Texte intégral
Q - Bienvenue sur Europe 1 et bonjour Clément Beaune.
R - Bonjour.
Q - Vladimir Poutine brandit la menace nucléaire, à quel point il faut la prendre au sérieux ?
R - Il faut tout prendre au sérieux, malheureusement, dans ce que nous vivons. Aujourd'hui, nous voyons la gravité des événements, il faut néanmoins garder beaucoup de sang-froid, ne pas réagir à toutes les provocations, car il y a certainement des provocations organisées par la Russie, et le discours d'hier en fait partie, mais rester extrêmement unis, entre Occidentaux, entre Européens, et fermes dans nos réactions. Vous avez vu à quel point nous avons accéléré la pression mise sur la Russie ces dernières heures. Et donc, nous continuerons dans ce sens aussi. Jean-Yves Le Drian l'a rappelé la semaine dernière, l'OTAN est une alliance nucléaire également, la France est une puissance de dissuasion, on n'est dans aucune escalade, mais il faut rester extrêmement concentré.
Q - Concentration et réaction, l'Union européenne a annoncé hier l'achat et la livraison d'armes à l'Ukraine. C'est un basculement vraiment historique, ça signifie aussi, Clément Beaune, que nous sommes partie prenante des cobelligérants dans cette guerre face à la Russie ?
R - Non, il faut être précis, nous ne sommes pas nous-mêmes, l'Union européenne, ou la France, ou les alliés de l'OTAN, en guerre sur le territoire ukrainien ; mais soyons très clairs : il y a une guerre en Europe, il y a une guerre dans une démocratie européenne qui est envahie, l'Ukraine, qui est un pays frontalier de nombreux pays de l'Union européenne. Et donc, nous aidons, vous avez raison de le dire, je crois qu'on n'en n'a pas pris la mesure...
Q - Nous aidons avec des armes létales.
R - Nous aidons y compris avec des armes létales, ce qu'a annoncé l'Union européenne hier, pour près de 500 millions d'euros, dont 450 millions d'euros pour des armes létales. Ça passera par les Etats membres qui livreront un certain nombre d'équipements pour aider l'Ukraine ; c'est un soutien très clair, inédit, à une puissance qui est attaquée, qui est l'Ukraine...
Q - Je pose de nouveau ma question, ça veut dire qu'on est face à face, est-ce que nous sommes partie prenante dans cette guerre ?
R - Non, nous ne sommes pas face à face, pour être clair, il n'y a pas de soldats des pays de l'Union européenne...
Q - Bien sûr, mais à travers les armes ?
R - Mais c'est très important la différence, on n'a pas une opération nous-mêmes en Ukraine, c'est la Russie qui envahit l'Ukraine et ce sont les Ukrainiens qui se battent. On aide les Ukrainiens à se défendre, parce qu'ils sont attaqués et que c'est notre sécurité aussi qui est en jeu. Nous ne sommes pas des belligérants, mais nous assistons l'Ukraine. Et ce qui s'est passé avec cette accélération de l'Histoire en quelques heures, c'est une révolution, on parle souvent de mot un peu galvaudé, là c'est une révolution européenne, cette révolution de la puissance, qui s'est opérée, on l'a vu en Allemagne, on l'a vu à Bruxelles, ces dernières heures, face à la pression des événements, parce que nous avons réalisé que notre sécurité nécessitait que l'Europe ne soit pas simplement un sympathique marché économique, mais qu'elle devait devenir une Union politique, Union de sécurité ; et que la défense, la démocratie, avaient un prix, et que cela nécessitait, la France l'avait compris peut-être depuis un peu plus longtemps, d'investir, de défendre ceux qui étaient menacés.
Q - En sommes, en quelques heures, nous avons fait ce qui n'a pas été fait en 50 ans à vous écouter ce matin Clément Beaune ?
R - Oui, parce que si on regarde rapidement ce qui s'est passé avec la construction européenne, c'est une formidable aventure, c'est une aventure, de paix, de réconciliation, qui a nié la puissance, parce qu'on avait peur de nous-mêmes. Après la Deuxième Guerre mondiale, nous nous sommes réconciliés, nous nous sommes réunis, et la puissance nous l'avons déléguée, notamment à l'OTAN, aux Etats-Unis, qui assuraient notre sécurité. Maintenant, l'Europe comprend qu'elle doit être partie de cette sécurité et qu'on ne peut pas vivre, en quelque sorte, dans des démocraties embourgeoisées, où nous considérons que notre confort, notre prospérité collective, même s'il y a beaucoup de gens qui souffrent évidemment, sont assurés pour l'éternité.
