Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européenne, avec France 2 le 8 février 2022, sur les tensions avec la Russie concernant l'Ukraine.

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Média : France 2

Texte intégral

Q - Le Président de la République a été reçu par Vladimir Poutine, hier soir, l'entretien a duré plus de 5 heures. Est-ce que cette visite a permis une avancée vers la désescalade, ce qu'était venu chercher le Président ?

R - Oui, je crois, il faut être prudent, mais maintenant, on sait, après cette discussion, qui est venue après beaucoup de discussions préparatoires, au téléphone notamment, entre le Président Poutine et le Président de la République, qu'il y a un chemin possible pour éviter un conflit, c'est le but, et pour construire une désescalade. Cela prendra du temps, c'est le début d'un processus, il y a encore beaucoup de risques, une présence militaire russe aux portes de l'Ukraine qui reste extrêmement forte et extrêmement préoccupante. C'est aussi pour ça que le Président se rend désormais à Kiev. Mais cet espoir de dialogue existe et hier cela a été matérialisé par l'initiative du Président et cette visite à Moscou.

Q - Cela veut dire que l'hypothèse d'une intervention armée est moins probable ce matin, Clément Beaune ?

R - L'hypothèse d'un dérapage, d'une escalade, est moins probable. Mais il faut être extrêmement humbles, extrêmement concentrés, les risques demeurent très élevés. Je le disais, la présence militaire, plus de 100.000 soldats russes, des chars, présence maritime, aérienne, est très importante aux frontières de l'Ukraine. Le Président l'a dit d'ailleurs devant le Président Poutine, aucune hypocrisie et une grande concentration pour éviter la crise. Mais il y a une possibilité de désescalade, stabilisation de la situation d'abord, et désescalade que l'on va essayer de construire dans les prochaines semaines.

Q - Sur quoi se fait la négociation, sur quoi se fait la discussion ? Est-ce que l'hypothèse de ce qu'on appelle désormais une finlandisation de l'Ukraine est le chemin qui semble privilégié par les Occidentaux, par la France, ça on s'en doute. Mais par Vladimir Poutine aussi ?

R - Alors, si on entend par là que c'est la Russie qui doit définir, le statut de l'Ukraine, en quelque sorte, dire si l'Ukraine doit faire partie, ou non, de l'organisation du traité de l'Atlantique Nord, l'OTAN, si l'Ukraine doit être une sorte de zone tampon, etc... ça, ce n'est pas possible, nous l'avons dit. Parce que ce serait une atteinte, à la fois à la souveraineté de l'Ukraine, qui est un pays libre, et une atteinte à la crédibilité et au libre choix de nos alliances. Le président a été très clair, y compris publiquement dans la conférence de presse.

Il peut y avoir des avancées de court terme. C'est d'abord ce dialogue, qui a été manifesté par cette visite, une réunion, qu'on appelle en format Normandie, au niveau des conseillers des présidents, dans les prochains jours, de nouveau, pour discuter des accords de Minsk, c'est-à-dire de ceux qui permettent de stabiliser la situation Crimée-Donbass. Il y aura aussi un engagement pris par Vladimir Poutine, après des manoeuvres militaires en Biélorussie, de retirer les troupes russes, c'est très important. Donc il y a des gestes de court terme. Et puis, une ouverture, qu'il faut construire encore, avec nos alliés Américains, avec l'OTAN, à une discussion sur les garanties de sécurité.

Q - C'est là que ça se complique, Clément Beaune, une ouverture vers quoi, à partir du moment où les positions sont si radicales, de part et d'autre, avec Washington qui de son côté, vous parlez de chemin de désescalade, en tout cas chemin de discussions, Washington évoque une attaque n'importe quand, avec un énorme coût humain, des victimes, des millions de réfugiés, un scénario catastrophe ?

