Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'Union européenne, le conflit en Ukraine et l'OTAN, à Tallinn le 1er avril 2022.

Prononcé le 1er avril 2022

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Circonstance : Déplacement à Tallinn (Estonie)

Texte intégral


Merci Mesdames et Messieurs.

Très brièvement, je voudrais dire que je suis très heureux d'être ici à l'invitation d'Eva-Maria. J'ai eu aussi l'occasion d'avoir des entretiens avec Edgar, et nous aurons tout à l'heure l'occasion de nous déplacer avec Gabrielius à Vilnius.

Cette rencontre intervient quelques mois après notre première initiative commune, puisque nous étions rencontrés en janvier 2021 à Paris. Nous avions créé le concept "B3 + France". Et cette réunion aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de ce forum de discussion très utile que nous avons pu conforter aujourd'hui dans des échanges extrêmement denses et extrêmement utiles et fructueux pour l'avenir.

Eva-Maria a évoqué l'essentiel des sujets que nous avons abordés. Je voudrais simplement revenir sur deux ou trois points dans mon propos introductif. D'abord, nous avons convenu ensemble qu'il nous fallait poursuivre le soutien à l'Ukraine. Nous soutenons l'Ukraine par la fourniture d'équipements militaires. Nous soutenons l'Ukraine par la mise à disposition de financements indispensables. Nous soutenons l'Ukraine par l'aide aux réfugiés. Nous soutenons l'Ukraine aussi par les sanctions que nous imposons à la Russie.

Nous avons solidairement, au niveau européen, engagé toutes ces démarches et la politique de sanctions devra se poursuivre pour amener le président Poutine à considérer que le prix à payer pour son agression inacceptable à l'égard de l'Ukraine soit au désavantage de la Russie. Et donc il importe de poursuivre dans cette direction et c'est ce que nous voulons faire au niveau européen, comme nous avons convenu aussi au niveau européen de réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.

Et nous sommes en train d'élaborer des stratégies de sortie de notre dépendance collective à l'égard de la Russie, que ce soit en gaz, en pétrole et en charbon. C'est le résultat de ce qu'on appelle l'agenda de Versailles, à la suite du sommet qui s'est tenu sous présidence française à Versailles il y a maintenant trois semaines.

Je voudrais dire aussi que cette rencontre nous a permis de constater la solidarité entre alliés de l'OTAN, notre solidarité. Et d'abord parce que nous avons convenu de la nécessité de faire en sorte que les quatre bataillons multinationaux supplémentaires qui ont été décidés au sommet de l'Alliance la semaine dernière puissent se mettre en oeuvre rapidement sur le flanc oriental de l'OTAN. Mais déjà sur la présence renforcée avancée, nous avons pris des engagements et Eva-Maria a rappelé que la France était à ce rendez-vous. Il se trouve que ce rendez-vous est aussi en Estonie et je m'en réjouis.

Et la ministre des armées française viendra le constater, le manifester dans deux jours, pour montrer encore davantage que nous sommes dans la solidarité des alliés. Enfin, cette guerre nous a montré aussi la nécessité pour notre Europe d'accélérer son agenda de souveraineté, non seulement dans le domaine énergétique, mais aussi dans le domaine militaire. Et c'est la raison pour laquelle la Boussole stratégique, le premier Livre blanc européen sur la défense, a été actée par les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 il y a quelques jours. C'est le renforcement de l'Europe de la défense dans la complémentarité avec l'OTAN.

Et toutes ces conclusions sont, je crois, des conclusions positives pour notre action en commun, pour notre propre sécurité et l'affirmation de notre propre puissance car finalement, dans tout cela, on s'aperçoit qu'il y a aussi l'affirmation d'une Europe qui assure sa puissance, qui assure sa propre souveraineté dans le respect, évidemment, des souverainetés nationales. J'ai été ravi de pouvoir avoir la poursuite de nos conversations dans ce cadre avec beaucoup de clarté et aussi de transparence entre nous, de confiance entre nous. Merci.

(...)


Q - La guerre de la Russie en Ukraine a irréversiblement changé la structure de la sécurité en Europe et dans le monde. Vous avez dit ce matin qu'il y avait eu beaucoup d'erreurs commises au cours des dix dernières années. Quelles sont les garanties de la France qu'il n'y aura pas d'apaisement ou de retour aux affaires comme d'habitude avec la Russie ?

R - D'abord, j'ai dit ce matin et je le redis ici parce que je crois avoir été mal compris, que nous avions, à la question posée par le président de la commission des affaires étrangères du Parlement d'Estonie, qui m'interrogeait sur le fait que j'avais dix ans d'expérience comme ministre de la défense puis comme des affaires étrangères : est-ce que nous avions pris à l'égard de la Russie une position qui nous aurait amenés à faire des erreurs ?

Et j'ai évoqué le fait que, je le redis ici, nous avons assisté au cours de ces dernières années à trois dérives autoritaires de la Russie, successives, progressives et qui, à la fin, se regroupaient dans un même constat. Une dérive autoritaire intérieure, l'étouffement progressif de la démocratie. Une dérive autoritaire d'influence et d'instrumentalisation par des manipulations à l'égard de démocraties occidentales. Je pense en particulier aux Etats-Unis, mais aussi à la France et à d'autres pays.

