Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, ministre chargé de l'Europe, avec CNews le 22 mai 2022, sur le nouveau gouvernement, le conflit en Ukraine et l'OTAN.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : CNews

Texte intégral

Q - (...) Mais tout d'abord, il a été confirmé et promu en tant que ministre, il reste en charge d'un domaine qu'il connaît bien, un domaine qui est au coeur de l'actualité, c'est l'Europe. Bonjour à vous, Clément Beaune.

R - Bonjour.

(...)

Q - Un changement dans la continuité, c'est ainsi que la nomination du Gouvernement a été appréhendée, mis à part quelques surprises dont nous allons parler. Vous incarnez, vous-même, Clément Beaune, cette continuité ; continuité mais alors en quoi ce Gouvernement peut-il être porteur de changement et même d'audace pour relever les défis de notre pays ?

R - Il y a de l'audace, mais c'est une équipe de sérieux, de travail - effectivement il faut l'assumer - d'équilibre. D'abord d'équilibre femmes-hommes, c'est normal, un gouvernement paritaire mené par une Première ministre pour la première fois depuis 30 ans et une femme elle-même d'expérience, Elisabeth Borne. Cinq ans ministre sur des portefeuilles très importants. Et puis le Gouvernement est si je puis dire paritaire aussi entre expérience et nouveauté. Il y a à peu près une moitié de ministres qui ont déjà une expérience, c'est mon cas, parfois ont changé de portefeuille, parfois - je pense que c'est important sur des sujets comme l'Europe - il y a en effet une continuité parce qu'on voit bien la situation dans laquelle nous sommes qui nécessite ce travail, cette responsabilité.

Et puis, il y a de l'audace, il y a de la nouveauté, il y a de la jeunesse aussi. Je pense à la ministre de la culture, je pense au ministre de l'éducation nationale, je pense à de nouveaux visages. Peut-être d'ailleurs une génération qui aussi a connu cette expérience dans le Gouvernement Castex, comme c'est mon cas, et qui prolonge mais qui n'est pas complètement une ancienne génération politique non plus. Je ne me vois pas comme ça en tout cas.

Q - Oui, on peut vous rassurer en le disant.

Q - Vous auriez aimé changer de portefeuille ? Bercy, par exemple ?

R - Je suis très heureux de m'occuper des sujets européens. Vous connaissez mon engagement qui d'ailleurs ne s'arrêtera jamais, je crois.

Q - Vous ne pouvez pas dire le contraire.

R - Pardon, être dans le Gouvernement de la République c'est une responsabilité, c'est un honneur. J'ai 40 ans, ça fait deux ans que j'ai eu l'honneur d'être nommé aux affaires européennes, ça fait plusieurs années que j'accompagne le Président de la République dans ses différentes fonctions sur cet enjeu européen. Je suis surtout très heureux, malgré une situation très difficile sur notre continent, des réformes qu'on a portées en Europe. C'est ma conviction, je la porte dans les échéances électorales comme dans ma mission gouvernementale. Et je suis, je crois que c'est le mot parce qu'il faut assumer cela, honoré de pouvoir continuer de cette façon avec un ministère délégué à l'Europe.

(...)

Q - Le Grand Rendez-vous se poursuit en direct sur Europe 1 et CNews. Notre premier invité a été confirmé, promu au sein du Gouvernement ministre de l'Europe aux côtés de Catherine Colonna, nouvelle ministre de l'Europe et des affaires étrangères, femme expérimentée, diplomate aguerrie, ambassadrice en Italie, au Royaume-Uni. Evidemment en temps de guerre, c'est essentiel. Clément Beaune, en quoi son profil peut-il ou va-t-il faire la différence ?

R - Catherine Colonna est une femme d'expérience, vous l'avez dit, que je connais bien, qui a d'ailleurs exercé des responsabilités de ministre des affaires européennes dans le Gouvernement de Dominique de Villepin. C'est à la fois une diplomate, une grande diplomate, ambassadrice de France, qui a exercé les plus hautes responsabilités de notre diplomatie. Quand on connaît bien le Royaume-Uni dans ces temps de Brexit, cette coopération sur d'autres sujets comme la Russie, c'est important ; quand on a été en Italie, un de nos grands partenaires européens, c'est important ; à l'OCDE, à l'Unesco, dans les grandes organisations internationales, porte-parole du Président Chirac pendant des années. C'est à la fois donc cette grande diplomate et une femme qui connaît la politique, au bon sens du terme, l'action publique, la communication aussi, c'est important dans la diplomatie. Donc, je la respecte infiniment en tant que ministre évidemment qui est ma ministre de tutelle désormais, en tant que femme engagée et en tant que diplomate avec ce sens de la politique.