R - Mais, on ne peut pas écarter un dérapage et des risques, y compris d'opérations militaires, ce serait déraisonnable de le dire. Ce qu'on a construit progressivement, pendant ces trois dernières semaines, le Président de la République au premier chef, c'est la solution diplomatique. Est-ce qu'elle va marcher ? On ne peut pas le garantir aujourd'hui ; on sait qu'il y a une volonté, un appétit, et une brèche qui s'est ouverte hier.

La discussion de plus long terme, elle porte sur ce qu'on appelle des garanties de sécurité, le Président de la République en a mentionnées quelques-unes, avec Vladimir Poutine, et publiquement, sur les déploiements militaires, sur les exercices qui sont organisés ; cela va prendre du temps, des semaines, sans doute des mois. Mais il y a un réengagement de dialogue, alors qu'on avait des semaines d'escalade.

Q - Et le Président va se rendre en Ukraine.

R - Le Président se rend en Ukraine, parce que toute cette démarche vise évidemment, dans le temps, à assurer la sécurité des Européens. On va vivre avec la Russie, elle ne va pas partir, elle ne va pas nous quitter, son histoire, sa géographie, sont en Europe. Mais aujourd'hui le pays qui est menacé, il ne faut pas se tromper, c'est l'Ukraine. Il était très important de commencer par Moscou parce que c'est là qu'est le problème, mais de dire à l'Ukraine...

Q - Certains auraient aimé, comme Yannick Jadot, que vous commenciez par Kiev, ce qui est une façon de soutenir davantage les Ukrainiens.

R - Mais le soutien à l'Ukraine, je veux dire, il doit être concret. Le Président Zelensky a été tenu au courant à chaque étape, avec des discussions approfondies aussi avec le Président Macron, et je signale, parce qu'on nous fait ce mauvais procès, que le Président Zelensky lui-même a salué les initiatives du Président de la République, parce qu'il sait très bien que c'est en discutant avec la Russie, par notre intermédiaire, que l'on peut essayer de trouver ces solutions.

Q - Eric Zemmour dit "de toute façon ça ne sert pas à grand-chose, car d'après les échos que j'ai Vladimir Poutine n'a pas confiance en Emmanuel Macron."

R - Ecoutez, Eric Zemmour semble très informé sur la situation internationale et intime du Président Poutine, je n'en ai pas connaissance. Enfin en tout cas c'est le Président Macron qui a été reçu, pendant plus de 5 heures, après trois conversations téléphoniques de plusieurs heures. Je ne dis pas que c'est facile, mais en étant aussi président en exercice du Conseil de l'Union européenne, cela a donné une force au Président de la République pour cette discussion. Je crois qu'on l'a vu chacun : la franchise, la crédibilité, et un certain nombre de signaux positifs qu'on a construits par ces initiatives françaises.

Q - On a vu une ambiance un peu glacée quand même !

R - Mais vous croyez que c'est facile de discuter avec la Russie, avec le Président Poutine ? Le Président de la République a toujours tenu cette ligne, en l'occurrence, c'est-à-dire la fermeté occidentale, l'unité européenne, et le dialogue exigeant. Depuis 2019, on nous l'a parfois reproché, le Président a dit "on ne peut pas à la fois dire ce sont les Américains qui discutent avec les Russes, et nous, Européens, ne pas vouloir saisir une opportunité de dialogue" ; donc, on le fait.

Q - Valérie Pécresse fait une proposition, elle dit "il faut une grande conférence sur la sécurité en Europe qui puisse donner naissance à un conseil de sécurité paneuropéen, de l'Atlantique à l'Oural, sans les Etats-Unis".

R - Mais, il y a quelque chose qui a été écrit il y a 30 ans, Valérie Pécresse le sait, qui s'appelle l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité collective en Europe. Ça associe les Américains, c'est exactement cette idée d'avoir une conférence et une structure permanente pour discuter, c'est d'ailleurs un des canaux de discussion, aujourd'hui, avec la Russie. On peut créer des conférences, etc., mais enfin il faut des initiatives diplomatiques concrètes. Est-ce que la visite du Président été utile ? Oui. Est-ce que le rôle de la France a été de construire...