Et puis, troisièmement, une dérive autoritaire à l'extérieur, par la constitution autour de la Russie d'un glacis de pays à souveraineté limitée et je pense aux opérations en Géorgie par exemple, pour ne parler que de cela, mais aussi à l'occupation de la Crimée jusqu'à aujourd'hui la guerre en Ukraine. Et ces trois dynamiques perverses ont abouti à ce que l'on constate aujourd'hui, c'est-à-dire une forme de révisionnisme de l'histoire, une forme d'instrumentalisation de l'histoire dans une conception impérialiste du rôle de la Russie dans cette partie du monde.

Voilà ce que j'ai dit et face à cela, il faut une unité. L'unité a été au rendez-vous alors que, sans doute, la Russie ne le croyait pas. Parce que ce que nous constatons, mes collègues l'ont dit aussi tout à l'heure, c'est à la fois l'unité des Européens, la fermeté des Européens, l'audace des Européens dans les mesures, la performance des Européens dans les mesures, à la fois dans les sanctions et aussi dans le soutien d'équipements militaires à l'Ukraine.

Et nous constatons aussi la solidité de l'Alliance atlantique qui s'est retrouvée sur ses fondamentaux. Il y avait sur l'Alliance atlantique deux risques. Il y avait le risque du doute. Il a existé, peut-être même ici. Et il y avait le risque de la fuite en avant. Et on se retrouve sur nos fondamentaux qui est la défense collective de l'espace euro-atlantique dans l'unité et la solidarité de l'ensemble de ses membres. Ça, c'est la réalité. Et peut-être que le président Poutine, dans ses initiatives, n'avait pas anticipé ce type de réactions. En tout cas, elle est là et cette solidité est forte.

Moi, je ne sais pas prédire l'avenir de la Russie. Ce que je sais par contre, c'est que la Russie ne doit pas imaginer qu'elle peut gagner cette guerre. Et il faut donc tout faire pour aider l'Ukraine à garder sa souveraineté et son intégrité, et à amener la Russie à la discussion et à la négociation. Ça passe tout d'abord par un cessez-le-feu. Et ça passe surtout, aussi, par notre conviction collective que l'Ukraine doit assurer sa propre souveraineté. Après, la Russie vit son destin. Mais, dans la réalité des choses, elle ne doit pas imaginer un moment qu'elle peut gagner cette guerre.

(...)

R - Oui, nous pensons qu'il faut un nouveau train de sanctions. Ça a été décidé, le principe, lors du sommet de Versailles et confirmé au Conseil européen de jeudi dernier. Il faut mettre en oeuvre un nouveau train de sanctions pour obliger Poutine à arrêter cette agression insensée. Nous allons l'engager et ce sont les Européens qui décideront eux-mêmes de leur mise en oeuvre, de leur contenu, dans les jours qui viennent.

(...)

Au dernier sommet de l'OTAN, il a été décidé de renforcer la présence avancée renforcée à laquelle, je l'ai rappelé tout à l'heure, vous le savez, la France contribue à la fois ici en Estonie, mais aussi en Roumanie, mais aussi dans la protection du ciel. Nous réfléchissons maintenant à l'élaboration du concept stratégique qui va être soumis au sommet de l'OTAN de Madrid au mois de juin, qui sera en cohérence, bien sûr, avec la boussole stratégique que les Européens ont adoptée il y a quelques jours. Je connais la préoccupation de nos amis baltes sur le renforcement de la présence avancée.

Nous sommes tout à fait conscients des menaces qui peuvent exister à l'égard des pays qui ont une frontière avec la Russie ou une proximité très forte avec la Russie. Et c'est au moment du sommet de Madrid qu'on adoptera les nouvelles mesures et le nouveau concept stratégique de l'OTAN qui doit évidemment tenir compte de la nouvelle donne stratégique que constitue une agression de l'Ukraine par la Russie.

(...)

R - Sur cette question, je voudrais dire deux choses. La première, qui n'a peut-être pas été suffisamment prise en compte, c'est le fait que, sous présidence française, lors du sommet de Versailles il y a quelques jours, les 27 ont décidé de mettre en oeuvre l'autonomie énergétique par rapport à la Russie, toute énergie confondue, et d'élaborer un plan qui leur permettrait d'assumer cette souveraineté énergétique dont ils ont besoin, quelles que soient les ressources énergétiques concernées, que ce soit le gaz ou le charbon ou le pétrole. Donc ça, c'est acté. Nous sommes sur le chemin de cette autonomie énergétique. Alors ça prend un peu de temps, mais les principes sont posés.

En ce qui concerne la France, elle en fait partie, puisqu'elle était à l'initiative de cette organisation. Elle est évidemment totalement solidaire. Et dans l'immédiateté, le président Macron a eu l'occasion de dire que concernant les sanctions, nous n'avions pas de tabou.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 avril 2022