Texte intégral
Q - Bonsoir, Jean-Yves Le Drian.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'avoir accepté notre invitation. On a beaucoup de questions concrètes à vous poser. D'abord, celle-ci : quand avez-vous compris que l'offensive était déclenchée, que la guerre était déclenchée ? Vous l'avez appris comme nous à 04h du matin ?
R - Oui, cette nuit, mes collaborateurs m'ont réveillé pour me faire part de l'évolution de la situation, puis j'ai eu ensuite des entretiens assez rapidement, à commencer par Josep Borrell, le représentant de l'Union européenne, et puis bien d'autres, le Président de la République à 09h, ce matin, avec un Conseil de défense. Il va y avoir des rendez-vous là très importants. Il y en a un en ce moment qui est le Conseil européen avec tous les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne. Demain, il y aura un sommet de l'OTAN qui va être majeur. Demain, il y a aussi une réunion du Conseil de sécurité que nous avons initiée pour isoler la Russie, parce qu'il y a une forte indignation internationale. Et puis après, demain, toujours demain, il y aura une réunion des ministres des affaires étrangères pour mettre en oeuvre toutes les décisions qui auront été prises par les chefs d'Etat dans les réunions de ce soir et de demain après-midi.
Q - Juste un très rapide retour en arrière, vous n'avez pas l'impression vous-même et Emmanuel Macron également d'avoir été dupés par Vladimir Poutine qui négociait, qui échangeait avec vous au téléphone, ou même de vive voix, alors que depuis des mois, il plaçait ses pions méticuleusement pour envahir l'Ukraine qui est un pays indépendant ?
R - Alors, on savait qu'il y avait une accumulation de forces sur les frontières de l'Ukraine qui se développait semaine après semaine. On savait qu'il y avait tous les risques d'une menace, tous les risques d'une offensive massive qui vient de se produire et c'est précisément parce que ces risques de guerre étaient lourds, étaient forts, qu'il fallait aller voir Poutine pour dire : on va essayer de s'en sortir autrement pour essayer d'éviter la guerre. C'est ce qu'a fait le Président de la République, parce que c'était son devoir de le faire dans une situation aussi grave. C'est parce qu'il y avait une telle tension qu'il fallait agir. Il se trouve que le Président Poutine à la fois renie la signature de la Russie puisque les actes qui sont posés sont en rupture avec les engagements qu'a pris la Russie, à la fois dans le cadre de ce qu'on appelle la Charte de Paris qui assure la stabilité en Europe depuis la fin du siècle dernier, mais à la fois aussi avec les Accords de Minsk qu'il a signés. Donc, il rompt avec ses engagements, il rompt aussi avec ses engagements personnels qu'il fait avec les uns et les autres. C'est un cynique et c'est un dictateur.
Q - Vous avez entendu, ce matin, Vladimir Poutine, ses mots sont d'une violence verbale inouïe : "Ceux, dit-il, qui se mettront sur le chemin de la Russie subiront des conséquences jamais rencontrées dans l'Histoire." Nous comprenons tous que c'est une menace nucléaire, vous comprenez ça aussi ?
R - Oui, je pense que Vladimir Poutine doit aussi comprendre que l'Alliance atlantique est une alliance nucléaire, je n'en dirai pas plus.
Q - Et vous dites ce soir, comme Joe Biden, que les mesures de rétorsion qui vont être prises à l'encontre de la Russie ou de Vladimir Poutine seront dévastatrices ? Vous reprendriez cet adjectif ?