Q - Il a fallu une guerre pour le comprendre ?
R - Malheureusement oui, ce sont dans des crises que l'Europe avance, mais regardez là aussi ce qui s'est passé en quelques années, tout a basculé. Avec la Covid ce sont tous nos dogmes budgétaires, une politique de rigueur, d'orthodoxie, qui a sauté, avec une dette commune. Le paradoxe veut que ce soit une chancelière allemande, de droite, Mme Merkel, chrétienne démocrate, qui ait fait ce basculement vers la solidarité budgétaire avec nous. Et aujourd'hui vous avez, regardez la puissance de l'Histoire, un chancelier allemand, social-démocrate, M. Scholz, qui, un dimanche, devant son Parlement en réunion extraordinaire, annonce le doublement du budget de défense et que l'Allemagne dépensera plus de 2% de son PIB chaque année pour la défense.
Q - Arrêtons-nous sur cela, ça veut dire, Clément Beaune, que l'Allemagne met fin à son pacifisme, il faut le dire, c'est un basculement, un tournant majeur ?
R - Il faut être clair, l'Allemagne n'était pas - on caricature un peu - dans une logique pacifiste, elle avait déjà accepté des interventions extérieures depuis une vingtaine d'années, il faut quand même reconnaître ce mouvement, et nous avions fait un choix, qu'on avait beaucoup critiqué, mais que nous revendiquons aujourd'hui, parce qu'on a vu à quel point il était important, c'est qu'en 2017 nous avons engagé des projets industriels militaires communs, avion du futur, char du futur, avec l'Allemagne. Aujourd'hui, en effet, il y a un saut gigantesque que l'Allemagne accomplie sous la pression des événements, dans un cadre européen, tous ceux qui disent que l'Europe ne sert à rien, c'est parce qu'il y a l'Europe que l'Allemagne fait ce saut et renforce aussi, par son action avec nous, la sécurité du continent.
Q - On va continuer à en parler, je vous ramène néanmoins, Clément Beaune, sur le front Ukrainien. Tout à l'heure vous nous avez dit clairement "nous ne sommes pas en guerre directe, même si nous livrons des armes aux Ukrainiens". Le Danemark a annoncé qu'il laissera des volontaires adhérer aux Brigades internationales pour aller combattre directement sur le front ukrainien. N'est-ce pas là un appel, ou du moins un laisser-faire, une autorisation à participer directement au conflit ?
R - Mais, que certains pays encouragent ou permettent à des individus, librement évidemment, d'aller combattre, c'est une chose, mais il faut, là aussi, dans cette période de difficultés, parfois de confusion à lire les événements, être précis, nous ne sommes pas des belligérants au sens où il n'y a pas une opération militaire, je parle pour la France, mais ça vaut pour tous les pays de l'Union européenne, qui sont envoyés directement en Ukraine, c'est une distinction importante. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'opération militaire de notre part qu'il y a une faiblesse ou une sorte d'indifférence. C'est pour ça que j'insiste, à ce point, sur ce qui s'est passé, livraisons d'armes par des pays de l'Union européenne, financements par l'Union européenne, et toutes les autres mesures de sanctions par ailleurs.
Q - Nous allons en parler, des sanctions. Il y a aussi une guerre de communication, l'état-major ukrainien affirme à l'instant que Moscou a ralenti le rythme de l'offensive ; la Russie de son côté vient à l'instant également de revendiquer, je cite, "la suprématie aérienne" dans toute de l'Ukraine, il y a aussi, parlons-en, des pourparlers peut-être au Belarus. Est-ce que ces pourparlers sont crédibles, est-ce que l'Union européenne et la France y accordent du crédit aujourd'hui ?
