas, nous serons aussi très clairs, comme les Américains...
Q - Mais avec des voisins comme Vladimir Poutine, l'Europe est en danger. C'est un mot utilisé par Josep Borrell ; vous le partagez ?
R - L'Europe est en danger si elle se laisse faire, oui. L'Europe est en danger si elle reste dépendante. On le voit sur la crise énergétique, on le voit sur la crise migratoire. Vous savez, la Russie ne va pas déménager, et la Russie ne va pas devenir d'un coup extrêmement sympathique à notre égard. Donc, nous devons être très fermes, continuer le dialogue, et surtout montrer que, quand il y a une crise, on respecte l'Europe.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2021