Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à RCF le 1er décembre 2021, sur l'élection présidentielle de 2022, l'épidémie de Covid-19 et la question climatique.

Prononcé le 1er décembre 2021

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Média : RCF Radios Chrétiennes Francophones

Texte intégral

SIMON MARTY
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour.

SIMON MARTY
Merci d'être avec nous ce matin dans la matinale RCF. Etre Gaulliste, ce n'est pas défendre un héritage, c'est le renouveler sans cesse, c'est ce que vous écrivez dans votre précédent ouvrage : " L'Ange et la bête ", quel regard, Bruno LE MAIRE, portez-vous sur la vidéo de candidature d'Eric ZEMMOUR et ses références assez évidentes au Général de GAULLE, lors de l'appel du 18 juin ?

BRUNO LE MAIRE
Oh, sa déclaration elle-même, je vais vous dire, je n'ai aucun commentaire à faire, je pense que les Français savent juger par eux-mêmes, ils n'ont pas besoin qu'on leur fasse une explication de texte. Pour le reste, je pense que les Français savent depuis très longtemps qui est le Général de GAULLE, et ils savent désormais qui est monsieur ZEMMOUR. Donc ils sauront juger et faire la différence.

SIMON MARTY
Restons à droite, si vous le voulez bien, en allant du côté des Républicains qui tenaient hier leur dernier débat, c'est une famille que vous connaissez bien, vous avez évoqué la notion de dérive politique. Pour vous, elle est où exactement aujourd'hui, Bruno LE MAIRE, la dérive de la droite en France ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense surtout que c'est le rétrécissement qui est frappant dans les débats des Républicains. C'est un processus électoral qui est tout à fait respectable, ce sont des candidats qui sont estimables, mais quand on regarde la somme de débats qui se sont succédés, on voit l'étroitesse des sujets qui étaient traités, dans le fond, les grands enjeux qui se posent pour la France, l'enjeu éducatif par exemple a été à peine abordé, l'enjeu de la bataille contre les géants du numérique, qui veulent prendre la place des Etats et de notre démocratie, n'a même pas été abordé, l'enjeu environnemental a été traité extrêmement légèrement, la place que l'Europe peut prendre entre la Chine et les Etats-Unis, qui est un enjeu décisif pour les générations qui viennent, n'a jamais été traitée. Donc je regrette que ces débats se soient focalisés uniquement et principalement sur les questions sécuritaires et de migration, ce sont les sujets qui sont évidemment importants, mais ça ne résume pas les enjeux de la France.

SIMON MARTY
Vous avez une dent contre le fait qu'ils aient bloqué la privatisation d'AEROPORTS DE PARIS, vous en parlez dans votre ouvrage, « Un éternel soleil, paru aux Editions Albin Michel, Les Républicains qui avaient bloqué cette privatisation d'AEROPORTS DE PARIS par pur calcul politique, le réclament désormais à cor et cri pour témoigner de leur courage à la veille de l'élection présidentielle. Mais est-ce qu'au, fond Bruno LE MAIRE, c'est à un gouvernement justement d'avoir à gérer des entreprises privées, est-ce que derrière la question d'ADP, il ne faudrait pas non plus se séparer des autres grands groupes industriels dont l'Etat est aujourd'hui actionnaire, comme RENAULT par exemple ?

BRUNO LE MAIRE
Enfin, la question que je pose dans " Un éternel soleil ", c'est : est-ce que nous voulons, oui ou non, un Etat fort, et moi, je crois en France à un Etat fort qui garantit la sécurité,, qui garantit l'ordre publique économique, mais, je pense qu'un Etat fort, ça suppose que l'Etat soit capable de se délester d'un certain nombre de missions, qu'il n'est plus en mesure d'exécuter de façon efficace, qu'il se déleste effectivement d'un certain nombre de participations dans des entreprises qu'il doit laisser gérer par des acteurs privés, c'est sur le plus long terme qu'il faut réfléchir, quel Etat est-ce que nous voulons pour que la nation française se sente protégée et accompagnée. Et si nous voulons que cet Etat soit efficace, il doit se recentrer sur ses missions essentielles ; je pense que la crise du Covid, et je le raconte aussi dans " Un éternel soleil ", la crise du Covid a montré à quel point on avait besoin de recentrer l'Etat sur ses missions essentielles, pour qu'il soit efficace et qu'il réponde aux inquiétudes et aux préoccupations des Français ; un Etat qui fait tout, c'est un Etat inefficace, un Etat qui se recentre ses activités essentielles, c'est un Etat qui répond aux préoccupations fondamentales de nos compatriotes.