R - Il faut être très prudent, et nous le verrons dans les prochaines heures, il semble en effet que des contacts aient été pris, l'Ukraine y a toujours été d'ailleurs ouverte, qui se tiendraient à la frontière biélorusse ; l'Ukraine n'avait pas accepté, à juste titre, que les choses, ces discussions potentielles se tiennent sur le territoire même de la Biélorussie qui est devenue, elle, pour le coup, clairement un cobelligérant aux côtés des Russes ; c'est pour ça aussi que nous la sanctionnons d'ailleurs ; tant mieux s'il y a un espoir qui s'ouvre, mais soyons lucides à l'heure où nous parlons : la réalité, c'est la guerre, la réalité, ce sont des opérations majeures d'invasion qui continuent, sans doute des victimes en grand nombre, et qui sont organisées par un pays, la Russie. C'est ça, la réalité, aujourd'hui ; nous ne sommes pas dans un moment, malheureusement, de paix, même si nous avons fait tous les efforts, et nous continuons, pour faciliter des solutions de discussions et de diplomatie.
Q - Justement les efforts, Eric Zemmour vient de déclarer que Vladimir Poutine est pour lui clairement l'agresseur, le seul coupable, pas mais pas le seul responsable, que parmi les responsables il y aurait également l'OTAN. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
R - C'est indigne honnêtement. Eric Zemmour, et quelques autres - il n'est pas le seul, ça a été le cas de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen - cherchent à faire oublier qu'ils faisaient, il y a encore quelques jours à peine, l'éloge de M. Poutine et du régime de M. Poutine. M. Zemmour a dit, je cite ses termes, que c'était "le meilleur allié possible", et qu'il avait dit à plusieurs reprises son admiration pour Vladimir Poutine. il voit aujourd'hui que non seulement cette admiration était une faute, et une folie, et qu'en plus ce qu'il faisait, ce qui le faisait vibrer, ce dont il faisait l'éloge, une forme de courage, une forme de virilisme poutinien, si je puis dire, que j'ai toujours trouvé absurde, mais dont il nous faisait l'éloge. Aujourd'hui, le courage il est côté ukrainien, qui résiste à un envahisseur, qui est la Russie. Et donc, ils cherchent par toute une série d'initiatives, qui sont des écrans de fumée, à faire oublier leur poutinisme. Vous savez, je paraphraserais volontiers, en ces circonstances, François Mitterrand, pour dire Poutine est à l'Est, mais les poutinistes sont à l'Ouest, malheureusement, et c'est une réalité, tous ces gens qui nous font des leçons de patriotisme et de souveraineté ont en fait trahi les intérêts de l'Europe.
Q - Trahi, c'est un mot qui rappelle trahison, c'est un traître pour vous, il n'est pas patriotique au sens où on l'entend ?
R - Je ne commenterais pas davantage, mais simplement...
Q - Vous le laissez entendre.
R - Oui, mais le patriotisme, je suis très clair là-dessus, ce n'est pas de soutenir M. Poutine, les intérêts aujourd'hui de la France, de notre sécurité, et de l'Europe avec ceux-là, c'est d'être en soutien à l'Ukraine et de ne pas être complaisant, nous avons était toujours dans l'ouverture, mais sans aucune complaisance, à l'égard de la Russie.
Q - Parlons de l'OTAN justement, vous n'excluez pas, Clément Beaune, que Poutine, pour tester l'OTAN, s'en prenne à un Etat membre, à un Etat balte par exemple, est-ce qu'il faut ne rien exclure, y compris des attaques contre la Géorgie ou la Moldavie ?
R - Malheureusement, dans les plans de M. Poutine il ne faut rien exclure, c'est pour cela qu'il faut apporter, d'ores et déjà, notre soutien à des pays de la région. Le Président de la République s'est entretenu avec les dirigeantes de Géorgie, de Moldavie, pour leur dire notre soutien, et très concrètement, puisque nous parlons aussi de pays membres de l'OTAN avec, je pense, la Roumanie, avec ce qu'on appelle le flanc Est de notre alliance, l'Estonie, dans ces deux pays, par exemple, nous avons renforcé notre présence militaire, elle se fera concrètement sur le terrain dans les prochaines heures, de la France et de ses alliés, pour montrer notre présence à travers l'OTAN.
Q - Bien, mais tout en précisant, évidemment, il n'y a aucun doute là-dessus, que Vladimir Poutine est l'agresseur, est-ce qu'il ne faut pas aussi faire une introspection sur ce qu'a fait l'OTAN, est-ce qu'il n'y a pas eu quelque part des erreurs, des louvoiements, ou en tous les cas des faits qui ont permis ou fait croire à Vladimir Poutine, qu'il était également, à un moment, agressé ?