Q - Et vous aurez évidemment à traiter, continuer à traiter le dossier ukrainien ; c'est une semaine importante qui s'ouvre avec toujours une intensification des attaques russes dans le Donbass et de notre part, une intensification de la livraison d'armes. Clairement, Clément Beaune, est-ce que l'objectif des Européens est le même que celui des Américains défaire Poutine, défaire l'armée russe ?

R - L'objectif est qu'il n'y ait évidemment pas de victoire russe, c'est clair.

Q - C'est la première fois que c'est dit ainsi, c'est-à-dire l'objectif est de faire gagner l'Ukraine.

R - J'ai dit de libérer l'Ukraine qui a été agressée et d'aider l'Ukraine, sans être nous-mêmes des belligérants, c'est la ligne qu'a toujours rappelée le Président de la République, Catherine Colonna aura l'occasion ...

Q - C'est une ligne de crête à laquelle plus beaucoup de monde ne croit.

R - Pardon mais dans ces situations, la ligne de crête, il faut la revendiquer si je puis dire.

Q - Mais sur le terrain, elle ne représente plus rien avec une telle livraison d'armes, Monsieur le ministre.

R - Pardon, j'insiste c'est pas du tout la même chose évidemment d'avoir sur le terrain une aide assumée, elle n'est pas cachée, depuis le départ, depuis la fin du mois de février qui se renforce et s'intensifie de la France, des Européens, des alliés à l'Ukraine, qui les aide à résister, j'espère à se libérer, et ce n'est pas la même chose évidemment d'avoir des combattants, à nous, sur le terrain ; ça, nous le refusons parce que nous pensons, non pas par lâcheté ou par refus d'un soutien actif à l'Ukraine, mais parce que nous pensons que cela envenimerait de manière probablement irréversible et extrêmement grave la situation, ce qui n'est dans l'intérêt de personne. Et donc nous tenons la même ligne derrière le Président de la République, aujourd'hui Catherine Colonna et le nouveau ministre des armées, Sébastien Lecornu, qui est celle de la France et celle de toute l'Europe qui est de garder un canal de discussion, autant que possible, avec Vladimir Poutine, être en soutien évidemment avant tout à l'Ukraine sur le plan humanitaire et sur le plan militaire, comme les Américains.

Q - Mais que peut vouloir dire dans les circonstances actuelles défaire Poutine ?

R - Je n'ai pas dit ça.

Q - J'entends bien, mais la formule circule où vous dites : éviter que la Russie ne l'emporte, éviter que la Russie ne triomphe. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire, c'est-à-dire reprendre le Donbass, reprendre la Crimée, chasser simplement la Russie des zones occupées depuis le début de la guerre ? Que pourrait représenter une victoire à tout le moins une victoire pour l'Occident et une défaite pour la Russie qui éviterait par ailleurs la montée aux extrêmes ?

R - Il y a deux choses, d'abord nous l'avons toujours dit, le Président de la République l'a encore rappelé cette semaine après un échange avec Volodymyr Zelensky le Président ukrainien ; si l'Ukraine rentre dans une discussion, dans une négociation, c'est un pays souverain, on se bat justement pour sa souveraineté. C'est à l'Ukraine, à son Président de définir seule, avec le soutien que nous apportons, mais seule, les paramètres de discussions, d'une négociation et d'une éventuelle paix.

Notre responsabilité ça n'est pas de définir, je crois que ça n'aiderait pas pardon pour cette diplomatie assumée, ça n'aiderait pas de définir tel ou tel critère, tel ou tel paramètre, c'est un pays qui avait déjà - ça, c'était très clair - été attaqué, agressé, amputé par la Crimée et de facto par le Donbass il y a plusieurs années ; nous l'avons toujours dénoncé, nous l'avons toujours dit.