SIMON MARTY
Justement, en parlant de la crise du Covid, vous n'avez pas peur que les derniers revirements, ces 47.000 nouvelles contaminations hier, l'OMS qui déconseille aux plus de 60 ans de voyager, des frontières qui se referment, est-ce que ça ne risque pas d'entacher la reprise économique qui était la nôtre ?

BRUNO LE MAIRE
On a appris à chaque vague épidémique à mieux gérer le retour du virus. Donc on a une expérience, on sait comment réagir, donc, moi, je n'ai pas d'inquiétude particulière, je pense que la croissance française est solide, qu'elle repose sur des fondamentaux qui sont sains, on a eu hier la confirmation par l'INSEE que nous avions fait au 3ème trimestre 3% de croissance, que nous avions la possibilité de dépasser largement les 6% de croissance en 2021 ; nous sommes, et je le dis justement face à ce déclinisme ambiant, nous sommes un des pays européens qui sort le plus fort et le mieux de la crise économique, qui a su le mieux protéger, le mieux relancer, et le mieux ouvrir à des perspectives pour la relance et le développement de son économie. Donc tout ça doit nous permettre de faire face au virus, sans que ça ait d'impact sur notre croissance et sur notre niveau économique. Pour autant, il y a des secteurs, et j'en ai parfaitement conscience, qui commencent à être inquiets, qui voient des réservations s'annuler, c'est vrai dans le secteur du tourisme, c'est vrai dans le secteur du transport aérien, c'est vrai dans le secteur événementiel, et je dis à tous ces secteurs que nous serons là pour les soutenir, pour les accompagner, si la situation devait se dégrader et si leur situation personnelle devait devenir plus difficile. Mais c'est des secteurs particuliers, c'est sectoriel, ça n'est pas l'ensemble de l'économie.

SIMON MARTY
Bruno LE MAIRE, dans " Un éternel soleil ", vous dites : nos échecs ou nos déceptions, notre incapacité à parfois mener à bien des réformes importantes tiennent avant tout à un problème structurel de gouvernance politique, est-ce que ce n'est pas un petit peu facile de rejeter la faute sur la mécanique plutôt que sur le conducteur ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, la mécanique, ça compte beaucoup, et quand vous avez des institutions ou des modes de gouvernance qui ne sont pas suffisamment efficaces, eh bien, ça bloque un certain nombre de réformes qui sont pourtant indispensables pour le pays. Moi, ce qui me frappe, je vais vous dire, ça fait près de 20 ans que je suis engagé en politique, et c'est aussi la force du témoignage que je veux apporter dans ce dernier livre, c'est que tout a changé en France, tout a changé, les bureaux ont changé, les entreprises ont changé, les modalités de travail ont changé pour les salariés, pour les cadres, pour les employés, pour tout le monde, le seul endroit où rien n'a changé, c'est la politique, et ça, ce n'est plus possible, et si je sors aussi fortement sur ce sujet dans " Un éternel soleil ", en proposant des changements institutionnels, des changements de gouvernance, des gouvernements plus restreints, des députés moins nombreux, un contrôle du Parlement plus efficace, si je le dis avec autant de force, autant de détermination, c'est que je suis convaincu que ce n'est plus possible, que nos compatriotes ne vont pas accepter longtemps de changer, eux, dans leur vie quotidienne et dans leur travail, alors que les responsables politiques, eux, ne changent rien à leur fonctionnement ni à leurs institutions. Si nous voulons être efficaces, il faut être plus simple, si nous voulons être plus respectés, il faut davantage écouter les Français, et si nous voulons aller plus vite dans nos décisions, il faut changer les processus institutionnels.

SIMON MARTY
Changer les processus institutionnels, est-ce que cela nécessite de danger de République, comme certains disent qu'il faudrait passer à la 6ème République, ou, est-ce qu'au fond, ça peut se faire de manière plus légère, vous apportez d'ailleurs en partie votre point de vue dans ce dernier ouvrage ?

BRUNO LE MAIRE
Non, moi, je pense que ça peut se faire dans le cadre de la 5ème République, ça demande beaucoup de détermination, ça demande d'aller très vite, mais je vais vous dire très franchement, on ne va pas perdre son temps pendant 2 ans ou 3 ans à porter une réforme constitutionnelle, il y a trop de sujets à traiter, qui vont de l'éducation à la sécurité des Français, mais avec quelques décisions simples et rapides, on peut améliorer profondément le gouvernement de la France, et je le redis, parce que c'est un des messages forts je porte dans ce livre, si nous voulons être à la hauteur des défis qui nous attendent, il faut que les responsables politiques et que le gouvernement de la France changent en profondeur.

