Extraits d'un entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger, à la francophonie et aux petites et moyennes entreprises, sur le tourisme confronté à l'épidémie de Covid-19, les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et la francophonie.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger, à la francophonie

Média : Radio J

Texte intégral

Q - Nous allons donc parler tourisme et PME, vos deux portefeuilles. Mais commençons par le tourisme. L'épidémie progresse en France. Est-ce que vous êtes inquiet pour la fréquentation touristique, notamment la saison de Noël, on aura moins de visiteurs étrangers, on aura peut-être même moins de visiteurs qui iront de Province en Province ou de Province à Paris ?

R - Ah, écoutez, nous avons quand même, grâce à la vaccination, grâce au passe sanitaire, déjà, une capacité à garder ouvertes nos activités, la plupart des activités.

Q - Ça va tenir jusqu'à Noël, jusqu'au Nouvel an ?

R - Grâce encore une fois à une vaccination qui est montée en charge maintenant très rapidement, on en est sur le rappel, regardez...

Q - 12 millions.

R - 13 millions presque, 700.000 doses par jour de rappel. Donc, les Français, je dirais, ont pris le pli, et merci, parce que c'est ce sens de la responsabilité collective qui nous permet de garder ouvertes beaucoup d'activités, la plupart. On a une pensée naturellement pour celles et ceux qui sont fermés, je pense aux discothèques notamment, et nous discutons avec eux pour pouvoir les accompagner.

Mais je reviens à la saison touristique. L'hiver dernier, souvenez-vous, seulement Mauricette était vaccinée, les remontées mécaniques étaient fermées. Aujourd'hui, on est à 85%-90% de la cible vaccinable qui est vaccinée, les remontées mécaniques sont ouvertes, on a mis en place le passe sanitaire, il y aura une saison d'hiver. Donc, cet hiver bleu blanc rouge est là, et nous aurons également des clientèles européennes, de proximité, je pense aux Néerlandais, je pense aux Belges, je pense aux Britanniques, qui vont venir skier et revenir dans nos stations.

Q - Et pour les Français qui veulent partir, est-ce que ça se passe bien dans les négociations avec les autres pays ? On peut penser à Israël, politique sanitaire très rude, est-ce que vous avez des difficultés pour des gens qui disent : "mais moi, je voulais partir, on me ferme la porte" ?

R - Alors, c'est vrai que cette pandémie ne frappe pas toujours au même endroit, au même moment, et les temporalités sont décalées. Donc aujourd'hui, par exemple, il est très compliqué de se rendre ou de revenir d'Afrique australe. On a placé ces pays-là en zone rouge écarlate. En revanche, il y a des destinations qui sont à nouveau accessibles. L'Ile Maurice par exemple, il fut un temps, a été en rouge écarlate, elle est désormais en simple rouge ; on peut y aller dès lors qu'on est vacciné. Mais ce que je dis, c'est que finalement la France a une diversité aussi de paysages, d'offres etc.... Nos professionnels ont beaucoup souffert. Alors, voilà, n'hésitez pas aussi à redécouvrir les montagnes françaises, qui ont beaucoup souffert. Il y a beaucoup à faire.

Q - Souffrir jusqu'où ? L'ONU a donné un chiffre, il y a une dizaine de jours : 2.000 milliards de dollars perdus pour le tourisme sur la planète. Combien de pertes en France ?

R - Alors, si on prend la saison d'hiver, l'hiver dernier c'était près de 6 milliards d'euros de compensations que nous avons mis sur la table pour accompagner les acteurs et faire le différentiel avec ce qu'ils auraient dû toucher. Mais de façon générale, si je reprends depuis début de la crise, on en est à 38 milliards d'euros mis sur la table pour aider les acteurs à faire face aux pertes de recettes.

Vous évoquiez les 50% de touristes internationaux qui n'étaient pas au rendez-vous en 2020 et 2021, eh bien, on a tenu à être là. L'Etat a été là, aux côtés des acteurs, parce que la France est la première destination mondiale, elle aspire à le rester. Et cela veut dire que pour cela, il faut rester debout.