Q - On le saura plus tard, s'il a été utile, non ?

R - On voit déjà quand même qu'il y a quelques signaux, je reste très prudent, mais enfin, en soi, on a quand même hier plutôt marqué des points en faveur de la désescalade, de la paix, de la sécurité, que l'inverse. Je crois qu'il fallait prendre ce risque et cette responsabilité.

Q - Alors, on sait que s'il y a une offensive militaire les sanctions peuvent avoir des répercussions sur la vie des Européens, des gens qui vous regardent ce matin, notamment sur la question du gaz, quelle que soit l'hypothèse, est-ce qu'il y aura suffisamment de gaz pour passer l'hiver ?

R - Vous avez raison, c'est une des préoccupations, parce que je rappelle que nous sommes très dépendants, nous Européens, à l'égard de la Russie : 40% des importations de gaz européennes, la France est moins dépendante, beaucoup moins, que l'Allemagne ou l'Italie, mais au total c'est important. Oui, je veux être rassurant, nous avons d'ailleurs regardé ça de très près, les stocks de gaz, français en particulier, européens en général, mais français en particulier, sont suffisants dans toutes les hypothèses pour passer notre hiver. Ce ne serait pas une situation confortable, facile, notamment sur les prix de l'énergie, s'il y avait un conflit, c'est aussi pour ça qu'il faut éviter à tout prix ce dérapage, mais il y ait des stocks de gaz suffisants en France pour l'hiver, c'est clair.

Q - Olaf Scholz, le chancelier allemand, a été reçu par Washington, le gaz russe est-il plus important pour les Allemands que la liberté de l'Ukraine ?

R - Non, je ne crois pas. Il y a un débat, auquel vous faites référence, sur un gazoduc, un tuyau, qui s'appelle Nord Stream 2, qui est un grand débat interne à l'Allemagne, et qui relie notamment la Russie à l'Allemagne pour approvisionner en gaz. Il y a manifestement une discussion ferme avec le président américain sur ce gazoduc pour savoir si en cas, en cas, d'attaque militaire russe il pourrait faire partie des mesures de rétorsion que les Européens, les Allemands en particulier, seraient prêts à mettre en oeuvre.

Q - Est-ce que la gestion de cette crise diplomatique, Clément Beaune, complique un peu, Thomas le disait tout à l'heure, la présidence de l'Union européenne ?

R - Mais vous savez une présidence, on l'a vécu en 2008 avec un autre cas, qui était la Géorgie, c'était le président Sarkozy à l'époque, c'est malheureusement vivre au rythme des crises et des imprévus. On fait avancer d'autres sujets, je vous rassure, sur le salaire minimum européen, sur la taxe carbone aux frontières, sur la régulation des grandes plateformes numériques, tout ça continue, et j'espère qu'on aura des résultats dans les prochaines semaines, mais l'international, c'est aussi la responsabilité du président, et hier il s'exprimait en tant que Président de la République, Emmanuel Macron, mais aussi en tant que président du Conseil de l'Union européenne pendant ces six mois. Cela lui donne aussi ce rôle.

(...)

Q - J'ai une dernière question très concrète. Le reflux de la vague Omicron est amorcé en Europe, est-ce qu'il y aura des mesures d'allégement aux frontières ?

R - Alors, nous y travaillons, au niveau européen et français, il y aura cette semaine sans doute une nouvelle pratique européenne pour que les personnes vaccinées, qui viennent de l'extérieur de l'Union européenne, dans l'Union européenne, aient des mesures allégées, et en France...

Q - Les tests ?

R - Alors, en France on avait rajouté au mois de décembre, avec la vague Omicron, les tests, nous annoncerons dans les prochains jours la levée des tests pour les personnes vaccinées.

Q - Merci beaucoup, Clément Beaune.

R - Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2022