Texte intégral
Bonjour, je suis de retour à Bruxelles pour ce troisième Conseil formel des affaires générales sous présidence française, qui est un moment important puisque nous préparerons le sommet européen qui se tient en fin de semaine, qui sera évidemment encore marqué par la situation internationale, par la guerre en Ukraine, avec aussi un débat sur ses conséquences et la façon dont l'Europe peut se protéger mieux et réagir sur la question des prix de l'énergie, en particulier. Nous aurons donc ce débat de préparation du Conseil européen.
Nous aurons également une discussion sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe pour préparer son atterrissage politique, d'ici le début du mois de mai, travailler sur le processus qui permettra d'avoir des propositions et ensuite de lancer un certain nombre de réformes de notre Union. Ce processus reste très important dans le moment que l'on vit parce qu'on voit bien qu'il faut aussi continuer, dans le long terme, à renforcer notre Union européenne, ses politiques comme ses institutions.
Puis nous aurons un point avec le vice-président de la Commission européenne, M. Sef?ovi?, sur notre relation avec le Royaume-Uni et notamment sur ce qu'on appelle des mesures autonomes que nous pourrions prendre sur la base d'un nouveau règlement, en tout cas l'avoir dans notre boîte à outils, pour réguler nos relations économiques avec le Royaume-Uni dans les mois qui viennent.
Voilà, le menu des discussions principalement aujourd'hui.
Q - Le débat parait plutôt se focaliser vers la question des achats collectifs que sur la fixation d'un prix maximal pour l'énergie. Est-ce que vous pouvez confirmer et nous dire en combien de temps ces interconnexions, que la France a bloquées assez longtemps, peuvent être bâties pour garantir que cela puisse marcher comme projet ?
R - Il y a plusieurs pistes qui sont évoquées avec un même objectif qui est d'intégrer mieux notre marché de l'énergie et d'avoir des outils de régulation quand on voit des périodes de hausses de prix particulièrement fortes qui avaient commencées avant la guerre en Ukraine mais qui sont évidemment renforcées par cette situation que l'on vit aujourd'hui. Dans ces pistes, il y a la question des achats communs, il y a la nécessité qui, je crois, fait assez largement consensus aujourd'hui, d'avoir des obligations de stockage, notamment pour le gaz, fixées au niveau européen. C'est ce qu'a proposé la Commission européenne et que la présidence française soutient. Nous aurons ce débat, aujourd'hui et en fin de semaine, sur la diversification de nos approvisionnements et, comme vous l'évoquez, au sein de notre marché de l'énergie, avoir plus d'interconnexions. Le Président de la République, depuis trois ans, a soutenu de nouveau le processus de développement des interconnexions, notamment entre la France et la péninsule ibérique, à la fois, sur le plan du gaz et sur le plan de l'électricité. Il y a des projets anciens qui posaient question ou problème pour des considérations environnementales parfois. Donc il faudra sans doute reconsidérer un certain nombre de projets mais l'idée qu'on doit interconnecter davantage, notamment à la lumière de cette crise, notre marché européen, c'est évidemment important, il n'y a pas de réticence française sur ce principe. Nous avons, par un sommet qui s'est tenu à Lisbonne, il y a quelques années maintenant, relancé avec l'Espagne et le Portugal ce travail d'interconnexion qui prend effectivement plus d'importance encore aujourd'hui.
Q - Mais il n'y a pas de date ?
R - Il n'y a pas de date pour des nouvelles décisions d'interconnexion. Il y a des projets, notamment dans le golfe de Gascogne, qui ont été actés, il y a quelques mois, qui sont en cours. Par ailleurs, puisque c'est le marché européen dans sa globalité que nous cherchons à mieux connecter, nous développons d'autres connexions entre la Bretagne en France et l'Irlande par exemple. Donc ces projets-là avancent et nous n'avons pas de réticences sur ce sujet. Cela a été le cas dans le passé, c'est vrai, nous avons su avec l'Espagne, lors du dernier sommet bilatéral notamment, relancer ce travail. Faut-il accélérer ? Oui, je le pense ; avec les ministres de l'énergie, il faudra en discuter dans les prochaines semaines. Mais j'insiste sur le fait qu'il y a une interconnexion électrique qui est en train, avec une grosse subvention européenne d'ailleurs, d'être réalisée entre la France et l'Espagne.
Q - Et pourquoi un prix maximal n'est-il pas retenu ?
R - C'est l'une des pistes qui est évoquée. Il n'y aura pas de décision ce matin sur ce sujet. Ce sera évoqué aussi par les leaders. Vous savez que la France et plusieurs pays du Sud de l'Europe ont évoqué cette piste. En tant que présidence, on doit aussi regarder quel compromis peut se dessiner, c'est toujours le même objectif : C'est d'avoir des outils de régulation pour les prix des consommateurs. Est-ce qu'on l'atteint par des prix capés, par un plafond de prix ? Est-ce qu'on atteint par des mécanismes nationaux de régulation temporaire des prix des consommateurs ? Ces options sont ouvertes. Nous pensons en tout cas qu'il faut, en effet, pousser une réforme du marché européen de l'électricité, en particulier pour mieux protéger les prix des consommateurs dans des périodes de forte augmentation, comme on les connaît aujourd'hui.
Q - Là-dessus, est-ce que vous avez l'impression au sein du Conseil que les lignes sont en train de bouger entre les pays qui sont pour une intervention forte et ceux qui freinent ?