Il y avait, vous avez raison de le rappeler, une ambiguïté, plus qu'une ambiguïté, une complicité sur ce point déjà de l'extrême-droite et d'une partie de l'extrême-gauche française, et aujourd'hui face à une agression insupportable et supplémentaire de donner à l'Ukraine tous les moyens de sauvegarder tout son territoire. Après, M. Zelensky s'il parvient, s'il souhaite et si c'est possible - parce que les tentatives diplomatiques à l'égard de la Russie n'ont pas marché aujourd'hui - avoir une discussion et des paramètres de paix, d'apaisement, de sécurité, c'est à lui de les définir.

Q - Face à la menace russe, la Suède et la Finlande veulent adhérer à l'OTAN ; est-ce que - première chose - vous pensez que ça peut être perçu par la Russie comme une provocation ? Et deuxièmement, est-ce que la Turquie peut bloquer indéfiniment cette demande d'adhésion ?

R - Alors, d'abord, c'est très important ce qui se passe avec la demande d'adhésion formellement déposée, il y a quelques jours, par la Suède et par la Finlande, ça n'était pas leur position historique. Du côté de l'OTAN, il y avait toujours - puisqu'on a beaucoup parlé de l'élargissement de l'OTAN, c'est dans les statuts de l'OTAN - une politique dite de porte ouverte qui pouvait s'appliquer - ça a été beaucoup fantasmé, instrumentalisé par la Russie - à d'autres pays, comme l'Ukraine, mais surtout à des pays qui étaient sur le sol européen non-membres comme la Suède et la Finlande.

Aujourd'hui M. Poutine a réussi cette formidable prouesse d'unifier les Européens et de changer la géopolitique européenne pour plus d'unité et de fermeté, ils veulent, ces deux pays rentrer dans l'OTAN, ils sont les bienvenus, nous voulons qu'ils rentrent. Ca n'est pas une provocation ; il ne faut quand même pas inverser les choses.

Q - Monsieur le ministre, vous dites "nous Européens" mais ils cherchent surtout la sécurité américaine.

R - J'y viens, l'OTAN, ce n'est pas que les Etats-Unis.

Q - C'est surtout ça.

Q - C'est d'abord les Etats-Unis.

R - Non, mais c'est très important parce que moi le mot de provocation me met en quelque sorte en colère, parce que c'est une forme de déresponsabilisation de la Russie de M. Poutine. Provocation, de quoi tout cela vient-il ? Du fait que M. Poutine a agressé sans aucune justification l'Ukraine ...

Q - Bien sûr.

R - Non mais je sais que vous ne pensez pas le contraire, mais je précise que M. Poutine a agressé sans aucune justification et de manière monstrueusement brutale l'Ukraine depuis le 24 février. La réaction, je le comprends et nous les accueillons volontiers, c'est que la Suède et la Finlande veulent aujourd'hui rentrer dans une organisation ...

Q - Quitte à avoir une frontière de 1300 kilomètres désormais, c'est bien ça, la Finlande avec la Russie, c'est-à-dire c'est ça ...

R - Vous préférez ...

Q - Non mais on pose la question c'est-à-dire que là, il pourrait y avoir face-à-face des soldats russes et des soldats de l'OTAN ?

R - Ce n'est pas le cas aujourd'hui ...

Q - Mais ça peut l'être ...

R - Il y a toujours eu et il y aura toujours, c'est à la Finlande et la Suède de le dire, ils ne sont pas encore membres de l'OTAN, il y aura évidemment le souhait de ne pas être dans aucune provocation qui pourrait être instrumentalisée, mais ça n'est pas le cas aujourd'hui, ils veulent adhérer, c'est une des raisons pour lesquelles la Finlande historiquement avait voulu garder une forme de neutralité et de distance raisonnable, si je puis dire, à la Russie, sur le plan géopolitique parce qu'elle a une frontière avec la Russie, parce qu'elle sait ce que c'est que la menace russe.

Aujourd'hui, la Finlande pense que c'est sa protection la meilleure, c'est l'OTAN. Et j'insiste parce que c'est très important sur l'Europe, l'OTAN, ce n'est pas la négation de la défense européenne, c'est les deux qu'il faut faire.