R - Je crois qu'il ne faut pas adhérer à l'histoire que nous raconte M. Poutine depuis quelques jours dans les conférences de presse extrêmement agressives, qui sont des relectures révisionnistes de l'Histoire, mais il faut toujours s'interroger à chaud, et sans doute encore plus dans les mois qui viennent, sur ce qui s'est passé en 30 ans après la chute de l'Union soviétique, que sans doute beaucoup de Russes ont vécu comme une humiliation, le peuple russe, qui a porté au pouvoir des dirigeants qui sont devenus des autocrates comme M. Poutine, bien sûr il faudra comprendre tout ça. Mais dans les moments de crise et de guerre, je crois qu'il faut rappeler des choses qui sont très simples : notre alliance, elle est en Europe et dans l'OTAN ; et aujourd'hui, effectivement vous l'avez rappelé, mais il faut quand même le dire, parce qu'il y a parfois des doutes ou de la désinformation, l'agression, elle est 100% russe.
On a toujours été, on nous l'a parfois reproché, le Président de la République l'a assumé, dans une volonté de dialogue, y compris sur des choses profondes, le Président a parlé d'architecture européenne de sécurité, a parlé de garanties de sécurité données à la Russie, il est allé à Moscou le proposer, le discuter, avec Vladimir Poutine. On ne peut pas dire, notamment pour la France, qu'on n'a pas essayé de comprendre et de travailler sur cette organisation européenne de sécurité, la Russie l'a rejeté.
Q - Certes, Monsieur Beaune, mais ce dont vous parlez, il y a une semaine, il y a un siècle encore, l'Elysée nous parlait d'un sommet entre Biden et Poutine, et ce matin nous parlons ensemble d'une menace nucléaire, voici en une semaine ce qui s'est passé.
R - Mais bien sûr, mais ce que je veux dire c'est que nous avons justement essayé, et c'était notre devoir et notre responsabilité, je dirais même notre honneur, d'avoir cette solution de paix négociée. La Russie, c'est maintenant un fait, simple et claire, l'a refusée, et a choisi seule la guerre.
Q - Deux questions importantes, d'abord pour nos ressortissants en Russie, vous leur recommandez, en tout cas le Quai d'Orsay leur recommande de quitter le pays sans délai, il y a encore, évidemment, je suppose, des avions qui sont prévus pour ces ressortissants, aujourd'hui, pour qu'ils puissent partir ?
R - Alors, nous serons évidemment très pragmatiques et le plus en soutien possible pour nos ressortissants, il y a encore aujourd'hui, je parle de la Russie, des possibilités de quitter le pays par la voie aérienne, certains vols vers des pays européens, pour ensuite rejoindre la France, donc, c'est pour ça que nous avons donné ce conseil, pour s'organiser le plus vite possible, parce qu'il est évident que le nombre de vols va encore se réduire, et probablement disparaître tout à fait. Donc, il faut le faire le plus vite possible, et s'il y a le moindre doute contacter notre ambassade et nos services consulaires en Russie pour trouver une solution à chacun ; c'est ce que nous faisons depuis plusieurs jours avec d'ailleurs un grand courage, que je veux saluer, chez notre personnel diplomatique en Ukraine, nous le ferons désormais en Russie. Ce n'est pas du tout la même situation, on n'a pas une situation de guerre, évidemment, sur le territoire russe, mais cette suspension de l'espace aérien veut dire que nous allons encourager tout le monde à partir vite.
Q - Les réfugiés, c'est un exode massif des réfugiés ukrainiens, depuis le déclenchement de la guerre, ils sont accueillis pour le moment par les pays frontaliers, Pologne, il y a la Hongrie, la Roumanie, la France affirme qu'elle prendra sa part, ça veut dire en grand nombre ?
R - Ecoutez, on ne sait pas, donc il ne faut pas être dans des approximations, mais oui, il y aura un grand nombre de réfugiés qui fuiront l'Ukraine, c'est clair ; j'espère que...
Q - Mais accueillis par la France ? Telle était ma question.
