Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, à France Inter le 3 mars 2022, sur la mise en place du dispositif européen d'accueil des réfugiés ukrainiens.

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Média : France Inter

Texte intégral

ALEXANDRA BENSAID
Bonjour Gérald DARMANIN et merci d'être avec nous en direct de Bruxelles.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

ALEXANDRA BENSAID
Un million d'Ukrainiens ont fui la guerre et franchi la frontière vers un pays voisin, Gérald DARMANIN, à quoi faut-il s'attendre, le Haut-commissaire des Nations Unies, Filippo GRANDI, évoque ce qui pourrait devenir la plus grave crise de réfugiés en Europe de ce siècle ?

GERALD DARMANIN
Il faut s'attendre à beaucoup, beaucoup, d'Ukrainiens qui quittent effectivement leur pays en guerre, plus d'1 million, vous l'avez dit, d'après le Haut conseil aux réfugiés, souvent dans des pays de l'Union européenne, la Pologne en premier, mais aussi en Moldavie, peut-être jusqu'à 7 à 10 millions de personnes déplacées, en tout cas ce sont les prévisions les plus pessimistes auxquelles il faut s'attendre dans les prochaines semaines.

ALEXANDRA BENSAID
Et en France les préfets regroupent les initiatives des communes qui se portent volontaires pour les accueillir ces réfugiés, est-ce que ça représente beaucoup de places et finalement, à cette heure, combien d'entre eux sont arrivés chez nous ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui nous avons 800 Ukrainiens qui sont arrivés depuis le 25, 26 février, sur le sol français, parfois pour être en transit, vers l'Espagne notamment, ou vers l'Angleterre, où nous avons quelques difficultés, on y reviendra peut-être, donc il y a peu de personnes, il n'y a pas une grosse communauté ukrainienne en France, 17 000 Ukrainiens qui ont un titre de séjour par exemple, il y a des grosses communautés ailleurs en Europe, cependant, évidemment, comme l'a dit le président de la République, la France prendra toute sa part, et donc j'ai décidé de réunir chaque semaine désormais les préfets pour organiser cet accueil qui est digne évidemment du message du président de la République et de la France.

ALEXANDRA BENSAID
Gérald DARMANIN, que se passe-t-il à Calais avec des réfugiés Ukrainiens ?

GERALD DARMANIN
La difficulté de la sortie de la Grande-Bretagne de Schengen, de l'Europe, c'est évidemment le fait qu'il y a moins de continuité avec la Grande-Bretagne, et donc il y a une famille de neuf Ukrainiens, dont des enfants, qui depuis 48 heures sont bloqués au port de Calais parce qu'on leur refuse un visa pour aller en Grande-Bretagne. Donc, je remercie Natacha BOUCHART, la maire de calais, qui les accueille, avec la sous-préfète de Calais. J'ai eu hier la ministre britannique au téléphone, normalement nous allons installer, elle va installer une sorte de consulat à Calais pour pouvoir permettre aux Ukrainiens de pouvoir aller rejoindre leur famille en Grande-Bretagne, conformément aux propos de Boris JOHNSON, donc j'espère que dans la journée les choses se régleront. Plusieurs dizaines d'Ukrainiens se sont déjà présentés depuis hier à Calais et devant le tunnel ou devant le port.

ALEXANDRA BENSAID
Alors, des dispositifs spéciaux pour les Ukrainiens, c'est aussi la raison pour laquelle vous êtes à Bruxelles ce jeudi, les 27 doivent se prononcer sur une protection temporaire pour les Ukrainiens, qu'est-ce que ça change, qu'est-ce qui va se passer ?

