Texte intégral
Je suis très heureux d'avoir reçu ce matin, après plusieurs échanges téléphoniques réguliers, la vice-Première ministre chargée de l'intégration européenne Olga Stefanichyna.
Nous avons eu une discussion d'abord sur la situation en Ukraine, et je veux avant tout redire le soutien plein, entier, total de la France, de l'Union européenne à l'Ukraine, l'admiration que nous avons pour le courage du peuple ukrainien dans une situation tragique sous la seule responsabilité, nous le savons, de la Russie. Et l'urgence absolue, c'est de continuer à apporter ce soutien militaire, humanitaire, comme le Président de la République l'a toujours rappelé au Président Zelensky, en l'intensifiant aussi, dans les jours et les semaines qui viennent, avec nos partenaires européens.
Nous devons d'ores et déjà - la Commission européenne a fait une première proposition la semaine dernière - travailler à l'avenir, au retour de la paix ; c'est ce sur quoi ensemble nous travaillons ; et puis une phase de reconstruction qui sera indispensable pour l'Ukraine.
Troisième élément sur lequel nous avons discuté, sur lequel nous devons insister, c'est bien sûr une perspective européenne pour l'Ukraine qui soit positive, qui soit concrète, qui soit crédible. C'est très important de dire comme nous l'avons fait au sommet de Versailles que l'Ukraine fait partie dès aujourd'hui et fera partie de la famille politique européenne. Je suis convaincu que l'Ukraine fera partie de l'Union européenne.
Ce que nous disons, c'est qu'il faut franchir les étapes d'une manière qui soit utile, efficace, et cela veut dire que nous attendons sur la candidature de l'Ukraine un avis précis de la Commission européenne, pour le mois de juin. Puisque nous aurons à la fin de la présidence française, au sommet européen du mois de juin, une discussion collective sur le statut de candidat de l'Ukraine à l'Union européenne.
Et c'est très important, parce que le Président de la République a indiqué dans son discours de Strasbourg, le 9 mai dernier : si ce processus démarre, il faut aussi, sans attendre, avoir un projet politique partagé qui permette à l'Ukraine, au peuple ukrainien, aux générations qui viennent, d'avoir avec l'Europe une coopération politique, une coopération dans certains domaines, peut-être sur l'énergie, sur les transports, sur la libre circulation en Europe. Tout cela pour dire, et nous le partageons, qu'un processus d'intégration à l'Union européenne est évidemment possible, est évidemment souhaitable, mais nous le savons, avec honnêteté je vous l'ai rappelé, qu'il prend du temps.
Dans ce temps, nous ne pouvons pas nous permettre simplement d'attendre, simplement de discuter. Il faut nourrir cet espoir européen, ce projet politique européen avec un complément, qui n'est pas une alternative à l'adhésion, qui est un complément, c'est un plus, ce n'est pas un moins, et c'est le projet de communauté politique européenne que le Président de la République a évoqué à Strasbourg. Ce projet mérite d'être précisé, discuté, d'être nourri. Nous avons commencé à en discuter aujourd'hui. Il faudra bien sûr en discuter entre les pays de l'Union européenne et avec les autorités ukrainiennes, le Président Zelensky, avec les Etats membres.
Nous avons besoin de cette séquence politique, de soutien immédiat, du retour de la paix, la reconstruction, une perspective européenne et, en complément des discussions sur l'adhésion, un projet politique européen concret qui permette de donner un espoir et de créer, après - nous l'espérons le plus vite possible - le retour de la paix, une vie meilleure pour le peuple ukrainien, auquel nous devons ce soutien, à ses côtés, et un engagement renouvelé.
Q - Sur la situation en Ukraine, est-ce que 15-20 ans pour l'adhésion de l'Ukraine, ce n'est pas trop long ?
R - J'ai donné des dates illustratives, pour simplement expliquer que c'est quelque chose que nous partageons qui est que le processus d'intégration complet à l'Union européenne est long. C'est-à-dire qu'il peut-être plus court, mais la question centrale, c'est d'abord l'urgence de la solidarité humanitaire et l'unité. L'Union européenne avance.
L'urgence, nous l'avons d'ailleurs aussi rappelé, c'est de mettre la pression contre la Russie avec de nouvelles sanctions. La présidence française y travaille, parce que c'est aussi cela que nous devons à l'Ukraine pour mettre fin le plus vite possible à cette guerre d'agression.
Et puis, bien sûr, on doit donner un signal concret et positif, crédible, sur le projet politique européen. Il ne faut pas confondre les étapes. Le fait que le processus mette du temps à se développer, à être négocié, cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas commencer plus tôt, bien évidemment. Nous aurons des débats, dès le mois de juin, sur la reconnaissance de la candidature de l'Ukraine comme candidat à l'Union européenne. Il y a eu un dépôt de candidature, une évaluation par la Commission européenne est en cours et il y aura un débat pour ouvrir le processus lors du sommet du mois de juin.
Ensuite, je le répète parce que c'est l'honnêteté de le dire, ces processus prennent beaucoup d'années. Donc, pour éviter que ce processus soit une déception, que ce processus n'apporte pas de bénéfice concret, nous avons dit : il faut ajouter quelque chose ; il ne faut pas retrancher quelque chose, il ne faut pas ralentir les choses, mais ajouter quelque chose de rapide. C'est l'idée de la Communauté politique européenne. Encore une fois, le nom, les contours exacts, le contenu précis, doivent être discutés et peuvent être discutés. L'idée, c'est d'ajouter quelque chose pour que nous n'ayons pas une forme d'écart entre un processus de négociation politique qui démarrerait et une adhésion effective qui prendrait du temps ; je ne peux pas dire exactement combien de temps, mais potentiellement beaucoup de temps.