R - Et accueillis notamment par la France, bien sûr, c'est notre devoir le plus élémentaire, en l'occurrence. Regardez ce qui se passe, là aussi, en Europe, à quel point les choses sont bousculées, vous avez déjà près de 400.000 réfugiés ukrainiens qui sont rentrés dans des pays européens. Beaucoup de ces pays, je pense à la Pologne, à la Hongrie, mais aussi à la Roumanie, étaient très réticents à toute solidarité européenne...
Q - Quand il s'agissait d'une immigration non européenne, ils la refusaient.
R - Oui, c'était sans doute leur raisonnement, en tout cas ils refusaient la solidarité avec des pays qui étaient confrontés à cette difficulté, des pays européens de la Méditerranée, la Grèce, l'Italie, l'Espagne. Aujourd'hui, je ne donne aucune leçon, je me réjouis d'une certaine façon que, là aussi, on prenne conscience, face à ce drame, que la solidarité européenne est une nécessité. La France en fera partie, bien sûr, nous sommes en train d'organiser. Gérald Darmanin a réuni ses homologues déjà hier, et il y aura une nouvelle réunion des ministres de l'Intérieur, jeudi, pour organiser le partage de cette solidarité, de cet accueil, que nous devons aux Ukrainiens.
Q - C'est aussi une guerre de l'information et de la désinformation qui se joue : les médias russes RT et Sputnik ne seront plus autorisés à diffuser, a annoncé hier Ursula von der Leyen, cela vaut pour RT France. Vous considérez, Clément Beaune, que RT France, que ses journalistes, font de la désinformation, de la propagande aujourd'hui, en France ?
R - Oui, ce n'est pas un cas individuel...
Q - Oui, c'est un avis, ou oui, c'est de la propagande ?
R - Vous me posez une question, je vous réponds, oui, je crois que ces médias, dans leur organisation même, dans leur objectif, font aujourd'hui de la propagande, c'était sans doute de la désinformation extrêmement biaisée jusqu'à présent, et on a vu même sur ces médias, RT et Sputnik, un basculement du contenu éditorial, si je puis dire, ces dernières heures, ce n'est équivalent à aucun média - j'entends le débat sur la liberté d'expression - ce n'est équivalent à aucun média qui opère sur le territoire français et européen.
Q - On peut quand même poser la question, est-ce que c'est à Mme von der Leyen, est-ce qu'elle est en droit, justement, de bannir des médias qui font, comme vous le dites... ?
R - Mais, ce n'est pas Mme von der Leyen dans son coin.
Q - C'est ce qu'elle a annoncé hier.
R - Bien sûr, mais nous la soutenons, pleinement ; ce n'est pas une décision bureaucratique de la Commission européenne, nous la soutenons pleinement, c'est une nécessité absolue dans cette période. Les Russes ont compris, bien avant nous, et là-dessus nous avons fait preuve parfois, nous, Européens, de naïveté, qu'une guerre c'était aussi de l'information, ou plus exactement de la désinformation. Et je vais vous dire, moi, je n'ai aucun scrupule, je pense qu'au contraire c'est plutôt avec retard et dans le passé que nous avons été, d'une certaine façon naïfs et que nous avons manqué de vigilance. Aujourd'hui, c'est une nécessité, et tant mieux là aussi si les pays européens, de manière coordonnée, vont suspendre cette capacité d'émission.
Q - Fermer, interdire, c'est plus efficace, pour vous, que de laisser le discernement pour les citoyens ?
R - Oui, il faut être clair, le discernement, il existe dans notre débat démocratique, heureusement ; des médias, votre antenne, beaucoup d'autres, ont des points de vue différents, des éditorialistes différents, qui ne disent pas la même chose, d'une radio à l'autre, d'une télé à l'autre, tant mieux, parfois on a des débats et des vives polémiques, vous le savez bien. Ça, c'est très bien, c'est la démocratie, et puis il y a des règles, quand on dérape il peut y avoir des sanctions, c'est la loi. Mais avoir un média qui structurellement est organisé pour être le relais du Kremlin dans nos démocraties, dans des périodes de guerre, ça ne peut pas s'accepter.
Q - Clément Beaune, vous restez avec nous, évidemment, on va continuer à évoquer tous ces sujets ensemble.
(...)