Et puis maintenant aussi, on enclenche une nouvelle vitesse pour rebondir, c'est le plan Destination France, qu'on a présenté avec Jean Castex, il y a quelques semaines, et qui prévoit 2 milliards d'euros pour justement investir, rénover, moderniser notre offre, parce que le tourisme, -on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre-, il y a besoin d'avoir des équipements qui sont au niveau, qui sont attractifs, qui donnent envie de venir et de revenir.

Q - Alors, il faut avoir des équipements, mais il faut aussi avoir de la main-d'oeuvre. Alors là, je passe sur votre autre portefeuille, la pénurie de main-d'oeuvre, dans des secteurs comme l'hôtellerie, restauration, ça, pour attirer les touristes, ce n'est pas l'idéal.

R - Alors, c'était des métiers en tension avant la crise sanitaire...

Q - Ça s'est aggravé.

R - Ça s'est aggravé, parce que certains, effectivement, ont changé de secteur, et pour faire face à ça, il y a deux choses : d'une part les organisations patronales, professionnelles, salariales, discutent, parce qu'il y a le souhait de la part des uns et des autres, d'ailleurs, de travailler sur les grilles salariales, d'augmenter un certain nombre de curseurs de ce point de vue-là, et par ailleurs...

Q - Mais les discussions achoppent pour l'instant.

R - Eh bien, écoutez, ils ont commencé les négociations, ils doivent se revoir prochainement. Il y a une prise de conscience collective qu'il y a un besoin de faire des efforts de ce point de vue-là. Mais au-delà de ça, il y a aussi, je crois, la nécessité de réhabiliter ces métiers. Ce ne sont pas des métiers de la servitude, comme certains peuvent le croire, au contraire, ce sont des métiers dans lesquels on peut se réaliser. On peut commencer justement commis, chef de rang, et 5 ans, 10 ans, 15 ans plus tard, ouvrir son propre restaurant, reprendre un hôtel, etc....

Donc ce sont des métiers, allez, de l'ascenseur social, justement. Donc, on va lancer une grande campagne de communication, on a budgété ça pour le premier semestre 2022, pour donner envie, envie d'avoir envie, comme disait Johnny, voilà. Les métiers du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration, c'est des métiers glamour.

Q - Ce sont des métiers aussi où on peut faire appel à une main-d'oeuvre immigrée, la former, l'intégrer.

R - C'est vrai, d'ailleurs, beaucoup d'employeurs le font, et ça se passe très bien.

Q - Hier, le Président de la République a présenté son plan pour la présidence française de l'Union européenne. Mais il commence aujourd'hui par un déjeuner avec Olaf Scholz, nouveau Chancelier allemand. Est-ce qu'il faut craindre les choix germaniques ? Austérité budgétaire, fin du nucléaire, le pacte de coalition n'est pas très franco-compatible.

R - En tous les cas, il y a dans le cadre européen, une boussole qui est ce couple franco-allemand, ce réflexe de pouvoir travailler ensemble, se concerter. Moi, ce que je vois, c'est que depuis 2017, et les Sociaux-démocrates étaient dans la coalition, aussi, on a pu faire progresser beaucoup de chantiers.

Q - Mais là, il y a les Libéraux, ça ne va pas être la même musique !

R - En matière de politique commerciale, en matière écologique, etc., en matière de souveraineté industrielle, ce sont des dossiers sur lesquels les Allemands, il y a quelques années, n'auraient pas pris les mêmes positions. Regardez sur les batteries, sur tout ce qui est justement autonomie stratégique industrielle européenne. Et donc, voilà, le Président, le Chancelier, vont se rencontrer, c'est très important, pour travailler ensemble, fixer un cap. La France assume cette présidence française de l'Union européenne, et on a une ambition forte pour la puissance, la puissance de l'Europe dans le monde. On n'est pas là pour se faire marcher sur les pieds. Il faut qu'on l'affirme.

Q - Mais il faut être uni pour être puissant.

R - Bien sûr.

Q - Dans les dossiers diplomatiques, très souvent, on est désuni.

R - Regardez, sur les dossiers économiques, il y a désormais une grande convergence : la nécessité d'investir pour l'avenir, de relancer. Et là aussi, les plus orthodoxes finalement ont fait évoluer je dirais leur doxa. Donc, puissance, relance, et appartenance. Voilà, un sentiment d'appartenance à ce continent européen, qui a inventé la démocratie, qui a des valeurs. Et donc, le Président de la République, hier, l'a dit, on sera au rendez-vous aussi des valeurs.