Q - Mais vous avez probablement lu la tribune très importante, je crois, d'Henri Guaino la semaine dernière, ou il y a une dizaine de jours, avec cette formule "nous marchons comme des somnambules vers la guerre" ; autrement dit, d'une étape à l'autre, une forme d'engrenage, il fait référence à 1914, la possibilité aujourd'hui d'un conflit, d'une montée, d'une forme d'escalade sur le territoire européen. Est-ce que vous redoutez ce que redoute Henri Guaino dans son texte ?

R - Je suis en désaccord complet avec cette analyse, parce qu'elle est une justification...

Q - Il n'y a pas de possibilité de guerre globale aujourd'hui ?

R - Mais bien sûr qu'il y a ce risque.

Q - Il alerte sur cela, en quoi vous êtes en désaccord ?

R - Moi, ce que je conteste, c'est le raisonnement des responsabilités, l'enchaînement des responsabilités. Je le regrette infiniment. La France, le Président de la République, parfois les mêmes le lui reprochaient à l'époque et ils continuent, a toujours voulu avoir un dialogue avec la Russie. On ne peut pas nous reprocher à la France encore moins qu'aux autres pays européens de ne pas avoir voulu discuter.

Q - Monsieur le ministre, la question, c'est les résultats, et Henri Guaino ne dit pas autre chose. Il dit : aujourd'hui qui sont les chercheurs de paix réellement ?

R - Mais le chercheur de guerre et le fauteur de guerre, c'est M. Poutine.

Q - C'est une évidence, nous sommes d'accord, mais pour la paix, qui la cherche ?

R - Mais nous la cherchons mais il ne faut faire deux choses. Quand vous êtes faible, vous ne créez pas la paix, jamais, l'Histoire le montre. Et donc, il y a une agression d'abord qui est un drame humanitaire et humain. L'Ukraine c'est l'Europe et c'est un signal pour tous les Européens, les pays baltes, les pays de l'Est de l'Europe ; si nous ne défendons pas aujourd'hui par le soutien que nous apportons à la résistance ukrainienne ...

Q - Mais l'horizon n'est-il pas la paix ?

R - Bien sûr mais je vous dis, on fait deux choses. On apporte les moyens sans être nous-mêmes en guerre à l'Ukraine de résister ; nous le devons moralement, nous le devons politiquement ...

Q - A l'Ukraine de gagner, c'est ce que vous avez dit tout à l'heure.

R - De se libérer d'une agression, bien sûr. Gagner, eux n'ont pas provoqué la guerre en Russie, donc je ne crois pas qu'ils cherchent une victoire au sens d'aller en Russie, pas du tout. Ils cherchent à se libérer d'un pays qui les occupe en tant qu'Etat souverain, c'est légitime, on les soutient. Si on ne le faisait pas, ce n'est pas simplement un devoir moral, si on ne le faisait pas, l'Europe dirait, eh bien, allez-y, la Russie de M. Poutine peut faire ce qu'elle veut, ce serait dangereux pour notre sécurité très directement. Et en même temps, j'assume cet "en même temps" diplomatique et politique nous avons, nous France en particulier, le Président de la République, un contact difficile, un contact qui aujourd'hui n'aboutit pas au résultat évidemment qu'on souhaiterait, mais qui se maintient coûte que coûte avec M. Poutine.

On ne peut pas dire qu'on a cassé le dialogue, coupé les ponts, évité la discussion et provoqué ; ça, certainement pas, mais aujourd'hui nous sommes ces défenseurs de la liberté et de l'Ukraine et ces renforceurs de la sécurité européenne et des agents du dialogue, aussi difficile soit-il ...

Q - Sous le parapluie américain ?

R - Non pas sous le parapluie américain mais pardon, pour purger ce sujet, moi j'ai aucun problème, moi, je ne suis pas pour l'équidistance entre le Moscou de M. Poutine et le Washington de M. Biden ; pour moi, il est clair que nos alliances sont avec le Washington de M. Biden. C'est très clair.

(...)

R - Donc soyons clairs : nous sommes des membres de l'OTAN, nous sommes des alliés des Etats-Unis Amérique mais nous avons toujours défendu avec aucun soutien, aucun soutien ni au Parlement français, ni au Parlement européen de la France insoumise l'indépendance européenne, c'est comme ça qu'il faut faire. Nos alliances sont avec les Etats-Unis mais on doit renforcer l'indépendance européenne. Le reste, c'est de la complicité avec les pires régimes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2022