Q - Clément Beaune, à propos de la question des réfugiés, l'Union européenne estime que ce sont peut-être 5 à 7 millions d'Ukrainiens qui pourraient être amenés à vouloir se diriger vers l'Europe, les réactions sont assez variables d'un pays à l'autre, les Polonais, les Hongrois, ouvrent grand leurs bras à l'arrivée de ces Ukrainiens, pour le moment. En France, le candidat à l'élection présidentielle Eric Zemmour vient de dire que lui n'était pas favorable à l'accueil de réfugiés ukrainiens, votre réaction.
R - D'abord, pour être précis, le chiffre qui est évoqué, parce qu'on ne sait pas, objectivement, par les Nations unies, jusqu'à 7 millions de personnes, ce sont des déplacés ; ce sont des gens qui quittent leur maison, qui parfois sont en Ukraine, même ailleurs, ou sont dans d'autres pays de la région ; mais ce ne sont pas forcément des gens qui vont venir dans l'Union européenne. Donc, il faut remettre les choses à leur juste place. Ce que dit Eric Zemmour montre encore une fois que les masques tombent et l'incohérence se révèle. M. Zemmour n'a pas arrêté de nous expliquer qu'il était capable de construire une Europe alternative des nations, avec la Pologne et la Hongrie notamment ; il a fait l'éloge, et même un déplacement, de M. Orban ; et maintenant, il refuse la solidarité même à la Pologne et à la Hongrie, qui elles-mêmes, et pourtant Dieu sait si j'ai parfois exprimé des désaccords politiques avec les gouvernements de Pologne et de Hongrie, disent en l'occurrence "nous allons aider, parce que c'est une situation de guerre, de gens qui fuient leur pays, leurs familles, leur démocratie, se battent courageusement, nous allons les aider, le temps qu'il faudra". Et moi, je me réjouis que la Pologne et la Hongrie expriment de la solidarité, et je suis navré que M. Zemmour trouve que même M. Orban est trop modéré sur ces sujets, c'est quand même incroyable.
Q - Et que pensez-vous de sa proposition d'envoyer comme émissaires de la France pour la paix Nicolas Sarkozy et Hubert Védrine ? Comment est reçue cette proposition ?
R - Là aussi Eric Zemmour, et sous une autre forme Valérie Pécresse, cherchent à faire oublier un certain nombre d'incohérences, et pour Eric Zemmour, je l'ai dit, un pro-poutinisme qui était totalement assumé. Quand on aspire à la fonction présidentielle, on devrait aspirer à exercer soi-même ce type de responsabilité quand il y a une guerre. Nicolas Sarkozy, Hubert Védrine sont évidemment éminemment respectables. D'ailleurs Emmanuel Macron s'est entretenu, signe de cette confiance, avec le président Sarkozy, en fin de semaine, comme avec le président Hollande. Mais il n'y a pas de d'émissaires quand vous êtes en charge de la République, chef des armées, responsable de la sécurité des pays, président. Ce n'est pas possible, sur des sujets aussi graves, vous imaginez, de dire "écoutez, moi, je reste tranquillement à l'Elysée, je ne fais pas de discussion, je ne prends pas d'initiative européenne ou internationale, j'ai des émissaires", encore une fois, quelle que soit la qualité des émissaires, je crois que ce n'est pas sérieux. Et là aussi, c'est un écran de fumée pour cacher des errements, encore récents, à l'égard de la Russie et de M. Poutine.
Q - Clément Beaune, quelle est aujourd'hui la négociation, la voie de la négociation ? Est-ce qu'il y en a une aujourd'hui, il y a des pourparlers que vous qualifiez de très incertains au Belarus, mais est-ce qu'il y a aujourd'hui une proposition de paix, de négociation, qui est formulée par la France, par l'Union européenne, par les Occidentaux ?
R - Mais, je suis désolé de le dire aussi simplement, pour avoir une négociation de paix il faut être deux. La Russie, j'espère que ça va changer, saisissons chaque espoir, a eu beaucoup d'occasions, et encore une fois nous l'avons assumé, nous avons pris des risques pour construire cette discussion ; elle l'a refusée, elle a fait la guerre. À un moment donné, quand on est en période de guerre et qu'il y a un pays qui envahit un autre, c'est aussi simple que ça malheureusement, il faut en tenir compte et aider celui qui se bat, c'est la première des choses, et frapper la Russie, y compris sur le plan économique, très violemment. Nous avons toujours dit, et nous sommes prêts à l'accompagner, à le faciliter, que s'il y avait des discussions entre l'Ukraine et la Russie, qui soient équitables et qui ne soient pas, là aussi, une diversion, nous serions prêts, en tant que présidence de l'Union européenne notamment, à le faire ; mais les propositions de discussions, les longues discussions sur l'architecture européenne de sécurité, nous les avons tentées, nous les avons essayées.