R - Je pense, oui, c'est ce qui est souhaité, et je pense qu'on aura l'unité des Européens sur ce sujet. Moi, ce qui me frappe depuis le début de cette crise, c'est d'abord le renforcement de l'unité des Européens. Nous nous sommes réunis à Paris, les ministres des affaires étrangères, avant-hier, et nous avons pris des positions uniques, rapides, efficaces sur une première salve de sanctions qui ont été déjà mises en oeuvre. Et puis ce qui me frappe aussi, c'est l'unité des alliés ; c'est-à-dire qu'en fait, alors que Vladimir Poutine combat l'OTAN, jamais il n'a réussi à rassembler autant la relation transatlantique et les pays membres de l'OTAN et de l'Union européenne. Mais il faut être très ferme sur la riposte, et les sanctions qui vont être proposées, ce sont des sanctions massives qui visent à asphyxier le fonctionnement économique de la Russie, à la fois par des mesures bancaires, des mesures financières, des mesures sur les transferts de technologies, des mesures industrielles, des mesures à l'exportation. Asphyxier l'économie, et en même temps agir auprès des oligarques pour les punir d'une certaine manière, bloquer leurs actifs et bloquer leurs capacités d'itinéraire.
Q - Ça, ce sont les oligarques. Poutine, Vladimir Poutine va-t-il être ciblé par des sanctions françaises ? Les autres pays, on verra plus tard.
R - Je laisse... Ah ! Il n'y a pas de sanctions françaises, il y a des sanctions européennes...
Q - Mais notamment françaises...
R - Et nous allons en discuter ce soir au sein du Conseil européen. C'est au Conseil européen de prendre cette décision.
Q - Sur la menace nucléaire, il menace les Occidentaux très clairement en termes non voilés d'une attaque nucléaire, la France dit quoi ? Dit très bien ?
R - Je viens de vous dire que l'Alliance atlantique était aussi une alliance nucléaire.
Q - Pourquoi l'OTAN qui est intervenue ces 25 dernières années dans des pays qui n'appartenaient pas à l'OTAN - l'Afghanistan, la Libye, la Yougoslavie -, pourquoi s'interdit-elle, par principe, de mettre le moindre soldat de l'OTAN en territoire ukrainien ?
R - Ce n'est pas ce que nous demandent les Ukrainiens.
Q - Ils veulent être libérés.
R - Moi, je me suis entretenu avec le ministre Kuleba, aujourd'hui même, tout à l'heure, sur leurs demandes. Les Ukrainiens, ils demandent quoi ? Ils demandent d'abord une aide humanitaire très forte, c'est ce que l'on va faire et ce qu'on commence à faire. Ils nous demandent une aide financière pour que l'Ukraine tienne le coup financièrement pendant cette période, c'est ce que nous avons commencé à faire au niveau français mais aussi au niveau européen. Ils nous demandent un soutien en équipements militaires, c'est ce que nous avons fait et que nous continuerons à faire. Et puis...
Q - Qu'est-ce qu'on va leur fournir ? Des missiles sol-air... ?
R - Eh bien, je ne vais pas vous en faire la description là maintenant parce que...
Q - C'est dans le domaine public parce qu'une délégation ukrainienne a sollicité le ministère de la Défense français pour dire "Voilà, on a fait une liste..."
R - Ils nous ont fait une liste, et on est en train d'étudier la liste pour essayer de répondre le mieux possible à leurs demandes, le plus rapidement possible surtout à leurs demandes. Et puis, ils nous demandent aussi des sanctions, ils nous demandent de riposter fermement sur le fonctionnement de la Russie et de taper au coeur, c'est ce que nous allons faire, par l'ensemble des sanctions qui vont être, je pense, abouties ce soir et qui seront en cohérence avec les sanctions que vient d'annoncer le Président Biden.
Q - Vous n'êtes pas frappé, dernière question, par cette dissymétrie, le Président russe qui nous menace éventuellement d'une apocalypse nucléaire, qui envoie ses soldats au risque de la vie de ses soldats en territoire ukrainien et la France, l'Europe, l'OTAN qui disent : toutes les sanctions possibles sauf une option militaire ?
R - Parce que l'étouffement de la Russie et le fait de la frapper au coeur par des mesures économiques et financières sera, sur la longue durée, beaucoup plus fort que toute intervention militaire.
Q - Mais ça n'a jamais marché, ni en 2014, ni en 2008.
R- On a changé de division, si je peux me permettre l'expression. L'ensemble des mesures qui va être pris est très massif, très spectaculaire, très lourd et va être très efficace, je pense.
Q - Merci, Jean-Yves Le Drian, d'avoir répondu à nos questions.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2022