R - Il y a encore des débats, c'est très clair. Je pense que les choses ont beaucoup bougé depuis qu'on a engagé ce débat, je le disais, avant même la guerre en Ukraine puisque les prix du gaz et de l'électricité augmentent depuis l'automne très fortement en Europe. Nous avons tous presque, la France en particulier, mis en place au niveau national des boucliers tarifaires ou des mesures d'accompagnement du pouvoir d'achat. Il y a aujourd'hui assez peu d'outils européens, en effet, harmonisés, de maîtrise des prix. C'est l'un des sujets qu'on va discuter vendredi, mais je crois qu'en effet il y a une prise de conscience qu'on doit avoir plus d'outils de protection des prix des consommateurs. J'insiste sur un point. Il ne faut pas confondre deux choses : nous avons un marché de l'électricité de gros, des prix de gros, au niveau européen, qui est un prix unique. Je crois que c'est très important de garder cet outil. Il ne faut pas casser ce marché unique de l'énergie qu'on a patiemment construit au niveau européen, qui nous protège, d'un autre sujet qui sont les prix finaux pour les consommateurs, où il a pu y avoir une tendance, ces dernières années, à casser un certain nombre de régulations. On voit bien aujourd'hui que par des mesures de prix national, ce qu'on appelle en mauvais français un cap, un plafond potentiel des prix, cela sera discuté en fin de semaine, on doit renforcer en tout cas notre boîte à outils pour protéger dans des périodes de crise comme celle-ci, les prix des consommateurs.
Q - Est-ce que vous allez parler de nouvelles sanctions ?
R - Il y a une discussion qui est engagée aujourd'hui entre les 27, ce ne sera pas l'objet directement de la réunion de ce matin, sur un renforcement des sanctions. Le Haut représentant l'a évoqué hier. On est très clair, le Président l'avait dit à Versailles également : nous augmenterons régulièrement la pression sur la Russie. S'il faut prendre des paquets de sanctions supplémentaires, nous le ferons. Les discussions sont en cours. Nous avons pris déjà six paquets de sanctions. Nous pouvons encore renforcer cela, avec un message toujours clair et toujours simple, malheureusement nécessaire, à l'égard de la Russie : si les opérations, si la guerre choisie par la Russie continue, nous augmenterons le prix à payer et la pression que nous exerçons sur la Russie.
Q - Par quels biais ?
R - Par les outils de sanctions que vous connaissez et que nous avons commencé à déployer : des sanctions d'ordre économique sur beaucoup de secteurs clés pour l'industrie et l'économie russes. Nous avons pris des mesures très fortes, à la fois sur le secteur financier, sur le secteur énergétique, sur les secteurs comme les produits de luxe par exemple, sur toute une série de secteurs, qui pénalisent le système, le pouvoir russe, le système économique et politique russe. Donc, c'est dans cet ordre de sanctions qu'on continue la discussion. Je ne peux pas les détailler aujourd'hui, mais j'envoie et je rappelle ce message très clair : nous n'hésiterons pas à augmenter encore le niveau des sanctions à chaque fois que cela est nécessaire.
Q - Sur les réfugiés et l'afflux aux frontières de l'UE et le poids que cela fait peser sur les pays frontaliers, est-ce qu'il va y avoir une discussion là-dessus ? Est-ce que vous pensez qu'à un moment donné, il va falloir quand même avoir recours à un mécanisme obligatoire de relocalisation ?
R - Dans la discussion de préparation du Conseil européen sur l'Ukraine, nous aurons sans doute plusieurs délégations qui évoqueront ce sujet, à juste titre, parce que, je le redis, il y a beaucoup de solidarité aujourd'hui dans l'accueil que les pays de première ligne, les plus proches de l'Ukraine, organisent aujourd'hui, notamment la Pologne, avec environ 2 millions de personnes qui sont déjà arrivées sur le seul territoire polonais. Soyons très clairs, oui, la solidarité européenne doit exister. Aujourd'hui, c'est une solidarité d'urgence, par l'envoi dans le cadre notamment du mécanisme de protection civile de l'Union européenne, -la France y contribue évidemment-, de produits ou d'équipements médicaux, d'accueil - tentes, lits, groupes électrogènes, etc. - qui aident ces pays à organiser l'accueil. Nous avons organisé déjà au niveau des ministres de l'Intérieur une protection temporaire qui permet sans démarche supplémentaire, sans visa, à tous les réfugiés d'Ukraine d'être protégés avec des droits proches de ceux de l'asile : le droit au travail, le droit à la santé, le droit à l'éducation dans tous les pays de l'Union européenne. Donc un réfugié d'Ukraine peut se déplacer dans un autre pays de l'Union européenne, comme ça commence à être le cas. Aujourd'hui, il n'y a pas une demande de la part notamment de la Pologne, de la Hongrie ou de la Slovaquie d'avoir un mécanisme organisé de répartition, je le signale. La répartition se fait un peu toute seule puisque progressivement, en rejoignant leur famille, en cherchant parfois un emploi ou un accueil, on le voit en France, un peu plus à l'ouest progressivement. Il faut être très clair, cet accueil devra augmenter, en France comme dans beaucoup de pays plus à l'ouest de l'Europe. Cette solidarité se fait de facto. S'il faut recourir à des mécanismes de solidarité, la présidence est prête à en discuter, à organiser cette discussion. Nous avons toujours défendu, du côté français, avant même notre présidence, des mécanismes de solidarité européenne. Mais aujourd'hui, la solidarité, c'est encore une fois l'équipement d'accueil, la protection temporaire qu'on a activée et le fait que chaque pays, dont la France ou l'Allemagne, se prépare à accueillir, et accueille déjà, davantage de réfugiés qui pourraient venir, après être arrivés en Pologne, en Slovaquie, en Hongrie, ou en Moldavie en dehors de l'Union européenne, vers l'ouest. Donc, nous sommes prêts à toutes les options pour renforcer cette solidarité.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2022