Et tout le monde en convient : si nous n'avons pas une construction, un ajout qui soit bénéfique pour le peuple ukrainien, à qui nous devons cette solidarité, dans les mois qui viennent, nous aurons, je crois, raté quelque chose ; et donc, je veux qu'on prépare à la fois la phase de reconstruction et cette phase de coopération politique intermédiaire - je le répète - qui n'est pas une alternative à l'adhésion ; qui est un complément à l'adhésion - c'est bien ce qu'a dit le Président de la République encore en fin de semaine - de coopération politique, de financement de la reconstruction, d'adhésion à certaines politiques européennes en avance, la politique peut-être de l'énergie et des transports, c'est à discuter ; la libre circulation en Europe. C'est un ajout pour qu'il n'y ait pas de déception, de frustration.
Donc, j'insiste beaucoup sur ce point, parce que je l'ai dit en fin de semaine, mais parfois on ne reprend qu'une partie du message. Je profite de cette clarification - c'est très important surtout de pouvoir la partager avec Olga, ce matin, - l'idée est d'avoir bien une coopération politique rapide avec l'Ukraine en faisant, via un système nouveau, les choses dans l'ordre. L'urgence absolue, quand on est un pays malheureusement agressé, un pays brutalisé avec des crimes atroces commis sur le territoire ukrainien par les Russes, nous devons donc apporter un soutien d'urgence, humanitaire et militaire, préparer la paix et la reconstruction et préparer honnêtement, sérieusement, concrètement, la coopération politique rapidement.
Q - Ce serait donc une phase transitoire avant l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne ?
R - C'est à discuter. Ça pourrait être une phase transitoire, en effet, parce que j'y insiste, tous les processus d'adhésion à l'Union européenne prennent du temps. Et donc, si nous ne faisons qu'attendre, je crois que nous ne faisons pas oeuvre utile et que nous devons plus à l'Ukraine. Nous devons proposer, mais c'est évidemment à discuter avec les autorités ukrainiennes, avec nos partenaires européens ; nous avons fait une proposition qui a ouvert ce débat d'idées, le plus honnêtement possible, pour dire : dans l'attente de la conclusion d'un processus d'adhésion, en effet, il doit y avoir des éléments de coopération politique concrets, énergétiques, économiques, sociaux qui doivent être construits, qu'on n'avait pas bâtis dans les épisodes précédents - si je puis dire - notamment avec les Balkans occidentaux.
Aujourd'hui, nous voyons qu'il y a une phase d'attente qui est jugée souvent par les peuples et par les opinions publiques comme trop longue. Je veux aussi, parce que je crois justement au destin européen de l'Ukraine, que nous préparions ensemble l'avenir ; pour les générations qui se battent aujourd'hui ; pour ceux, en Ukraine, qui se battent aujourd'hui et qui souffrent aujourd'hui ; beaucoup d'entre eux, souffrent sous les bombes, meurent sous les bombes ; nous devons préparer un avenir qui soit sérieux, qui soit concret, qui soit positif et qui soit européen, parce que l'Ukraine appartient à cette communauté de valeurs ; parce que l'Ukraine aujourd'hui se bat pour la démocratie, nous avons ce devoir d'être précis, de préparer la reconstruction et de préparer une coopération politique rapide.
Q - Est-ce que cette communauté politique européenne pourrait apporter des garanties de sécurité à l'Ukraine ?
R - C'est un débat qui est plus large, sur l'architecture de sécurité européenne, qui peut faire partie de ces discussions sur la communauté politique européenne, ce qui veut dire aussi travailler sur une défense européenne, sur l'OTAN et la question, comme vous le savez, par ailleurs, du format et des missions de l'OTAN ; donc le sujet principal de la communauté politique européenne n'est pas celui-ci. C'est d'abord une communauté de valeurs, une enceinte de coopération politique, une décision commune et un certain nombre de politiques européennes, financières, énergétiques que nous partageons.
Donc, je crois qu'il faut sérier les choses, mais évidemment cela s'intègre dans une discussion générale en Europe sur la sécurité.
Q - Est-ce que ça serait une discussion seulement avec l'Ukraine, ou est-ce que ce serait une communauté pour d'autres pays qui souhaitent rejoindre ? Et est-ce que l'on ferait pays par pays, ou il y aurait une adhésion à des critères pour rentrer dans ce projet ?
R - Il y a encore des discussions à avoir, parce que chaque situation est très différente. La situation de l'Ukraine est évidemment très particulière. Il faut reconnaître les choses. C'est le seul pays aujourd'hui en Europe qui est victime d'une guerre d'agression ; qui a des troupes russes sur son sol qui mènent des crimes que l'on connaît ; et donc il y a, si je puis dire, un statut particulier que nous devons à l'Ukraine. Mais si l'on veut que cette perspective européenne bénéficie à d'autres pays, oui, il peut y avoir dans cette communauté non seulement l'Ukraine, si elle le souhaite, mais aussi - et nous l'avons évoqué - c'est à chaque pays de décider, la Moldavie, la Géorgie. Et puis des cas très différents, que je ne compare pas à l'évidence, mais par exemple celui - si ce pays était intéressé - du Royaume-Uni qui a quitté l'Union européenne, mais qui pourrait trouver intérêt à des coopérations européennes un peu différentes, un peu plus souples.
Donc, nous devons à la fois réformer, renforcer notre Union européenne, cela reste notre priorité bien sûr, et imaginer des formes de coopération politique, j'insiste, complémentaires qui peuvent bénéficier à l'Ukraine et qui peuvent bénéficier à d'autres pays dans d'autres situations.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2022