Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d'abord vous dire que la situation est grave, voire même très grave, et que je suis vraiment heureux de saluer, dans cette situation, l'action déterminante de Josep Borrell, non seulement dans la préparation du contenu de la réunion dont il va vous parler mais aussi de la réactivité et de l'intuition d'accélération dont il a fait preuve pour nous permettre de réunir cet après-midi.
Je dois vous dire que les 27 sont tombés d'accord grâce à tes initiatives. Nous sommes tombés d'accord sur l'analyse de la situation - on va dire que ce n'était pas trop compliqué, mais sur la gravité de la situation et les risques que cela peut engendrer, à la suite de la violation du droit international par la Russie, à la suite aussi de la rupture des engagements pris par la Russie, à la suite aussi de l'action contre l'intégrité et la souveraineté de l'Ukraine, mais nous sommes aussi tombés d'accord sur un premier paquet de sanctions à l'unanimité.
Donc c'était un moment important et nous te devons beaucoup dans cette élaboration.
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Josep Borrell a tout à fait bien résumé la teneur de nos travaux - je l'ai dit en commençant - qui étaient dominés par la gravité de la situation, dont chacun est conscient, dans la conscience du fait que cela ne peut être qu'une étape dans les appréhensions que nous avons des suites. C'était aussi marqué par l'affirmation d'une unité non feinte pour riposter à cette violation du droit international inacceptable et puis ce que nous avons pu constater aussi, c'est la volonté d'aller vite pour ce premier train de sanctions tout en disant que cette fermeté laisse toujours la porte ouverte à la diplomatie.
Mais on a vu que tous les efforts diplomatiques qui ont été répétés au cours des dernières semaines, des derniers jours, se sont heurtés à un mur et en plus à un déclaratif parfaitement insupportable dans lequel le Président Poutine aboutit à la négation de l'Ukraine d'une certaine manière ; en tout cas, au fait que l'Ukraine n'a pas à revendiquer une souveraineté. C'est d'ailleurs ce que notre collègue Lavrov a déclaré publiquement hier.
Donc, c'est une vraie solidarité entre nous, une vraie solidarité à l'égard de l'Ukraine, une vraie volonté commune, des vrais engagements, de lourdes sanctions, mais aussi des réserves de sanctions si d'aventure la Russie avait l'intention d'aller plus loin. Et on voit bien dans les déclaratifs qui sont faits que la tentation est grande et que cette histoire n'est malheureusement pas finie.
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Q - Un groupe de pays demandait des sanctions plus dures encore. Comment avez-vous fait pour les convaincre d'agir maintenant d'une part ? Et Monsieur Le Drian, vous parliez de laisser la porte ouverte à la diplomatie, il me semble qu'il y avait un rendez-vous prévu entre vous et M. Lavrov vendredi à Paris, est-ce que ce rendez-vous est toujours d'actualité ?
Sur la deuxième partie de la question, l'entretien potentiel avec Sergueï Lavrov, nous avions dit : "sauf en cas d'invasion de l'Ukraine". L'entretien téléphonique avec Sergueï Lavrov, c'était hier après-midi. L'entretien était assez long. Le rendez-vous a été pris pour vendredi, mais jamais il n'a été fait allusion à la décision que l'intéressé connaissait puisqu'elle était quasiment concomitante avec la conférence de presse du Président Poutine. Donc c'est non.
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Q - Une question sur la position de la Chine sur la Russie et l'Ukraine. La Chine a appelé à une solution diplomatique, mais nous avons vu dans le communiqué de Pékin qu'elle a offert un soutien important à la Russie. Y a-t-il un message pour Pékin sur la façon dont ce soutien tacite à Moscou peut affecter la relation Europe-Chine ?
On a constaté ce que vous dites à la réunion du conseil de sécurité qui s'est tenue hier soir, où il y avait ce rapprochement. Au-delà de cela, les rendez-vous seront au moment des votes au Conseil de sécurité sur des résolutions. Mais il est vrai qu'il y avait eu antérieurement un déplacement du président Poutine à Pékin et sans doute ont-ils parlé aussi de l'Ukraine. Sauf que l'Ukraine ne figurait pas au communiqué commun, donc c'est plutôt à la Chine d'apprécier la situation. Pour l'instant, elle l'apprécie avec une solidarité à l'égard de la Russie. Nous le constatons aussi.
Q - Depuis ce matin, le président russe a demandé au Sénat d'approuver l'envoi de troupes au Donbass. Qu'est-ce que ça vous dit de l'efficacité de ces sanctions ? Est-ce qu'il ne fallait pas aller plus dur, plus fort dès ce matin, dès le début ? Et est-ce que vous pensez que les oligarques russes devraient être soumis à des sanctions comme vous l'avez évoqué ? Et quid de M. Poutine lui-même ?