GERALD DARMANIN
C'est très important, nous sommes allés très vite, puisqu'à la demande du président de la République j'ai convoqué un Conseil des ministres de l'Intérieur dimanche dernier à Bruxelles, on a décidé de le mettre à l'ordre du jour d'aujourd'hui, nouveau Conseil des ministres de l'Intérieur, la Commission a fait sa proposition. C'est une directive de 2001, qui avait déjà servi pour le Kosovo, ça consiste à donner une protection, comme son nom l'indique, temporaire,  "une forme" d'asile, très rapidement "déclenchable", puisqu'une fois que nous l'aurons votée, je l'espère dans les tous prochains jours, nous pourrons dire à tous les Ukrainiens qui sont sur le sol européen, pendant 6 mois, et maintenant renouvelable jusqu'à 3 ans, que nous pouvons les aider à rester sur le territoire européen en attendant de repartir dans leur pays, et notamment de leur offrir des prestations, des aides matérielles, quand on a tout quitté, d'avoir notamment l'ADA lorsqu'on est en France, une prestation qu'on donne aux demandeurs d'asile, donc c'est très important de répondre très vite. Ça évite aussi de transformer profondément la vie des Ukrainiens en Europe et de faire une demande d'asile, si j'ose dire, classique, le but évidemment c'est qu'ils puissent repartir en Ukraine le plus rapidement possible, une fois la paix revenue.

ALEXANDRA BENSAID
Des contrôles aux frontières plus faciles, plus flexibles, le droit de travailler tout de suite, c'est ça ce dispositif, c'est de la solidarité totale, et c'est à l'opposé de l'accueil fait à d'autres migrants, c'est ce que disent certaines associations qui pensent aux migrants qui viennent du Soudan, de Libye, qui fuient pourtant aussi les combats. Gérald DARMANIN, pourquoi cette différence ?

GERALD DARMANIN
Non, je pense qu'il n'y a pas de différence. Vous savez, la France elle est à 130 à 150 000 demandes d'asile par an, et elle en octroie entre 30 000 et 40 000, et par ailleurs il y a d'autres façons effectivement de rester sur le territoire national. L'asile c'est quelque chose de constitutionnel ? La France le défend en Europe et dans son pays bien évidemment, à condition évidemment que ce soit en rapport avec une situation de guerre ou de persécutions, c'est ça l'asile, c'est comme ça depuis au moins la Révolution française…

ALEXANDRA BENSAID
En Libye il la guerre.

GERALD DARMANIN
Bien sûr, et très nombreux sont les Libyens, très nombreux sont les Syriens, très nombreux sont les Afghans, on l'a vu à la crise de cet été que j'ai pu gérer également, à avoir l'asile en France, simplement il y a parfois détournement du droit d'asile pour d'autres raisons, mais ce n'est vraiment pas le cas des Ukrainiens, chacun constate qu'il y a la guerre dans leur pays, que par ailleurs c'est aujourd'hui les pays de l'Est, la Pologne, la Hongrie par exemple, la Roumanie, la Bulgarie, qui les accueillent en premier, notre premier devoir c'est d'aider ces pays, on a envoyé 40 tonnes de matériels, de médicaments, de marchandises, et nous avons demain, entre aujourd'hui et demain, beaucoup d'Ukrainiens qui viendront dans les autres pays d'Europe et il faut savoir les accueillir comme il se doit.

ALEXANDRA BENSAID
On ne va pas se cacher derrière son petit doigt, si l'Europe ouvre grand les bras et ses frontières aujourd'hui, est-ce que ce n'est pas parce que, on l'entend dans le débat public, on ne va pas tous les citer, ce sont des personnes avec la peau blanche et chrétiennes ?

GERALD DARMANIN
Je ne le crois pas du tout, c'est tellement vrai d'ailleurs que j'ai constaté, à la suite notamment du voyage de Jean-Yves LE DRIAN en Pologne, que les Polonais eux-mêmes avaient bien dit que tout le monde était accueilli en Pologne et dans le reste de l'Union européenne, et vous avez une polémique…

ALEXANDRA BENSAID
Il n'y a pas de tri aux frontières ?

GERALD DARMANIN
Vous avez entendu une polémique, hier l'ambassadeur de Pologne a évoqué le fait que c'était notamment une utilisation russe pour pouvoir déprécier le travail que faisaient les Polonais, dont acte, il n'y a aucun problème, il y a notamment 15.000 Indiens qui sont étudiants à Kiev, il y a beaucoup d'étudiants étrangers qui seront accueillis évidemment en Europe, et évidemment il n'y a pas de distinction entre les personnes qui viennent d'Ukraine, tous ceux qui viendront d'Ukraine seront accueillis en Europe.

ALEXANDRA BENSAID
En France la SNCF, entreprise publique, qui dit que les réfugiés Ukrainiens pourront voyager gratuitement dans ses trains, et donc pas les autres, qu'en pensez-vous Gérald DARMANIN ?