Q - Donc, vous nous dites ce matin que l'envoi d'émissaires, qu'une négociation ou l'ébauche d'une négociation, ce n'est pas maintenant, nous ne sommes plus dans ce temps-là du tout ?
R - C'est maintenant à M. Poutine de donner des signes crédibles, ce n'est pas encore le cas...
Q - M. Poutine a brandi la menace nucléaire, hier.
R - Oui, vous voyez que c'est quand même difficile de négocier dans ces conditions, et à l'Ukraine, Etat souverain, de dire ce qu'elle veut en faire. Aujourd'hui, elle résiste courageusement ; ce n'est pas à nous de lui dire "écoutez, capitulez, cédez", ce serait quand même une forfaiture grave. Donc, nous espérons la paix, nous l'avons toujours recherchée, nous sommes prêts à l'accompagner, encore une fois, Français et Européens. Mais il faut qu'il y ait une volonté, et quand il y a invasion d'un autre pays, ce n'est pas une volonté extrêmement claire de discuter.
Q - Un mot des sanctions économiques frappant la Russie : donc, c'est vraiment l'arme lourde, exclusion d'un certain nombre de banques russes du réseau SWIFT, des mesures ciblant la Banque centrale russe ; alors, deux questions, Clément Beaune, est-ce que d'abord on est au taquet, y a-t-il encore des sanctions possibles derrière, et puis de deux, quelle est la cible de ces sanctions, parce qu'on voit se profiler des jours extrêmement difficiles, tout de même, pour le peuple russe, qui n'est pas forcément lui très enthousiaste à l'idée de cette guerre en Ukraine, Clément Beaune ?
R - Bien sûr. D'abord, il faut le dire, on a souvent dit que les sanctions étaient une forme de gâchette un peu légère, ou de pistolet à eau de la politique internationale, aujourd'hui, on est passé dans un autre monde.
Q - Jusqu'à jeudi dernier, c'était un peu le cas.
R - Ça a pu être le cas dans le passé, mais là, on est passé dans un autre univers, la Russie est en train progressivement d'être débranchée du reste du monde, notamment sur le plan économique. Et ça va avoir un impact extrêmement lourd, vous le voyez avec les premiers signes aujourd'hui : l'effondrement du rouble, une intervention en panique de la Banque centrale russe. Nous sommes bien sûr dépendants de la Russie, et nous devrons travailler sur la réduction rapide, accélérée, notamment sur le gaz, de nos dépendances à l'égard de la Russie, dont se sert M. Poutine. Mais soyons conscients de notre force, moi je le dis depuis plusieurs jours, c'est la Russie qui a plus besoin de nous, c'est la Russie qui a besoin du reste du monde ; et croire qu'on peut être une puissance brutale, agressive, d'invasion, seule dans le monde, coupée de tout le reste, ça ne fonctionne pas, c'est aussi une leçon, je crois, pour nos démocraties, qui sont parfois vues comme un peu faibles, un peu naïves, un peu décadentes ; c'est sans doute le raisonnement de M. Poutine, il pensait qu'il trouverait en face de lui une Europe divisée et affaissée, nous avons réagi. Le peuple russe, nous allons essayer de cibler évidemment les mesures, c'est aussi pour ça qu'on ne fait pas les choses de manière indiscriminées. C'est d'abord les oligarques russes, c'est d'abord ceux qui ont des fortunes, des actifs en Europe, qui sont visés, M. Poutine lui- même, ou un proche, comme M. Lavrov, nous allons essayer de faire le plus possible en sorte d'épargner le peuple russe, qui effectivement, j'en suis assez convaincu, n'avait pas besoin de cette guerre, n'a pas voulu cette guerre, et que ces dirigeants, un jour, devront rendre des comptes à leur propre peuple.
Q - Merci Clément Beaune d'avoir été ce matin sur Europe 1, merci à vous.
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2022