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Cette décision-là marque par derrière la volonté et les risques que nous évoquions, que j'évoquais moi-même tout à l'heure, sur la permanence des menaces. Ceci étant aussi, le paquet de sanctions tel qu'il est engagé là, permet d'abord la rapidité, l'immédiateté, permet aussi la bonne articulation avec des sanctions prises par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada puisqu'avant la réunion des ministres des affaires étrangères de l'UE, nous avons eu une réunion du G7 où nous avons pu aussi coordonner l'ensemble de nos dispositions. Donc c'est la rapidité, l'efficacité, l'urgence, mais c'est un premier train. Il y a d'autres munitions, pour utiliser le terme de Josep, qui sont en soute.
Q - A l'Assemblée nationale, tout l'après-midi, les oppositions ont vivement critiquée l'action du Président Macron lors de la crise ukrainienne, notamment Jean-Luc Mélenchon qui considère qu'Emmanuel Macron s'est fait "rouler dans la farine" par Vladimir Poutine. Alors, vous évoquiez l'apparente duplicité du ministre Lavrov, est-ce que le Président Macron s'est fait selon vous "rouler dans la farine" par le Président Poutine ?
J'ai suivi de très près les initiatives du Président Macron. Je pense qu'il a pris ses responsabilités. Il a fait le devoir qui était le sien de tout faire pour éviter la guerre. Il l'a fait en tant que président du Conseil de l'Union européenne en exercice. Il l'a fait aussi en tant que Président de la République française membre du Conseil de sécurité : tout faire pour éviter la guerre. Et dans ces cas-là, il faut agir avec beaucoup de force et de détermination, et je pense que le Président de la République connaît les méthodes, le caractère, le cynisme de Vladimir Poutine. Il l'a pratiqué. Il sait. Il n'est pas naïf dans ces discussions. Et il a mené ces discussions toujours dans la plus grande transparence avec les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, mais aussi avec nos alliés, au nom des uns et des autres. C'est ce qu'il fallait faire.
La grande nouveauté, c'est que le Président Poutine n'honore plus la signature de la Russie. La signature de la Russie, c'était la Charte de Paris, l'Acte final d'Helsinki dont a parlé Josep Borrell tout à l'heure, signé par l'URSS d'abord et la Russie ensuite, sur l'inviolabilité des frontières, sur la souveraineté des Etats, sur la stabilité en Europe. C'était une signature de la Russie. La signature de la Russie, c'est aussi les accords de Minsk, de Poutine lui-même, renouvelée dans la réunion de Paris de décembre 2019. Cette signature n'est plus honorée. Et la nouveauté aussi, c'est qu'au-delà du cynisme, le Président Poutine n'honore plus non plus ses propres engagements. C'est ça qui fait une nouvelle donne. Puisque le même Président Poutine avait déclaré publiquement que l'hypothèse d'un vote de la Douma entraînant la reconnaissance des deux républiques de Donetsk et de Louhansk n'était pas à l'ordre du jour. Voilà la réalité. Oui, le Président Macron a pris toutes ses responsabilités. Ça a permis aussi l'unité des Européens dans cette affaire, et je pense qu'il continuera à prendre ses responsabilités pour assurer la paix, parce que c'est aussi dans la mission de la France que de le faire.
Q - La France a évoqué récemment la nécessité d'établir un nouvel ordre de sécurité en Europe. Pourriez-vous nous dire à quoi cela pourrait ressembler ?
La réalité de la situation que nous constatons, c'est qu'il n'y a plus de règles aujourd'hui sur la stabilité et la sécurité en Europe. Les outils, les traités, les actes juridiques, qui jusqu'à présent avaient assuré la stabilité en Europe, sont tous caducs, soit parce que certains les ont quittés, soit parce que l'âge, le temps a passé. Que ce soit le traité sur les forces conventionnelles, que ce soit le traité sur les forces nucléaires intermédiaires, que ce soit le traité ciel ouvert, que ce soit les documents de Vienne sur les vérifications des manoeuvres des uns et des autres, tout cela est caduc ou n'a plus de sens puisque certains se sont retirés. Donc il faut rebâtir cela. A la fois sur la question des défenses antimissiles, à la fois sur la transparence des manoeuvres, à la fois sur la transparence des exercices, à la fois sur la recherche d'une nouvelle donne sur les missiles à courte et moyenne portée. Tout cela est sur la table. Et nous l'avons fait savoir aux Russes, mais pour en parler il faut être deux. Et c'est ce processus-là que nous continuons à vouloir mettre en oeuvre pour retrouver la sécurité et la stabilité en Europe.
Que la Russie demande des garanties de sécurité, c'est normal. Que les pays européens, de l'Union européenne, mais d'autres, l'Ukraine entre autres, demandent des garanties de sécurité, c'est aussi normal. Donc nous avions de quoi travailler. Nous avons toujours de quoi travailler. Mais cela suppose, maintenant que cette étape a été franchie, beaucoup d'interrogations. [...].
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 février 2022