GERALD DARMANIN
Non, mais il y a une situation d'urgence aujourd'hui. Vous savez, à la frontière niçoise, ça fait trois jours que nous voyons des familles, il y a quand même trois quarts de femmes et d'enfants, c'est vraiment… des femmes et des enfants qui quittent parfois des personnes handicapées, des personnes très malades, qui quittent l'Ukraine dans des conditions extrêmement difficiles, qui prennent leur voiture, et je l'ai constaté à la frontière niçoise, parfois 40 heures de voiture après avoir fui un pays en guerre, arrivant dans un pays qu'ils ne connaissent pas. A l'aéroport de Beauvais il y a beaucoup désormais d'Ukrainiens qui prennent l'avion RYANAIR, celui que nous prenons sans doute pour nos vacances estudiantines ou nos vacances tout court, qui de Varsovie à Beauvais, arrivent et n'ont aucun contact, arrivent dans un pays qu'ils ne connaissent pas, donc il y a une situation exceptionnelle dans les heures, les jours qui suivent, deviendra une situation malheureusement plus ordinaire, le président de la République…

ALEXANDRA BENSAID
Donc le train gratuit c'est normal, pour eux, parce que la situation est exceptionnelle ?

GERALD DARMANIN
En tout cas moi je remercie la SNCF de contribuer au fait qu'il y a effectivement des familles qui doivent fuir leur pays et qui doivent répartir en Europe pour pouvoir retrouver leur communauté ou les gens qu'ils connaissent, c'est comme ça que vous faites quand vous quittez un pays en guerre, vous allez là où vous connaissez des gens.

ALEXANDRA BENSAID
Gérald DARMANIN, je veux vous parler quand même de l'affaire Colonna dans la prison d'Arles. Condamné pour l'assassinat du préfet ERIGNAC, il a été étranglé puis étouffé par un autre prisonnier. Transféré à Marseille à l'hôpital entre la vie et la mort, avez-vous des nouvelles de sa santé ce matin ?

GERALD DARMANIN
Non, je n'en ai pas. Je sais que le Premier ministre et le garde des Sceaux s'occupent de cette histoire. Je crois qu'évidemment tout le monde est très choqué par cette histoire. Je veux avoir une pensée pour la famille de Monsieur COLONNA, je veux aussi avoir en tant que Ministre de l'Intérieur une pensée pour Madame ERIGNAC et pour la famille ERIGNAC. Je crois que le Premier ministre, qui a saisi l'Inspection générale de la justice pour savoir ce qui s'est passé dans cette prison, a eu raison de le faire très rapidement.

ALEXANDRA BENSAID
Vos policiers, les policiers, ont entendu l'agresseur. Est-ce que vous connaissez l'explication de cette agression ?

GERALD DARMANIN
Je ne commente aucune affaire judiciaire en cours. Il y a une enquête qui est ouverte, et ce n'est pas parce que les policiers travaillent pour le procureur de la République que le Ministre de l'Intérieur en est informé.

ALEXANDRA BENSAID
« Si Yvan COLONNA décède, l'Etat devra rendre des comptes » dit la famille du militant indépendantiste. Hier en Corse, on a vu plusieurs centaines de manifestants, des personnes qui ont dit leur colère devant les préfectures. Est-ce que vous craignez des représailles ? On entend que vous avez envoyé des renforts sur l'île en Corse.

GERALD DARMANIN
Non, je ne crois pas. Je ne crois pas qu'il y aura, comme vous dites, des représailles. D'abord nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé. Moi je ne connais pas exactement l'état de santé de Monsieur COLONNA. Nous avons un nouveau préfet qui arrive sur le territoire Corse. Evidemment il aura l'occasion aujourd'hui de prendre des contacts. J'ai vu que les élus corses avaient eu des propos tempérés malgré les difficultés de la situation. Nous allons faire tout ce qu'il faut évidemment pour que la vérité soit faite sur cette agression contre Monsieur COLONNA. Mais une nouvelle fois, je n'ai pas plus d'informations que ça.

ALEXANDRA BENSAID
Gérald DARMANIN, le Ministre de l'Intérieur, merci d'avoir accepté l'invitation de France Inter et bonne journée à vous.

GERALD DARMANIN
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 mars 2022