Q - L'un des dossiers c'est aussi de régler le problème migratoire, ça ne se fera pas en 6 mois bien sûr, remettre Schengen à plat, mais on n'a pas eu l'impression de solutions concrètes, hier.

R - Alors, de ce point de vue-là, il y a deux dimensions : -un-, mettre un pilote dans l'avion. Et la Zone euro, les ministres de la Zone euro se retrouvent régulièrement. Schengen, il y a besoin que les ministres de l'intérieur...

Q - Pilotage politique.

R - Pilotage politique, première chose. Deuxième chose, regardez ce qui s'est passé en Biélorussie, une forme d'attaque, quelque part, contre l'Europe, avec cette arme migratoire. On a besoin entre Européens, d'être solidaire, de pouvoir envoyer très vite des forces qui permettent de tenir nos frontières extérieures. Voilà.

Q - C'est la Pologne qui a refusé d'abord que FRONTEX intervienne.

R - Mais ce que je veux dire, c'est qu'il faut se doter des outils qui permettent d'intervenir le cas échéant, déjà, monter en puissance de ce point de vue-là, et puis de toute façon il faut prendre le sujet à la racine. Le sujet migratoire c'est aussi un sujet avec les Etats d'origine ou les Etats de transit. Il se trouve qu'au Quai d'Orsay, je m'occupe aussi aux côtés de Jean-Yves Le Drian, beaucoup de développement, de coopération. Ce que nous souhaitons, c'est pouvoir avoir une approche commune entre Européens, Africains, ensemble. Enfin, notre avenir est ensemble. Regardez ce fuseau horaire africain, soit on réussit ensemble, soit on échoue ensemble. Et donc, du coup, ça veut dire justement favoriser l'initiative privée. On a un acteur français, PROPARCO, qui aide justement les micro-entrepreneurs etc., parce que cette jeunesse africaine a besoin d'avoir un avenir aussi sur le continent. Elle ne demande que ça.

Q - L'immigration choisie, Nicolas Sarkozy l'avait tentée aussi. Ça n'a pas fonctionné. Qu'est-ce qui pourrait faire que demain ce dialogue avec les pays d'émigration aboutisse à une immigration sereine et choisie ?

R - Eh bien, je pense qu'il y aura une enceinte notamment, puisqu'au mois de février il y a justement un sommet Union africaine - Union européenne. Il y a quatre ans, à Abidjan, ce sujet était déjà à l'ordre du jour. Mais je crois qu'il faut y aller de façon positive. C'est parce qu'on va résoudre, ensemble, un certain nombre de défis, de défis liés à la stabilité, liés aux crises etc., eh bien, que l'on va résoudre ce problème, à la base, qui est le sujet migratoire.

Q - La francophonie, qui est dans votre portefeuille, c'est une chance pour la France ou c'est juste des pays qui vont nous envoyer des migrants ?

R - La francophonie, c'est une chance pour tous les francophones. Et nous, Français, peut-être qu'on ne s'en rend pas suffisamment compte, parce que finalement parler français, ça nous paraît évident ; mais il y a plein de pays dans lesquels le français est une langue minoritaire ou minorisée. Mais avec le français, vous pouvez travailler, étudier, aimer, partout dans le monde, sur les cinq continents.

Et donc c'est je dirais là aussi un espace d'échange qui est formidable pour tout le monde. Nous avons d'ailleurs, cet après-midi, la réunion des ministres de la Francophonie, sous l'égide de Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de la Francophonie. Les patronats francophones, ça y est, travaillent ensemble ! Geoffroy Roux de Bézieux a lancé une initiative de Fédération du patronat francophone. Et enfin, j'ai l'impression que, justement, ça bouge ; là aussi, le Président de la République est très engagé, depuis quatre ans ; dans quelques mois s'ouvrira, à Villers-Cotterêts, vous savez, là où il y a ce château, justement, où l'Edit a été pris...

Q - Pour la langue française.

R - ...pour la langue française, une grande cité internationale de la langue française. C'est un patrimoine qui nous appartient mais qui nous dépasse aussi, et qui est enrichi par tous ses affluents, de tous les continents.

(...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2021