SIMON MARTY
Bruno LE MAIRE, il y a quelques semaines, à Glasgow, avait lieu la COP 26, dans les jours qui ont suivi, on a vu une aciérie qui avait la possibilité, dont les actionnaires souhaitaient qu'elle migre en Allemagne où l'électricité coûtait moins cher, mais produite par du charbon, est-ce qu'aujourd'hui, si on réduit en France les émissions de CO2, et qu'on est particulièrement vertueux, quel intérêt si, en face, nos voisins ne jouent pas le jeu, y compris en Europe, et qu'on est pénalisé à la sortie ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, c'est une des grandes questions qui se posent, vous avez parfaitement raison, si on prend l'exemple de l'aciérie que vous avez citée, c'est l'aciérie ASCOVAL, je me suis battu pour le maintien d'une aciérie ouverte, de l'ouverture de cette aciérie depuis 4 ans. Pourquoi est-ce que je me suis battu ? D'abord, il y avait des salariés qui étaient très motivés, et ensuite, il y avait un four électrique, c'est-à-dire qu'on produit de l'acier avec moins de CO2 qu'un four classique, tout ça était très bien, jusqu'au moment où le prix de l'électricité a exposé, et là, le nouvel actionnaire, SAARSTHAL, explique aux ouvriers : écoutez, votre four électrique, il produit peu de CO2, c'est très sympathique pour l'environnement, mais c'est très coûteux, donc je vais délocaliser la production, j'ai dit : niet, il en est hors de question. C'est vrai que c'est plus cher, 150 euros la tonne, pour être tout à fait précis, mais ce que vous dépensez en plus financièrement, vous l'économisez sur les émissions de CO2, parce qu'un four classique, c'est 2 tonnes de CO2 en plus par tonne d'acier produite, donc ça n'est pas acceptable. Quelle est la conclusion de tout cela ? 1°) : il faut harmoniser les règles en Europe, et que ce prix du carbone permette de valoriser des installations comme celles d'ASCOVAL qui émettent moins de CO2, c'est indispensable, c'est la bataille que nous menons avec le président de la République. La deuxième bataille qui est indispensable, c'est soutenir financièrement les entreprises industrielles, notamment les aciéries, pour qu'elles décarbonent massivement leurs activités, ça demande de soutien public, nous en avons dégagé, là aussi, avec le président de la République dans le cadre du plan d'investissement, aider les aciéries qui polluent et qui émettent du CO2 à en émettre moins grâce à de l'argent public. Enfin, la troisième bataille que nous allons livrer, qui est décisive, sera menée dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous voulons une taxe carbone aux frontières, à partir du moment où on dépense de l'argent pour réduire les émissions de CO2 en Europe, il faut que l'acier qui vient de frontières extérieures de l'Europe, des pays étrangers, eh bien, ils payent au passage leurs émissions de carbone.

SIMON MARTY
Vu que vous parlez justement de l'Europe, la présidence tournante de l'Union européenne va revenir dans les prochaines semaines à la France, l'histoire se fait dans les crises, l'histoire européenne davantage encore que les autres, vous pensez que l'Europe aujourd'hui est l'échelon indispensable, Bruno LE MAIRE, pour résoudre ce genre de problème ?

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr, tout simplement, parce que si vous vous amusez à fermer uniquement vos frontières français à l'acier chinois, eh bien, vous n'aurez plus accès au marché chinois, ce sera très mauvais pour toutes les entreprises françaises, pour l'entreprise du luxe, la cosmétique, du vin, les entreprises financières, toutes ces entreprises n'auront plus accès au marché chinois, vous serez pénalisé. L'union fait la force, si ce sont les 27 Etats européens qui mettent en place une taxe carbone aux frontières, comme le marché européen a suffisamment de poids face au marché chinois, là, vous pouvez le faire ; je pense que c'est une illustration très concrète et très simple de ce que, une fois encore, l'union fait la force, ce qu'on peut se faire à 27, on ne peut plus le faire tout seul.

SIMON MARTY
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE d'avoir été avec nous ce matin dans la matinale RCF. Je rappelle le titre de votre dernier ouvrage : " Un éternel soleil ", c'est paru aux Editions Albin Michel. Bonne journée. A à bientôt.

BRUNO LE MAIRE
Merci beaucoup, bonne journée à vous


source : Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2021